Friday, August 04, 2006

Le rapport Clean Break (rupture nette)

Puisque plusieurs articles dont un au moins repris sur le site de Michel Collon ont mis en cause le rapport Clean Break de 1996 comme source d’inspiration stratégique de l’actuelle guerre d’Israël au Liban, il me semble important de disposer du texte exact de ce rapport. J’en ai donc fait la traduction afin que chacun puisse en juger.
Ce rapport émane d’un groupe de réflexion de l’Institute for Advanced Strategic and Political Studies, think tank néo-conservateur américain consacré aux problèmes du Moyen Orient : Israël, eau et pétrole. Intitulé Groupe d’étude sur une nouvelle stratégie israélienne à l’horizon 2000, présidé par Robert Loewenberg, il comprenait Richard Perle, James Colbert, Charles Fairbanks Jr., Douglas Feith, Jonathan Torop, David Wurmser et Meyrav Wurmser. Selon le chapeau de présentation de ce rapport sur le site de l’IASPS, il s’agit de « l’ossature d’une série de rapports stratégiques à venir[1] ». Notons d’abord, avant de traduire ou résumer et commenter l’essentiel de ce texte, les liens étroits de ce groupe de réflexion avec l’administration Bush.

Une rupture nette : une nouvelle stratégie pour la sécurité du royaume[2]

Istraël a un gros problème Le sionisme travailliste qui a dominé depuis 70 ans le mouvement sioniste a généré une économie en dents de scie, qui cale et repart. L’effort pour sauver les institutions socialistes d’Israël – y compris la recherche d’une souveraineté supranationale au dessus de la nation et d’un processus de paix qui comprend le slogan « un nouveau Moyen Orient » – sape la légitimité de cette nation et a conduit Israël à la paralysie stratégique et au « processus de paix » du précédent gouvernement. Ce processus de paix a obscurci l’évidence de l’érosion de la masse critique nationale – y compris le sens palpable de l’épuisement national – et fait perdre l’initiative stratégique. La perte de la masse critique est illustrée au mieux par les efforts d’Israël pour amener les Etats-Unis à vendre des politiques impopulaires à l’intérieur, pour accepter de négocier la souveraineté sur leur capitale, et pour prépondre par la résignation à une avalanche de terrorisme si intense et tragique qu’elle a empêché les Israéliens d’accomplir leurs actes quotidiens normaux comme prendre l’autobus pour aller au travail.
Le gouvernement de Benjamin Netanyahu est arrivé avec un nouveau paquet d’idées. Bien que certains conseillent la continuité, Israël a l’occasion de faire une rupture nette ; il peut forger un processus de paix et une stratégie basés sur une fondement intellectuel entièrement nouveau qui restaure l’initiative stratégique et donne à la nation l’espace pour engager toute l’énergie possible dans la reconstruction du sionisme, le point de départ d’une réforme économique nécessaire. Pour sécuriser ses rues et ses frontières dans un futur immédiat, Israël peut :
Travailler étroitement avec la Turquie et la Jordanie pour contenir, déstabiliser et faire disparaître comme un tapis qu’on roule certaines de ses plus dangereuses menaces. Cela implique une rupture nette avec le slogan de « paix étendue » pour un concept traditionnel de stratégie fondé sur l’équilibre des forces.
Changer la nature de ses relations avec les Palestiniens, y compris faire respecter le droit de poursuite armée pour sa légitime défense dans les zones palestiniennes et soutenir des alternatives à la prise exclusive d’Arafat sur la société palestinienne.
Forger de nouvelles bases pour les relations avec les Etats-Unis – en insistant sur la confiance en soi, la maturité, la coopération stratégique sur les zones d’intérêt mutuel, et en favorisant les valeurs inhérentes à l’occident. Cela ne peut se faire que si Israël accomplit un pas conséquent vers la fin de l’aide, un pas qui annonce une réforme économique.
Nous avons rédigé ce rapport avec des passages clés pour un discours possible, marqués TEXTE, qui mettent en lumière la rupture nette que le nouveau gouvernement a l’occasion de faire. Le corps de ce rapport est le commentaire expliquant le but et dessinant le contexte stratégique de ces passages.

