Poursuivons
l’exploration des 4 âges traditionnels. Certains de mes amis
guénoniens hurleront peut-être en me voyant confronter les
enseignements du maître et ceux de la science, trouvant ma démarche
vaine ou, pire, sacrilège mais je n’ai jamais pu me satisfaire de
l’argument d’autorité et je ne vois pas ce qui en donnerait plus
à Guénon qu’à saint Grégoire de Nysse par exemple. Et je sais
par ailleurs des orthodoxes rigoureux qui tordront le nez à me voir
citer Hésiode, les Upanishad ou maître René, encore que les
4 âges soient bibliques et figurent au Livre de Daniel. Quant
à mes amis scientifiques, ils vont considérer comme
incompréhensible lubie l’importance que j’accorde à la
tradition, primordiale ou seulement védantiste. Au risque d’avoir
tout le monde à dos, il me semble important de continuer pourtant la
confrontation des deux ordres de données. L’exercice cette fois
sera plus périlleux puisque le point de départ viendra des
chronologies scientifiques, difficiles à établir et parfois remises
en question selon les nouvelles découvertes.
Si
nous lisons correctement la théorie des 4 âges, la phase de
transition qui marque le passage d’un Kali yuga à un nouveau Krita
yuga se fait par la dissolution des formes manifestées auparavant.
On pourrait donc la situer au niveau des grandes ou petites
extinctions repérables. D’autre part, si l’on en croit Guénon,
chaque manvantara doit permettre le déploiement de toute la
diversité de la manifestation possible ; personne n’a noté,
semble-t-il, que ce déploiement est parfaitement compatible avec une
forme d’évolution des espèces. On peut la considérer comme un
éloignement des principes spirituels en œuvre, comme une descente
de plus en plus accentuée dans la matière, mais il serait stupide
de nier que cette matérialisation puisse être buissonnante et se
traduire par la complexification de l’écosystème telle que nous
l’observons entre deux extinctions.
La
Terre s’est solidifiée vers 4,6 GA1
(1 GA = 1 giga année, soit 1 milliard d’années) ; la Lune
est éjectée vers 4,5 GA ; vers 4,1 GA a lieu le grand
bombardement tardif qui clôt la genèse planétaire. La vie, selon
les découvertes actuelles, commence vers 3,9 GA et la première
crise qui se traduit par une extinction massive a lieu vers 3,5 GA,
lorsque l’oxygène rejetée par le vivant remplace le CO2 dans
l’atmosphère terrestre. Cette crise débouche sur une glaciation
et une lente maturation de la planète elle-même, l’apparition
d’un premier continent vers 2,5 GA. Dès lors, la vie ne cessera
pas de se complexifier, jusqu’à ce que nous rencontrions une
nouvelle crise d’extinction vers 630 MA (MA = million d’années)
lors de la fin du Précambrien et un réveil vers 580 MA, au début
de l’ère primaire. Deux nouvelles extinctions massives vers 440 MA
à 435 MA (Ordovicien/Silurien), puis une autre vers 365 MA (fin du
Dévonien) s’opère en 7MA ; enfin, vers 250 MA, mais qui dure
environ 20 MA, une des plus fortes puisque 95 % des espèces
existantes disparaissent lors de la transition Permien/Trias. Puis
nous rencontrons encore une extinction vers 203 MA, sur 17 MA. Les
dinosaures, eux, s’éteignent vers 65 MA lors du passage
Jurassique/Crétacé. Enfin, la quasi disparition de l’humanité
lors de l’explosion du supervolcan Toba vers 73'000 ans BP. On a
aussi quelques extinctions partielles, l’une vers 225 MA qui voit
disparaître les reptiles mammaliens au profit des dinosaures et vers
195 MA, l'extinction du Trias-Jurassique qui tua 20 % des espèces
marines, la plupart des diapsides et les derniers des grands
amphibiens.
Outre
ces crises dont nous essaierons de préciser la périodicité, nous
connaissons un certain nombre de cycles d’une assez forte
régularité, dont la variation de la trajectoire de la Terre autour
du Soleil : cycles de Milankovitch de 125'000 ans qui semble
régir les glaciations, précession des équinoxes (21 000 ans ou
plutôt 19 000 et 23 0002),
obliquité de l'axe de rotation de la Terre (41 000 ans), variation
de l'excentricité de l'orbite elliptique terrestre (90 000 ans et
413 000 ans). A cela s'ajoutent les cycles solaires à court ou long
terme : cycle de Schwabe de 11 ans, cycles de Gleissberg (90
ans) et de Suess (200 ans), ainsi que celui de 1500 ans. Rien
n’interdit que des cycles plus longs agissent sur notre planète.
Les
extinctions n’ont sans doute pas une cause unique mais on repère
quasiment à chaque fois la chute d’un corps cosmique de bonne
taille, petit astéroïde ou débris de comète, accompagné ou suivi
d’événements volcaniques de grande ampleur et, parfois,
d’épidémie ou de radiations ionisantes. Après la série
cataclysmique et la disparition des espèces antérieures, la vie
repart dans une nouvelle direction. Ces faits que l’on peut
lire dans les traces fossiles et les strates géologiques s’accordent
parfaitement avec la théorie des mahâyugas successifs, même s’il
semble difficile de repérer à l’intérieur une division en 4
âges.
