Saturday, July 22, 2006

Z comme Zorglub ou comme Zoé ?

N’étant pas physicienne et surtout pas ingénieur, même si je suis dans une certaine mesure capable de comprendre les travaux des autres, je ne discuterai pas des performances de la Z machine des laboratoires Sandia du point de vue du spécialiste. Ce blog ne se couvrira pas d’équations ni de schémas de montage. Mais le silence radio qui entoure en France ce qui semble la percée la plus ahurissante en physique depuis la domestication du feu pose problème à la sociologue historienne que je me targue encore d’être.
Le communiqué de presse de Sandia, en date du 8 mars 2006, a beau garder la sobriété de rigueur en sciences, il ne peut s’empêcher d’enfoncer le clou dès le titre : « La Z machine de Sandia dépasse deux milliards de degrés Kelvin : températures plus chaudes que dans les étoiles »
Continuons la lecture. C’est moi qui traduis.
« Cette chaleur inattendue en sortie, si sa cause était comprise et maîtrisée pourrait signifier in fine que des centrales à fusion nucléaire plus petites et de moindre coût produiraient autant d’énergie que les grandes.
Ce phénomène peut expliquer aussi comment des entités astrophysiques telles que les éruptions solaires peuvent maintenir leurs températures extrêmes.
Ce très haut rayonnement en sortie crée aussi de nouveaux environnements expérimentaux pour aider à valider les codes informatiques qui permettent de garder un stock d’armes nucléaires fiables en toute sécurité – ce qui est la principale mission des installations Z.
‘D’abord, nous n’y avons pas cru’, déclare le chef du projet Sandia, Chris Deeney. ‘Nous avons répété de nombreuses fois l’expérience pour être sûrs que nous avions un vrai résultat et pas une erreur.’
Ces résultats, enregistrés par spectromètre et confirmés par les modèles informatiques créés par John Apruzese et ses collègues du Naval Research Laboratory, ont entraîné 14 mois de tests supplémentaires. »
Suit le rappel de la publication scientifique de Malcolm Haines, consultant de Sandia et spécialiste du pincement Z à l’Imperial College de Londres, dans les colonnes des Physical Review Letters du 24 février 2006.
Puis vient ce qu’on pourrait appeler la description du problème et que je vais résumer. La Z machine est à l’origine un générateur de rayons X par pincement magnétique d’un plasma obtenu en faisant passer un courant électrique de 20 millions d’ampères dans des fils de tungstène très fins. Ce plasma atteint quelques millions de degrés. J’ai sous les yeux un article de décembre 1999 ou janvier 2000, un autre communiqué de presse de Sandia, où ils se congratulaient d’avoir atteint les 1,6 millions de degrés, comparables aux éruptions solaires et très proches des températures de fusion. En remplaçant le tungstène par de l’acier afin d’obtenir des mesures spectroscopiques plus précises, ils ont fait un bond qualitatif autant que quantitatif totalement inattendu : une température de sortie plus chaude que les étoiles, plus d’énergie à la sortie qu’on n’en a envoyé à l’entrée, la température des ions toujours soutenue lorsque le plasma est immobilisé. Une énergie additionnelle imprévue se manifeste. Haines l’attribue à des micro-turbulences engendrées par le champ magnétique dans le plasma.
A de telles températures, on peut envisager la fusion Lithium-Hydrogène, voire Bore-Hydrogène, lesquelles ont l’intérêt de ne pas générer de neutrons donc d’être une énergie totalement propre. Voilà qui devrait réjouir les écolos – mais la lecture de quelques uns de leurs forums nous détrompe. Ils supportent très mal de ne plus pouvoir jouer les Cassandre malthusiennes et donc se réfugient dans le déni. L’hydrogène, on en trouve partout où il y a de l’eau. Des composés du bore servaient déjà pour glacer la céramique romaine. On le déniche dans les sources chaudes d’origine volcanique, dans des lacs et des eaux souterraines. Quant au lithium, on en découvre dans de nombreux silicates. L’intéressant, c’est la localisation de ces minéraux que l’on exploite bien entendu aux Etats-Unis mais aussi, pour le bore, dans des lacs russes ou dans les solfatares volcaniques d’Italie ; et pour le lithium, en Suède, en Saxe ou dans la Creuse.
Les militaires y voient bien entendu à terme la bombe H propre, y compris comme arme de théâtre sous forme de mini-nuke, mais l’autre face, c’est la production d’électricité sans déchets radioactifs ni marées noires et, ce qui n’est pas négligeable politiquement, sans dépendance vis à vis de pays aux choix idéologiques différents[1].
Les laboratoires Sandia font remarquer que la Z machine tient dans un hangar de la taille d’un gymnase de lycée.

