Tuesday, September 05, 2006

The times they are a-changing (3)

Les partisans de l’école des Annales pour qui seule l’analyse économique avait quelque pertinence en histoire, s’ils lisent cet article n’y voient sans doute que du galimatias[1]. Pourtant une introspection minimale suffirait à leur montrer que l’on ne peut réduire les passions humaines au seul appât du gain, consumériste de surcroît. Lorsque la richesse des individus atteint le seuil où leurs envies ne rencontrent plus d’obstacle financier, d’autres limites apparaissent : je pense à cet homme qui collectionne les maisons comme d’autres les boîtes de camembert mais ne pourrait même pas passer une nuit par an dans chacune de ses propriétés. A la question : « Mais alors, quel plaisir en retirez-vous ? », il n’a pas su répondre. Et chacun sait bien, pour en avoir fait l’expérience, qu’une maison vide n’est qu’un décor. Quant aux universaux de la vieille chanson, « cigarettes, whisky et p’tites pépées », les premières donnent le cancer même aux milliardaires, le métabolisme ne supporte que quelques verres du second et les troisièmes, sans même songer aux MST, même si l’homme est monté comme un âne, ne peuvent se consommer en nombre illimité. Or l’économie ne vit pas de production seule, il y faut de la consommation, raison pour laquelle on inventa le poulet en batterie et les mouchoirs jetables[2].
La triple tentation du Christ dans les Evangiles reste éclairante sur les diverses faims humaines. Au chapitre 4 de l’Evangile de Matthieu, le diable commence par lui proposer de transformer des pierres en pain, saisissant raccourci du processus économique. Puis il l’emmène sur le faîte du Temple et lui suggère de se jeter en bas en se laissant porter par les anges. Epreuve de la foi, certes mais, lorsque l’on sait les foules qui se pressaient dans le Temple et surtout ses parvis, succès assuré de vedettariat. Aujourd’hui, le démon lui proposerait de faire des miracles devant les caméras de télévision. Mais c’est aussi l’infantilisme d’un monde magique où la providence préviendrait tout obstacle et tout effort. La dernière épreuve est celle du pouvoir sur « les royaumes du monde avec leur gloire », à condition d’adorer le vieux diviseur. Chez Luc où la tentation occupe aussi le chapitre 4, l’ordre est légèrement différent : le pain, le pouvoir puis le vedettariat miraculeux. Et Luc de conclure que le diable avait épuisé toute tentation possible. Désir de consommer qui amplifie les besoins du corps, désir de reconnaissance et de cocon infantile, désir de puissance et de domination. En incise, cela n’empêchera pas le Christ de multiplier les pains pour la foule, de marcher sur les eaux[3] et de donner à ses disciples, au moment de son Ascension, la consigne de baptiser les nations. Réponse subtile sur les trois plans du désir.
Les idéologies se situent dans le champ du désir de pouvoir ou de puissance. Dit comme cela, c’est presque un truisme. Mais il fallait le préciser pour bien enfoncer le clou : ce désir là diffère de l’intérêt économique et parfois le prend par le travers. Les grands paranoïaques du pouvoir solitaire que furent Tibère, Dioclétien, Innocent III, Philippe II d’Espagne, François-Joseph de Habsbourg, Hitler, Staline, Ceaucescu et sans doute d’autres à plus petite échelle, dans leur obsession de contrôle, ont grevé le budget de leur pays en services d’espionnage tant internes qu’externes. Aujourd’hui, la Roumanie se joue un psychodrame d’épuration : mais qui donc faisait partie de la Securitate[4] ? Et l’on s’aperçoit que la soif de contrôle d’un homme habité par la passion du pouvoir suffit à transformer les structures profondes de toute une société. Brecht a tenté de décrire une telle métamorphose dans Grand peur et misère du IIIe Reich où l’on voit chacun redouter le regard de son voisin, de son ami, de son enfant même, s’installer la peur non seulement de la délation malveillante ou militante mais plus subtilement de la délation innocente de l’enfant qui parle sans comprendre les conséquences de sa parole, de la délation innocente de la voisine qui interprète un comportement et clabaude sans autre perspective qu’un ragot de quartier, de l’autodélation que représentent un mot ou un geste échappant en public au contrôle de la volonté[5].
La passion du pouvoir est peut-être la plus difficile à vaincre[6] et c’est pourquoi toutes les écoles ascétiques insistent sur le lâcher prise ou l’humilité. C’est aussi la plus abstraite. Le dictateur qui s’intéresserait vraiment à la marche concrète de son pays en deviendrait à son corps défendant le serviteur mais il lui faudrait assez d’humilité pour évaluer la réponse du réel à ses décisions. C’est ce qui distingue un pouvoir fort, régalien, de ce que les Grecs nommaient la tyrannie qui soumet ou tente de soumettre le réel à l’arbitraire et, surtout de cette forme redoutable où le tyran n’a pas l’orgueil de lui même, n’est pas soumis à la pluralité de ses envies versatiles, mais nourrit un projet sur l’homme et place son orgueil dans une abstraction qui, croit-il, le transcende. C’est Dioclétien qui, pour obéir à sa vision « solaire » de l’empire, démissionne en 205 et provoque la démission de l’auguste d’occident ; le remplacement automatique par les césars, tel qu’il l’avait conçu, ne fonctionne pas et l’empire bascule pour 20 ans dans la plus folle des guerres civiles.
L’abstraction à laquelle conduit la passion du pouvoir quand elle s’épure et envahit l’âme va forcément aboutir aux représentations les plus universelles et les plus fondamentales mais surtout les plus éloignées des besoins charnels. Les grands dictateurs furent le plus souvent des ascètes. Réciproquement, une fois qu’un ascète a pu acquérir la maîtrise de ses appétits animaux, la tentation du pouvoir – pour lui-même ou pour son monastère – vient assez vite. Ne nous étonnons donc pas de voir l’espace et le temps en filigrane des idéologies et surtout des totalitarismes.
[1] Les Annales ont publié nombre de travaux remarquables. Mon seul reproche à leur égard, c’est d’avoir privilégié une explication unique de situations complexes.
[2] Autre objection aux Annales : l’économie est une activité humaine et qui n’a de sens que pour les hommes. Tout le problème est de savoir si elle transcende les individus qui la portent. Eux pensent que le social transcende autant qu’il englobe la psychologie ; je n’en suis pas persuadée et je pense qu’il existe un rapport systémique, écologique en quelque sorte entre l’individu, la culture à laquelle il se rattache et d’autres niveaux du social qui vont de la stratification à la géopolitique, sphère dont l’économie représente une branche. Je me méfie beaucoup des tentatives de faire de l’économie une science exacte détachée des sciences humaines.
[3] Et pas sur la glace comme l’ont suggéré des chercheurs israéliens plus soucieux de démolir le texte évangélique que de le lire, puisque il est question d’un vent contraire et de conditions de navigation difficiles qui suggèrent une eau agitée.
[4] Voir Jean Michel Bérard, « Roumanie : la grande lessive des services secrets », B.I. Balkans Infos n°113, septembre 2006, pp.14-15.
[5] Je ne suis pas une fanatique de Brecht, souvent très lourd, et dont je ne partage ni les idées politiques ni les choix artistiques. Mais comme personne n’est mauvais en permanence, il faut reconnaître qu’il a écrit deux chefs d’œuvre, Grand peur et misère… et Mère Courage.
[6] La taxis de Matthieu me semble plus juste que celle de Luc. On sait que les passions ont partie liée avec la mort, que l’on peut tuer pour une part de marché ou pour passer à la télévision ; pour le pouvoir, on tue avec la volonté d’anéantir l’autre, d’effacer son passé autant que son existence présente. Staline faisant retoucher les photographies pour en éliminer Trotski est paradigmatique. Dans l’Egypte ancienne, on martelait de même les noms des adversaires idéologiques.

Friday, September 01, 2006

The times they are a-changing (2)

Au fond, qu’est-ce qu’une idéologie, qu’est-ce qu’une pensée totalitaire sinon un immense orgueil ? C’est toujours une manière de définir une vérité telle qu’elle devrait être sans avoir l’humilité au moins de la soumettre au verdict du réel sinon de l’éprouver à l’eau régale de la révélation divine. Derrière l’illusion qu’est la démarche idéologique, on retrouve le processus de la chute décrit en Genèse 3, se nourrir des fruits de l’arbre « du bon et du mauvais », élaborer des jugements de valeur tout seuls comme des grands et tenter de bourrer le réel dans le moule ainsi défini. Evidemment, il en déborde toujours par un bout ou par un autre car notre pensée exprimée, notre langage ne peut embrasser l’univers ou même seulement un coin de Terre dans toute sa complexité.
J’ai nommé dans le premier article de cette série la famille idéologique née du Dieu des philosophes et des savants, celle qui cherche à résorber l’histoire et le social dans une sorte de stase au moins structurelle. Si elle comporte tant de doctrines et si elles se contredisent tant, c’est que le Sphairos n’est que l’élément dominant du puzzle. A maints égards, une idéologie se construit comme un mythe ou une figure du jeu de Tangram, elle juxtapose plus ou moins heureusement des motifs métaphysiques – et pourtant, elle se situe à l’opposé de la mythopoièse, du côté d’une logique qui tourne à vide.
Dire cela, c’est annoncer qu’il existe d’autres matériaux de construction mais ne quittons pas encore l’interrogation sur le dieu des stases, simple, isotrope, etc. Si l’on compare le poème de Parménide et les Upanishad qui en sont les deux sources historiques, on s’aperçoit que le philosophe grec ne concède à l’Etre qu’un attribut fondé sur l’expérience, la forme sphérique réputée parfaite, tandis que les brahmanes évoquent l’atman à partir de ce qui reste d’une forme quand la matière qui la rendait tangible se brise. Dans les deux cas, le modèle n’est autre que l’espace vide, l’espace en soi. Il n’est pas étranger à notre interrogation que Kant y ait vu l’une des deux formes ou, si l’on préfère, des deux moules a priori de l’entendement, avant toute raison et toute expérience, l’autre étant le temps mais au XVIIIe siècle déjà le temps des logiciens et des physiciens était spatialisé. La relativité générale n’a fait que pousser à l’extrême cette assimilation, tant et si bien que l’espace-temps géométrique qui en résulte aurait ravi Zénon d’Elée. On n’a pas trouvé mieux que la ligne d’univers pour nier le mouvement à partir de lui-même. Encore dans les années 70 le mathématicien René Thom pensait qu’il n’y avait de science que si l’on pouvait géométriser les données et les traiter au moins dans un espace de Hilbert, un espace abstrait, métaphorique.
Mais un espace de Hilbert représente toujours une simplification du réel pour répondre à une question, pas plus. Et plus cet outil se révèle fécond, plus il faut se souvenir que la carte n’est pas le territoire, surtout si les données que l’on traite concernent les êtres vivants et leurs interactions.

