Dans toute la
presse, sur les réseaux sociaux, dans les communiqués des partis, les mêmes
mots reviennent : « odieux, abject, barbare… » Pourquoi la
décapitation nous horrifie-t-elle plus qu’une balle dans la nuque, que la
pendaison ou qu’un coup de couteau en plein cœur ? Pourquoi nous
semble-t-elle antinomique de la civilisation ? Quel cauchemar de
l’inconscient collectif est-il ainsi ramené en pleine lumière ? D’aucuns
trouveront déplacé de mener cette réflexion à chaud, au cœur de l’événement.
Pourtant, je crois important d’aller au fond des choses, ne serait-ce que pour
répondre à ceux qui la justifient en nous renvoyant ironiquement à notre passé
et surtout pour que l’émotion ne soit pas notre seul moteur s’il faut un jour
en venir à la résistance sur notre sol, pour ne devenir ni des moutons se
désignant eux-mêmes comme victimes ni des loups enragés se retournant contre
n’importe qui pour une ressemblance, une impression, une ombre.
En fait, la
dernière fois que la guillotine a fonctionné dans notre douce France, c’était
le 10 septembre 1977, il y a tout juste 37 ans dans la prison des Baumettes à
Marseille et, jusqu’en 1939, les exécutions furent publiques ; jusqu’en
1951, la presse avait le droit de les commenter. La décapitation fut le mode
légal de la peine de mort en république française et ce dès 1792, après avoir
été celui que préféraient les émeutiers. Car le 14 juillet 1789, c’était bien
des têtes coupées que l’on promena au bout des piques ; et la peine de
mort n’a pas toujours concerné des criminels de droit commun, les politiques
ont payé leur écot. Est-ce le régicide de 1793 qui nous revient comme une
hantise et nous rend insoutenable ce mode d’assassinat ?
Sous l’ancien
régime, la décapitation était le privilège des nobles – sauf les régicides et
criminels d’État qui devaient être écartelés ; pour les autres, la corde,
la roue, le bûcher si l’on soupçonnait quelque sorcellerie et même, pour le
faux-monnayeur, la possibilité d’être bouilli vif dans un chaudron, encore que
ce châtiment fut vite abandonné. Les attendus des condamnations du XIVe au
XVIIIe siècles ont de quoi faire dresser les cheveux sur la tête. A dire vrai,
cela commence surtout avec la grande peste et ce fut pire en Allemagne. Mais
cela signifie que nos ancêtres n’avaient pas le respect que nous montrons
aujourd’hui pour l’intégrité du corps de l’ennemi, qu’il s’agisse de celui que
l’on affrontait en guerre ou de celui que l’on condamnait pour ses méfaits – ou
ses croyances. Si l’on remonte encore plus loin, certains peuples gaulois
décapitaient leurs ennemis vaincus et collectionnaient les têtes comme trophées
dans leurs temples. Quitte à en sculpter dans la pierre. On en retrouve trace
jusque dans les romans arthuriens où l’un des motifs récurrents est celui de
l’inconnu qui vient exiger qu’un chevalier le décapite devant la cour et
s’engage à venir subir le même sort dans quelque castel au jour anniversaire.
Bien entendu, celui qui accepte le sacrifice ne subira qu’un simulacre de décollation,
une épreuve initiatique, mais il l’ignore au moment où il se porte volontaire.
Allons plus
loin. Que signifie séparer la tête du corps ? Tout ce qui fait l’homme est
dans la tête, presque toute notre relation au monde au travers des sens, vue,
ouïe, même le goût et l’odorat qui sont les premiers apparus dans l’histoire de
la vie, toute notre capacité d’expression et de pensée, la parole et l’écoute,
le chant qui façonne magiquement le rêve du monde, tous nos échanges vitaux avec
le cosmos par le souffle et l’alimentation. Le corps, c’est l’usine qui
transforme ce que la tête ingère, c’est la capacité de se mouvoir et d’agir, et
le sexe. Bref, c’est l’animal en nous. Mais se séparer de l’animal, c’est
basculer dans l’impuissance, à tous les sens du terme. La décapitation, outre
la mort, est une castration du point de vue de la tête, une déshumanisation, un
rejet dans l’animalité du point de vue du corps. La tête opère en nous les
noces de l’ange et de la bête, qui nous font homme.
Et c’est bien ce
rejet hors de l’humanité qui rejette pour nous ses auteurs dans la barbarie.
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