J'avais entamé cette série de réflexions comme une incise à l'intérieur d'une question géopolitique mais, après avoir examiné la couche philosophique, la plus facile et que les Apologètes comme Justin ou les théologiens de l'école d'Alexandrie avaient largement débroussaillée, je me retrouve devant un problème si multiforme et traversé de tant de contradictions que je ne sais plus par où commencer. En dehors d'un philosophe admirateur du principe d'empire à la romaine, qu'est-ce qu'un "païen" ? Un comparatiste s'appuyant sur les seuls récits mythiques a déjà du mal à dégager le substrat culturel commun à tous les peuples relevant d'une même famille linguistique et ce substrat ne rend pas compte des échanges, des nuances, de la circulation et de la transformation des contes, des rites, des variantes locales et des symboles universels. Dans ce foisonnement complexe, les néo-païens contemporains choisissent des axes qui auraient peut-être étonné leurs ancêtres, comme la "trifonctionnalité indoeuropéenne" dégagée par Georges Dumézil érigée en modèle "identitaire" de société ou l'alliance écologique avec la nature, concept qui eût fait fuir un Grec du siècle de Périclès.
Les deux mouvances proclament très haut que tout le mal de notre temps vient du christianisme. Les plus bornés lui reprochent son origine sémitique donc étrangère - oubliant que la plupart des peuples sémites vivaient à l'intérieur de l'empire dont ils formaient l'essentiel de la part orientale, les royaumes eux-mêmes ayant un statut de protectorat. Bornés est le mot juste puisqu'ils conçoivent les cultures comme des ensembles homogènes, profondément anhistoriques, destinés à se juxtaposer dans l'espace comme des termitières autarciques. Une telle vision du monde exclut les échanges et l'un des représentants les plus typés de cette mouvance n'a pas su que répondre quand je lui ai demandé comment ferait l'Europe pour maintenir un haut niveau de civilisation sans matières premières ni pétrole. Mais en général les tenants de cette mouvance ne vont pas à ces extrêmes ! Ils rejettent surtout l'égalitarisme dont j'ai montré qu'il n'est pas chrétien et l'eschatologie qu'ils voient comme l'illusion d'une sortie de l'histoire. Là encore, leurs traits ne frappent souvent qu'une caricature.
Il faut tout de même examiner ce point, encore que les idéologies de la sortie de l'histoire me semblent davantage relever du platonisme que de l'eschatologie chrétienne. Il est piquant de constater que les "néo-païens" accusent les chrétiens à la fois d'avoir inventé l'histoire - le temps linéaire - et de lui voir une issue, de la résorber dans la "cité de Dieu" pour reprendre le mot d'Augustin.J'ai déjà traité ce thème dans mes Impertinentes contributions... (j'invite mes
lecteurs à revenir fréquemment aux archives de ce blog : mes articles ne traitent pas où très peu de questions d'actualité mais de problèmes de fond et forment un ensemble), montrant que temps linéaire, temps cyclique et temps immobile sont trois noyaux conscientiels que chaque homme peut éprouver, que chaque culture a plus ou moins valorisés sans ignorer totalement les autres. Je rappellerai simplement ici que le temps liturgique chrétien est par excellence cyclique, entrelaçant chaque année un cycle développé de trois ans ou de trois temps : théophanique, pédagogique et mystérique. Théophanique : c'est le temps qui va de l'Annonciation au baptême du Christ dans le Jourdain en passant par Noël ; pédagogique : le rappel de l'enseignement du Christ ; mystérique : de la Transfiguration à la Pentecôte en passant par la croix et la Résurrection.
lecteurs à revenir fréquemment aux archives de ce blog : mes articles ne traitent pas où très peu de questions d'actualité mais de problèmes de fond et forment un ensemble), montrant que temps linéaire, temps cyclique et temps immobile sont trois noyaux conscientiels que chaque homme peut éprouver, que chaque culture a plus ou moins valorisés sans ignorer totalement les autres. Je rappellerai simplement ici que le temps liturgique chrétien est par excellence cyclique, entrelaçant chaque année un cycle développé de trois ans ou de trois temps : théophanique, pédagogique et mystérique. Théophanique : c'est le temps qui va de l'Annonciation au baptême du Christ dans le Jourdain en passant par Noël ; pédagogique : le rappel de l'enseignement du Christ ; mystérique : de la Transfiguration à la Pentecôte en passant par la croix et la Résurrection.
De même que l'expression la plus nette de la trifonctionnalité ne se trouve pas dans la loi romaine ni dans celle des cités grecques mais au début du moyen âge chez le chrétien Raoul Glaber, la liturgie chrétienne est peut-être le rite le plus pleinement cyclique puisque tous les éléments qui le composent ont leur périodicité propre et s'inscrivent dans les rythmes cosmiques. Mais les mêmes néo-païens qui reprochent aux "judéochrétiens" la valorisation du temps linéaire et de l'histoire renâclent quand on leur fait constater cette cyclicité et son appui sur le cosmos, accusant alors l'Eglise de plagiat. Argument admirable ! Je ne vois pas pour ma part comment mettre dans l'antiquité le solstice d'hiver un autre jour que le 25 décembre ni quel autre jour serait plus cohérent avec la nativité de Celui qui est "Lumière de Lumière". On me rétorquera que ce n'était sans doute pas le véritable jour de la naissance de Jésus. Qu'en savent-ils, nos critiques qui agitent cet argument comme une évidence universitaire depuis Loisy ? Rien de plus que moi, c'est à dire rien. La tradition orale, par définition, échappe à l'histoire. La différence entre eux et moi, c'est que pour eux une date qui fait sens ne peut être que fausse alors que je pense que, si Jésus est Dieu incarné, il peut avoir rendu sa naissance cohérente avec les rythmes de sa création comme avec les attentes sourdes de l'humanité et que l'on doit s'attendre à ce que toute date de sa vie fasse sens. Mais c'est là franchir l'abîme de la foi. Qu'au moins les critiques universitaires aient le courage de dire que leur refus du sens vient de leur refus de la foi, volontaire ou non. Ce serait plus clair et parfaitement légitime. J'ai plus de mépris pour les intellectuels qui se disent chrétiens mais adoptent le même refus du sens pour faire plus sérieux à la Sorbonne ou aux éditions du Cerf.
Que reste-t-il alors de l'invention de l'histoire ? Uniquement ceci : Jésus est un personnage historique, né sous Hérode le Grand et crucifié à Jérusalem sous Ponce Pilate. Même s'il s'agissait d'un personnage imaginaire - thèse que plus personne ne défend sérieusement - il s'inscrirait encore dans une époque et un lieu précis, la Galilée et la Judée au début de l'empire romain. Le premier imperator est Octave Auguste (-63, +14), détenteur de l'ensemble des pouvoirs civils et religieux depuis -27. La naissance de Jésus a lieu sous son règne. Son successeur Tibère, né en -43, meurt en 37, il est donc de plus contemporain de la crucifixion. On n'insistera jamais assez : l'empire et le christianisme croissent ensemble.
(à suivre)
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