J’en reviens aux cormorans, aux pêcheurs à la ligne des bords de Loire se lamentant de leur insolente colonisation qui les prive de friture dominicale, au silence assourdissant des écologistes et des théoriciens de l’Evolution. Au fond, c’était déjà bien vu par Claire Bretécher lorsqu’elle décrivait les efforts désespérés du Bolot occidental pour se faire choyer par les amis des bêtes : un écolo bon teint ne s’intéresse qu’aux espèces réputées en voie de disparition. Tout ce qui survit, s’adapte, se reproduit à l’aise, piaille et ne peut servir à culpabiliser l’homme, même si c’est la plus grande majorité des espèces animales et végétales, leur est indifférent. Ils n’aiment pas l’homme, leur propre espèce. Cela, nous l’avions déjà remarqué[1]. Mais contrairement à ce qu’ils laissent croire, à de rares exceptions près, ils n’aiment pas la nature, ils l’instrumentent pour détruire l’humanité et ses civilisations. Je parle évidemment des écologistes militants organisés en partis politiques, associations ou lobbies à visée globalisante comme WWF, Greenpeace, Les Verts ou les adeptes de la décroissance soutenable, liste non exhaustive. Dans toute leur littérature, je n’ai jamais vu d’appel à s’émerveiller devant la vie, sa beauté, sa complexité, sa faculté à relever les défis[2].
On ne saurait pourtant les assimiler aux sectateurs du dieu des stases qui recherchent un salut dans l’immobilité et l’uniformité. Il s’agit plutôt avec cet écologisme malthusien d’une idéologie du temps, d’un temps non spatialisé, qui accepte pleinement le changement et la diversité, de l’inversion d’un culte de l’Evolution. Mais autant il est facile de cerner une métaphysique ou une théologie de l’espace, autant sa contrepartie temporelle semble fuyante. Le temps à nourri la pensée mythique, de Cronos dévorant ses enfants aux symboles animaux étudiés par Gilbert Durand[3] comme le lion ou le cheval auxquels il faudrait adjoindre aujourd’hui le train, cheval de fer. Je ne connais que deux philosophies du changement et donc du temps remontant aux débuts de l’interrogation métaphysique, l’une en symbiose avec la science chinoise, le taoïsme, l’autre issue de l’école de Milet avec Héraclite et peut-être influencée par la Chine, puisque les hommes, les marchandises et les idées n’ont cessé de circuler sur la grande route transeurasienne depuis le néolithique. Le réveil d’une métaphysique du temps ne s’est fait qu’à la transition du XVIIIe et du XIXe siècle avec Hegel. Encore cherchait-il une résolution du temps dans la synthèse comme l’avaient fait ses devanciers avec l’eschatologie augustinienne. Marx absolutisera cette résolution potentielle et ramènera la philosophie du temps, donc de l’histoire, vers l’idéal de la stase structurelle ; Teilhard de Chardin n’échappe pas à cette tentation lorsqu’il évoque le point Oméga et l’unification de l’humanité dans la noosphère.
En dehors de Hegel qui n’y est d’ailleurs pas parvenu, personne n’a tenté de diviniser le temps. Qu’on ne m’objecte pas Cronos : il appartient à la sphère mythique, c’est un esprit de la brousse comme dirait Michel Boccara, un daïmon comme les autres[4]. Ce n’est pas le Dieu d’une théologie. Les métaphysiques du temps sont des cosmogonies qui ne cherchent pas à transcender l’univers ni à en décrire l’unique substrat mais à en comprendre le devenir, à suivre le méandre des fils dans la tapisserie, à dégager des principes de métamorphose. Hegel soumet la conscience de Dieu au devenir, ce qui revient à introduire temporalité et changement dans le Sphairos mais il ne peut diviniser le temps lui-même. Cette contiguïté à l’expérience vécue, au cosmos et à sa diversité rend plus difficile la réduction à quelques principes comme l’ont fait les métaphysiques de l’espace, plus difficile aussi la sacralisation puisqu’il n’y a pas rupture avec l’existentiel. Il est toutefois possible de dégager quelques points.
Le plus important me semble la notion d’opposition, de bipolarité. Le yin et le yang chinois qui ne sont pas des attributs fixes des choses mais des modes relatifs de transformation dans un univers essentiellement métastable[5] en donnent l’exemple type mais c’est aussi chez Héraclite qui considère que « le Conflit est le père des dieux[6] » et repris par Hegel sous les espèces dialectiques de la thèse et de l’antithèse. En incise : cette dualité n’est autre que la condition minimale d’un dynamisme. Autant la sacralisation de l’espace vide débouche sur une approche géométrique et c’était explicite chez Platon, « que nul n’entre ici s’il n’est géomètre », sur la notion de continu, autant celle du temps s’exprime par le nombre, le discontinu, l’algèbre, l’algorithme et la musique[7]. En incise encore : l’interaction électromagnétique qui permet la construction des atomes, des molécules, toute la chimie et donc l’apparition de la vie fonctionne effectivement sur ce mode dual.
L’une des conséquences de cet appui sur la dualité sera la tentation de valoriser l’un ou l’autre des pôles de l’expérience du temps, la mémoire du passé ou l’espérance du futur. Or cette valorisation s’est toujours faite à partir d’une saisie métaphorique de la vie humaine (ou animale) en trois ou quatre grandes étapes, parfois cinq comme en Chine et en Amérique précolombienne[8], de la naissance à la mort. C’est la réponse d’Œdipe au Sphinx : l’homme, à quatre pattes dans sa petite enfance, sur ses deux jambes d’adulte puis dans sa vieillesse avec la troisième patte d’une canne[9]. On pourrait même arguer que les cultures qui placent l’âge d’or à l’origine et voient la suite des temps comme un lent déclin s’appuient sur des sentiments de vieillards tandis que celles qui exaltent le futur comme le lieu d’un progrès indéfini ont quelque chose d’adolescent. Et peut-être, mais ce n’est là qu’une hypothèse, s’agit-il de cultures plus belliqueuses où l’on meurt plus souvent sur le champ de bataille ou dans des accidents de chasse que de vieillesse. Mais lorsque l’on place l’âge d’or à l’origine, il n’y a que deux manières de le retrouver : soit on régénère cycliquement l’univers par le rite[10], soit on efface tout et on recommence.
C’est exactement ce que voudraient les écologistes radicaux ou malthusiens : effacer l’homme pour les plus cohérents, effacer la révolution industrielle pour les plus modérés, avec toutes les nuances intermédiaires. Dans une telle perspective, chaque nouveauté technologique sera perçue comme une menace – non pas un appel à la responsabilité, à l’éthique, ni même à cette tarte à la crème qu’est le principe de précaution mais une menace par sa nouveauté même, en ce que le nouveau, en soi, éloigne des conditions de l’hier lointain.
Ecologistes radicaux et transhumanistes extropiens apparaissent ainsi comme les prêtres antagonistes d’un culte du temps dont les figures mythiques seraient, comme l’a fort bien vu Jean Bruno Renard, l’homme sauvage et l’extraterrestre[11]. Il est d’ailleurs significatif que l’inversion du mythe de l’extraterrestre dans les années 1980 coïncide avec l’abandon d’une certaine valorisation du futur, la prise de conscience que l’innovation ne forge jamais la charrue sans l’épée et que tout progrès fait également progresser les risques. Les Etats-Unis où cette inversion fut le plus sensible étaient indéniablement la culture de pointe quant à la technologie, celle qui avait su envoyer des hommes marcher sur la Lune ; or c’est aussi là que surgit une nouvelle peste ranimant la peur des pandémies, le SIDA qui a peut-être tué les grands frères de l’espace aussi sûrement qu’il a décimé les gays de New York en rappelant de manière tragique que le futur ne pouvait être exempt de maux. Dans le même temps, et tout cela se renforce mutuellement, les vétérans du Vietnam révélaient quelques horreurs, les effets du napalm que l’on avait oubliés dans les feux d’Hiroshima[12] et ceux de l’agent orange, défoliant et incapacitant[13]. Et des citoyens de la grande nation porteuse du porteuse du progrès et phare de l’humanité selon ses pères fondateurs se faisaient retenir en otages par une poignée d’ayatollahs passéistes sans que les forces spéciales surentraînées parviennent à les exfiltrer. L’inconscient collectif en a tiré les leçons et E.T., l’être du futur, après être passé par le stade gentiment écologique de jardinier égaré par les siens[14] finit en Petit Gris hostile, tyrannique et souterrain, démoniaque pour tout dire. Pourtant, l’inversion n’a pas été totale. L’homme sauvage, Bigfoot, Wendigo ou Sasquatch[15], reste très marginal dans les représentations collectives. On a vu plutôt dans l’imaginaire qui se présente ouvertement comme tel (romans, films, séries TV) une revalorisation d’un univers magique et d’un moyen-âge fantasmatique[16]. Elle aboutit à réveiller le culte archaïque de la Grande Déesse, mais le phénomène est plus marginal que ne le fut l’extraterrestre et, semble-t-il, ne donne pas lieu à des vécus mythiques.
Si la Déesse s’accorde à l’hypothèse Gaïa donc à l’imaginaire évolutionniste, elle ne représente pas une figure du passé mais de l’ensemble du temps puisqu’elle préside traditionnellement à tous les âges, naissance, maturité sexuelle et mariage, transmission de la vie et maternité, vieillesse et mort, à toutes les fonctions sociales et même à la technologie car Athéna est guerrière mais aussi navigatrice et tisserande.
Il me semble significatif que l’extraterrestre, figure du futur, reste le mythe de référence dans le monde anglo-saxon. Son inversion inaboutie a quelque chose de tragique puisqu’elle ne parvient pas à situer un âge d’or à l’origine des temps mais ne l’espère plus de lendemains qui chantent. Il ne reste qu’une sorte d’inéluctable eschatologie négative où l’homme, au travers d’un pacte démoniaque et secret de ses gouvernants, devient le vecteur suicidaire de la mort planétaire. Les attentats suicides que l’islam ne semble pourtant pas permettre si l’on s’en tient à ses textes fondateurs s’inscrivent dans cette même logique. Comme si l’humanité ou du moins une partie d’entre elle s’offrait une grosse dépression.

(à suivre)


[1] Voir dans mes articles précédents « Les prophètes de la grande muraille » 1 et 2, où j’analyse le malthusianisme ambiant.
[2] Sauf chez deux de leurs partisans marginaux, Nicolas Hulot et Hubert Reeves. Ce n’est pas un hasard si Hulot fait figure de trublion dans le jeu politique des Verts.
[3] Gilbert Durand, Les structures anthropologiques de l’imaginaire : introduction à l’archétypologie générale, Bordas, Paris, 1969.
[4] Je garde le terme grec de daïmon qui désigne un esprit de la nature pour le distinguer du démon ange déchu ou esprit du mal, tel qu’on le trouve dans diverses religions.
[5] On doit encore trouver sur le site de Florence Ghibellini mon étude de la logique du I Jing (Yi King) que j’avais épluché il y a une bonne quinzaine d’années pour en finir avec les interprétations new age de la science chinoise. Quand nous avions lancé l’association Ea-Anahita, du nom de déités suméro-babyloniennes de la connaissance, cette étude a fait partie des cours que nous proposions par correspondance. L’amie Flo l’avait ensuite mis sur son site, ce que je ne peux pas faire ici à cause des nombreux graphismes.
[6] Le conflit, pas la castagne.
[7] L’effort de Pythagore pour géométriser la musique par les rapports de longueur des cordes de la lyre est pathétique. Il aboutit à une gamme théorique qui sonne faux par rapport à la résonance naturelle et que les luthiers et les chantres professionnels ont toujours subrepticement corrigée, le plus souvent par les rapports de la gamme dite de Zarlin.
[8] Mais je connais trop mal la religion aztèque, je n’en sais à vrai dire que ce qu’en a dit Jacques Soustelle et je ne me hasarderai pas à commenter les cinq soleils. Il reste que nombre de coïncidences sur la façon de traiter le 4 et le 5 entre la Chine et les civilisations précolombiennes, coïncidences encore sensibles à travers les études de Michel Boccara sur les Mayas du Yucatan (coïncidences que lui-même n’avaient pas vues et que je lui ai fait remarquer) suggèrent soit une origine commune à l’époque historique, peu probable, soit des échanges commerciaux que je suppose maritimes, les jonques étant de fort bons navires à la fois hauturiers et de cabotage et les Chinois ayant une astronomie précise et l’usage de la pierre d’aimant.
[9] Le Sphinx, animal composite, fait partie des images du temps et de la diversité. Œdipe ne pouvait pas rater la réponse, surtout lorsque son interrogateur a menacé de le dévorer, ce qui dans le monde mythique l’assimilait à Cronos. Mais les auteurs tragiques qui introduisent le Sphinx dans cette histoire n’ignorent pas qu’une telle question et une telle réponse rejoignent la philosophie d’Héraclite et s’éloignent de la contemplation parménidienne de l’Etre. C’est la transgression majeure d’Œdipe, celle dont découlent toutes les autres, celle que Freud ne pouvait pas voir. Œdipe est l’homme du changement, le frère de Créon et de Prométhée, l’exact antagoniste d’Antigone et c’est pourquoi, sans le savoir, il tue son père, le passé qui l’a engendré dans une tradition, et il épouse sa mère, la femme éternelle capable d’enfanter à tous les âges. Freud n’a pas pensé à la ménopause. La série mythique de Thèbes est bien axée sur le temps puisque les frères antagonistes se combattent et que, par l’édit de Créon, leur opposition ne cesse pas avec leur mort. On retrouve cette opposition chez les filles, Antigone chantre de la tradition et Ismène chantre de la continuité et de l’enfantement. Notons que c’est la seule qui finalement survit. Après la mort du fils de Créon, c’est elle qui porte le futur de Thèbes et son espérance silencieuse. Elle, cette femme tranquille que tous les héros héroïques méprisent.
[10] Comme le décrit Mircea Eliade pratiquement dans tous ses ouvrages.
[11] Jean Bruno Renard, « L’homme sauvage et l’extraterrestre : deux figures de l’imaginaire évolutionniste », Diogène. Cet article fut écrit dans les années 1980 mais mon tiré à part est inaccessible aux profondeurs de ma bibliothèque et je ne me souviens pas exactement de la date de parution.
[12] Durant la seconde guerre mondiale, avant Hiroshima, les Américains avaient utilisé sur les villes japonaises le bombardement au napalm qui faisaient à peu près le même nombre de morts et de blessés que la bombe A, laissaient des séquelles aussi importantes sur les survivants mais prenaient plus de temps pour aboutir à ce résultat.
[13] Ce n’était pas la première fois que l’on détruisait des arbres pour repérer l’ennemi ; mais jusqu’alors, on ne l’avait jamais fait par épandage aérien.
[14] Merci Spielberg.
[15] Equivalents américains du Yéti.
[16] A partir de Tolkien et du succès de son Seigneur des Anneaux. Il est remarquable que l’heroic fantasy de type péplum décalquée de la mythologie grecque ait pratiquement disparu. Conan le Barbare n’a plus fait recette, le Souricier gris non plus. Seul Astérix prolonge en BD le duo de Monsieur Muscle et du Rusé Voleur, les deux facettes de la seconde fonction dumézilienne (un de ces jours, il faudra que j’explique pourquoi le rusé voleur n’est pas un archétype de la troisième fonction).