Jean Pierre Petit, parce que la Z machine tombe complètement dans son domaine de compétence, s’emploie à secouer le cocotier sur le web. Il en résulte des discussions sur plusieurs forums, où l’on retrouve parfois les mêmes intervenants. Le plus intéressant me semble celui d’Agoravox[2], le forum créé par Joël de Rosnay dès les débuts d’Internet. On y trouve des liens, des références. Malheureusement, on y rencontre aussi la hargne d’un jeune polytechnicien envers Jean Pierre Petit, et c’est un thème secondaire qui traverse tous les sites de discussion francophones que j’ai consultés. Des posts et des posts dérivent du sujet de fond pour débattre de critiques ad hominem.
Je reconnais qu’il est plus facile de lire un long commentaire gratuit en français, surtout signé de JPP qui sait écrire clairement et dans un style agréable, que de se référer aux textes de base en anglais, communiqués gratuits de Sandia et article payant des Physical Review Letters, mais à voir certains commentaires, on croirait vraiment que c’est JPP qui a obtenu ces 2 milliards de degrés dans son garage comme autrefois la propulsion MHD dans son évier…
Et parmi les arguments de mépris scientifique contre lui, le reproche fait par Paul Le Bourdais d’envisager « des espaces jumeaux, idée sortant tout droit de Star Trek » . Je crains que celui qui s’attaque ainsi violemment à Petit n’ait jamais lu Star Trek où je n’ai pas vu l’ombre d’une telle théorie et n’ait jamais lu non plus le physicien russe et dissident célèbre du temps de la guerre froide Andrei Sakharov qui l’a énoncée le premier. Ce n’est pas plus exotique que les supercordes ou le multivers, à tout prendre.
L’argument de non-autorité me donne autant de boutons aujourd’hui qu’il y a 20 ans, si ce n’est plus. Si le silence autour de la Z machine tient à l’enthousiasme de JPP donc à la fine bouche des autres, pauvre France ! Cela rappelle un peu trop la façon dont elle est venue à l’informatique à reculons, malgré la lucidité de gens comme Néel. Nous méritons en ce cas de devenir une république bananière.

Je suis frappée d’un fait : depuis 2004, on trouve sur le web ou parfois dans les journaux l’écho de découvertes dont on peut pressentir qu’elles vont tout transformer de notre vie dans les dix ans (et je suis large, car on commence d’en voir les premières applications). Bien entendu, comme toujours depuis les débuts de la révolution industrielle, il est impossible de forger indépendamment la charrue et l’épée, ce qui laisse aux esprits chagrins le loisir d’avertir des blessures qu’infligera l’arme sans mettre en balance les bienfaits de l’outil. La Z machine qui permet d’apprivoiser le processus à l’œuvre dans une supernova et d’où l’on pourra tirer une énergie aussi peu coûteuse que le fut le pétrole n’est que l’une de ces trouvailles. Un autre immense domaine concerne les nanotechnologies qui permettront de remplacer le pétrole pour la création de nouveaux matériaux, sans parler de leur utilité médicale. La téléportation quantique, outre l’intelligence artificielle sur laquelle tout le monde se focalise, ouvre aussi des perspectives que je n’essaierai même pas d’énumérer. Or, passé un très relatif effet d’annonce, il faut reconnaître que tout le monde s’en fiche, politiques et citoyens unis dans la morosité[3]. Technocratie, quand tu nous tiens…
Pendant ce temps, c’est avec des armes tout ce qu’il y a de plus classiques qu’Israël bombarde le Liban sans qu’on puisse voir d’issue à ce conflit qu’il devient de plus en plus difficile d’analyser. Les argumentaires pour l’un ou l’autre camp font figure de clichés, slogans, propagande – mais des civils meurent et je ne suis même pas sûre que quelqu'un sache pourquoi.

[1] Rappelons que l’uranium nécessaire à nos centrales à fission vient d’Afrique depuis la fermeture de la mine du Lodèvois.
[2] http://www.agoravox.fr/
[3] Mais ni les politiques ni les économistes ni les citoyens de la « France d’en bas » comme disait l’autre n’ont les connaissances nécessaires à la décision. Il suffirait pourtant d’une bonne vulgarisation, ce que l’on sait faire mais qu’on se garde bien de pousser trop loin pour des raisons de prudence idéologique, de désir de ne pas déplaire aux lobbies et, in fine, parce joue la recherche du moindre effort.

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