Saturday, March 03, 2012

Mémoire, sœur obscure…



Le plus intéressant de Lyall Watson, c’est l’hypothèse d’une mémoire partagée qui transcende les espèces et pourrait remonter aux origines de la vie si ce n’est de l’univers. C’est une notion très proche de celle des annales akashiques dont parlent les Théosophes mais au lieu d’en tirer une sagesse abstraite, il y voit plutôt la source d’une libération possible par rapport à la tyrannie des gènes. J’avais remarqué dans un article paru l’an dernier dans Liber Mirabilis[1] l’étrangeté des mythes mayas et de ceux d’autres peuples amérindiens pour qui la pérennité des astres et la régularité de leur course ne sont pas assurées : Ce sont les hommes qui, par leurs rites et sacrifices, par le don de leur sang, leur permettent de maintenir leur énergie et assurent la tranquillité de l'univers. En dehors de cette aire culturelle, tant en Eurasie qu'en Afrique, si la Terre peut connaître des phases de chaos et de destruction, le ciel offre la certitude de la perfection et l'image même de l'ordre. Quel traumatisme avait-il pu inscrire ainsi dans l'inconscient collectif des Mayas, Olmèques, Toltèques et autres la notion d'une fragilité cosmique ? Si nous regardons une carte, nous voyons que les Mayas occupent une partie de l'isthme reliant l'Amérique du Sud à celle du Nord : la presqu'île du Yucatan et les Chiapas au Mexique, le Guatemala, Belize et les zones frontalières du Salvador et du Honduras. Que l'on accepte la datation basse qui fait peupler le continent américain vers 20000 BP, pendant la dernière glaciation permettant de passer à pied sec le détroit de Behring ou les hypothèses plus récentes qui remontent cette arrivée à 40 voire 60 000 ans BP, on ne voit pas très bien ce qui aurait pu causer un tel trauma.
Du moins ne voit-on pas la source de ce traumatisme dans la fourchette de dates correspondant à la civilisation maya (de -1600 à environ 700) ni même si l’on considère le peuplement par des tribus plus ou moins nomades contemporaines de notre magdalénien. Il faudrait remonter à plus de 65 millions d'années, lorsqu'une météorite pour ne pas dire un petit astéroïde a percuté la Terre sur l'actuelle presqu'île du Yucatan, très précisément sur le site de Chicxulub près du village de ce nom. Un caillou de 10 km de diamètre, lancé à près de 20 km/s, cela fait du dégât et si l'angle d'impact n'avait pas été aussi rasant (entre 20 et 30°), nul ne sait si la Terre aurait gardé sa cohésion. Un cratère de 180 km de diamètre, c'est déjà une belle cicatrice ! Un tel cataclysme, s'il s'était produit aux temps historiques, en présence des hommes, expliquerait largement que, pour la culture concernée, le ciel soit le lieu de tous les périls et que le soleil risque de s'éteindre, voilé par une nuit sans fin prévisible. Mais comment expliquer qu'un traumatisme n'ayant touché que des espèces animales dont aucune, semble-t-il, ne fait partie des ancêtres de l'homme influe sur l'inconscient collectif de ces tard-venus dans la région ? Y a-t-il une mémoire des pierres capable d'inscrire en l'homme des peurs et des obsessions ?
A cette question que je posais dans l’article sans apporter de réponse, l’hypothèse d’une mémoire transpersonnelle et universellement partagée donne une solution élégante.

Il faudrait alors s’interroger sur le rapport qu’elle entretient avec le temps. J’ai rendu compte ici, il y a quelques mois, du dernier livre de Bertrand Meheust[2], Les miracles de l’esprit : Qu’est-ce que les voyants peuvent nous apprendre ? dans lequel il définissait la voyance comme « un état limite de la mémoire ». S’il s’agit de cette mémoire transpersonnelle dont Watson pose l’hypothèse, et l’on ne voit pas bien de quelle autre il serait question, il faut alors admettre qu’elle échappe à l’espace-temps, qu’elle surplombe la succession des trois déesses indoeuropéennes du déroulement de la vie, Parques ou Moires. D’un point de vue physique, on aurait alors la tentation de l’inscrire dans le vide quantique, cet état où nos repères et nos équations s’effondrent et que nos mathématiques ne savent pas décrire. J’avais alors rappelé que Mnémosyne, dans le panthéon grec et particulièrement chez Homère connaît tout ce qui est, qui fut et qui sera, dépassant largement le simple enregistrement de souvenirs individuels. Je notais au passage que cette formule homérique qui unit passé, présent et futur en une seule conscience surplombante sera exactement reprise comme attribut divin dans la liturgie chrétienne. En d’autres termes, pour un Grec de l’empire, nourri de culture hellénistique, ayant forcément lu Homère et les grands tragiques, l’omniscience de Dieu est mémoire. Par ce rappel d’Homère, Meheust ouvre des horizons que je qualifiais de vertigineux.
Parmi ceux-ci, on ne peut éluder le rapport de cette mémoire totale et de la liberté, donc de l’imprévisibilité qui s’exprime dans et par le temps en s’accommodant des divers déterminismes. Impossible de s’en sortir sans insister sur les incertitudes d’Heisenberg et la signification de la fonction d’onde des particules fondamentales. Vues de notre univers, ces incertitudes soulignent les limites de notre science. Vue à travers cette mémoire, la fonction d’onde décrit le passage de l’état indescriptible que nous appelons assez maladroitement un vide à l’état localisé, descriptible. Les physiciens qui l’ont découverte à leur cœur défendant et comme à reculons étaient pour la plupart horrifiés de son caractère statistique et du manquement au déterminisme que cela représentait. Que l’univers ait du jeu dès l’origine les accablait. Jusqu’à ce que l’intrication quantique qu’on appelait alors le paradoxe d’Einstein-Podolsky-Rosen soit démontrée expérimentalement par l’expérience d’Alain Aspect à Orsay en 1982[3], certains espéraient encore que des variables cachées resserreraient les boulons du cosmos. Mais si nous renversons la perspective, la liberté permise à la particule émergente par le processus qui la localise partiellement n’est pas absolue. La fonction d’onde peut aussi se lire comme la naissance ou le germe d’un déterminisme qui croît avec les grands nombres.

