Sunday, July 29, 2007

Forum du pays réel et de la courtoisie

Saluons la naissance de ce nouveau forum dont voici le bandeau d'accueil :

Oui, bienvenue aux visiteurs et aux membres de ce
forum.
Il se veut un
espace libre de courtoisie, d'esprit français, avec ce que cela comporte de
panache et
d'humour.
Nous sommes
unis par l'écoute de Radio Courtoisie, nous n'en sommes pas des
sectateurs.
Nous rendons hommage
aux bénévoles qui animent notre radio préférée et le blog qui en rassemble tant
d'informations importantes.

Souhaitons lui longue vie et surtout bonne fréquentation. N'oubliez pas celui de ce blog pour autant !

Saturday, July 21, 2007

Bannissements et devenir de l'homme

Je viens de me faire bannir d’un forum[1], un bannissement total qui ne permet même pas la lecture. La seule page qui s’affiche si je me connecte me répète inlassablement la sentence.
La violence, la puissance d’impact de ce bannissement pourtant sans surprise m’étonne. Je m’attendais à un deuil. Toute rupture d’un groupe entraîne un tel processus. L’expérience que je suis en train de vivre va bien au-delà. Pour intervenir dans une tribu virtuelle construite sur l’échange d’une parole écrite, la peine du ban garde toute sa force comme au temps des tribus et cités de la réalité « réelle ». Non, ce n’est pas un pléonasme. Cela signifie que la « réalité virtuelle » est une réalité à part entière dès lors que les relations qui s’y établissent entre les hommes sont perçues comme telles, lorsque des amitiés se nouent, des hiérarchies s’instaurent, qu’un groupe se structure et trouve sa propre dynamique.
Qu’est-ce qui rend si violente l’expérience du bannissement ? Sans doute son analogie profonde avec la mort. Les relations tissées avec le groupe, avec la parentèle qu’elle soit de sang ou d’esprit, se brisent dans le visible avec la même brutalité, la même immédiateté. L’aventure (bonne ou mauvaise, peu importe) se poursuit pour les autres mais le banni n’en saura rien[2]. Il ne fera plus partie de cet avenir. Il se heurte au mur du temps, selon la très belle et forte expression de Michel Jeury.
Il ne s’agit pas seulement d’abandonner et d’être abandonné, d’un vécu de rejet affectif réveillant les peurs de l’enfance. Comme la mort, le bannissement a quelque chose d’abrupt. Il dépouille et, d’une certaine manière, déstructure. Et là, nous touchons au mystère le plus profond de l’homme.
Homme, être social. Cette banalité recouvre beaucoup plus qu’elle n’exprime. Il existe des animaux sociaux comme les chevaux, les buffles, les loups ou les grands singes[3]. Même si leurs relations sont plus complexes qu’on ne le pensait il y a 15 ou 20 ans, la structure des sociétés animales semble ancrée dans l’instinct si ce n’est dans les gènes, immuable[4]. Si l’on trouve des traces chez l’homme de ce socle archaïque apparu chez l’animal, en particulier dans les hiérarchies spontanées[5], une des caractéristiques qui distingue l’humanité de l’ensemble des bêtes est la capacité de surmonter ces formes instinctives pour créer de nouvelles structures relationnelles. Toute la politique vient de là. La linguistique et l’ethnologie montrent à l’aube de l’homme la prédominance de la parenté biologique comme chez l’animal, avec tout son cortège de signaux de reconnaissance olfactifs, gestuels, mimétiques. Tout le travail d’acculturation accompli au cours des siècles a permis l’émergence d’autres modes de regroupement fondés non plus sur les sens mais sur les idées, les échanges, le verbe, le style dans le façonnage de la matière[6]. C’est en eux, de manière de plus en plus abstraite, que s’est réinstallée la reconnaissance identitaire et non plus dans les effluves de phéromones compatibles. Les derniers équivalents des échanges chimiques de l’animal furent des mots, des concepts, des idéologies, des modèles fondés sur des expériences de pensée[7]. Les forums d’Internet prennent aujourd’hui la suite des cités, des confréries, des clubs[8], des associations les plus diverses. Aimé Michel y aurait sans doute vu l’une des « extériorisations de fonction » qu’il percevait comme la suite du travail de l’évolution cosmique au sein de l’humanité, un travail qui, lentement mais sûrement nous extirpe de notre origine animale[9].
Au cours de ce travail libérateur croît la conscience d’être au pis une individualité, au mieux une personne. Les trois derniers siècles, en occident tout au moins, ont vu cette émergence paradoxale et conflictuelle, comme une crise d’adolescence à la mesure d’une civilisation. L’individu, avant que les intellectuels d’aujourd’hui ne cherchent à le déconstruire s’est posé en s’opposant à la société établie. Le paradoxe fut pascalien[10] : la quête d’individualisme du XVIIIe siècle ayant débouché sur les pires dictatures totalitaires de toute l’histoire – y compris le totalitarisme mou de la « pensée unique ».
