Friday, January 12, 2007

Identité, tradition, modernité et soupe au cochon

Lorsque j’avais écrit mes Impertinentes contributions… , j’avais le sentiment que le débat entre tradition et modernité n’intéresserait qu’une poignée d’intellectuels lecteurs d’Eléments ou d’Esprit et je ne les ai publiées sur ce blog que parce que ce gros article était resté dans mes tiroirs, mon éditeur potentiel partageant ce préjugé. Mais entre temps, avec le retour du sentiment religieux et du communautarisme, donc des questions d’identité dont Léon Poliakov avait prévu le caractère explosif, ce débat de frange a retrouvé une certaine actualité, une actualité de plus en plus brûlante même puisqu’il conditionne des actes de justice : l’interdiction des distributions de soupe au cochon de l’association SDF (Solidarité des Français) à Paris par le préfet Mutz, le référé cassant cette interdiction puis le Conseil d’Etat cassant le référé en est un exemple aussi récent que paradigmatique. Car de quoi s’agit-il, sinon de l’interdiction faite à certains d’afficher leur identité culturelle afin de ne pas exclure les membres de communautés dont l’identité religieuse implique des interdits alimentaires ? Ce qui signifie qu’il y aurait des identités respectables, celles des minorités, et des identités dont le devoir serait de s’effacer, celles de la majorité au moins officielle. On arrive à des absurdités logiques en plus de la connerie qui consiste, au nom d’idéologies mal définies, à refuser un bol de soupe aux plus démunis. Lesquels ne voient qu’une chose : ils ont faim et on leur refuse à manger pour leur bien ! Nous atteignons là le fond de la sottise. Il faudrait créer le prix Dame Bêtise et faire monter publiquement le préfet Mutz sur le podium coiffé d’un bonnet d’âne.
Mais comme il semble qu’une certaine unanimité se retrouve de blog en blog sur la bêtise du fait, j’aimerais aborder la question de fond, les embrouillaminis logiques auxquels amène le non-dit et l’écart de plus en plus grand entre le pays réel et le pays légal, pour reprendre la distinction de Maurras. Je ne me crois pas maurrassienne mais cette distinction m’a toujours paru lumineuse.
Remarquons d’abord que ce qui pose problème, c’est l’identité collective. Pour l’identité personnelle, j’aurais envie de dire, non sans méchanceté, que la carte du même nom suffit à régler si ce n’est escamoter la question. Pourtant, il n’est pas inutile de comparer. Un amnésique est toujours une personne, fondamentalement unique, mais on sait qu’il doit reconstruire son identité, redécouvrir adulte ce qu’il est, ce qu’il peut, tout son rapport au monde. L’identité ne se conçoit pas sans mémoire et n’a de sens que par rapport à une altérité. Le premier apprentissage d’un bébé, c’est de différencier moi et l’autre ou plus exactement les autres, d’identifier maman, papa, les autres membres de la famille et du cercle amical. On voit que le processus identitaire est l’un des plus fondamentaux de l’homme.
Jusqu’où peut-on transposer ce processus à la formation des entités collectives que les Grecs nommaient εθνος, ethnie différenciée, par opposition au γενος, le groupe familial uni par la parenté biologique, et au λαος, collection d’individus interchangeables ?

(à suivre)

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