Le
premier cycle concerne la naissance de la Terre ou, plus exactement,
du système Terre-Lune. Selon qu’on l’arrête à l’éjection de
la matière lunaire ou lorsque commence le grand bombardement tardif,
on obtient une durée de 0,1 ou 0,5 GA, soit 1 ou 5 MA. Ce
bombardement lui-même, durant lequel notre planète s’enrichit de
métaux lourds et solidifie sa croûte malgré les volcans
omniprésents qui ne cessent de recycler sa matière, m’évoque à
tort ou à raison le temps de latence entre deux manvantaras, le
Sandhi Kala d'une durée de 1'728'000 années solaires durant lequel
la terre entière serait submergée par l'eau. En effet, entre le
début du bombardement vers 4,1 GA et l’apparition de la vie vers
3,9 GA, il se passe environ 2MA, ce qui serait du même ordre de
grandeur que les 1,7 MA de la tradition védique. Ce fait
indéniable pose quelques questions. Comment les rédacteurs des
hymnes védiques et des Upanishad ont-ils pu tomber aussi juste ?
Comme les auteurs du Poème biblique de la création ont eu
l’intuition fulgurante d’un monde de lumière bien antérieur à
l’apparition des astres, comme les Mayas du Yucatan redoutant ce
qui peut tomber du ciel alors que le cratère de Chicxulub, un
monstre de 180 km de diamètre témoignant d’un impact avec un
caillou de 10 km de diamètre, lancé à près de 20 km/s – si
l'angle d'impact n'avait pas été aussi rasant (entre 20 et 30°),
nul ne sait si la Terre aurait gardé sa cohésion – est daté de
65 MA, les brahmanes gardiens de la tradition de l’Inde semblent
puiser à une mémoire qui dépasse l’homme.
La
première phase de la vie, formée seulement d’unicellulaires
semble-t-il, s’étend de 3,9 à 2,4 GA, soit sur 1,5 GA ; il
s’agit d’une vie qui baigne à l’aise dans des océans presque
bouillants, dont on évalue la température à 70°C. Nous
connaissons au moins une étape interne de ce cycle, celle qui va
préparer à la fois l’extinction de cette première vie et
l’apparition des formes ultérieures. Vers 3,4 GA apparaissent les
cyanobactéries qui « inventent » la photosynthèse et
rejettent de l’oxygène dans l’océan. Il faudra qu’elle
s’accumule durant un GA pour empoisonner les archéobactéries et
finalement amener la première extinction. Vers 2,4 GA, avec
l'épuisement du fer ferreux marin qui jusqu’ici absorbait ce
déchet, selon Wikipedia, « le dioxygène O2
s'est alors répandu dans la mer et l'atmosphère, déclenchant une
crise écologique en raison de sa toxicité pour les organismes
anaérobies de l'époque qui le produisent. De plus, l'oxygène libre
réagit avec le méthane atmosphérique, déclenchant ainsi la
glaciation huronienne entre 2,4 milliards et 2,1 milliards d'années,
probablement le plus long épisode boule de neige de la Terre. »
Nous avons donc là encore un temps de latence de 2 à 3 MA.
L’apparition des cyanobactéries se place environ au tiers de la
période globale. Or si nous reprenons les proportions que donnait
Hadès, où les âges se distribuent comme 40, 30, 20, 10 par rapport
à un total de 100, les 40 pour 100 que représentent l’âge d’or
dépassent de peu le tiers de l’ensemble (100/3 = 33,3333….)
Encore une coïncidence étonnante.
A la
fin de la glaciation, il reste des cyanobactéries et la
concentration en oxygène de l’air augmente rapidement pour
atteindre vers 2,1 GA un seuil de 4 % qui voit l'émergence de la vie
multicellulaire aérobie. De plus, selon Wikipedia, « cet
oxygène libre est à l'origine de la formation de la couche d'ozone
qui a pour effet d'absorber la plus grande partie du rayonnement
solaire ultraviolet, autorisant l'accroissement de la biodiversité. »
Nous entrons donc dans un nouveau cycle de la vie, qui va durer
jusque vers 500 MA et qui va voir la naissance des organismes
pluricellulaires. Nous avons donc une durée comparable à celle du
cycle précédent, environ 1,55 GA. Elle commence par les eucaryotes
ou cellules possédant un noyau, puis viennent vers 1,2 GA les algues
pluricellulaires, vers 750 MA les premiers animaux puis vers 550 MA
une phase de diversification rapide, appelée l’explosion du
Cambrien. Quatre périodes donc, la première de 900 MA, la deuxième
de 450 MA, la troisième de 200 MA et la dernière de 50 MA. Les
proportions ne sont pas celles des 4 âges mais on remarque
l’accélération et l’explosion finale de la diversité des
formes. Tout à la fin surgissent les premiers vertébrés, poissons
et proto-amphibiens.