Tuesday, August 29, 2006

The times they are a-changing (1)

Il pleut et tout a reverdi dans les prés. Cette fin d’août a le goût de celles de mon enfance, ce qui me laisse pensive quant au changement climatique dont on nous rebat les oreilles. Hier, un vol de mouettes est passé au dessus de mon toit, à se croire au bord de mer ; quand j’avais sept ou huit ans et qu’elles commençaient de s’installer près de la Saône ou des étangs de Bresse, les braves gens y voyaient le signe d’hivers froids. En fait, les oiseaux de mer venaient coloniser les eaux douces, changement écologique d’importance qui n’ameute aucun chantre de la nature immobilisée en son état d’hier. Et pourtant, les cormorans qui se sont récemment appropriés la Loire vers Orléans en surexploitent le poisson bien plus que les pêcheurs à la ligne et font plus de massacre que toutes les pollutions imaginables. Adieu goujons, adieu brochets ! Sans parler des anguilles qui remontent encore dans le Fouzon. Désormais, les cris rauques et nostalgiques des grands voiliers l’emportent presque sur les chants mélodieux des oiseaux de forêts ou de haies. On avait déjà connu de tels exodes quand les hommes se sont mis à construire en dur voilà quelques millénaires, offrant sous le rebord des toits un rocher artificiel aux hôtes des falaises comme hirondelles et martinets, sans parler des pigeons, colombes et autres tourterelles, lesquelles préfèrent souvent pour guetter l’horizon les antennes de télévision aux branches hautes des chênes et des érables. Mais les cormorans ont tous les droits. Les écologistes ne crient que lorsque un arrêté préfectoral autorise en temps de canicule le rejet dans le fleuve des eaux chaudes du circuit de refroidissement des centrales nucléaires. Quelques degrés de plus dans le courant ! Et les poissons !? Si je voulais vraiment jouer les cyniques, j’ironiserais sur le casse-croûte perdu des oiseaux noirs car, au bout du compte, c’est bien de cela qu’il s’agit. Mais pas de souci. Quand ces braves bêtes commenceront de crever de faim pour avoir dépoissonné tout le bassin fluvial, par un cycle de régulation bien connu, c’est encore l’homme qu’on accusera et de préférence l’homme blanc puisque désormais le racisme imbécile se mêle à la fausse écologie comme si le taux de mélanine dans la peau garantissait le respect de la vie animale et végétale. Idéologie, quand tu nous tiens…
Que l’on ne s’y trompe pas. J’aime bien les cormorans. Ils font partie de ma mémoire ancestrale qui compte des gens de mer autant que des vignerons, des bâtisseurs ou des chefs de clan. Mais je dois avouer un certain racisme qui n’a rien à voir avec la couleur des yeux, des cheveux ou de la peau : j’ai du mal à supporter les imbéciles et les idéologues. Surtout les idéologues, qu’ils soient de droite, de gauche, du dessus ou du dessous, de devant ou de derrière car ils se ressemblent tous et tous tendent à affirmer que le réel n’a qu’à se plier à leur vision du monde. Fabricants de lits de Procuste et il y en a pour tous les goûts. Le premier dont on a gardé la mémoire était un Grec nommé Platon, premier théoricien de la cité parfaite et dont la statue devrait orner l’entrée de tous les goulags car il les a théorisés dans ses Lois avant d’échouer lamentablement en se frottant au réel comme consultant du tyran Denys[1].
Cet échec est celui de tous ses successeurs, de Dioclétien espérant l’homme solaire et finissant par jeter l’empire dans la pire guerre civile de son histoire[2] au stalinisme récemment moribond[3] en passant par la version impériale de l’Eglise romaine[4], le pangermanisme[5], sans oublier les derniers en date, de l’islam radical[6] au néo-conservatisme américain[7].

Comme le sort des cormorans n’occupe pas toutes mes pensées, je suis en train de lire avec quelque retard le dernier ouvrage de la Grande Cornemuse[8]. Je suis rarement d’accord avec les recommandations de Zbigniew Brzezinski car je ne vois pas pourquoi je favoriserais les intérêts américains mais, Dieu, que cet homme est intelligent ! Assez en tout cas pour ne pas recourir à la langue de bois et ne pas se gargariser de structures sociales préconçues. Un paragraphe de l’introduction me frappe : « L’histoire est le registre des changements. Elle nous rappelle que rien ne dure indéfiniment. Elle nous enseigne aussi que certaines données prévalent sur la longue durée et que leur disparition ne signifie pas le retour au statu quo ante. » Ce sont des phrases que j’aurais pu écrire, y compris la conclusion qu’il en tire, à savoir que la prépondérance américaine mondiale disparaîtra comme les empires qui l’ont précédé mais que cela ne ramènera pas le jeu des anciennes puissances, pas plus que la fin de Rome n’a signifié le retour aux cités et royaumes hellénistiques.
Voilà qui, par la bande, me rend aux cormorans et aux écologistes nostalgiques, entre autres, ou plutôt à une interrogation qui me taraude depuis fort longtemps et pour laquelle je n’ai pas de réponse : pourquoi, depuis en gros le VIIIe siècle avant notre ère et c’est surtout sensible aux Indes et en Grèce, les théoriciens de l’homme cherchent-ils à sortir de l’histoire ? Pourquoi cette nostalgie d’une stase indéfiniment prolongée, d’une société figée sans devenir, cette valorisation de l’immuable ?
Notons que cette tendance, je l’ai déjà souvent évoqué, vaut d’abord pour les philosophes. Des Upanishad à Parménide, il n’est question que d’un substrat unique à la diversité du réel, substrat isotrope, immuable, incolore et sans saveur, sans contenu discernable, impersonnel, pure abstraction que l’on baptise âme (du monde) ou être et que l’on valorise aux dépens de l’observable[9]. Il faut avouer que les plus grosses bêtises de la pensée humaine sont sorties de cette abstraction. En théologie, c’est la conception toute humaine de ce que Blaise Pascal nommait « le Dieu des philosophes et des savants » ; l’accent mis sur la nature divine et son identification à cet « être » simple, immuable, isotrope, etc. nous a valu d’abord le Souverain Bien de Platon et ce n’est sans doute pas un hasard si la métaphore de la caverne forme le cœur de sa République. C’est tout de même au nom de cette intuition philosophique du Bien suprême et suprêmement abstrait qu’il tient tant à rationaliser la société, à instituer un corps de gardiens, à interdire toute mythopoièse et toute indépendance de pensée, ne tolérant une certaine liberté qu’à la production économique et au commerce. Dans les débuts du christianisme, on va le retrouver dans les écoles gnostiques toutes plus ou moins néo-platoniciennes et nourries de dualisme zoroastrien. Mais la pensée de Zoroastre, contemporain des philosophes grecs et des rédacteurs des Upanishad, ne fait que résoudre l’opposition manifeste entre le monde tel qu’on le perçoit, tangible, diversifié, vivant, évolutif, dramatique et ce substrat abstrait par la présence temporaire d’un second pôle, sombre et mauvais, responsable du temps, du mouvement et de la matière. Son Dieu, Dieu des philosophes et des savants s’il en fût, Ahura Mazda, a pour le seconder six anges, six messagers dont le premier, Vahumano, se traduit par Bonne Pensée ! C’est exactement ce qu’on retrouve vaguement égyptianisé dans le Corpus Hermeticum et surtout chez Plotin.
La même conception parménidienne, plotinienne de la nature divine a nourri la pensée d’Arius et la primauté donnée à cette essence lui interdit de percevoir la trinité révélée des personnes[10]. On la retrouve chez Augustin où elle entraîne une cascade de difficultés dans son effort pour tenir à la fois le Dieu des philosophes et celui de la révélation chrétienne ; Thomas Ross Valentine[11] montre avec clarté rare comment Arius, plotinien, « identifie le Père avec l’Un[12], le Fils/Logos avec la Pensée et l’Esprit Saint avec l’Ame du Monde[13] » et comment Augustin « subordonne les personnes aux attributs et les attributs à l’essence » divine rigoureusement simple, isotrope, etc. jusqu’à devoir introduire une sorte d’usine à gaz logique pour justifier l’apparition des personnes en ce Dieu si abstrait, usine à gaz mieux connue historiquement sous le nom de filioque. C’est de l’arianisme mais qui accepte que le Fils et l’Esprit soient Dieu puisque l’Eglise le dit. Impossible toutefois de tenir à la fois la doctrine trinitaire de Nicée et le Dieu Sphairos sans introduire une hiérarchisation et une forme subreptice de temporalité causale.
Parmi les conséquences rarement explicitées de cette doctrine arienne et augustinienne qui soumet Dieu à sa propre essence et cette dernière à la logique humaine (ou comme disait le vieux Voltaire : « Dieu a créé l’homme à son image et celui-ci le lui a bien rendu. »), il faudrait relever la transformation de l’eschatologie. Les Evangiles, le credo de Nicée-Constantinople et l’Apocalypse parlent d’une fin et d’une recréation du monde, ce qu’on retrouve sous une autre forme dans un paganisme jamais passé à la philosophie, le mythe germano-scandinave du ragnarök, le destin des puissances, destruction violente de la Terre actuelle qui laisse place à la Terre Verte, toute neuve et toute belle[14]. Mais il ne s’agit pas d’une stase. Dans l’Apocalypse, la fin du monde de la chute introduit à une liturgie indéfiniment renouvelée. Dans le mythe nordique, la nouvelle Terre est celle de l’abondance végétale qui porte du fruit sans être cultivée. Dans les deux cas, ce qui s’ouvre est une histoire différente, une histoire d’où le mal et la souffrance sont exclus mais une histoire. L’eschatologie augustinienne (arienne, gnostique, plotinienne, etc.), si elle admet et même appelle la destruction de ce monde, ne peut concevoir la perfection que sur le mode simple, uniforme et immobile du Sphairos. Leur « paradis » pour lequel le corps est inutile d’où le remplacement progressif de l’espérance de la résurrection par le destin individuel post mortem consiste à contempler ad libitum l’essence divine et son immuabilité. Bref, c’est un monde parfait parce qu’il ne s’y passe rien[15].
Sécularisée, cette eschatologie de l’immobile rejoint la cité parfaite et rationnelle selon Platon. L’argument varie d’un totalitarisme ou d’une idéologie l’autre. Pour Marx, il s’agit d’abolir la division en classes sociales – variante assez proche de la doctrine védantiste pour qui l’Age d’Or originel et donc eschatologique, l’ère des Cygnes ou Hamsa, se caractérise par l’absence de castes, toute l’humanité étant également parfaite ; les castes naissent de la chute différentielle due à la dégradation des Ages suivants. Hésiode ne dit pas autre chose puisque combats et rivalités ne commencent qu’au troisième Age, celui de bronze[16]. Pour les néo-conservateurs américains, il s’agit de la primauté définitive de l’économie sur la politique accompagnée de la généralisation du mode de pensée américain sous la surveillance hégémonique des USA[17]. Ce faisant, ils renouent avec la vision « solaire » et totalitaire de l’empire qui fut celle d’Aurélien puis surtout de Dioclétien. In fine, c’est bien entendu la version platonicienne de la cité que l’on réveille ainsi. La variante européenne, celle de Jacques Delors et de la commission, consiste seulement à intercaler des sous-empires régionaux et réduire le corps des gardiens à un ensemble hiérarchisé de technocrates[18]. Une troisième variante me semble celle de certains libéraux à la française, particulièrement au Club de l’Horloge, qui misent tout sur l’économie mais sans vigilance impériale, prônant plutôt le dépérissement de l’Etat[19]. Ils hurleront mais tant pis : rappelons que c’était déjà un horizon de la doctrine marxiste, sinon de sa pratique. Il faut citer aussi celle de Mussolini qui, à l’inverse, parie tout sur l’Etat-nation, mais un Etat refondu sur le modèle platonicien revu à la manière des légions romaines[20]. Enumération non exhaustive car on voit surgir aujourd’hui d’autres variantes encore incomplètes ou marginales tant à gauche qu’à droite.
On retrouve ainsi ce modèle platonicien/augustinien de sortie de l’histoire dans un vaste éventail d’idéologies souvent contradictoires entre elles mais toutes aussi totalitaires les unes que les autres et toutes prônant une structure sociale et sociétale aussi parfaite qu’immuable. On peut même voir là leur point commun, la pierre de touche qui permet de les reconnaître. Comme la théologie qui leur sert de base insiste sur la nature – simple, abstraite et immuable – de Dieu, les utopies de la famille platonicienne voient le salut dans les structures confondues avec une sorte de nature intrinsèque du social.
En incise sur laquelle il me faudra revenir, deux idéologies totalitaires échappent en partie à ce modèle, le nazisme enfant du pangermanisme et l’écologisme radical (hypothèse Gaïa), une autre représente une sorte de mixte entre le modèle structural platonicien et le modèle biblique, d’ailleurs mal compris, l’islam radical. Ce sont toujours des utopies mortelles mais basées sur d’autres erreurs de perspective.
Si l’on peut ainsi repérer assez aisément les diverses variantes du modèle dont, il faut le dire et le redire, toutes les tentatives pour le concrétiser se sont achevées dans le sang et les larmes, je ne comprends toujours pas la fascination de cette théologie simpliste de l’immuable isotrope aux racines de notre culture. Notons d’ailleurs qu’il a fait autant de ravages en sciences, que le « miracle grec » a failli ne pas s’en relever, que l’horreur du mouvement chez les Eléates leur a fait rater le calcul intégral et, plus généralement, méconnaître l’algèbre dont ils ont stoppé le développement en Mésopotamie et en Egypte lors des conquêtes d’Alexandre[21], que l’horreur de la matière a tari chez eux l’invention technique si prisée des Celtes, que leur parti-pris de géométrisation de l’astronomie leur a fait négliger les calculs d’Aristarque de Samos établissant l’héliocentrisme… Faut-il continuer ?

