Friday, January 19, 2007

Tradition, modernité, identité

Lors du deuxième ou du troisième colloque de Politica Hermetica, Léon Poliakov que nul ne soupçonnera de racisme sauf à vider tous les mots de leur sens poussait un cri d’alarme. Il mettait en garde les plus enthousiastes des militants de l’anti-racisme et de l’humanisme universaliste contre le rejet excessif de toute problématique identitaire, appelait à reprendre en compte le besoin d’identité collective et d’enracinement, à en accepter la légitimité, sans quoi le retour du refoulé se ferait dans la violence et d’autant plus violemment qu’il aura été écarté du discours. Non seulement Poliakov a parlé dans le vide mais, depuis ce colloque mémorable, on a tant vu mettre en œuvre la puissance de la loi pour des broutilles – tandis que le filet avait un maillage des plus léger lorsqu’il s’agissait de délits importants, voire de crimes – que la violence n’est déjà plus totalement évitable.
Je ne sais plus qui avait dit cette phrase sublime : « L’antisémitisme aura disparu quand on pourra traiter un juif de con pas parce qu’il est juif mais parce qu’il est con. » Remplacer antisémitisme par racisme et juif par tout ce qu’on veut, black, chinois, martien, aldébaranien à peau verte zébrée de violet, etc. Nous en sommes très loin. Je ne sais même pas si la loi, aujourd’hui, me permettrait de transcrire ici les meilleures histoires que certains de mes amis juifs ou blacks racontent sur eux-mêmes. Et l’auteur de la phrase sublime que je viens de citer avait oublié un cas : celui du juif con qui préfère croire que c’est parce qu’il est juif, l’antisémitisme étant plus flatteur pour son ego que la connerie. Continuant donc d’accuser son détracteur d’antisémitisme, il entretient artificiellement la tension, culpabilisant tout ce qui bouge – ce qui lui assure un sentiment triomphal d’impunité[1] qui l’amène fatalement à faire et dire tant que, par un effet pervers compréhensible, son excès déclenche un sursaut de révolte et ramène un nouvel antisémitisme.
C’est exactement ce que prédisait Poliakov à la manière de Cassandre. Nous en sommes pratiquement à ce stade surtout dans les zones où l’afflux d’immigrés s’accompagne de violences et de la formation de bandes de voyous. Que ces bandes ne soient pas très différentes dans leurs mœurs des « blousons noirs » à peau blanche contre lesquels ma maman me mettait en garde dans mon adolescence, chacun et tous l’oublient comme nous avons oublié les « apaches » de la Belle Epoque au profit des canotiers de Renoir. Pourtant, à relire Eugène Sue… Mais ce masquage par le « racisme » de la réalité d’une minorité de voyous contre lesquels il serait plus qu’urgent de sévir, quelle que soit leur couleur de peau, leur religion affichée ou que sais-je, ne peut qu’alimenter la rage impuissante, d’autant plus impuissante qu’au nom de l’anti-racisme, on lui interdit même l’expression verbale. Or tous les psychologues savent que le non-dit, le non dicible, finit par sortir par un passage à l’acte ; d’ailleurs, c’est bien pour l’éviter que les premiers moines avaient inventé la confession, le dévoilement des pensées à son père spirituel. Un lieu pour dire et se dire.
Un forum auquel je participe de temps à autre, intitulé le forum courtois car il regroupe des auditeurs de Radio Courtoisie, vient d’être fermé par son hébergeur forumactif.com sous une accusation de racisme[2]. Or les intervenants, dans leur ensemble, n’exprimaient que leur réaction devant des délits et des crimes impunis, leur rejet du communautarisme surtout quand, combiné à cet « anti-racisme » officiel, il aboutit à des identités licites, celles qui s’originent ailleurs, et une identité illicite, la mémoire du ou des peuples qui ont façonné la France au cours des siècles, ce qui est tout de même d’une absurdité sans nom. Mais au risque de passer pour la pire des vipères lubriques et des tigresses de papier, j’ose affirmer que je suis aussi attachée, parmi mes ancêtres, aux vignerons de Givry qu’aux paysans angevins qui chouannèrent dans les haies de la Vendée militaire, aux ventres à choux de l’ouest qu’aux ventres jaunes de Bresse, aux marins et aux éleveurs de vaches, aux languedociens d’avant François 1er qu’à cet arrière-grand-père toscan qui portait le nom d’une ville. J’ose affirmer que ces ancêtres qui sentent la glèbe de chez nous, au sud de la Loire le plus souvent, sauf les Bretons et les Comtois, sont aussi respectables que s’ils avaient vécu dans la brousse congolaise ou nomadisé dans le sud saharien. Ce qui n’ôte rien à l’honneur de ces derniers.
Nous avons tous des ancêtres et, plus important encore, une mémoire profonde de ce passé qui nous a engendrés et pas seulement de manière animale. Toute la psychogénéalogie témoigne de l’importance de ces mémoires, de leur poids sur le destin de chacun de nous, un poids d’autant plus fort et contraignant qu’il est non dit[3]. J’en ai vu moi-même un exemple. Lors d’un stage de Rêve Eveillé Dirigé, une jeune femme s’est vécue comme un volcan en explosion. Rien dans ce scénario ne correspondait à sa problématique personnelle. L’animateur du stage m’a téléphoné pour savoir si ce volcan correspondait à quelque chose dans l’histoire ou dans la mythologie comparée[4]. A ses explications, Pascal et moi avons immédiatement identifié le volcan : Thèra, l’île égéenne de Santorin dont l’explosion plus dévastatrice que celle du Krakatoa sonna vers –1470 le glas de plusieurs civilisations, dont en premier la Crète minoenne. La jeune femme à qui notre ami proposa notre hypothèse acquiesça : elle avait des ancêtres crétois mais, jusque là, ne s’en était jamais vraiment préoccupée. Mais cela signifie que cette sourde mémoire peut rester active durant 30 siècles, ce qui couvre presque toute l’histoire connue par des documents écrits, de l’âge du bronze à nos jours. Le nier pour des raisons idéologiques n’empêchera pas cette mémoire refoulée de rester puissante. La culpabiliser, c’est préparer de graves névroses dont nul ne peut prévoir les conséquences à la fois individuelles et collectives.

(à suivre)

[1] Souvenons nous de la définition d’Audiard : « les cons, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît. »
[2] Qu’on se rassure, un nouveau forum est né de ses cendres, tel un phénix, mais chez un autre hébergeur et, comble d’ironie pour une sensibilité en général souverainiste, avec une inscription européenne. Voir http://radiocourtoisie.leforum.eu/
[3] Voir par exemple Anne Ancelin Schützenberger, Aïe mes aïeux !
[4] Qui sont mes principales casquettes.

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