J’interromps la traduction. Si ce rapport venait du Mossad ou d’un think tank conservateur israélien, on pourrait étudier son contenu et ses rapports avec la politique de Netanyahu, de Sharon ou de leurs successeurs comme un historien examine n’importe quel texte politique. Mais il est essentiel de se souvenir que le groupe d’étude responsable de sa rédaction est un groupe états-unien comprenant des membres du parti républicain dont certains avaient déjà eu quelques responsabilités dans l’administration de Bush père. Or ces gens qui ne sont ni citoyens ni consultants officiels de l’Etat d’Israël dictent pratiquement à Netanyahu le discours qu’il devrait tenir devant la Knesset ou la presse. Comment s’étonner après cela que le discours islamiste associe en permanence « les sionistes et les Américains » ?

Une nouvelle approche de la paix

Tout d’abord l’adoption d’une nouvelle et audacieuse perspective de paix et de sécurité est impérative pour le nouveau premier ministre. Tandis que l’ancien gouvernement et beaucoup à l’étranger insistent sur « terre contre paix » – ce qui a placé Israël en position de retrait culturel, économique, politique, diplomatique et militaire – le nouveau gouvernement peut promouvoir les valeurs et traditions occidentales. Une telle approche, qui sera mieux reçue aux Etats-Unis, comprend « paix pour paix », « paix par la force » et confiance dans l’équilibre des puissances.
On peut introduire une nouvelle stratégie pour amener cette initiative :

TEXTE. Nous avons depuis quatre ans recherché une paix fondée sur un Nouveau Moyen Orient. Nous en Israël ne pouvons jouer les innocents à l’étranger dans un monde qui n’est pas innocent. La paix dépend du caractère et du comportement de nos adversaires. Nous avons un dangereux voisinage avec des Etats fragiles et d’aigres rivalités. Montrer une ambivalence morale entre nos efforts pour construire un Etat juif et le désir de l’annihiler en travaillant à « une terre contre paix » ne va pas assurer « la paix maintenant ». Notre revendication d’une terre – pour laquelle nous nous sommes cramponnés à l’espoir depuis 2000 ans – est légitime et noble. Il n’est pas en notre propre pouvoir, quelles que soient nos concessions, de faire la paix unilatéralement. Seule l’acceptation inconditionnelle par les Arabes de nos droits, en particulier dans leur dimension territoriale, « paix pour paix », est une base solide pour l’avenir.

La recherche de paix par Israël émerge de et ne remplace pas la poursuite de ses idéaux. La soif du peuple juif pour les droits de l’homme – consumé dans son identité par un rêve vieux de 2000 ans, vivre libre sur sa propre terre – informe le concept de paix et reflète la continuité de valeurs entre les traditions juive et occidentale. Israël peut désormais entamer des négociations mais comme moyen, non comme fin, pour la poursuite de ses idéaux et la démonstration de sa fermeté nationale. Il peut défier des états policiers ; renforcer la conformité des accords ; et insister sur des normes minimales de responsabilité.