(à suivre…)

[1] Je sais que, disant cela, je vais choquer les spiritualistes qui portent Platon aux nues. Pourtant, les deux dialogues majeurs que sont La République et Les Lois sont des exemples quasi indépassables de pensée totalitaire, une tentative de rationalisation c’est à dire de simplification forcée du système sociétal, avec formation du parti unique et d’un corps de « gardiens » à la fois idéologues et policiers, stratification en castes, goulag pour les récalcitrants et structures réputées parfaites donc à jamais figées. J’ai passé un an dans le cadre d’une formation pour adultes à décortiquer phrase par phrase La République pour démonter le mécanisme du raisonnement totalitaire ou idéologique, c’est la même chose. Après quoi, les responsables gauchisants de cette formation, n’ayant vu que le nom de Platon sur mon programme et réagissant selon l’idée préconçue que c’était forcément un auteur de droite, m’ont traitée de fasciste. L’humour (noir) de la chose ne m’a pas échappé…
[2] Je me demande toujours pourquoi les Perses n’en ont pas profité plus que ça et les Goths non plus. Sept prétendants à l’empire bataillant les uns contre les autres occupaient pourtant l’ensemble des légions.
[3] Je renvoie au Livre noir du communisme pour le décompte des victimes.
[4] Initiée par Hildebrand/Grégoire VII, elle a débouché sur une première série de guerres sous Innocent III au début du XIIIe siècle et, après son théoricien de choc, Boniface VIII, engendré la guerre civile à Rome même, d’où la papauté d’Avignon, le grand schisme et, in fine, la Réforme avec ses conflits sanglants, la révolution anglaise et, cerise sur le gâteau, la première boucherie pan-européenne que fut la guerre de trente ans. Ou comme le chantait Brecht dans Mère Courage : « Le printemps vient. Debout, chrétiens ! – La neige fond sur tous les morts – Et tout ce qui se traîne encore – Repart en guerre sur les grands chemins. »
[5] Qui fut à la racine de trois guerres européennes dont deux mondiales et dont la dernière resucée, par la reconnaissance hâtive de l’indépendance de la Slovénie et de la Croatie avant toute discussion sur les limites territoriales et le sort des peuples a déclenché la guerre civile en ricochets de l’ex-Yougoslavie ainsi que l’appel à une agence de pub pour élaborer la propagande ignoble qui diabolisa les Serbes.
[6] Et du terrorisme associé
[7] Conseiller de George Deubelyou, ce qui nous a valu en moins de 6 ans l’expédition d’Afghanistan, la guerre d’Irak, les révolutions de soie, de roses, de velours, d’orange et de papier mâché qui ne cessent de tenter d’ajuster les républiques issues de l’éclatement de l’URSS. Voir sur le numéro 110, mai 2006, de B.I. (Balkans Infos) les résultats sur la génétique humaine de l’uranium appauvri généreusement utilisé pour pilonner les pays de « l’axe du mal ».
[8] C’est Brzezinski que je surnomme ainsi ; il a un nom imprononçable et Zbigniew, c’biniou, c’est bien une cornemuse, ma brave dame. Quant à l’ouvrage susdit : Zbigniew Brzezinski, Le vrai choix : l’Amérique et le reste du monde, trad. Michel Bessières, Odile Jacob, Paris, 2004.
[9] Et qu’on ne me dise pas que le « vide quantique » donne raison à cette obsession philosophique. C’est certes un substrat universel mais dynamique, bourré d’énergie et en perpétuelle interaction avec les niveaux différenciés du réel. Rien à voir avec Parménide.
[10] D’où la définition de Dieu chez l’évêque arien Wulfila, évangélisateur des Goths : « sans commencement, sans fin, sempiternel, élevé, sublime, supérieur, auteur du plus haut, plus élevé que toute excellence, meilleur que toute bonté, sans borne, sans capacité, invisible, immense, immortel, incorruptible, incommunicable, de substance incorporelle, non composé, simple, sans changement, sans division, sans mouvement, sans manque, inaccessible, insécable, sans règne, incréé, non fait, parfait et issant de sa singularité […], plus impassible qu’impassible, plus incorruptible qu’incorruptible et plus immobile qu’immobile… » Ce morceau de bravoure du à la plume de son principal disciple, Auxence, nous apprend que Wulfila était pleinement arien, pas modéré pour deux ronds, malgré les affirmations des historiens cathos. En dehors de ce point d’histoire, quelqu’un voit-il une différence avec l’atman des Upanishad et le Sphairos de Parménide ? Texte entier sur http://ccat.sas.upenn.edu/jod/texts/auxentius.htm
[11] J’ai résumé et traduit en partie sur le forum orthodoxe, sur le fil Filioque : deux approches, le remarquable article de Thomas Ross Valentine sur le filioque dont une grande part est consacré à l’analyse de sa genèse dans l’œuvre d’Augustin. En anglais, texte complet sur http://www.geocities.com/trvalentine/orthodox/filioque.html Il faut noter que l’on trouve une expression du filioque chez les ariens, en particulier dans le texte d’Auxence cité à la note précédente.
[12] Nom de ce substrat chez Plotin.
[13] Plotin, sans le dire, s’appuie sur le zoroastrisme autant que sur les Upanishad tardives pour en quelque sorte triadiser l’Un par décalques successifs. On reconnaît Vahumano dans la Pensée/Logos et sa parèdre la Sagesse dans l’Ame du Monde. Retraduire ainsi les noms montre aussi la parenté avec les doctrines gnostiques bien que ces dernières décrivent un drame cosmique par éloignement du substrat divin. Mais il en va de même chez Augustin, à tout prendre.
[14] Voir Régis Boyer, L’Edda poétique, Fayard, Paris, réed. 1992, pp. 501-503.
[15] Et les enfants uniques qui ont connu l’ennui des dimanches d’hiver interminables dans les villes comprendront que le choix laissé entre la souffrance des tortures de l’enfer (ou du purgatoire) et un paradis où rien ne se passe puisse engendrer la terreur de la mort et de son analogon, le sommeil. J’ai du pour ma part réinventer à 8 ou 9 ans le rêve lucide pour m’autoriser à dormir en vivant des histoires.
[16] Hésiode, Les Travaux et les Jours, vers 106 à 202 de l’édition Jean Louis Backès (Folio Gallimard, Paris, 2001, pp. 101-107).
[17] Brzezinski, op. cit., le décrit magnifiquement comme une des données du problème sécuritaire des Etats-Unis.
[18] Merci, X Crise ! Une utopie de jeunes polytechniciens des années 30 est en train d’amener la récession d’une Europe voulue rationnelle et parfaite.
[19] Comme par ailleurs ils soutiennent des notions souverainistes et conçoivent les cultures comme des boîtes étanches plus ou moins hiérarchisées, leurs contradictions sont aussi patentes que celles d’Augustin et aboutissent aussi à de belles usines à gaz théoriques.
[20] Fascisme vient du symbole des faisceaux accompagnés de la hache, emblème des Licteurs dans l’ancienne Rome. Comme les Licteurs étaient, selon Pierre Lavedan (Dictionnaire illustré de la mythologie et des antiquités grecques et romaines, Hachette, Paris, 1931), des « appariteurs que les magistrats romains utilisaient pour faire exécuter leurs ordres » et, en particulier, formaient sur le passage des dits magistrats une garde d’honneur musclée et servaient de bourreaux lors des condamnations à la peine capitale, nous ne sommes pas loin des gardiens platoniciens.
[21] Le monde hellénistique se gave de compilations reprenant les travaux antérieurs de tous les peuples conquis mais n’offre aucune créativité scientifique et même, à bien des égards, régresse.

