Sunday, October 16, 2011

Humeur d’été



 En cette fin du mois d’août, tandis que les glands mûrs tombent des chênes avec un petit bruit métallique lorsqu’ils heurtent les tuiles, la façon dont va le monde me donne la nausée. Il a suffi d’une semaine sous la tente, loin des nouvelles et des rumeurs, loin des médias, loin des sondages et des élections à venir, des feuilletons obligés d’une actualité qui se n’est plus que ragots de cour et moralismes en tout genre, une seule petite semaine à m’emplir les yeux de la beauté des arbres, de la beauté des arts, à vider quelques verres avec de bons copains en discutant de l’essentiel, de l’écriture et de l’imaginaire. J’en suis sortie comme lavée des miasmes de ce temps et, revenant au quotidien, l’obscénité de ce qui se joue parmi les puissants de ce monde m’est apparue dans sa crudité.
Je ne comprenais rien à l’intervention en Libye, sinon qu’une fois de plus la machine à moudre de la propagande s’était remise en marche et qu’on nous jouait la guerre morale pour pouvoir la faire à outrance. Je ne comprenais plus rien à ce printemps arabe confisqué par l’islamisme, les militaires ou les anciens ministres, sinon que toutes les révolutions commencent dans la pureté d’une révolte pour finir confisquées par des émules d’Iznogoud puisqu’il s’agit toujours de devenir calife à la place du calife. Et je ne sais que trop qu’une révolution appartient, in fine, à ceux qui la financent, qui alimentent en armes, en argent et en autres impedimenta le camp qu’ils espèrent voir triompher. Certes, comme aurait dit ma belle-mère, « ils lancent la pierre et cachent la main » mais un peu d’entraînement permet de voir la trace de ce geste. Nihil novum sub sole !
Le pétrole, me disaient mes amis férus de géopolitique. On trouve toujours un contrat refusé, une concession trop vite attribuée à d’autres, qui servira d’explication. Pourtant Kadhafi n’était pas chiche de son or noir. Pourquoi diable fallait-il en urgence se séparer d’un dictateur – n’ayons pas peur des mots – que l’on supportait bon an mal an depuis un bon demi-siècle ? J’avais un temps pensé qu’il s’agissait d’un contre-feu pour désamorcer les événements de Tunisie mais cela n’a pas de sens.
Ce qui commence d’en prendre, du sens, c’est le paysage qui s’offre aux yeux d’un historien lorsqu’il se retourne sur les vingt ou les trente dernières années. Je ne suis pas la première à noter l’effarante continuité de la politique étrangère des USA depuis la fin du XIXe siècle, si l’on exclut les temps de repli ; cette continuité comporte depuis au moins 1947 et le début de la guerre froide le soutien systématique à l’islamisme. Pourquoi ?
On reconnaît un arbre à ses fruits, dit l’Evangile. Ceux de ce soutien sont simples : le sous-développement masqué par la richesse d’élites assises sur les puits de pétrole, tandis qu’au peuple n’est accessible au mieux qu’une formation technique sans remise en question idéologique. En d’autres termes, le soutien à ce qu’il y a dans ces pays de plus figé dans sa vision du monde et de plus agressif, c’est la certitude de pouvoir continuer à acheter le pétrole à relativement bas prix, de maintenir le dollar comme monnaie internationale et de n’avoir aucun rival dans le domaine de l’innovation scientifique et technologique. Et c’est pourquoi les subsides coulent vers les partis islamistes pour confisquer ce qu’il pouvait y avoir de démocratie réelle, c’est à dire directe et locale, dans les printemps arabes, pour s’assurer qu’ils resteront de simples vendeurs de pétrole ou de soleil et ne deviennent pas une force économique. Le tout au nom des « droits de l’homme ». Ce qui permet aussi, par ricochet, de s’assurer une supériorité « morale » et de maintenir chez les peuples occidentaux la peur du loup qui empêche de réfléchir. Nausée.
J’ai commencé ce mot d’humeur à la fin août, je le termine à la mi-octobre. Pour une part, c’était faute de temps ; pour une autre, je l’avoue, j’ai pris peur devant l’énormité de ce que je découvrais. Mais on ne peut pas vivre toujours dans la peur, surtout quand la nausée l’emporte.