Sécuriser la frontière nord

La Syrie défie Israël sur le sol libanais. Une approche efficace et avec laquelle un Américain peut se sentir en sympathie serait qu’Israël prenne l’initiative stratégique le long de sa frontière nord en combattant le Hezbollah, la Syrie et l’Iran en tant que principaux agents d’agression au Liban, y compris :
*Frapper l’argent de la drogue de Syrie et l’infrastructure de contrefaçon au Liban, tout ce qui converge sur Razi Qanan.
*En parallèle du comportement syrien, établir comme précédent que le territoire syrien n’est pas immunisé contre les attaques venues du Liban par procuration des forces israéliennes
*Frapper des cibles militaires syriennes au Liban et, si cela se révèle insuffisant, frapper des cibles choisies en Syrie même.
Israël peut aussi saisir l’occasion de rappeler au monde la nature du régime syrien. La Syrie renie sa parole à répétition. Elle a violé de nombreux accords avec les Turcs et trahi les Etats-Unis en continuant d’occuper le Liban en violation des accords Taef de 1989. La Syrie a organisé de fausses élections, installé un régime fantoche et forcé le Liban à signer un « accord de fraternité » en 1991 qui a mis un terme à la souveraineté libanaise. Et la Syrie a commencé de coloniser le Liban avec des centaines de milliers de Syriens tandis qu’elle tuait des dizaines de milliers de ses propres citoyens et cela en seulement trois jours de Hama en 1983.
Sous la tutelle syrienne, le commerce syrien de la drogue pour lequel des officiers de l’armée syrienne reçoivent des pots de vin de protection fleurit. Le régime de Syrie soutient de manière opérationnelle et financière des groupes terroristes au Liban et sur son sol. La vallée de la Bekaa[3] au Liban, sous contrôle syrien, est devenue pour le terrorisme ce que Silicon Valley est devenue pour les ordinateurs. La vallée de la Bekaa est devenue l’une des principales sources de distribution si ce n’est de production de « supernote » – contrefaçon de produits américains si bien faite qu’impossible à détecter.

TEXTE. Les négociations avec des régimes répressifs comme la Syrie demandent un réalisme prudent. On ne peut présumer raisonnablement de la bonne foi de l’autre côté. Il est dangereux pour Israël de faire affaire naïvement avec un régime meurtrier de son propre peuple, ouvertement agressif envers ses voisins, criminellement impliqué avec des trafiquants internationaux de drogue et de contrefaçon et qui soutient les organisations terroristes les plus meurtrières.

Etant donné la nature du régime de Damas, il est à la fois naturel et moral qu’Israël abandonne le slogan de « paix étendue » et se mette à contenir la Syrie, porte attention à son programme d’armes de destruction massive et rejette l’échange « terre contre paix » sur les hauteurs du Golan.

Revenir à un traditionnel équilibre des puissances

TEXTE. Nous devons distinguer nettement et clairement les amis des ennemis. Nous devons nous assurer que nos amis au Moyen Orient ne doutent jamais de la solidité ou de la valeur de notre amitié.

Israël peut façonner son environnement stratégique en coopération avec la Turquie et la Jordanie, en affaiblissant, contenant et même en effaçant la Syrie de la carte[4]. Cet effort peut se concentrer sur Saddam Hussein, pour le sortir du pouvoir en Irak – un important objectif stratégique israélien dans son propre droit – comme un moyen de déjouer les ambitions régionales de la Syrie. La Jordanie a défié ces ambitions régionales syriennes récemment en suggérant la restauration des Hachémites en Irak. Cela a provoqué une rivalité Jordanie/Syrie à laquelle Assad a répondu en intensifiant ses efforts pour déstabiliser le royaume hachémite, y compris par des infiltrations. La syrie a récemment signalé qu’elle et l’Iran préféreraient un Saddam faible mais survivant même à demi si cela sape et humilie les efforts de la Jordanie pour le détrôner.
Mais la Syrie entre dans ce conflit avec une faiblesse potentielle : Damas est trop préoccupé par la nouvelle équation régionale menaçante pour permettre des distractions de son flanc libanais. Et Damas redoute que « l’axe naturel » avec Israël d’un côté, au centre l’Irak et la Turquie, et la Jordanie, dans ce centre presse et détache la Syrie de l’Arabie Saoudite. Pour la Syrie, ce serait le prélude à une révision de la carte du Moyen Orient qui menacerait son intégrité territoriale.
Depuis que l’avenir de l’Irak peut affecter profondément l’équilibre stratégique du moyen orient, on comprend qu’Israël a intérêt à soutenir les Hachémites dans leurs efforts pour redéfinir l’Irak, y compris par des mesures telles que se rendre en Jordanie pour une première visite officielle du nouveau gouvernement Netanyahu, même avant toute visite aux Etats-Unis ; soutenir le roi Hussein en lui fournissant des mesures de sécurité tangibles pour protéger son régime contre la subversion syrienne ; encourager – grâce à l’influence dans la communauté économique américaine – les investissements en Jordanie afin de faire sortir structurellement l’économie jordanienne de sa dépendance envers l’Irak ; et divertir l’attention de la Syrie en utilisant des éléments d’opposition libanaise pour déstabiliser le contrôle syrien sur le Liban.
Plus important, on comprend qu’Israël à intérêt à soutenir diplomatiquement, militairement et opérationnellement les actions de la Turquie et de la Jordanie contre la Syrie, comme sécuriser une alliance tribale avec les tribus arabes qui nomadisent en territoire syrien et sont hostiles à l’élite dirigeante de la Syrie.
Le roi Hussein peut avoir des idées pour Israël, pour mettre le problème libanais sous contrôle. La population chiite prédominante au sud Liban a été rattachée depuis des siècles au leadership chiite à Najf, à l’Irak plutôt qu’à l’Iran. Si les Hachémites contrôlaient l’Irak, ils pourraient utiliser leur influence sur Najf pour aider Israël à détourner le sud Liban chiite du Hezbollah, de l’Iran et de la Syrie. Les chiites ont des liens puissants avec les Hachémites : les chiites vénèrent surtout la famille du Prophète, et leur descendants directs – dans les veines duquel coule le sang du Prophète – c’est le roi Hussein.