Monday, August 07, 2006

Vous avez dit paranormal ? (2)

Rappelons d’abord que nous parlons d’un colloque et de ses actes :
Paranormal entre mythes et réalités, sous la direction d’Eric Raulet et Emmanuel-Juste Duits, Dervy Livres, Paris, 2002.

Le parti-pris du CENCES, réunir des spécialistes d’un peu tous les domaines dans lesquels le psychisme, humain ou animal, intervient de manière difficilement explicable par les préjugés de notre temps, oblige au survol. L’autre parti-pris, privilégier les tables rondes plutôt que les interventions longues, réduit encore la possibilité d’approfondir. Cette restriction drastique du temps de parole a peut-être du bon, finalement. Elle élimine les redites et les bavardages. Forcés de présenter l’état de la recherche, chacun dans sa ou ses spécialités, en un temps ridiculement bref[1], les intervenants sont allés droit au but.
Pour moi, lectrice dont le regard devient transversal par rapport au découpage thématique de ces tables rondes, l’essentiel de ce colloque n’est pas tant son objet avoué, la dialectique du mythe et de la réalité dont l’abord reste assez naïf aux yeux d’une comparatiste mais la surrection de nouvelles thématiques de recherche. Le rôle du corps dans les signaux télépathiques ou prémonitoires n’avait pas été mis en lumière de manière aussi aiguë jusqu’ici ; on avait plutôt privilégié les états de conscience. La discussion, à la fin de la quatrième table ronde, sur la difficulté de faire admettre la parapsychologie comme discipline d’intérêt scientifique, a fait ressortir les contradictions de la vision du monde à la mode dans l’université. Mario Varvoglis déclare par exemple : « Les faits bruts de la parapsychologie ne rentrent pas facilement dans le système actuel, classique, newtonien[2]. » Eh, mais le système actuel n’est plus classique ni newtonien depuis 1904 et 1905, depuis qu’un Herr Professor nommé Planck a résolu le problème du corps noir en démontrant que l’énergie se transmettait de manière discontinue, par quanta, et qu’un employé du Bureau des Brevets en Suisse alémanique nommé Einstein a résolu le problème du changement de référentiel par la relativité. Il faudrait plutôt s’interroger sur l’obstination qui empêche biologistes et gens des sciences humaines d’accepter des modèles en cohérence avec la physique et cela depuis plus d’un siècle !
Dans cette même discussion, Yves Lignon note que, « à travers le débat autour de la réalité du fait parapsychologique, on retrouve le conflit qui est immensément ancien, sinon éternel, entre matérialisme et spiritualisme[3] ». Outre que j’ai fort envie de rappeler la boutade de Miguel de Unamuno, « comme nous ne savons pas plus ce qu’est la matière que ce qu’est l’esprit, le matérialisme est peut-être aussi bien un idéalisme et vice versa[4] », la question a été résolue dans les années 1920 en physique encore par l’école de Copenhague, en particulier Heisenberg et Niels Bohr, par la notion d’observable qui a l’avantage de ne pas trancher arbitrairement les questions métaphysiques. Lignon, commentant ce conflit, évoque les expériences « hors du cops » qu’il définit comme « une situation dans laquelle un être humain appréhende son environnement comme s’il était dans la position d’un observateur placé à une faible distance de son propre corps », ce qui lui suggère qu’en l’homme existe, « en plus de la mécanique purement biologique des os et de la chair » une « part immatérielle ». Il suffirait, sans déroger à la neutralité métaphysique de la recherche scientifique, de se souvenir que tant l’activité chimique que l’activité électromagnétique du cerveau, les deux étant d’ailleurs liées, impliquent des échanges d’électrons, c’est à dire de particules quantiques qui n’ont qu’une probabilité de présence à l’intérieur de la boîte crânienne. Et comme nous savons localiser statistiquement dans le cerveau des types d’activité psychique comme le calcul ou la reconnaissance de forme mais PAS la conscience, laquelle reste une grande inconnue et probablement avec son prolongement inconscient une émergence de l’ensemble du système, rien ne s’oppose théoriquement à ce qu’elle prenne en compte, dans certaines conditions qui restent à préciser, les probabilités de présence plus faibles et extérieures au crâne des électrons neuronaux. Je le crie dans le désert depuis trente ans, approuvée par plusieurs physiciens, et me heurtant à 1, l’incompréhension de ceux qui s’intéressent à ces questions sans avoir de notions de chimie physique ; 2, l’interdit explicite posé par les militants de l’Union Rationaliste sur toute utilisation de la physique quantique dans des élaborations théoriques biologiques ou psychologiques[5], interdit qui prouve bien qu’ils ont compris que c’est là que le bât blesse et que ce n’est ni la raison ni même le matérialisme qu’ils veulent sauver mais un simple modèle insulaire de l’homme. Et même un modèle sacrément vieillot !
La réponse de Michel Boccara lors de la cinquième table ronde, qui reprend autrement la boutade d’Unamuno, me plaît assez : « l’esprit et la matière sont deux états réversibles du réel[6] ». René Péoc’h, avec un humour des plus décapants remarque l’irrationalité de l’univers : « L’univers que nous étudions scientifiquement a une origine très irrationnelle[7] puisqu’il a été élaboré avec cinq éléments tous invisibles et immatériels : le temps, l’espace, les forces physiques, l’énergie et les lois physiques. » J’aime bien aussi le portrait des rationalistes par Didier van Cauwelaert qui, après avoir décrit leur refus quasiment panique de la parapsychologie, s’interroge sur son sens : « Pour éviter que l’inexplicable ne nous ramène à l’obscurantisme ? Curieux raisonnement qui revient à dire que tout ce qui nous dépasse nous diminue. » Il ajoute que nous vivons dans « un miracle constant », l’homéostasie : « la stabilisation des constantes physiologiques est toujours la même, (…) le rapport oxygène/hydrogène qui nous permet de respirer ne varie jamais, quels que soient les facteurs climatiques, les accidents volcaniques, chimiques ou nucléaires » et « s’il variait d’un point, la vie serait impossible sur terre » ; mais « qui est le gardien de cet équilibre ? La ‘nature’ ? L’évolution ? L’autorégulation de la planète ? Les bactéries qui ont inventé la photosynthèse ? J’aimerais bien que les rationalistes s’expriment sur ce point, mais c’est moins confortable évidemment que de se gausser des gens qui entendent des voix de l’au-delà sur leur magnétophone[8]. »

[1] Michel Boccara dut présenter en huit minutes la problématique du vécu mythique, celle du signal corporel prémonitoire chez les aborigènes australiens et du rêve prémonitoire dans le rapport ethnologique. J’ai beaucoup appris de cette intervention mais il faut avouer que c’est un record de concision !
[2] page 233.
[3] Page 240.
[4] Je cite de mémoire.
[5] Et répété plus d’une fois dans les colonnes de Science et Vie, jusqu’à la réussite des expériences d’Alain Aspect après quoi leurs dénis furent plus prudents dans la formulation.
[6] P.256.
[7] Le Big Bang, « transformation de l’énergie invisible », p. 260.
[8] P. 273.

Vous avez dit paranormal ?

C’est sans doute inhabituel, pour dire du bien d’un livre, de commencer par contester son titre mais le terme paranormal m’a toujours donné de l’urticaire. Un para normal, c’est celui qui s’entraîne à Chalon pour sauter à Saint-Yan, non ? et repart en braillant quelques considérations biographiques sur les exploits de son grand-père également para dans les armées de Napoléon[1]. A moins qu’il ne s’agisse de tout autre chose. Un parapluie protège de la pluie, un parasol, du soleil trop ardent, un paravent du voyeurisme comme le nom ne le dit pas. Est-ce que par hasard le paranormal nous protégerait de la normalité ou, si j’ose, du « normalisme » ? Voilà qui me réconcilierait avec le mot.
Le Petit Larousse de l’immédiat après guerre qui ne connaissait pas encore la normalité donne une double définition de normal : tout d’abord, du latin norma, règle, « ordinaire et régulier (exemple, être dans son état normal[2]) » ; en mathématique, perpendiculaire à un plan ou une surface. Quant à la norme, c’est « un principe servant de règle »[3]. Reste normatif : « se dit des sciences qui formulent des préceptes (morale, droit) ». J’adore le PL. Pour une étude sociologique, c’est une mine inépuisable d’idées reçues et d’abîmes de réflexion. Ainsi, il y eut une époque pour laquelle la morale et le droit furent des sciences, donc des savoirs, donc des certitudes. Et puisqu’on nous signale un antonyme, anormal, voyons sa définition : « contraire aux règles, irrégulier, anomal ». Ce dernier terme venant du grec ανωμαλος signifie « irrégulier, exceptionnel ». Quant à l’anomalie, c’est une « irrégularité, un défaut de logique ». Le tour n’est pas entièrement bouclé. Il reste à voir la règle et sa famille. Laissons tomber l’instrument qui sert à tirer des traits droits, encore que tout le reste soit son emploi métaphorique. On la définit donc comme principe, loi (ex. les règles de la politesse), discipline, ordre, exemple, modèle, « principes et méthodes qui servent à l’enseignement des arts et des sciences ; en bonne règle, suivant l’usage, la bienséance ; se mettre, être en règle, faire, avoir fait ce qu’il faut pour être dans l’état exigé par la loi, la bienséance, etc. ». Tout tient, évidemment, dans cet etc. Tout, c’est à dire tout le non-dit d’une société, toute la pression normative de ce que l’on pense aussi évident que les idées cartésiennes, dans une aimable confusion du scientifique, de l’habitude et du préjugé. Et qu’on ne croie pas que ce soit le fait du passé. Notre propre société, si fière de ses ruptures avec les anciennes intolérances, en regorge. Le contre-pied d’une norme n’est jamais rien d’autre qu’une norme inversée. Dans ces vieilles définitions, le plus effarant, ce sont d’une part les règles de la politesse considérées comme des lois ou des principes – on n’est pas plus ethnocentrique, comme le notait déjà Montaigne – et d’autre part l’anomalie comme défaut de logique. Comme le disait Nicolas von Waschenheim à la fin du moyen âge : « Tout ce qui n’est pas rationnel vient nécessairement du démon. »
Evidemment, la racine grecque n’est pas sur le même registre. L’image d’αν-ωμαλος est celle d’aspérités, d’une surface raboteuse qui amène à perdre l’équilibre d’où, au figuré, tant les inégalités sociales que l’inconstance. Avec le αν privatif et un dérivé du verbe ομαλίζω qui signifie égaliser, aplanir et, au figuré, adoucir, apaiser. De la perte d’égalité au défaut de logique, c’est une belle dérive sémantique ! Laquelle s’appuie sur une confusion entre anomalie et anomie, α-νομια, violation de la loi, illégalité, d’où iniquité, injustice et anarchie, désordre. Toujours le α privatif et un dérivé de νομη, partage, répartition, distribution mais aussi pâture et fourrage ! Et sous la forme νομος, la division devient administrative ; et ce qu’on a reçu en partage, c’est ce dont on a l’usage, d’où les usages, d’où l’opinion générale, la coutume qui, peu à peu, prend force de loi. Les Grecs, décidément, étaient bons sociologues.
Il faut toujours revenir aux racines profondes du langage, aux mémoires enfouies, inconscientes mais actives, qui plombent souvent jusqu’à la recherche scientifique, la philosophie et la théologie. Les lois non écrites qu’Antigone brandit à la face de Créon sont de ces coutumes établies par l’usage. Toute cette histoire de principes, de logique, de règle vient du partage des terres et des meules de foin dans la tribu pour le pâturage des bovins, moutons et chèvres. On comprend d’ailleurs qu’il y ait fallu une règle, un canon, un canûn ou roseau à mesurer… et qu’au bout du compte l’instrument et le résultat se confondent dans les têtes.
Donc le paranormal ?
Donc le terme paranormal reflète l’embarras des chercheurs confrontés non seulement à l’inhabituel – après tout la science n’avance pas avec ce qu’on connaît déjà – mais surtout à toute une mémoire normative, toute une coutume de modélisation de l’homme issue de l’anthropologie des Lumières et, par delà, de l’augustinisme. J’en ai déjà parlé quelque peu. L’ennui, c’est que παρα, comme toutes les prépositions grecques, cumule les traductions possibles : auprès, du côté de ; de la part de ; une idée d’origine comme lorsque l’on reçoit quelque chose des mains de quelqu’un, ou que quelque chose vient de, y compris l’opinion ; chez, dans, en ; une idée de destination, vers ; si l’on transpose de l’espace au temps[4], pendant, durant, tout au long de ; en comparaison de, l’idée de mettre côte à côte pour comparer ; l’idée de rester auprès de, donc de ne pas s’éloigner, d’où excepté, sauf ; au delà de ; contre ; en détournant. Alors, le paranormal est-il à côté de la norme, la dépasse-t-il pour ouvrir de nouveaux champs de recherche ou s’oppose-t-il, détourne-t-il de ce que le PL considérait comme règle et bienséance ? Tout dépend si l’on pense à l’anomie ou à l’anomalie. Παρα-νομος, c’est ce qui est contraire à la loi ou à la justice, inique, criminel, méchant, qui contredit les lois existantes ou les usages et introduit ainsi une incohérence. Si l’on croit que les lois scientifiques ont besoin de gendarmes, c’est exactement l’accusation de pseudo-science[5] généreusement lancée par ceux qui s’autoproclament gardiens de la rationalité. Si l’on construit un παρ-αν-ωμαλος, on va donc voir du côté d’une aspérité qui rend le réel moins lisse qu’il ne devrait. Et ça, c’est exactement la méthode scientifique, mais cela s’applique à tous les domaines. Par exemple, aux 2 milliards de degrés K de la Z machine, tant qu’on ne saura pas exactement d’où ils proviennent et pourtant, je mettrais ma main en gage qu’ils n’ont rien à voir avec les facultés inconnues ou inhabituelles de l’homme.
Donc paranormal est un mot valise, mal conçu, mal choisi, mais un formidable révélateur de préjugés.