(à suivre)


[1] Geneviève Béduneau, « Le mur du temps », Liber Mirabilis n°63, janvier-février 2011, pp.18-52.
[2] Bertrand Meheust, Les miracles de l’esprit : Qu’est-ce que les voyants peuvent nous apprendre ?, Les empêcheurs de penser en rond, La Découverte, Paris, 2011.
[3] Trente ans seulement…

Friday, March 02, 2012

Quelques réflexions



Mon travail m’oblige à entendre de très nombreux répondeurs téléphoniques. Depuis deux ou trois ans, je constate une mode de plus en plus prégnante : faire enregistrer le message, en tout ou en partie, par ses enfants. Tout se passe comme si la famille, valeur décriée par tous nos médias, se réaffirmait avec toute la force de l’inconscient à travers ce message d’absence.


En continuant la lecture de Lyall Watson, je suis frappée de la manière dont la biologie, poussée dans ses derniers retranchements pour devenir explicative des phénomènes de la vie, ouvre sur un dualisme à tous les niveaux. Polarisation/dépolarisation des neurones, dualité des hémisphères cérébraux, mais déjà dualité symbiotique des composants de la cellule, l’ensemble de toutes ces divisions débouche sur le vieux dualisme corps/esprit mais revisité à l’échelle de la planète si ce n’est de l’univers. Ce qu’il nomme le contingent, jouant sur l’étymologie latine cum-tingens (ce qui touche ou tient à tout) avec l’ambiguïté du sens philosophique qui l’oppose à l’absolu, a tous les attributs du monde des Idées platoniciennes, un monde où se créent les modèles et les formes par lesquels s’enracinent la vie, l’intelligence, la culture, monde sans lequel l’homme ne pourrait émerger. Mais ce dualisme le plus profond, celui qui oppose l’égoïsme du gène au contingent platonicien et s’exprime au travers des archétypes et des mythes, crée aussi en l’homme un conflit schizophrénique fondamental. Nous sommes là quelque part entre la gnose et la définition augustinienne du péché originel, concupiscence comprise puisque le gène n’a d’autre visée que sa reproduction. On peut alors s’interroger sur les entrelacs intellectuels, les embrassements inconscients de la théorisation scientifique et de l’éducation religieuse des pays anglo-saxons, visibles même chez un homme dont la curiosité philosophique s’est ouverte beaucoup plus largement. La synthèse qu’il opère entre Darwin, Jung et Platon exige Augustin comme catalyseur. 

Ce constat m’effraie. Il suggère que l’avance prise au XIXe siècle par le monde « occidental » et particulièrement les pays à forte présence calviniste dans les domaines scientifiques et technologiques, l’orientation idéologique donnée à la recherche, ne sont pas une simple fluctuation dans l’histoire des civilisations comme je le pensais jusqu’ici mais la résultante d’un choix inconscient dans l’arborescence des possibles. 

Nous avons l’habitude de considérer la science, notre science mathématisée qui ramène tous les phénomènes à des équations dans un espace abstrait, comme l’unique voie heuristique de connaissance de l’univers. En fait, il s’agit surtout d’un buisson de savoirs dont chaque embranchement anéantit d’autres possibles, d’autres découpages du réel. En étudiant le I Jing, j’avais déjà remarqué que la divergence de la science chinoise et de la nôtre se situait à un niveau extrêmement fondamental, celui où l’espace et le temps se différencient. Nous traitons le temps comme une dimension spatialisée. Le I Jing ramène l’espace à un mode du temps – un temps discontinu, en quelque sorte quantique. Nous pouvons dater ce choix dans notre propre parcours : c’est celui des Eléates qui ont donné primauté à Parménide contre Héraclite. J’ignore si la Chine a connu et rejeté une vision parménidienne.

On ne peut nier la fantastique fécondité de cet élagage des possibles. Pourtant me trotte en arrière-fond la phrase de l’Evangile : « A quoi sert à l’homme de gagner le monde s’il vient à perdre son âme ? »


Le monde est plein d’énigmes comme le notait Charles Fort, de coquecigrues en maraude auxquelles on trouve à grand effort des explications triviales mais capillotractées. Des sons rugissent au fond des océans et dans les villes, comme une respiration de géants ; des trous circulaires s’ouvrent dans le sol sans prévenir, sans le moindre séisme précurseur ; on voit passer dans le ciel des structures grandes comme un terrain de football et que nul n’a fabriquées ; des entités s’invitaient autrefois sur les photos argentiques mais semblent fuir les numériques, laissant place à des effets lumineux qui permettent tous les scepticismes, à commencer par le mien. Mais ces émergences du merveilleux se font dans les interstices, entre les branches solidifiées de la science, ce qui fait que nul ne les étudie sinon quelques poignées d’amateurs qui oscillent entre mythe et raison. Mais imaginons que la science ait poussé autrement, qu’elle n’ait pas tout calé sur les ressorts et les boules de billard, le mouvement des mobiles et la trajectoire des boulets. Il y suffirait de peu : des fenêtres sensorielles légèrement décalées par rapport aux nôtres comme il en existe déjà dans le monde animal. D’où vient que les chiens réagissent à la présence d’entités invisibles pour nous, comme certains fantômes ou certains OVNI ? Comment les perçoivent-ils ? Une forme, un mouvement, une odeur, un vide ? Un spécialiste de chimie physique s’est-il déjà demandé pourquoi tous les contes celtiques prétendent que les êtres de Faërie ne supportent pas le contact de l’argent ? Résoudre cette question permettrait peut-être de statuer sur la nature des êtres du folklore au lieu de se baser sur des présupposés philosophiques pour en accepter ou nier l’existence indépendante de notre propre esprit.
(à suivre)

Sunday, February 26, 2012

De l’utilité des crises ?