J’interromps encore la traduction pour noter deux points clefs. Tout d’abord, le désir de redessiner la carte du Moyen Orient ne date pas d’hier et l’intervention en Irak rentre dans la logique de ce rapport. Ensuite, le plan conseillé ici n’est pas celui suivi par les USA en Irak ni par Israël aujourd’hui, quoi que dise Herwig Lerouge. Le groupe de réflexion n’avait pas conseillé la violence directe mais une politique tordue directement inspirée de la doctrine de containment que Kissinger et surtout Brzezinski avaient instaurée contre l’URSS.

Changer la nature des relations avec les Palestiniens

Israël a une chance de forger une nouvelle relation avec les Palestiniens. D’abord et avant tout, les efforts d’Israël pour sécuriser ses rues exige la poursuite dans les zones contrôlées par les Palestiniens, une pratique justifiable avec quoi les Américains peuvent sympathiser.
Un élément clef de la paix est le respect des accords déjà signés. Par conséquent, Israël a le droit d’insister sur ce respect, y compris fermer la Maison d’Orient et disperser les agents de Jibril Rujoub à Jérusalem. De plus, Israël et les Etats-Unis peuvent établir une Commission de Surveillance Conjointe du Respect [des accords] pour étudier périodiquement si le PLO satisfait aux normes minimales de respect, autorité et responsabilité, droits humains et de crédibilité judiciaire et fiduciaire.

TEXTE. Nous pensons que l’Autorité Palestinienne doit être tenue aux mêmes normes minimales de responsabilité que les autres bénéficiaires étrangers de l’aide états-unienne. Une paix solide ne saurait tolérer la répression et l’injustice. On ne saurait escompter qu’un régime qui ne peut pas remplir ses plus rudimentaires obligations vis à vis de son propre peuple s’acquitte de celles qu’il a envers ses voisins.

Israël n’est pas tenu par les accords d’Oslo si le PLO ne remplit pas ses obligations. Si le PLO ne peut se conformer à ces normes minimales, il ne saurait être ni un espoir pour le futur ni un interlocuteur adéquat pour le présent. Afin de préparer cela, Israël pourrait cultiver des alternatives au fondement du pouvoir d’Arafat. La Jordanie a des idées là dessus.
Pour insister sur le fait qu’Israël estime problématique les actions du PLO mais non le peuple arabe, Israël devrait réfléchir à un effort spécial pour récompenser ses amis et faire avancer les droits humains parmi les Arabes. Beaucoup d’Arabes désirent travailler avec Israël ; les identifier et les aider est important. Israël s’apercevrait que plusieurs de ses voisins, comme la Jordanie, ont des problèmes avec Arafat et coopéreraient volontiers. Israël pourrait aussi mieux intégrer ses propres Arabes.

