Monday, March 27, 2006

Milosevic

Mille excuses pour la carte d'Iran. Je ne parviens pas à la faire apparaître.

Un mot seulement sur l'actualité. Milosevic. Ils l'ont tué. Activement en l'empoisonnant ou passivement en lui refusant les soins nécessaires. Ils ne pouvaient faire autrement : les témoignages qui s'accumulaient ramenaient l'accusation à zéro. Mais comme le TPIY n'est qu'une courroie de transmission politique, ils ne pouvaient pas l'innocenter. Donc ils l'ont tué. Et ils ont sali sa mort.
Sur le forum orthodoxe (www.forum-orthodoxe.com), le lecteur Claude a longuement parlé des princes ayant vécu la passion.
Slobodan n'était pas un prince. C'est peut-être le premier chef d'état élu à avoir vécu la passion. Nous l'avons vu, tout au long de ce procès ou, plus exactement, de cette parodie de justice, se dépouiller du politicien et prendre une stature qui imposait le respect aux esprits honnêtes, y compris à ceux qui avaient été critiques sur son action quand il était au pouvoir.
Que Dieu donne à Slobodan la mémoire éternelle, en effaçant tous ses péchés.

Géopolitique de l'Iran



Il suffit d’ouvrir un atlas pour comprendre l’importance stratégique de l’Iran. La carte ci jointe permettra, mieux qu’un long développement, de comprendre les enjeux. Au nord comme au sud et à l’ouest, les principales ressources pétrolières, celles du Golfe et celles de la Caspienne, l’Iran étant lui-même le troisième producteur de l’OPEP ; à l’est, la zone éminemment instable formée par l’Afghanistan et le Pakistan, le premier fondant son économie principalement sur le pavot, faute d’infrastructures ; au nord-ouest, le Caucase, autre zone instable mais, entre autres richesses, réservoir d’eau pour toute la région. Ainsi placé entre deux mers, il apparaît aussi comme incontournable au sens du propre du terme pour tout échange par voie terrestre entre le Moyen Orient et l’Asie Centrale ou la péninsule indienne. La vieille route de la soie retrouve une actualité parce qu’il n’existe pas d’alternative. Les cols et les vallées ne changeront pas de place pour faire plaisir aux multinationales.