Il arrive que l’on rate la sortie d’un livre essentiel et qu’on ne le découvre que des années plus tard au hasard d’une fouille chez un bouquiniste. C’est ce qui vient de se passer pour moi avec l’ouvrage de Lyall Watson rédigé en 1979, La marée de la vie[1]. Le regard qu’il porte sur l’évolution des espèces est si particulier bien qu’il admette le darwinisme sous sa forme sans doute la plus extrême, celle du gène égoïste, si intelligent que chaque page plonge le lecteur dans des abîmes de réflexion. J’ai toujours apprécié qu’un auteur me donne à penser et je crois que c’est le plus beau cadeau que l’on puisse faire à l’homo sapiens. Je l’ai déjà dit plusieurs fois en hommage à Aimé Michel mais je ne radote pas en reprenant ces mots, j’enfonce le clou. Il ne s’agit pas tant de se gaver de données que de les organiser comme on tisse des perles, en un motif à la fois cohérent et ouvert sur d’autres aspects du réel.
Dans les pages 101 à 104, Watson s’interroge sur les fondements de l’identité et sur l’apparition de ce que l’on pourrait nommer des proto-pluricellulaires, bactéries sociales Chondromyces aurantiacus et amibes Dictyostelium discoideum. Dans les deux cas, tant que la nourriture abonde, il ne se passe rien de très intéressant. Broute, broute, broute… et chez les amibes, chacune pour soi. Mais dès qu’elle vient à manquer, dès que la pénurie s’installe, alors intervient une coopération, une stratégie de groupe qui permet de passer outre. Les bactéries édifient ensemble une sorte de tour haute de plus de mille fois leur taille qui servira de propulseur pour éjecter au loin, très loin à l’échelle bactérienne, de petits spores qui libèreront des milliers d’entre-elles et reconstitueront des troupeaux. Les amibes se regroupent et se spécialisent jusqu’à former ensemble un être composite aux fonctions différenciées, plus sensible à l’environnement que l’amibe isolée, le grex, qui permettra lui aussi de se déplacer plus vite, plus loin et de libérer des spores. « Ce n’est pas la nourriture qui conduit l’amibe d’un sol visqueux à se socialiser », écrit Watson. « Les amibes peuvent se nourrir tout aussi efficacement, peut-être même plus, lorsqu’elles demeurent petites et isolées. C’est en réalité par manque de nourriture que s’établit la chaîne de relations sociales. »
Encore plus étonnant, le « cri » moléculaire qui rassemble les amibes autour des premières qui ont ressenti le manque, le monophosphate d’adénosine cyclique ou AMP cyclique, est aussi le marqueur chimique des bactéries qui leur servent de nourriture et « un messager intracellulaire dans tous les organismes, même chez l’homme. Il sert de médiateur entre les hormones qui atteignent la barrière cellulaire et les enzymes qui se trouvent à l’intérieur. » Watson dérive ensuite vers la construction du système immunitaire, la reconnaissance de l’autre et de soi. Mais je me demande si sa présence n’introduit pas chez les organismes plus évolués un modèle de comportement analogue à celui des amibes ou, si AMP cyclique n’en est plus le vecteur, si ce modèle n’est pas mystérieusement inscrit dans la vie même. Car on le retrouve dans l’humanité.
Quelles sont les sociétés les plus anomiques, les plus individualistes ? La ville, en période d’abondance. C’est vrai de la période hellénistique prolongée par et dans l’empire romain. C’est vrai des cités italiennes de la Renaissance. C’est vrai en France du second empire et de l’Europe quasiment jusqu’à nos jours si l’on excepte les temps de guerre. C’est vrai des Etats-Unis entre la guerre de sécession et la crise de 1929 puis de la fin de la seconde guerre mondiale jusqu’à ces dernières années. On en trouverait sans doute d’autres exemples mais je connais plus mal la périodisation des vieilles civilisations asiatiques. Il n’est pas anodin, dans cette perspective, que les théories libérales soient apparues au moment où la sortie du Petit Age Glaciaire permettait de meilleures récoltes, où la révolution industrielle s’annonçait, où la classe moyenne s’étoffait au propre comme au figuré.
La crise, la vraie, la terrible, celle qui fait basculer les peuples de l’abondance à la misère comme on le vit en 1929 et jusqu’au New Deal de Roosevelt, celle que l’on impose à la Grèce aujourd’hui et dont on nous menace jour après jour, serait-elle un chemin de resocialisation ? En d’autres termes, génère-t-elle des solidarités au lieu d’une simple lutte pour la survie où les « forts » l’emporteraient sur les faibles comme dans l’illusion du darwinisme social ? C’est ce qui semble se faire jour en Grèce où les solidarités familiales se renouent, où semble apparaître de l’inventivité dans de petits groupes. Il serait intéressant de voir sur quels critères l’ont s’assemble ou l’on s’exclut. En France, les élites culturelles poussent au communautarisme ethnique tout en le repoussant avec les cris de Tartuffe : cachez ce racialisme que je ne saurais voir ! Mais je ne suis pas sûre que cela devienne la seule base de solidarités réelles, l’idéologie étant toujours plus pauvre que les stratégies de la vie.
Aujourd’hui, tout le monde le sait, tout le monde en parle, une oligarchie mondialisée tend à niveler les peuples vers le bas afin de s’assurer de plus vastes profits et à détruire par là même la diversité des cultures, à commencer par ce marqueur d’identité évident qu’est le vêtement. Derrière cette façade de lutte des classes, de marxisme inversé, se cache une autre lutte dont on ne sait si elle instrumentalise les nations au profit de grands groupes industriels ou s’il reste quelque chose du patriotisme de grand-papa, celle pour s’assurer le contrôle des énergies et des matières premières. Une stratégie de puissance dans un contexte de pénurie anticipée. La crise n’est rien d’autre que la confluence de ces deux combats titanesques[2] et, comme l’a très bien vu Alain de Benoist[3], il s’agit d’un seuil structurel plutôt que d’une flambée conjoncturelle. Or l’une des leçons de l’histoire, c’est qu’une oligarchie à elle seule ne saurait engendrer une civilisation. Les seules qui réussirent, Carthage, Gênes, Venise, régnaient sur des cités et se sont englouties dans l’impérialisme. Les empires qui tiennent la durée ont d’abord une structure militarisée et ne se déploient qu’avec l’abondance. Les effondrements ont toujours suscité des « périodes intermédiaires » avec des regroupements plus restreints, des clans, des seigneuries ou des royaumes dans lesquels le sentiment d’appartenance, la réciprocité des engagements et l’affectivité sont particulièrement puissants. Quelque chose comme des grex humains ?
Acceptons-en l’augure pour sortir de la crise actuelle.