Si le destin politique personnel d’Arafat semble scellé dans ce rapport, notons que, dans cette section non plus, les membres du groupe d’étude ne poussent pas à la guerre ouverte. Poursuivre et arrêter des terroristes est une chose ; Jenine ou Gaza, une autre, assez différente. Le plan des néo-conservateurs américains est vieux comme la politique : en un mot, diviser pour régner. Utiliser la Jordanie et la Turquie membre de l’OTAN contre la Syrie, l’Iran et l’Irak, jouer des loyautés tribales contre les Etats à la manière de Lawrence d’Arabie, cela n’a pas grand chose à voir avec les chars de Tsahal et la construction du mur.

Forger de nouvelles relations avec les Etats-Unis

Dans les dernières années, Israël a invité les USA à intervenir activement dans sa politique intérieure et extérieure pour deux raisons : triompher de son opposition intérieure aux concessions « terre contre paix » que l’opinion publique israélienne n’arrivait pas à digérer et piéger les Arabes – par l’argent, le pardon des péchés passés et l’accès aux armes américaines – pour qu’ils négocient. Cette stratégie qui exigeait de bourrer d’argent américain des régimes répressifs et agressifs était risquée, chère, très coûteuse à la fois pour Israël et pour les USA et plaçait les Etats-Unis dans des rôles qu’ils ne devaient ni ne voulaient tenir.
Israël peut faire une rupture nette avec le passé et établir une nouvelle vision du partenariat avec les Etats-Unis, fondée sur la confiance en soi, la maturité et la mutualité – et pas étroitement concentrée sur les disputes territoriales. Une nouvelle stratégie d’Israël – fondée sur une philosophie partagée de la paix au travers de la force – reflèterait la continuité avec les valeurs occidentales en insistant sur le fait qu’Israël est confiant en lui-même, n’a pas besoin de troupes américaines pour sa défense, y compris les hauteurs du Golan et peut gérer ses propres affaires. Une telle confiance en soi donnerait à Israël une plus grande liberté d’action et ôterait un important levier de pression utilisé contre lui dans le passé.
Pour renforcer ce point, le Premier Ministre pourrait utiliser sa prochaine visite pour annoncer qu’Israël est désormais assez mûr pour se libérer immédiatement au moins de l’aide économique américaine et des garanties de prêt qui empêchent une réforme économique. (L’aide militaire est une question séparée pour l’instant jusqu’à ce que des arrangements adéquats puissent être pris pour s’assurer qu’Israël n’aura pas de problèmes d’approvisionnement de ses moyens de défense). Comme nous l’avons souligné dans un autre rapport, Israël ne peut prendre confiance en lui qu’en libéralisant son économie d’un seul coup plutôt que par étapes, en réduisant les impôts, en changeant la législation d’une zone de libre développement et en privatisant les terres et entreprises publiques – mouvement qui va électriser et trouver un soutien chez un large spectre bipartisan de meneurs pro-israéliens du Congrès, y compris l’Orateur de la Chambre des Représentants, Newt Gingrich.
Israël pourrait dans ces conditions mieux coopérer avec les USA pour contrer les réelles menaces pour la région et la sécurité de l’Occident. Monsieur Natanyahu pourrait mettre en lumière son désir de coopérer plus étroitement avec les Etats-Unis sur la défense anti-missile afin d’éloigner la menace de chantage que même une armée faible et distante peut poser à cet Etat. Une telle coopération sur la défense anti-missile pourrait non seulement contrer une menace contre la survie d’Israël tangible, physique, mais élargir la base de soutien parmi les membres du Congrès qui ne connaissent pas grand chose à Israël mais se soucient beaucoup de défense anti-missile. Un tel soutien élargi pourrait aider l’effort entrepris pour déplacer l’ambassade américaine en Israël vers Jérusalem.
Pour anticiper les réactions états-uniennes et aplanir les chemins pour gérer et réduire ces réactions, le Premier Ministre Netanyahu pourrait formuler ces politiques et insister sur les thèmes qu’il préfère dans un langage familier aux Américains en puisant dans les thèmes des administrations américaines durant la guerre froide ceux qui s’appliquent à Israël. Si Israël veut vérifier certaines propositions qui entraînent une réaction américaine bénigne, le meilleur moment pour le faire est avant novembre 1996[5].