On ne
sait pas très bien ce qui a causé l’extinction massive de la fin
du Cambrien mais la période suivante qui commence vers 488 MA, soit
une courte latence de 12MA, voit la colonisation de la terre ferme
par la vie, d’abord par les plantes suivies d’une phase
d’extinction vers 440 MA à 435 MA, due peut-être à un sursaut
gamma cosmique entraînant l’amincissement de la couche d’ozone
et une nouvelle glaciation. Il est toutefois difficile de séparer
cette phase des suivantes, malgré cet accident de parcours, car les
phases ultérieures s’inscrivent dans la même thématique de
« conquête » de la terre ferme. Nous aurions alors un
cycle compris entre 488 MA et 252 MA environ, lorsque commence la
grande extinction Permien/Trias, cycle d’une durée de 236 MA,
ponctué de plusieurs étapes qui voient apparaître tour à tour les
insectes, les amphibiens, les reptiles et, dans le végétal, les
plantes à graines et les conifères. De plus, durant le Permien, les
8 continents issus de la dislocation de la Rodinia s’étaient
réunis de nouveau en une seule masse, la Pangée.
L’extinction
Permien/Trias est marquée par la disparition de 95% des espèces
marines et 70% des espèces terrestres, ce qui en fait la plus grande
extinction massive ayant affecté la biosphère. Durant 5 MA, la
chaleur régnant à la surface de la terre avoisinait 60°C à
l’équateur et près de 40°C en mer. On s’aperçoit aussi d’une
coïncidence temporelle avec la chute d’une météorite de 11 km de
long à Bedout en Australie, où l’on retrouve un cratère de 170
km de diamètre, sans oublier celle de 45 km qui a creusé dans
l’Antarctique un cratère de 480 km de diamètre, ainsi qu’avec
l’explosion de supervolcans en Chine puis en Sibérie, dont les
laves – ce qu’on appelle les trapps – couvrent des milliers de
km2. Enfin, une équipe de chercheurs du MIT vient de
découvrit le rôle qu’a pu jouer un simple microbe, le
Méthanosarcina, une sorte de bactérie qui convertit le carbone
marin en méthane, lequel serait responsable de l’augmentation
drastique de l’effet de serre et de la température.
Pourtant,
la vie repart à partir des 5% d’espèces marines et des 30%
d’espèces terrestres qui forment le petit reste. Elle repart pour
un nouveau cycle dominé par les reptiles, les mammifères ovipares
(ils allaitent mais pondent des œufs ; il n’en reste qu’un
représentant, l’ornitorynx) et les oiseaux, cycle qui voit aussi
l’apparition des plantes à fleurs et s’achève par une nouvelle
extinction massive vers 65 MA. Ce cycle des dinosaures commence vers
245 MA, soit une période de latence de 7 MA par rapport au début de
la grande extinction. Il dure donc en tout 180 MA.
Vient
alors le dernier cycle, celui des mammifères et de l’homme, encore
en cours. Si les écologistes qui crient à la sixième extinction
massive ont raison, mais j’ai des doutes car les chiffres avancés
ne sont pas tous fiables, il aura duré dans les 65 MA. On voit donc
également s’opérer entre les cycles de la planète et de la vie
une forme d’accélération. Lorsque l’on construit la courbe
globale depuis l’apparition de la première cellule, on s’aperçoit
étrangement qu’elle prend sans hiatus la suite de l’histoire du
cosmos depuis le Big Bang et, plus étonnant encore, que l’histoire
des connaissances scientifiques de l’humanité (nous ne parlons pas
ici du sacré, de l’art ou des relations sociales mais du seul
buissonnement interculturel cumulatif) garde la même forme, un
faisceau d’ondes amorties que l’on peut lisser par une
exponentielle très abrupte, presque une factorielle. Or la théorie
des quatre âges peut aussi s’exprimer par une exponentielle.
La
tradition indienne parle de sept manvantaras, le dernier étant le
nôtre, et les datent ainsi :
1.
Svâyumbhuva Manvantara, 1973 à 1665 MA, soit une durée de 308 MA
2.
Svârocisa M., 1665 à 1356 MA, soit 309 MA
3.
Uttama M., 1356 à 1047 MA, soit 309 MA
4.
Tâmasa M., 1047 à 738 MA, soit 309 MA
5.
Raivata M., 738 à 429 MA, soit 309 MA
6.
Câksusa M. 429 à 120 MA, soit 309 MA
7.
Vaisvasvata M. 120 MA à nos jours.
Les
dates ne correspondent pas à celles que nous avons dégagées des
grandes extinctions mais le point de départ, vers 1,9 GA, est
quasiment celui du début des eucaryotes après la crise de
l’oxygène. De plus nous sommes loin des 309 MA dans l’actuel
manvantara, donc loin de la fin de notre monde, même s’il faut
envisager celle d’un mahâyuga.
1
Toutes les dates sont données BP, Before Present, le présent
en question ayant été fixé arbitrairement en 1950. Quand on
calcule en GA ou en MA, cela ne change pas grand chose.
2
C’est plus court que les 25920 ans de la Grande Année
platonicienne, mais du même ordre de grandeur.
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