[1] Lyall Watson, La marée de la vie, trad. Claudine Brelet, Albin Michel, Paris, 1981 (Londres 1979)
[2] On lit avec profit sur ce point les 3 ou 4 derniers numéros de la revue Eléments.
[3] Alain de Benoist, Au bord du gouffre :la faillite annoncée du système de l’argent, Krisis, Paris, 2011

Monday, January 02, 2012

RIP pour le cartel bancaire des USA

J'ai trouvé ça superbe :

Pourquoi une fin du monde le 21 décembre 2012 ?


Nous nous sommes posé la question de savoir pourquoi était véhiculée l’idée de fin du monde pour le 21 décembre 2012. Tout d’abord nous avons cru qu’il s’agissait d’une date issue du calendrier Maya. Manque de chance, la fin du calendrier Maya se situe le 28 octobre 2011. En somme, nous vivons déjà la nouvelle ère. Le 21 décembre 2012 correspond au solstice d’hiver, soit la nuit la plus longue de l’année. C’est une symbolique d’initié qui n’a rien à voir avec les Maya. Alors pourquoi cette date ?
Au lieu de rechercher des raisons ésotériques, il faut en revenir à plus de pragmatisme. Nous avions évoqué dans Morphéus l’usurpation en 1913 de la souveraineté monétaire US par le cartel bancaire. Fut établi alors un bail de 99 ans, qui remettait le destin de la Réserve Fédérale américaine entre les mains de ces faux-monnayeurs. Or, l’échéance de ce bail se termine le 22 décembre 2012. En clair, le 21 décembre 2012 quand minuit aura sonné, ce sera la fin du monde pour le cartel bancaire privé. Soit il aura mis en place un système mondialisé de contrôle total de la monnaie au-dessus de toutes les banques centrales (type BRI), soit il perdra le contrôle total, libérant enfin la souveraineté monétaire des peuples.
On peut comprendre que des banques à coût de milliards de dollars, lancent des films et séries hollywoodiennes de fin du monde. Sans doute pour rappeler à leurs agents du Nouvel Ordre Mondial que tout peut être perdu le 21 décembre 2012, s’ils ne font pas leur besogne.
Frédéric Morin
Morphéus n°48

Aux dernières nouvelles, ce bail serait un hoax. N'empêche ! On aura bien ri...

Tuesday, December 27, 2011

Les prophètes de la grande muraille 3


On trouve sur la Toile à cette adresse une vidéo particulièrement alarmiste.


Le thème : en 2013 – date qui serait celle du maximum du poussif cycle solaire 24 mais aussi le lendemain du 21 décembre 2012, tiens donc – une éjection coronale massive entraîne une tempête magnétique sur Terre, telle que toute alimentation électrique cesse, entraînant la fin de l’eau du robinet, de l’essence à la pompe, par ricochet la famine et le cataclysme final qui engloutit la civilisation si ce n’est carrément l’humanité.

Ah, je les adore, les prophètes de la grande muraille, ceux qui se gargarisent du "on va droit dans le mur" !
On nous a déjà sorti depuis un siècle ce scénario catastrophe avec comme cause :
1. dans les années 70, la future glaciation qui avançait masquée et le retournement des pôles géographiques qu'elle entraînerait.
2. dans les années 80, le peak oil qui devait arriver avant l'an 2000
3. dans les années 90, le bug de l'an 2000
4. dans les années 2000, le terrorisme allié au réchauffement climatique, juste au moment où les températures stagnaient
5. dans les années 2010, après le flop de la pandémie, c'est la tempête magnétique ou le retournement des pôles magnétiques, juste au moment où le cycle solaire est très peu actif au point qu'on évoque le minimum de Maunder ou celui de Dalton
Ne parlons pas des terreurs occasionnelles, mensuelles en somme, comme les prévisionnistes qui nous annonçaient en octobre un hiver glacial et neigeux avec des congères de plusieurs mètres... sans oublier la grippe aviaire, H1N1 et quelques autres.
A moins de 2 millions de morts, pour ces prophètes là, le compte n'y serait pas. Et encore, je suis radine.