Conclusions : transcender le conflit israélo-arabe

TEXTE. Israël ne veut pas seulement contenir ses ennemis ; il veut les transcender.

Des intellectuels arabes notables ont écrit de manière extensive sur leur perception de l’embourbement d’Israël et la perte de son identité nationale. Cette perception a invité à l’attaque, empêché Israël de réussir une véritable paix et offert un espoir à ceux qui veulent détruire Israël. La stratégie précédente conduisait le Moyen Orient vers une nouvelle guerre israélo-arabe. Le nouveau ordre du jour israélien pourrait signaler une rupture nette par l’abandon d’une politique qui a présumé l’épuisement et permis un retrait stratégique, en rétablissant le principe de préemption plutôt que les seules représailles et en cessant d’absorber le sang de la nation sans riposte.
Le nouvel ordre du jour stratégique d’Israël pourrait modeler l’environnement régional de façon à garantir à Israël l’espace pour reconcentrer ses énergies là où elles sont le plus utiles : pour rajeunir son idée nationale, ce qui ne peut se faire qu’en remplaçant les fondements socialistes d’Israël par une position plus saine ; et pour surmonter son « épuisement » qui menace la survie de cette nation.
Enfin, Israël pourrait faire plus que gérer le conflit israélo-arabe par la guerre. Aucun tas d’armes, aucune victoire ne garantira à Israël la paix qu’il cherche. Quand Israël sera sur une position économique plus saine, libre, puissant et en bonne santé intérieure, il ne se contentera pas de gérer plus longtemps le conflit israélo-arabe ; il le transcendera. Comme le disait récemment un des principaux dirigeants de l’opposition irakienne : « Israël doit rajeunir et revitaliser son autorité intellectuelle et morale. C’est un élément important – le plus important s’il se trouve – de l’histoire du Moyen Orient. » Israël – fier, riche, solide et fort – deviendrait la base d’un Moyen Orient véritablement nouveau et paisible.

Note sur la traduction : j’ai gardé volontairement le style répétitif, inhabituel même en américain, qui a pour but évident d’éviter toute équivoque et donc toute utilisation de ce texte qui ne correspondrait pas à la pensée des auteurs.
On voit à cette lecture que le plan de Rumsfeld et de ses amis est aux antipodes des événements actuels. Ce qui signifie que ceux qui l’ont ressorti des oubliettes pour en faire une machiavélique annonce de guerre totale sioniste, l’allemand Rainer Rupp et son commentateur Herwig Lerouge faisaient œuvre de propagande et supposaient que personne n’irait vérifier car il est impossible de se méprendre sur ce texte qui est un appel à la libéralisation totale de l’économie ainsi qu’à une diplomatie qui divise pour régner. La seule phrase belliciste est le recours à des opérations préventives plutôt qu’à de simples représailles. Mais c’est pour affirmer immédiatement : « Aucun tas d’armes, aucune victoire ne garantira à Israël la paix qu’il cherche. » On n’est pas plus clair.
Je ne suis pas un des soutiens les plus fervents de l’administration Bush mais quand on veut me faire prendre des vessies pour des lanternes, quel que soit le camp soutenu, je refuse de suivre.
Et je continue de penser que la politique israélienne actuelle résulte plus d’un absurde complexe de Massada que d’un complot des néo-conservateurs américains. Si j’étais un suppôt de Washington, je hurlerais plutôt de frustration tant cette initiative israélienne assez largement impopulaire risque d’aliéner le soutien international recherché par l’administration Bush contre le régime syrien et contre l’Iran.

[1] « A Clean Break : A new strategy for securing the realm », www.iasps.org/pub.htm
[2] Le terme royaume (realm) étonne puisque l’Etat d’Israël est formellement une république. Il suggère une idéologie plus religieuse, davidique, que politique.
[3] Il s’agit des alentours de Baalbeck.
[4] Le rapport emploie le terme rolling back, image du tapis qu’on roule pour l’ôter de la pièce. L’expression est très forte même si elle semble banale sous leur plume.
[5] Date des élections.

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