De plus, l’Iran fait partie des pays de vieille civilisation – il abrite même les collines où l’on situe l’un des deux foyers connus de première domestication des céréales et des animaux, l’origine profonde de toutes les civilisations eurasiatiques – de ces pays qui, un temps dépassés économiquement et soumis au XIXe siècle par les colonisateurs européens, retrouvent aujourd’hui leur place séculaire. Pas plus que la Chine ou l’Inde, l’Iran ne saurait être raisonnablement qualifié de pays « émergent ».
Or depuis 1979, l’Iran fait barrage aux plans américains de domination de l’Asie périphérique, d’encerclement de la Russie et d’isolement de la Chine. Il abrite un des rares régimes théocratiques actuels et sa coloration chiite dans un environnement majoritairement sunnite complique encore le jeu. Enfin, imaginons qu’il se dote réellement de l’arme nucléaire. L’Iran est signataire des accords de Shanghai avec la Chine, puissance nucléaire, et la Russie, itou. Il voisine avec le Pakistan et l’Inde, tous deux en possession de la bombe, tous deux courtisés par les USA mais le Pakistan semble de plus en plus une planche pourrie tandis que l’Inde ne rentrera pas dans une démarche d’hostilité envers Chine et Russie même si elle a arraché aux Etats-uniens la reconnaissance de son indépendance nucléaire. L’Iran maître de la bombe ne la jetterait pas le lendemain matin sur Israël malgré les discours, pas plus que le Pakistan et l’Inde n’ont atomisé le Cachemire. Par contre, il fermerait le cercle des puissances nucléaires locales autour de l’Asie centrale, la coupant plus sûrement d’une influence extérieure.
Comme la presse occidentale nous rebat les oreilles depuis des mois avec la menace que représenterait l’Iran nucléarisé, un bon exercice de géopolitique serait de se demander comment l’Iran, lui, perçoit la menace. Se voit-il comme une forteresse assiégée ? L’exemple, à ses portes, de l’Afghanistan et de l’Irak n’a pas manqué de faire réfléchir ses analystes. L’ennemi potentiel, celui susceptible de déclencher une invasion asymétrique, ce sont bien évidemment les USA dont le mode stratégique rigide est désormais connu de tous : un déluge de feu et, une fois les infrastructures du pays détruites, l’installation de bases ou de camp retranchés pour surveiller l’installation d’une république bananière. Dès 2004, selon Kaveh L. Afrasiabi, enseignant en sciences politiques à l’université de Téhéran, les forces iraniennes ont mis sur pied « une stratégie défensive fluide et complexe », mélange de guérilla, d’attaques par missiles mobiles (classiques) et d’extension du conflit hors du territoire national, en particulier sur les bases états-uniennes des émirats du Golfe ou d’Asie centrale, auxquels s’ajoutent des attentats bien ciblés[1].
Une autre bonne question serait comment la menace est perçue par l’ensemble des pays signataires des accords de Shanghai. Si la Chine reste apparemment silencieuse, elle ne peut pas dans cette affaire tolérer que les USA s’emparent de l’ensemble de la route de la soie et contrôlent les échanges économiques régionaux. Il ne faut pas oublier que, malgré sa tendance au repli derrière sa muraille, la Chine a toujours considéré le cœur montagneux de l’Asie comme son jardin privé, au moins jusqu’aux passes afghanes où, traditionnellement, l’empire perse prenait le relais. L’alliance signée avec l’Iran ne peut, de plus, rester lettre morte face aux pays d’Asie centrale, ce qui ferait perdre la face à Pékin dont la parole n’aurait plus de poids. Quant à la Russie, c’est bien en raison des accords de Shanghai et dans la continuité de sa politique de réseau diplomatique, qu’elle propose de se charger de l’enrichissement d’uranium de l’Iran, donnant ainsi un poids certain à l’affirmation iranienne comme quoi il ne s’agit que de nucléaire civil tout en ôtant aux USA le prétexte désormais éculé des armes de destruction massive entre les mains d’Etats « voyous ».
Raisonnablement, les USA n’ont pas les moyens d’une troisième guerre. Mais un stratège débutant, ouvrant lui aussi un atlas, verrait très vite que l’Iran se situe juste entre l’Afghanistan, où les forces occidentales piétinent entre retour des Talibans et seigneurs de la guerre si ce n’est carrément mafias, et l’Irak, où la résistance semble de plus en plus organisée. Il serait donc tentant d’unifier les fronts, de voir l’Iran comme une poche d’aide aux diverses résistances qu’il suffirait de réduire pour avoir la main. Et, tentation suprême, de réduire en testant les mini-nukes. Et en comptant sur l’hésitation de puissances qui ont déjà montré leur calme et leur attitude responsable en la matière : la Russie et la Chine, pour la défense de l’Iran, iraient-elles jusqu’à la riposte nucléaire stratégique ?
Or s’ils se laissent aller à cette tentation séduisante sur le papier, les faucons américains risquent d’avoir une forte déconvenue. Certes, ils testent depuis la chute du mur de Berlin une escalade nucléaire graduée avec d’abord l’utilisation de l’uranium appauvri puis la perspective des bombinettes tactiques. Personne jusqu’ici n’a réagi. Supposer que l’on puisse ainsi avancer pas à pas sans amener jamais de représailles est un pari éminemment risqué.
Les USA se trouvent à la croisée des chemins. Leur dette est colossale, leur économie ne tient que par la prédation des ressources extérieures et leur supériorité technologique, même réelle, est désormais fragilisée. Leur choix n’est plus que dans la fuite en avant pour constituer un empire mondial ou dans l’acceptation des cycles normaux de développement et de déclin. Tout va se jouer dans les dix ans à venir.

[1] Kaveh L. Afrasiabi, « Comment l’Iran ripostera », Asia Times, 16 décembre 2004. Texte actuellement disponible en français sur le site de Jean Pierre Petit.