C'est évidemment de l'irrationnel pur. On habille de science les vieilles peurs de la fin du monde, bien plus anciennes que le christianisme, la peur des déluges d'eau et de feu venue de vieux traumatismes locaux dont l'archéologie a retrouvé les traces. Sur le présent, oui, il a du y avoir localement des centaines ou des milliers de morts, comme dans toutes les catastrophes. Importance pour l'avenir : sensiblement égale à zéro.

Un des corollaires de ces vieux traumatismes, c'est la culpabilisation. Si on est "puni", c'est qu'on a déplu aux Puissances qui gèrent le monde, qu'on a fait quelque chose de mal, mais quoi ? Forcément quelque chose de nouveau, que nos ancêtres n'avaient pas fait, sinon les Puissances se seraient fâchées avant. Aujourd'hui, ce "nouveau" serait la révolution industrielle et la technologie -- la vieille peur de la faute greffée sur la mauvaise traduction de la Genèse ou "l'arbre de la connaissance du bon et du mauvais" (jugements de valeur) est souvent résumé en "arbre de la connaissance" tout court, contresens à hurler.

J'aime bien vivre en "sauvage", j'adore camper, faire mon jardin quand je peux en avoir un, mais c'est par goût, pas parce que je redouterais la technique.
Elle m'a sauvé la peau, la technique. Je ne vais pas cracher dans la soupe.

PS. J'ai déjà publié ces lignes sur une liste de discussion semi privée, ceux qui le retrouveront ici me pardonneront ce doublon. Ici, c'est tout public.

Sunday, October 16, 2011

Humeur d’été



 En cette fin du mois d’août, tandis que les glands mûrs tombent des chênes avec un petit bruit métallique lorsqu’ils heurtent les tuiles, la façon dont va le monde me donne la nausée. Il a suffi d’une semaine sous la tente, loin des nouvelles et des rumeurs, loin des médias, loin des sondages et des élections à venir, des feuilletons obligés d’une actualité qui se n’est plus que ragots de cour et moralismes en tout genre, une seule petite semaine à m’emplir les yeux de la beauté des arbres, de la beauté des arts, à vider quelques verres avec de bons copains en discutant de l’essentiel, de l’écriture et de l’imaginaire. J’en suis sortie comme lavée des miasmes de ce temps et, revenant au quotidien, l’obscénité de ce qui se joue parmi les puissants de ce monde m’est apparue dans sa crudité.
Je ne comprenais rien à l’intervention en Libye, sinon qu’une fois de plus la machine à moudre de la propagande s’était remise en marche et qu’on nous jouait la guerre morale pour pouvoir la faire à outrance. Je ne comprenais plus rien à ce printemps arabe confisqué par l’islamisme, les militaires ou les anciens ministres, sinon que toutes les révolutions commencent dans la pureté d’une révolte pour finir confisquées par des émules d’Iznogoud puisqu’il s’agit toujours de devenir calife à la place du calife. Et je ne sais que trop qu’une révolution appartient, in fine, à ceux qui la financent, qui alimentent en armes, en argent et en autres impedimenta le camp qu’ils espèrent voir triompher. Certes, comme aurait dit ma belle-mère, « ils lancent la pierre et cachent la main » mais un peu d’entraînement permet de voir la trace de ce geste. Nihil novum sub sole !
Le pétrole, me disaient mes amis férus de géopolitique. On trouve toujours un contrat refusé, une concession trop vite attribuée à d’autres, qui servira d’explication. Pourtant Kadhafi n’était pas chiche de son or noir. Pourquoi diable fallait-il en urgence se séparer d’un dictateur – n’ayons pas peur des mots – que l’on supportait bon an mal an depuis un bon demi-siècle ? J’avais un temps pensé qu’il s’agissait d’un contre-feu pour désamorcer les événements de Tunisie mais cela n’a pas de sens.
Ce qui commence d’en prendre, du sens, c’est le paysage qui s’offre aux yeux d’un historien lorsqu’il se retourne sur les vingt ou les trente dernières années. Je ne suis pas la première à noter l’effarante continuité de la politique étrangère des USA depuis la fin du XIXe siècle, si l’on exclut les temps de repli ; cette continuité comporte depuis au moins 1947 et le début de la guerre froide le soutien systématique à l’islamisme. Pourquoi ?
On reconnaît un arbre à ses fruits, dit l’Evangile. Ceux de ce soutien sont simples : le sous-développement masqué par la richesse d’élites assises sur les puits de pétrole, tandis qu’au peuple n’est accessible au mieux qu’une formation technique sans remise en question idéologique. En d’autres termes, le soutien à ce qu’il y a dans ces pays de plus figé dans sa vision du monde et de plus agressif, c’est la certitude de pouvoir continuer à acheter le pétrole à relativement bas prix, de maintenir le dollar comme monnaie internationale et de n’avoir aucun rival dans le domaine de l’innovation scientifique et technologique. Et c’est pourquoi les subsides coulent vers les partis islamistes pour confisquer ce qu’il pouvait y avoir de démocratie réelle, c’est à dire directe et locale, dans les printemps arabes, pour s’assurer qu’ils resteront de simples vendeurs de pétrole ou de soleil et ne deviennent pas une force économique. Le tout au nom des « droits de l’homme ». Ce qui permet aussi, par ricochet, de s’assurer une supériorité « morale » et de maintenir chez les peuples occidentaux la peur du loup qui empêche de réfléchir. Nausée.
J’ai commencé ce mot d’humeur à la fin août, je le termine à la mi-octobre. Pour une part, c’était faute de temps ; pour une autre, je l’avoue, j’ai pris peur devant l’énormité de ce que je découvrais. Mais on ne peut pas vivre toujours dans la peur, surtout quand la nausée l’emporte.