Je lui préfère parapsychologie, puisque le psychisme humain ou animal est toujours partie prenante des phénomènes en question et que la psychologie classique, celle qui, selon la vacherie hélas assez juste de Rémy Chauvin, formerait avec la sociologie « des sciences très utiles, si elles existaient » ne les prend pas en compte. Nous sommes donc à la fois du côté de la véritable psychologie, d’une science du psychisme encore en gésine, et à côté de la psychologie en tant que discipline universitaire. Mais le meilleur terme est sans doute celui que proposa vers 1920 le prix Nobel de physiologie Charles Richet, métapsychique, qu’il définit moins heureusement comme la « science qui a pour objet l’étude des phénomènes mécaniques ou psychologiques dus à des forces qui semblent intelligentes ou à des puissances inconnues latentes dans l’intelligence humaine ». C’est moins heureux, disais-je, car l’intelligence n’est peut-être pas la faculté à prendre en compte et, d’autre part, cela fait belle lurette qu’on est passé à l’expérimentation animale. L’avantage, c’est que les souris, les lapins et les chats n’ont pas de croyances parasites. Gardons alors parapsychologie puisque les Américains lui ont donné ses lettres de noblesse et que, contrairement à la France où l’idéologie l’emporte sur l’expérimentation, la Parapsychological Association fait partie intégrante depuis 1969 de l’AAAS, l’American Association for the Advancement of Science, éditeur de la revue Science[6], organisme qui joue aux USA le rôle de référent scientifique[7] qu’a le CNRS chez nous. Il est vrai que la CIA a financé nombre de travaux, ce qui a pu aider à la fois à la rigueur de l’expérimentation et à l’acceptation de cette discipline par les universités ou les grands hôpitaux. Avec des laboratoires, des revues spécialisées, l’accès aux publications de médecine, de physique ou de psychologie expérimentale pour des études transdisciplinaires, il est évidemment plus simple de faire de la bonne recherche qu’avec des associations privées sans moyens et l’hostilité active de toute l’institution.
Dans les années 1970, on y croyait vraiment. Les associations sortaient comme des champignons, les revues aussi même si, simples photocopies le plus souvent, elles tenaient plus de fanzine que de la publication scientifique, au moins par leur apparence[8]. Les mêmes groupes s’intéressaient aussi bien à la télépathie, à la voyance, au PK, aux OVNI, aux apparitions, qu’elles soient mariales ou de lutins, aux recettes d’alchimie qu’à la perception du temps dans le paradoxe EPR. Il y avait même de timides tentatives pour pénétrer la forteresse. Yves Lignon, à Toulouse, avait obtenu quelques crédits, on présentait à l’Académie des Sciences le compte-rendu d’expériences avec Jean Pierre Girard, l’homme qui tordait le métal par la pensée et, surtout, l’analyse de ce métal tordu montrait l’existence de points chauds indubitablement physiques. Puis, en 1981, François Mitterrand est arrivé au pouvoir et, de manière assez étonnante, le rationalisme militant s’est engouffré sur ses pas ; c’était d’autant plus étonnant que le président lui-même faisait appel aux guérisseurs de tout poil, que Maurois s’intéressait aux OVNI, que Michel Rocard était le fils de celui qui avait démontré scientifiquement la nature électromagnétique du signal du sourcier et qu’un certain nombre d’autres chefs de file ou consultants du PS pratiquaient yoga, radiesthésie, astrologie et j’en passe. C’est pourtant dans cette ambiance que se produisit une réaction rationaliste de grande ampleur et souvent dans les groupes mêmes qui avaient promu la recherche auparavant. En quelques mois, tout était déconstruit ; on assistait à ce que Foucault nommait un changement d’épistémé et qui n’était peut-être qu’une cascade d’opinion. Les collections éditoriales et les revues dégringolèrent. Restèrent quelques irréductibles, pas même un village gaulois car trop dispersés à la fois géographiquement et par leurs centres d’intérêt. Pendant ce temps, aux USA, les chercheurs continuaient d’avancer.
C’était d’autant plus frappant pour moi que je revenais à Paris après deux ans passés dans la familia d’un monastère de Touraine où j’alternais joints de chaux sur des murs en pierre apparente et tapisserie de haute lice. J’avais quitté un réseau de chercheurs enthousiastes, où fusaient les idées, les projets, les modèles et les protocoles d’expériences à monter au plus vite – je retrouvais des ironistes moroses ou teigneux, des matheux convertis à la psychologie réductionniste à la mode Reuchlin, des chimistes qui n’avaient à la bouche que le mot psychosociologie ou, dans un autre registre, des chercheurs persuadés que leur thème de recherche ne pouvait pas s’aborder par la méthode scientifique.
C’était grave, docteur, oui. Tellement grave qu’on ne s’en est pas encore remis 25 ans plus tard et qu’il reste toujours quelques irréductibles, chacun dans son coin, alors que l’expérience prouve (et le succès des X Files aussi) que tout est là, vivant et prêt à resurgir sous la croûte.

Pourtant, quelques associations demeurent comme l’Institut Métapsychique International, toujours solide depuis 1919 ; ou le GERP, enfant des années 70. D’autres se sont créées, égrenées tout au long de ces années de plomb et la dernière née, le CENCES (Centre d’Etude National et de Communication sur des Enigmes Scientifiques[9]), animé par Eric Raulet et par Emmanuel-Juste Duits, a même réussi à réunir pour un symposium de deux jours les 18 et 19 novembre 2000 la plupart des irréductibles, ceux qui continuent une recherche réelle, scientifique, et qui obtiennent des résultats – même s’ils ne peuvent les publier qu’entre eux, ailleurs ou sur Internet ! Il y avait là, pour parler de « Mythes et paranormal : faut-il parler de mythes ? », par ordre alphabétique : Michel Boccara, ethnologue, chercheur au CNRS ; François Brune, prêtre et théologien catholique ; Didier van Cauwelaert, écrivain ; Evelyn Elsaesser-Valarino, directrice de la bibliothèque de droit de l’université de Genève, collaboratrice de Kenneth Ring ; François Favre, un des fondateurs du GERP ; Christine Hardy, docteur en sciences humaines, ethnologue, chercheur en sciences cognitives ; Yves Lignon, statisticien à l’université de Toulouse, directeur de publication de la Revue française de parapsychologie, fondateur du GEEPP-Laboratoire de Parapsychologie de Toulouse ; Jacques Louys, psychiatre ; Bertrand Meheust, docteur en sociologie ; René Péoc’h, qui pratique l’expérimentation animale avec le tychoscope ; Paul Louis Rabeyron, psychiatre des hôpitaux, enseignant à l’université catholique de Lyon et le seul à parler officiellement de parapsychologie dans ses cours ; Djohar Si Ahmed, docteur en psychologie, psychanalyste et chercheur, secrétaire générale de l’IMI ; Jean Staune, enseignant en philosophie des sciences à HEC, directeur de collection chez Fayard, secrétaire général de l’Université Interdisciplinaire de Paris ; Jacques Vallée, astrophysicien et informaticien, chef de projet du réseau Arpanet, vit aux USA ; Mario Varvoglis, président de l’IMI, docteur en psychologie expérimentale. Belle brochette. Si j’avais du la réunir, j’aurais peut-être ajouté deux ou trois noms, pas plus. Et si je ne fus pas de la fête, c’est seulement à cause de gros problèmes familiaux.
Tout le colloque fut enregistré et, deux ans plus tard, après transcription et révision des interventions, les actes paraissaient aux Editions Dervy sous le titre Paranormal entre mythes et réalités.
Puis le silence est retombé.
Le service de presse s’était perdu dans les limbes postales. De ce fait, je n’ai reçu mon exemplaire qu’il y a 15 jours. Mais, vu l’importance des échanges de ce symposium, ce n’est pas trop tard pour en rendre compte.

(à suivre)
[1] Vu le puritanisme ambiant, ne comptez pas sur moi pour les paroles les plus gauloises de ce chef d’œuvre de la chanson populaire. Il vous suffira de savoir que, la peur donnant des ailes, le pépé tombant avec le pépin en torche remonta. Bonne introduction au paranormal, non ?
[2] On appréciera « être dans son état », quel que soit l’adjectif.
[3] Essayons donc de tirer un trait droit avec un principe.
[4] Réflexe commun aux Grecs et aux physiciens.
[5] Accusation absurde. Ou c’est de la science ou ce n’en est pas. Puisque la science est une méthode et non un ensemble de vérités acquises, lesquelles sont toujours révisables, voir Karl Popper et la plupart des épistémologues, il ne peut pas y avoir de tiers inclus.
[6] Dont l’édition française est Pour la Science, la seule revue multidisciplinaire de haut niveau maintenant que La Recherche n’est plus qu’une revue de vulgarisation comme les autres.
[7] Mais pas de financier.
[8] Et souvent, hélas, par leur contenu.
[9] Gloups. Mais on a vu pire à la bonne époque…

Friday, August 04, 2006

Le rapport Clean Break (rupture nette)

Puisque plusieurs articles dont un au moins repris sur le site de Michel Collon ont mis en cause le rapport Clean Break de 1996 comme source d’inspiration stratégique de l’actuelle guerre d’Israël au Liban, il me semble important de disposer du texte exact de ce rapport. J’en ai donc fait la traduction afin que chacun puisse en juger.
Ce rapport émane d’un groupe de réflexion de l’Institute for Advanced Strategic and Political Studies, think tank néo-conservateur américain consacré aux problèmes du Moyen Orient : Israël, eau et pétrole. Intitulé Groupe d’étude sur une nouvelle stratégie israélienne à l’horizon 2000, présidé par Robert Loewenberg, il comprenait Richard Perle, James Colbert, Charles Fairbanks Jr., Douglas Feith, Jonathan Torop, David Wurmser et Meyrav Wurmser. Selon le chapeau de présentation de ce rapport sur le site de l’IASPS, il s’agit de « l’ossature d’une série de rapports stratégiques à venir[1] ». Notons d’abord, avant de traduire ou résumer et commenter l’essentiel de ce texte, les liens étroits de ce groupe de réflexion avec l’administration Bush.

