Saturday, December 04, 2010

Le Big Bang a-t-il pleuré l’univers ?

Le 27 novembre, les physiciens de la collaboration Alice (A Large Ion Collider Experiment), deux semaines à peine après la première expérience de collision d’ions de plomb, présentaient les premiers résultats sur le site arxiv. Il s’agit toujours de reconstituer des conditions analogues à celle du Big Bang, d’explorer ainsi les premiers millionièmes de seconde de l’univers. Il y a encore 5 ans, on pensait qu’à cette très haute époque, l’univers était un gaz et plus exactement un plasma de gluons et de quarks mais en 2005, les observations et mesures d’ellipticité de la boule de feu effectuées au RHIC suggéraient, à la surprise générale, que l’ensemble de gluons et de quarks libres se comportait non comme un gaz mais comme un liquide. Un gaz entre en expansion de manière sphérique, un liquide en quelque sorte goutte. Alice confirme cette liquidité dans les conditions à plus haute énergie, donc plus proches des tous débuts de l’univers. Les partisans de la théorie des cordes se frottent les mains : leur modèle l’avait prévu. L’article de Futura-Sciences qui rend compte à la fois des résultats et de leur satisfaction légitime (pour une fois que le réel ne répond pas par le mot de Cambronne lorsqu’on teste un modèle, c’est à marquer d’une pierre blanche !) se termine ainsi : « Ce résultat est d'une grande importance. On pense que si l'on remonte dans le passé, lorsque l'univers observable était âgé de moins de 10-6 s, et bien après l'hypothétique phase d'inflation, ce liquide de quarks-gluons devait être l'état de la matière dans l'univers. » A 10-6 s, nous sommes encore loin du temps de Planck mais l’idée que, presque à l’origine, le cosmos soit une goutte ou une larme de feu parle à la conscience mythique que nous portons tous en nous.

Si l’une des fonctions de la pensée mythique est d’étayer ce que Pierre Chaunu nommait « l’obscure mémoire[1] » de l’inconscient collectif tout comme le rêve nocturne auquel j’ai pu montrer qu’il s’apparente[2] favorise la mémoire individuelle et peut-être en permet l’assimilation, nous devrions trouver dans les mythes d’origine une kyrielle d’images liquides. Mais ici, la question se complique du fait que chaque enfant, chaque vivant croît au sein d’un liquide au stade embryonnaire. On ne devrait donc prendre en compte que les mythes cosmogoniques, ceux qui racontent l’apparition de l’univers et non simplement celle de l’homme ou d’une tribu particulière. Or ce sont les plus rares, les plus allusifs, souvent résumés d’une phrase au début d’une récitation rituelle.

J’aime en poète qu’un Dieu ait pleuré l’univers d’une larme de feu, si la poésie est, comme me l’écrivit Jean Cocteau, « science exacte mais sans preuve ».



[1] Expression tirée d’un poème de Supervielle :

Mémoire, sœur obscure et que je vois de face

Autant que le permet une image qui passe

[2] Voir mes articles analysant le corpus du Rêve planétaire de 1992 dans Oniros (« L’arbre-monde, essai de mythanalyse ») puis dans Rêver .


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