Thursday, March 17, 2011

Un nouveau livre essentiel

Bertrand Méheust, Les miracles de l’esprit : Qu’est-ce que les voyants peuvent nous apprendre ?, Les empêcheurs de penser en rond, La Découverte, Paris, 2011.

Un nouveau livre de Bertrand Méheust est toujours un événement et celui-ci ne manque pas à la règle. En dépassant le problème de la preuve pour interroger les modes opératoires de la métagnomie, il nous offre une enquête passionnante, philosophique et psychologique, sur les plus grands voyants étudiés scientifiquement depuis deux siècles. Au fond, qu’est-ce que la voyance, quand on ne se crispe pas à justifier son existence face aux zététiciens de tout poil et quand admirer l’artiste ne suffit plus ? Bertrand Méheust répond : « un état limite de la mémoire ». Pour parvenir à cette formule qui a l’immense mérite de nous faire sortir de l’opposition entre normal et anormal[1] où l’on ne sait jamais si le premier terme désigne une médiété mathématique ou une règle sociale tacite, il lui fallait explorer non seulement les archives de la recherche métapsychique mais aussi les travaux des philosophes sur la mémoire la plus banale. Il revisite Proust au delà du littéraire, convoque Bergson et Gabriel Marcel et le lecteur découvrira sans doute comme moi les aventures de ce champion de l’introspection qu’est François Ellenberger dont, je l’avoue, j’ignorais jusqu’à l’existence. En remontant plus loin dans l’histoire, il interroge l’oracle grec et le mythe de Mnémosyne avant de revenir au laboratoire le plus moderne, celui des chercheurs américains financés dans leurs meilleures années par la CIA[2].

Mémoire, sœur obscure et que je vois de face – Autant que le permet une image qui passe, écrivait Supervielle. Au fil de l’ouvrage de Méheust, cette face se dégage de son obscurité constitutive et les ténèbres en lesquelles elle se drape s’illuminent. On chemine ainsi jusqu’au moment où surgit l’insidieuse question : si la voyance est un état limite de la mémoire, à quoi sert de les distinguer ? Toute mémoire ne serait-elle pas également voyance ? Il n’élude pas cette possibilité, tout en gardant une grande prudence méthodologique. Mnémosyne, dans le panthéon grec et particulièrement chez Homère connaît tout ce qui est, qui fut et qui sera, dépassant largement le simple (?) enregistrement de souvenirs individuels. Notons au passage, car la lecture suppose aussi les résonances que le texte induit chez le lecteur, que cette formule homérique qui unit passé, présent et futur en une seule conscience surplombante sera exactement reprise comme attribut divin dans la liturgie chrétienne. En d’autres termes, pour un Grec de l’empire, nourri de culture hellénistique, ayant forcément lu Homère et les grands tragiques, l’omniscience de Dieu est mémoire[3]. L’occident latin perdra hélas cette référence. Dans la liturgie grecque, reprise telle quelle par les Slaves, la glorification de la Trinité s’achève par maintenant et toujours et aux siècles des siècles. On part du présent et l’onde se répand sur le temps entier, toujours englobant à la fois le passé et le futur. Les clercs carolingiens rendirent la formule linéaire en explicitant le passé : comme il était au commencement, maintenant et toujours et aux siècles des siècles (sicut erat in principio et nunc et semper et in saecula saeculorum). Cela enfermera notre représentation du monde dans l’étroitesse du temps linéaire dont les chercheurs en sciences humaines ont du mal à se déprendre – et dont les physiciens ne se déprennent qu’à reculons. Mais le temps de Mnémosyne ne serait pas davantage cyclique et s’apparenterait plutôt à un éternel présent dans lequel s’inscrivent tous les événements de l’univers passant ainsi du fugace à l’éternel.

Y puiser est un autre problème. Méheust décrit très précisément la façon dont y parviennent les grands voyants – mais aussi le moindre cruciverbiste qui a un mot sur le bout de la langue sans parvenir à le trouver. Sœur obscure, Mnémosyne se dérobe et ne se livre qu’au bout d’un long et difficile voyage ponctué de carrefours où l’explorateur (le mnémonaute ?) a mille occasions de se perdre, de glisser soit vers l’imaginaire pur, soit vers des à-côté, des dérives vraies mais hors sujet.

Dans son recours aux Grecs, Méheust ne pouvait oblitérer Platon et sa théorie de la réminiscence. C’est la partie du livre où il s’adresse le plus directement aux tenants des sciences humaines, où il ferraille frontalement avec les préjugés philosophiques de notre temps. Il faudrait applaudir mais cela fait si longtemps que je reproche aux mêmes de s’accrocher avec l’énergie du désespoir à une vision du monde périmée depuis au moins 1904 si ce n’est depuis Maxwell que retrouver encore ces discussions d’arrière-garde me laisse le même sentiment d’inutilité que chercher sempiternellement à prouver l’existence du psi à des rationalistes qui la refusent de toute la force de leur croyance au dieu Hasard. Cela dit, c’est lui qui a raison. Si l’on veut montrer aux universitaires des sciences humaines toute la richesse drainée par la métagnomie, il faut bien partir de leurs préjugés pour les entraîner à faire un pas de plus. Heureusement, hors de France, cet enfermement dans la vision du monde de Laplace, Arago ou Berthelot commence à céder et d’aucuns à admettre que Planck, Louis de Broglie ou Feynman avaient aussi quelque chose à dire qui concerne l’homme[4]. Méheust cite un ouvrage collectif américain récent (2007) issu de l’Institut d’Esalen, qui bat en brèche « la conception matérialiste, causaliste, déterministe et localiste de la conscience qui domine la pensée actuelle ». Les auteurs reprennent la théorie de William James selon laquelle le cerveau ne représente pas un générateur de pensée mais un filtre et se collètent frontalement avec les neurosciences et l’hypothèse qui voit dans les souvenirs des traces atténuées de perceptions antérieures et se refusent à envisager une mémoire sans support matériel. De nombreux faits permettent de rejeter cette théorie des traces, des faits incontournables et concrets comme la régénération des fonctions cognitives après une lésion cérébrale. A ceux-ci, j’ajouterai que l’hypothèse du filtre fut reprise dans les années 80-90 par un physicien qui n’avait aucun rapport ni de près ni de loin avec les métapsychistes et qui la basait uniquement sur les équations relativistes, je veux parler de Régis Dutheil.