Une rupture nette : une nouvelle stratégie pour la sécurité du royaume[2]

Istraël a un gros problème Le sionisme travailliste qui a dominé depuis 70 ans le mouvement sioniste a généré une économie en dents de scie, qui cale et repart. L’effort pour sauver les institutions socialistes d’Israël – y compris la recherche d’une souveraineté supranationale au dessus de la nation et d’un processus de paix qui comprend le slogan « un nouveau Moyen Orient » – sape la légitimité de cette nation et a conduit Israël à la paralysie stratégique et au « processus de paix » du précédent gouvernement. Ce processus de paix a obscurci l’évidence de l’érosion de la masse critique nationale – y compris le sens palpable de l’épuisement national – et fait perdre l’initiative stratégique. La perte de la masse critique est illustrée au mieux par les efforts d’Israël pour amener les Etats-Unis à vendre des politiques impopulaires à l’intérieur, pour accepter de négocier la souveraineté sur leur capitale, et pour prépondre par la résignation à une avalanche de terrorisme si intense et tragique qu’elle a empêché les Israéliens d’accomplir leurs actes quotidiens normaux comme prendre l’autobus pour aller au travail.
Le gouvernement de Benjamin Netanyahu est arrivé avec un nouveau paquet d’idées. Bien que certains conseillent la continuité, Israël a l’occasion de faire une rupture nette ; il peut forger un processus de paix et une stratégie basés sur une fondement intellectuel entièrement nouveau qui restaure l’initiative stratégique et donne à la nation l’espace pour engager toute l’énergie possible dans la reconstruction du sionisme, le point de départ d’une réforme économique nécessaire. Pour sécuriser ses rues et ses frontières dans un futur immédiat, Israël peut :
Travailler étroitement avec la Turquie et la Jordanie pour contenir, déstabiliser et faire disparaître comme un tapis qu’on roule certaines de ses plus dangereuses menaces. Cela implique une rupture nette avec le slogan de « paix étendue » pour un concept traditionnel de stratégie fondé sur l’équilibre des forces.
Changer la nature de ses relations avec les Palestiniens, y compris faire respecter le droit de poursuite armée pour sa légitime défense dans les zones palestiniennes et soutenir des alternatives à la prise exclusive d’Arafat sur la société palestinienne.
Forger de nouvelles bases pour les relations avec les Etats-Unis – en insistant sur la confiance en soi, la maturité, la coopération stratégique sur les zones d’intérêt mutuel, et en favorisant les valeurs inhérentes à l’occident. Cela ne peut se faire que si Israël accomplit un pas conséquent vers la fin de l’aide, un pas qui annonce une réforme économique.
Nous avons rédigé ce rapport avec des passages clés pour un discours possible, marqués TEXTE, qui mettent en lumière la rupture nette que le nouveau gouvernement a l’occasion de faire. Le corps de ce rapport est le commentaire expliquant le but et dessinant le contexte stratégique de ces passages.

J’interromps la traduction. Si ce rapport venait du Mossad ou d’un think tank conservateur israélien, on pourrait étudier son contenu et ses rapports avec la politique de Netanyahu, de Sharon ou de leurs successeurs comme un historien examine n’importe quel texte politique. Mais il est essentiel de se souvenir que le groupe d’étude responsable de sa rédaction est un groupe états-unien comprenant des membres du parti républicain dont certains avaient déjà eu quelques responsabilités dans l’administration de Bush père. Or ces gens qui ne sont ni citoyens ni consultants officiels de l’Etat d’Israël dictent pratiquement à Netanyahu le discours qu’il devrait tenir devant la Knesset ou la presse. Comment s’étonner après cela que le discours islamiste associe en permanence « les sionistes et les Américains » ?

Une nouvelle approche de la paix

Tout d’abord l’adoption d’une nouvelle et audacieuse perspective de paix et de sécurité est impérative pour le nouveau premier ministre. Tandis que l’ancien gouvernement et beaucoup à l’étranger insistent sur « terre contre paix » – ce qui a placé Israël en position de retrait culturel, économique, politique, diplomatique et militaire – le nouveau gouvernement peut promouvoir les valeurs et traditions occidentales. Une telle approche, qui sera mieux reçue aux Etats-Unis, comprend « paix pour paix », « paix par la force » et confiance dans l’équilibre des puissances.
On peut introduire une nouvelle stratégie pour amener cette initiative :

TEXTE. Nous avons depuis quatre ans recherché une paix fondée sur un Nouveau Moyen Orient. Nous en Israël ne pouvons jouer les innocents à l’étranger dans un monde qui n’est pas innocent. La paix dépend du caractère et du comportement de nos adversaires. Nous avons un dangereux voisinage avec des Etats fragiles et d’aigres rivalités. Montrer une ambivalence morale entre nos efforts pour construire un Etat juif et le désir de l’annihiler en travaillant à « une terre contre paix » ne va pas assurer « la paix maintenant ». Notre revendication d’une terre – pour laquelle nous nous sommes cramponnés à l’espoir depuis 2000 ans – est légitime et noble. Il n’est pas en notre propre pouvoir, quelles que soient nos concessions, de faire la paix unilatéralement. Seule l’acceptation inconditionnelle par les Arabes de nos droits, en particulier dans leur dimension territoriale, « paix pour paix », est une base solide pour l’avenir.

La recherche de paix par Israël émerge de et ne remplace pas la poursuite de ses idéaux. La soif du peuple juif pour les droits de l’homme – consumé dans son identité par un rêve vieux de 2000 ans, vivre libre sur sa propre terre – informe le concept de paix et reflète la continuité de valeurs entre les traditions juive et occidentale. Israël peut désormais entamer des négociations mais comme moyen, non comme fin, pour la poursuite de ses idéaux et la démonstration de sa fermeté nationale. Il peut défier des états policiers ; renforcer la conformité des accords ; et insister sur des normes minimales de responsabilité.

Sécuriser la frontière nord

La Syrie défie Israël sur le sol libanais. Une approche efficace et avec laquelle un Américain peut se sentir en sympathie serait qu’Israël prenne l’initiative stratégique le long de sa frontière nord en combattant le Hezbollah, la Syrie et l’Iran en tant que principaux agents d’agression au Liban, y compris :
*Frapper l’argent de la drogue de Syrie et l’infrastructure de contrefaçon au Liban, tout ce qui converge sur Razi Qanan.
*En parallèle du comportement syrien, établir comme précédent que le territoire syrien n’est pas immunisé contre les attaques venues du Liban par procuration des forces israéliennes
*Frapper des cibles militaires syriennes au Liban et, si cela se révèle insuffisant, frapper des cibles choisies en Syrie même.
Israël peut aussi saisir l’occasion de rappeler au monde la nature du régime syrien. La Syrie renie sa parole à répétition. Elle a violé de nombreux accords avec les Turcs et trahi les Etats-Unis en continuant d’occuper le Liban en violation des accords Taef de 1989. La Syrie a organisé de fausses élections, installé un régime fantoche et forcé le Liban à signer un « accord de fraternité » en 1991 qui a mis un terme à la souveraineté libanaise. Et la Syrie a commencé de coloniser le Liban avec des centaines de milliers de Syriens tandis qu’elle tuait des dizaines de milliers de ses propres citoyens et cela en seulement trois jours de Hama en 1983.
Sous la tutelle syrienne, le commerce syrien de la drogue pour lequel des officiers de l’armée syrienne reçoivent des pots de vin de protection fleurit. Le régime de Syrie soutient de manière opérationnelle et financière des groupes terroristes au Liban et sur son sol. La vallée de la Bekaa[3] au Liban, sous contrôle syrien, est devenue pour le terrorisme ce que Silicon Valley est devenue pour les ordinateurs. La vallée de la Bekaa est devenue l’une des principales sources de distribution si ce n’est de production de « supernote » – contrefaçon de produits américains si bien faite qu’impossible à détecter.

TEXTE. Les négociations avec des régimes répressifs comme la Syrie demandent un réalisme prudent. On ne peut présumer raisonnablement de la bonne foi de l’autre côté. Il est dangereux pour Israël de faire affaire naïvement avec un régime meurtrier de son propre peuple, ouvertement agressif envers ses voisins, criminellement impliqué avec des trafiquants internationaux de drogue et de contrefaçon et qui soutient les organisations terroristes les plus meurtrières.

Etant donné la nature du régime de Damas, il est à la fois naturel et moral qu’Israël abandonne le slogan de « paix étendue » et se mette à contenir la Syrie, porte attention à son programme d’armes de destruction massive et rejette l’échange « terre contre paix » sur les hauteurs du Golan.

Revenir à un traditionnel équilibre des puissances

TEXTE. Nous devons distinguer nettement et clairement les amis des ennemis. Nous devons nous assurer que nos amis au Moyen Orient ne doutent jamais de la solidité ou de la valeur de notre amitié.

Israël peut façonner son environnement stratégique en coopération avec la Turquie et la Jordanie, en affaiblissant, contenant et même en effaçant la Syrie de la carte[4]. Cet effort peut se concentrer sur Saddam Hussein, pour le sortir du pouvoir en Irak – un important objectif stratégique israélien dans son propre droit – comme un moyen de déjouer les ambitions régionales de la Syrie. La Jordanie a défié ces ambitions régionales syriennes récemment en suggérant la restauration des Hachémites en Irak. Cela a provoqué une rivalité Jordanie/Syrie à laquelle Assad a répondu en intensifiant ses efforts pour déstabiliser le royaume hachémite, y compris par des infiltrations. La syrie a récemment signalé qu’elle et l’Iran préféreraient un Saddam faible mais survivant même à demi si cela sape et humilie les efforts de la Jordanie pour le détrôner.
Mais la Syrie entre dans ce conflit avec une faiblesse potentielle : Damas est trop préoccupé par la nouvelle équation régionale menaçante pour permettre des distractions de son flanc libanais. Et Damas redoute que « l’axe naturel » avec Israël d’un côté, au centre l’Irak et la Turquie, et la Jordanie, dans ce centre presse et détache la Syrie de l’Arabie Saoudite. Pour la Syrie, ce serait le prélude à une révision de la carte du Moyen Orient qui menacerait son intégrité territoriale.
Depuis que l’avenir de l’Irak peut affecter profondément l’équilibre stratégique du moyen orient, on comprend qu’Israël a intérêt à soutenir les Hachémites dans leurs efforts pour redéfinir l’Irak, y compris par des mesures telles que se rendre en Jordanie pour une première visite officielle du nouveau gouvernement Netanyahu, même avant toute visite aux Etats-Unis ; soutenir le roi Hussein en lui fournissant des mesures de sécurité tangibles pour protéger son régime contre la subversion syrienne ; encourager – grâce à l’influence dans la communauté économique américaine – les investissements en Jordanie afin de faire sortir structurellement l’économie jordanienne de sa dépendance envers l’Irak ; et divertir l’attention de la Syrie en utilisant des éléments d’opposition libanaise pour déstabiliser le contrôle syrien sur le Liban.
Plus important, on comprend qu’Israël à intérêt à soutenir diplomatiquement, militairement et opérationnellement les actions de la Turquie et de la Jordanie contre la Syrie, comme sécuriser une alliance tribale avec les tribus arabes qui nomadisent en territoire syrien et sont hostiles à l’élite dirigeante de la Syrie.
Le roi Hussein peut avoir des idées pour Israël, pour mettre le problème libanais sous contrôle. La population chiite prédominante au sud Liban a été rattachée depuis des siècles au leadership chiite à Najf, à l’Irak plutôt qu’à l’Iran. Si les Hachémites contrôlaient l’Irak, ils pourraient utiliser leur influence sur Najf pour aider Israël à détourner le sud Liban chiite du Hezbollah, de l’Iran et de la Syrie. Les chiites ont des liens puissants avec les Hachémites : les chiites vénèrent surtout la famille du Prophète, et leur descendants directs – dans les veines duquel coule le sang du Prophète – c’est le roi Hussein.