A partir de l’appui que lui fournissent les travaux de l’équipe d’Esalen, Méheust récuse la théorie physicaliste, cette vieille idée que le cerveau sécréterait la pensée comme la vésicule la bile, que tout prendrait naissance dans la matière au sens le plus compact et chimique de ce terme. Et il est vrai que, tributaires encore pour une large part de la mode du tout moléculaire que critiquait déjà Michel Jouvet, pourtant champion de l’expérimentation animale sur le sommeil et le rêve, nombre de chercheurs des neurosciences, tout en reconnaissant que le « parallélisme corps/esprit » (cache-pot du causalisme corps vers esprit) est un postulat improuvable s’accrochent à cet unique niveau, celui des échanges de neurotransmetteurs. Méheust reprend l’historique de la théorie du filtre et note l’apport des théoriciens des sciences psychiques comme Myers ou William James. Quant à l’équipe d’Esalen qui la revisite, c’est à la lumière de la physique la plus contemporaine et en admettant établie la réalité de la métagnomie. Sans rentrer dans le débat technique, Méheust note que ce filtre cérébral, cette membrane qui s’interpose entre le réel en soi et notre conscience locale n’est pas étanche et que ses frontières semblent mouvantes, fluides. Il ajoute qu’elle est, comme tout en nous, un produit de l’évolution mais peut-être aussi la condition de la montée vers la pensée. A cette théorie du filtre, Bertrand Méheust apporte une complexification. Le niveau physico-physiologique n’en forme pour lui qu’un niveau ; l’environnement culturel, historique voir psychologique démultiplierait les membranes, permettrait, interdirait ou régulerait l’émergence du psi.

Les enjeux sont immenses, rien de moins que notre nature et notre rapport au monde. Juste encore une remarque en passant, remarque de lectrice intéressée de longue date à la question des limites : accepter la métagnomie et ses conséquences donne une base solide à la psychogénéalogie aujourd’hui irréfutable quant aux faits mais impossible à comprendre dans les modèles anthropologiques hérités des Lumières.

Et surtout, surtout, cet ouvrage repose implicitement la question que même la physique, en le spatialisant, n’a fait que contourner : qu’est-ce que le temps ?



[1] Oublions le terme paranormal. Avec le mauvais esprit qui me caractérise, je soutiens que le para normal est celui qui se produit en chute libre sur le terrain de Saint-Yan lors du meeting annuel, sans oublier que, si le parapluie protège de la pluie, le paravent protège idéalement du vent, le paratonnerre de la foudre, on pourrait insinuer que le mérite du paranormal serait de nous protéger de la normalité normative !

[2] A ce propos, le programme Stargate a peut-être été abandonné mais au profit d’un autre qui le continue. En cherchant sur Internet, on s’aperçoit que la CIA recrute toujours des volontaires pour des expériences de voyance amusante, avec une annonce fort alléchante pour de jeunes gens. De quoi se rêver quelques heures en disciple du professeur Xavier… On ne voit pas à quoi leur servirait de financer un tel vivier si ce n’était pour y pêcher quelques gros poissons.

[3] Merci, Bertrand, de m’en avoir fait prendre conscience. Par ce rappel d’Homère, tu m’ouvres des horizons assez vertigineux et qui renvoient définitivement au dépotoir des idées fausses celle qui veut que le judéo-christianisme aurait substitué le temps linéaire au temps cyclique. Cela fait des années que je ferraille contre cette vision superficielle et finalement fausse, là tu me forges une épée de choix pour porter l’estocade.

[4] Volontairement, je ne cite pas Einstein, trop médiatisé et trop investi par les rationalistes là où sa théorie sert leur fermeture du monde.

Saturday, December 04, 2010

Le Big Bang a-t-il pleuré l’univers ?

Le 27 novembre, les physiciens de la collaboration Alice (A Large Ion Collider Experiment), deux semaines à peine après la première expérience de collision d’ions de plomb, présentaient les premiers résultats sur le site arxiv. Il s’agit toujours de reconstituer des conditions analogues à celle du Big Bang, d’explorer ainsi les premiers millionièmes de seconde de l’univers. Il y a encore 5 ans, on pensait qu’à cette très haute époque, l’univers était un gaz et plus exactement un plasma de gluons et de quarks mais en 2005, les observations et mesures d’ellipticité de la boule de feu effectuées au RHIC suggéraient, à la surprise générale, que l’ensemble de gluons et de quarks libres se comportait non comme un gaz mais comme un liquide. Un gaz entre en expansion de manière sphérique, un liquide en quelque sorte goutte. Alice confirme cette liquidité dans les conditions à plus haute énergie, donc plus proches des tous débuts de l’univers. Les partisans de la théorie des cordes se frottent les mains : leur modèle l’avait prévu. L’article de Futura-Sciences qui rend compte à la fois des résultats et de leur satisfaction légitime (pour une fois que le réel ne répond pas par le mot de Cambronne lorsqu’on teste un modèle, c’est à marquer d’une pierre blanche !) se termine ainsi : « Ce résultat est d'une grande importance. On pense que si l'on remonte dans le passé, lorsque l'univers observable était âgé de moins de 10-6 s, et bien après l'hypothétique phase d'inflation, ce liquide de quarks-gluons devait être l'état de la matière dans l'univers. » A 10-6 s, nous sommes encore loin du temps de Planck mais l’idée que, presque à l’origine, le cosmos soit une goutte ou une larme de feu parle à la conscience mythique que nous portons tous en nous.

Si l’une des fonctions de la pensée mythique est d’étayer ce que Pierre Chaunu nommait « l’obscure mémoire[1] » de l’inconscient collectif tout comme le rêve nocturne auquel j’ai pu montrer qu’il s’apparente[2] favorise la mémoire individuelle et peut-être en permet l’assimilation, nous devrions trouver dans les mythes d’origine une kyrielle d’images liquides. Mais ici, la question se complique du fait que chaque enfant, chaque vivant croît au sein d’un liquide au stade embryonnaire. On ne devrait donc prendre en compte que les mythes cosmogoniques, ceux qui racontent l’apparition de l’univers et non simplement celle de l’homme ou d’une tribu particulière. Or ce sont les plus rares, les plus allusifs, souvent résumés d’une phrase au début d’une récitation rituelle.

J’aime en poète qu’un Dieu ait pleuré l’univers d’une larme de feu, si la poésie est, comme me l’écrivit Jean Cocteau, « science exacte mais sans preuve ».



[1] Expression tirée d’un poème de Supervielle :

Mémoire, sœur obscure et que je vois de face

Autant que le permet une image qui passe

[2] Voir mes articles analysant le corpus du Rêve planétaire de 1992 dans Oniros (« L’arbre-monde, essai de mythanalyse ») puis dans Rêver .


Saturday, November 27, 2010

A quoi joue Act up ?

Dieu sait que je ne suis pas une fanatique de l’Eglise romaine mais voir en gros titre dans tous les journaux des expressions comme « le pas en avant » ou « le revirement » de Benoît XVI pour une phrase dans un livre d’entretiens dont la sortie en France n’est pas encore annoncée, il y a de quoi se gratter la tête comme un émoticône ! Il est vrai qu’il s’agit d’une phrase sur le préservatif mais on aimerait tout de même savoir ce que le pape a dit d’autre dans ce dialogue avec on ne sait qui (puisque les journaux ne nous précisent pas le nom de son interlocuteur ni quelle question fut posée). Bref, ce brave B16 aurait autorisé comme un moindre mal l’usage de la capote anglaise dans les cas où un risque d’infection par le SIDA serait possible. Pas un commentateur de la presse populaire pour s’apercevoir que la casuistique du moindre mal est une constante romaine depuis au moins le concile de Trente et que son application à ce morceau de latex n’a rien de révolutionnaire !

Une remarque d’Act up dans ce concert d’inepties me laisse rêveuse : « Il faut qu’il reconnaisse que les politiques d’abstinence et de fidélité sont des échecs et sont directement responsables de la mort et de la contamination de centaines de milliers de personnes. » C’est moi qui souligne. Là, je demande à ce qu’on m’explique ! Comment l’abstinence et la fidélité à un partenaire sain pourraient-elles avoir favorisé et directement en plus la transmission des IST ? Il y a comme un parfum d’absurdité qui plane… Ce que veut sans doute dire Act up, c’est que l’homme moderne n’est pas capable de maîtriser sa sexualité et qu’il ne sert à rien de le lui proposer[1]. Mais un tel postulat me semble plus grave que le débat sur la moralité ou l’immoralité, l’efficacité ou l’inefficacité médicale du tube de caoutchouc. Car enfin l’appel à la fidélité conjugale y compris dans les cultures polygamiques ou polyandriques est au fondement de toutes les structures familiales et donc sociales, des Borobos aux Bambaras, des Inuits aux Arabes, de la Chine à la France des années 50. Est-ce sa perte qui entraine la multiplication des viols ? Notons tout de même qu’une famille à peu près stable est la seule assurance que l’éducation des enfants sera menée à terme et qu’on ne retrouvera pas de hordes de gamins errants sans toit ni nourriture comme aux pires temps des guerres civiles. Quant à l’abstinence, il ne s’agit pas d’une exigence catholique romaine, pas même d’une recommandation chrétienne : on la retrouve prônée par toutes les traditions spirituelles de l’humanité, au moins de manière temporaire. C’est vrai de Platon, des Stoïciens, des Epicuriens, de l’hindouisme, du bouddhisme, du taoïsme, de l’enseignement druidique et de bien d’autres.

L’homme est le seul animal qui ne soit pas soumis au rut et qui puisse moduler et maîtriser sa sexualité. C’est aussi le seul qui puisse choisir la fidélité, qui ne soit contraint par les gènes ni à la monogamie, ni à la polygamie, ni au renouvellement périodique de ses partenaires. Cette liberté fait à mes yeux partie de sa grandeur. Tout ce qui nous libère nous grandit.

Et cela n’empêche pas d’espérer un Dieu qui danse…



[1] A moins qu’il ne s’agisse des seuls Africains, auquel cas cette affirmation aurait comme des relents de racisme que j’espère inconscient.