J’interromps encore la traduction pour noter deux points clefs. Tout d’abord, le désir de redessiner la carte du Moyen Orient ne date pas d’hier et l’intervention en Irak rentre dans la logique de ce rapport. Ensuite, le plan conseillé ici n’est pas celui suivi par les USA en Irak ni par Israël aujourd’hui, quoi que dise Herwig Lerouge. Le groupe de réflexion n’avait pas conseillé la violence directe mais une politique tordue directement inspirée de la doctrine de containment que Kissinger et surtout Brzezinski avaient instaurée contre l’URSS.

Changer la nature des relations avec les Palestiniens

Israël a une chance de forger une nouvelle relation avec les Palestiniens. D’abord et avant tout, les efforts d’Israël pour sécuriser ses rues exige la poursuite dans les zones contrôlées par les Palestiniens, une pratique justifiable avec quoi les Américains peuvent sympathiser.
Un élément clef de la paix est le respect des accords déjà signés. Par conséquent, Israël a le droit d’insister sur ce respect, y compris fermer la Maison d’Orient et disperser les agents de Jibril Rujoub à Jérusalem. De plus, Israël et les Etats-Unis peuvent établir une Commission de Surveillance Conjointe du Respect [des accords] pour étudier périodiquement si le PLO satisfait aux normes minimales de respect, autorité et responsabilité, droits humains et de crédibilité judiciaire et fiduciaire.

TEXTE. Nous pensons que l’Autorité Palestinienne doit être tenue aux mêmes normes minimales de responsabilité que les autres bénéficiaires étrangers de l’aide états-unienne. Une paix solide ne saurait tolérer la répression et l’injustice. On ne saurait escompter qu’un régime qui ne peut pas remplir ses plus rudimentaires obligations vis à vis de son propre peuple s’acquitte de celles qu’il a envers ses voisins.

Israël n’est pas tenu par les accords d’Oslo si le PLO ne remplit pas ses obligations. Si le PLO ne peut se conformer à ces normes minimales, il ne saurait être ni un espoir pour le futur ni un interlocuteur adéquat pour le présent. Afin de préparer cela, Israël pourrait cultiver des alternatives au fondement du pouvoir d’Arafat. La Jordanie a des idées là dessus.
Pour insister sur le fait qu’Israël estime problématique les actions du PLO mais non le peuple arabe, Israël devrait réfléchir à un effort spécial pour récompenser ses amis et faire avancer les droits humains parmi les Arabes. Beaucoup d’Arabes désirent travailler avec Israël ; les identifier et les aider est important. Israël s’apercevrait que plusieurs de ses voisins, comme la Jordanie, ont des problèmes avec Arafat et coopéreraient volontiers. Israël pourrait aussi mieux intégrer ses propres Arabes.

Si le destin politique personnel d’Arafat semble scellé dans ce rapport, notons que, dans cette section non plus, les membres du groupe d’étude ne poussent pas à la guerre ouverte. Poursuivre et arrêter des terroristes est une chose ; Jenine ou Gaza, une autre, assez différente. Le plan des néo-conservateurs américains est vieux comme la politique : en un mot, diviser pour régner. Utiliser la Jordanie et la Turquie membre de l’OTAN contre la Syrie, l’Iran et l’Irak, jouer des loyautés tribales contre les Etats à la manière de Lawrence d’Arabie, cela n’a pas grand chose à voir avec les chars de Tsahal et la construction du mur.

Forger de nouvelles relations avec les Etats-Unis

Dans les dernières années, Israël a invité les USA à intervenir activement dans sa politique intérieure et extérieure pour deux raisons : triompher de son opposition intérieure aux concessions « terre contre paix » que l’opinion publique israélienne n’arrivait pas à digérer et piéger les Arabes – par l’argent, le pardon des péchés passés et l’accès aux armes américaines – pour qu’ils négocient. Cette stratégie qui exigeait de bourrer d’argent américain des régimes répressifs et agressifs était risquée, chère, très coûteuse à la fois pour Israël et pour les USA et plaçait les Etats-Unis dans des rôles qu’ils ne devaient ni ne voulaient tenir.
Israël peut faire une rupture nette avec le passé et établir une nouvelle vision du partenariat avec les Etats-Unis, fondée sur la confiance en soi, la maturité et la mutualité – et pas étroitement concentrée sur les disputes territoriales. Une nouvelle stratégie d’Israël – fondée sur une philosophie partagée de la paix au travers de la force – reflèterait la continuité avec les valeurs occidentales en insistant sur le fait qu’Israël est confiant en lui-même, n’a pas besoin de troupes américaines pour sa défense, y compris les hauteurs du Golan et peut gérer ses propres affaires. Une telle confiance en soi donnerait à Israël une plus grande liberté d’action et ôterait un important levier de pression utilisé contre lui dans le passé.
Pour renforcer ce point, le Premier Ministre pourrait utiliser sa prochaine visite pour annoncer qu’Israël est désormais assez mûr pour se libérer immédiatement au moins de l’aide économique américaine et des garanties de prêt qui empêchent une réforme économique. (L’aide militaire est une question séparée pour l’instant jusqu’à ce que des arrangements adéquats puissent être pris pour s’assurer qu’Israël n’aura pas de problèmes d’approvisionnement de ses moyens de défense). Comme nous l’avons souligné dans un autre rapport, Israël ne peut prendre confiance en lui qu’en libéralisant son économie d’un seul coup plutôt que par étapes, en réduisant les impôts, en changeant la législation d’une zone de libre développement et en privatisant les terres et entreprises publiques – mouvement qui va électriser et trouver un soutien chez un large spectre bipartisan de meneurs pro-israéliens du Congrès, y compris l’Orateur de la Chambre des Représentants, Newt Gingrich.
Israël pourrait dans ces conditions mieux coopérer avec les USA pour contrer les réelles menaces pour la région et la sécurité de l’Occident. Monsieur Natanyahu pourrait mettre en lumière son désir de coopérer plus étroitement avec les Etats-Unis sur la défense anti-missile afin d’éloigner la menace de chantage que même une armée faible et distante peut poser à cet Etat. Une telle coopération sur la défense anti-missile pourrait non seulement contrer une menace contre la survie d’Israël tangible, physique, mais élargir la base de soutien parmi les membres du Congrès qui ne connaissent pas grand chose à Israël mais se soucient beaucoup de défense anti-missile. Un tel soutien élargi pourrait aider l’effort entrepris pour déplacer l’ambassade américaine en Israël vers Jérusalem.
Pour anticiper les réactions états-uniennes et aplanir les chemins pour gérer et réduire ces réactions, le Premier Ministre Netanyahu pourrait formuler ces politiques et insister sur les thèmes qu’il préfère dans un langage familier aux Américains en puisant dans les thèmes des administrations américaines durant la guerre froide ceux qui s’appliquent à Israël. Si Israël veut vérifier certaines propositions qui entraînent une réaction américaine bénigne, le meilleur moment pour le faire est avant novembre 1996[5].

Conclusions : transcender le conflit israélo-arabe

TEXTE. Israël ne veut pas seulement contenir ses ennemis ; il veut les transcender.

Des intellectuels arabes notables ont écrit de manière extensive sur leur perception de l’embourbement d’Israël et la perte de son identité nationale. Cette perception a invité à l’attaque, empêché Israël de réussir une véritable paix et offert un espoir à ceux qui veulent détruire Israël. La stratégie précédente conduisait le Moyen Orient vers une nouvelle guerre israélo-arabe. Le nouveau ordre du jour israélien pourrait signaler une rupture nette par l’abandon d’une politique qui a présumé l’épuisement et permis un retrait stratégique, en rétablissant le principe de préemption plutôt que les seules représailles et en cessant d’absorber le sang de la nation sans riposte.
Le nouvel ordre du jour stratégique d’Israël pourrait modeler l’environnement régional de façon à garantir à Israël l’espace pour reconcentrer ses énergies là où elles sont le plus utiles : pour rajeunir son idée nationale, ce qui ne peut se faire qu’en remplaçant les fondements socialistes d’Israël par une position plus saine ; et pour surmonter son « épuisement » qui menace la survie de cette nation.
Enfin, Israël pourrait faire plus que gérer le conflit israélo-arabe par la guerre. Aucun tas d’armes, aucune victoire ne garantira à Israël la paix qu’il cherche. Quand Israël sera sur une position économique plus saine, libre, puissant et en bonne santé intérieure, il ne se contentera pas de gérer plus longtemps le conflit israélo-arabe ; il le transcendera. Comme le disait récemment un des principaux dirigeants de l’opposition irakienne : « Israël doit rajeunir et revitaliser son autorité intellectuelle et morale. C’est un élément important – le plus important s’il se trouve – de l’histoire du Moyen Orient. » Israël – fier, riche, solide et fort – deviendrait la base d’un Moyen Orient véritablement nouveau et paisible.

Note sur la traduction : j’ai gardé volontairement le style répétitif, inhabituel même en américain, qui a pour but évident d’éviter toute équivoque et donc toute utilisation de ce texte qui ne correspondrait pas à la pensée des auteurs.
On voit à cette lecture que le plan de Rumsfeld et de ses amis est aux antipodes des événements actuels. Ce qui signifie que ceux qui l’ont ressorti des oubliettes pour en faire une machiavélique annonce de guerre totale sioniste, l’allemand Rainer Rupp et son commentateur Herwig Lerouge faisaient œuvre de propagande et supposaient que personne n’irait vérifier car il est impossible de se méprendre sur ce texte qui est un appel à la libéralisation totale de l’économie ainsi qu’à une diplomatie qui divise pour régner. La seule phrase belliciste est le recours à des opérations préventives plutôt qu’à de simples représailles. Mais c’est pour affirmer immédiatement : « Aucun tas d’armes, aucune victoire ne garantira à Israël la paix qu’il cherche. » On n’est pas plus clair.
Je ne suis pas un des soutiens les plus fervents de l’administration Bush mais quand on veut me faire prendre des vessies pour des lanternes, quel que soit le camp soutenu, je refuse de suivre.
Et je continue de penser que la politique israélienne actuelle résulte plus d’un absurde complexe de Massada que d’un complot des néo-conservateurs américains. Si j’étais un suppôt de Washington, je hurlerais plutôt de frustration tant cette initiative israélienne assez largement impopulaire risque d’aliéner le soutien international recherché par l’administration Bush contre le régime syrien et contre l’Iran.

[1] « A Clean Break : A new strategy for securing the realm », www.iasps.org/pub.htm
[2] Le terme royaume (realm) étonne puisque l’Etat d’Israël est formellement une république. Il suggère une idéologie plus religieuse, davidique, que politique.
[3] Il s’agit des alentours de Baalbeck.
[4] Le rapport emploie le terme rolling back, image du tapis qu’on roule pour l’ôter de la pièce. L’expression est très forte même si elle semble banale sous leur plume.
[5] Date des élections.