Internet, morcelant ces sociétés « de masse » au profit de tribus non plus biologiques mais de parenté psychique[11], représente à cet égard une mutation beaucoup plus essentielle qu’on ne le croit, sans doute aussi importante que l’invention de l’écriture libérant la mémoire etamorçant l’histoire. Est-ce un fourvoiement spirituel comme le redoutent certains ? J’y verrais plutôt pour ma part un balbutiement, celui d’un mode de relations totalement dégagé de l’animalité, un mode que l’on ne peut plus appeler social. Mais ce mode n’est encore là qu’en germe à peine perceptible, bien qu’il ait été décrit et prophétisé par le Christ : l’interpénétration réciproque des personnes, autrement dit la communion des saints[12].
Jung a mis le doigt sur un autre aspect de ce germe : l’existence de l’inconscient collectif, un inconscient structuré qui rend compte aussi de l’individuation des groupes humains[13]. « L’homme est le chaînon tragique », m’écrivit Aimé Michel. La théologie chrétienne voit l’homme actuel, selon la parole de l’Apôtre[14], « mort en Adam » et appelé à « ressusciter en Christ ». On pourrait ajouter que si chacun de nous vit cette tension entre l’homme de la chute et celui de la Résurrection, l’inconscient collectif, l’égrégore de chaque groupe humain semble tendu entre société instinctive à la manière animale et communion des personnes libres. Les tribus psychiques des forums d’Internet ne permettent pas d’atteindre la seconde, sauf rares et d’autant plus précieuses exceptions. Elles ont bien souvent le défaut de tous les égrégores, une tendance à phagocyter leurs membres dans une modélisation close, plus ou moins inconsciemment totalitaire. Mais parce qu’elles permettent l’extériorisation de ce qui restait de l’instinct grégaire animal en l’homme, elles représentent une étape clef vers cette métamorphose lointaine.
Le bannissement d’une tribu biologique entraînait le plus souvent la mort de celui qui devait dès lors tout affronter seul : prédateurs, ennemis humains, faim et fièvre. Celui que la cité bannissait ne subissait qu’une mort sociale puisque, forcé de se fixer en terre étrangère, il perdait son statut de citoyen et devenait métèque, habitant de seconde zone en sorte, forcé à la passivité quant à la gestion de son lieu de vie. Le banni des forums, bien que sa mort soit purement verbale et virtuelle, anticipe certes en jeu de miroirs, en germe minuscule, mais anticipe cette mystérieuse catastrophe que le Christ désigne par le terme de « seconde mort » et qu’il ne faut pas confondre avec le néant puisque, dans les « ténèbres extérieures », « il y aura des pleurs et des grincements de dents » ce qui suppose déjà d’être et de posséder une certaine mémoire du corps.
[1] Ce bannissement suit ma propre décision de retrait pour des raisons que j’estime déontologiques. Il intervient à l’issue d’une crise interne dont le détail n’a pas sa place ici. Je n’ai pas de comptes à régler et je prie pour ne jamais entrer dans l’illusion d’en avoir.
[2] Ou n’en n’aura que des échos fragmentaires par la rumeur des steppes.
[3] Laissons de côté les insectes qui posent d’autres problèmes comme l’a montré Rémy Chauvin.
[4] Autant que quelque chose puisse l’être dans un monde en évolution – disons immuable jusqu’à la prochaine mutation génétique spécifiante.
[5] Le principe du chef, non pas idéologique mais vécu.
[6] C’est encore une banalité que de dire qu’une pagode chinoise diffère d’ un temple grec. Mais il n’est pas inutile alors de se souvenir que tous les nids d’hirondelle se ressemblent.
[7] La patrie, le führerprinzip, le communisme et la sortie de l’histoire, etc. Nous ne sommes sans doute qu’au début de ce processus d’abstraction des contenants de l’identité.
[8] Anglais ou sportifs…
[9] Pour en donner des exemples, la cuisine extériorise en grande partie la digestion, réduisant d’autant le besoin de sommeil ; l’écriture extériorise la mémoire, libérant ainsi la capacité créatrice, etc.
[10] « L’homme n’est ni ange ni bête et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête. »
[11] Comme l’avait pressenti Michel Maffesoli dès les années 1970.
[12] Relire les chapitres 16 et 17 de l’évangile selon saint Jean, le dernier enseignement du Christ à ses disciples quelques heures avant la déréliction de Gethsémani. Et que l’on me permette de redire ici la dette que j’ai envers Aimé Michel qui fut peut-être le plus grand penseur du XXe siècle – et le plus méconnu. C’est lui qui m’apprit à lire les prémices de l’eschatologie non seulement chez les mystiques (chez qui ils se voient comme le nez au milieu de la figure) et les saints mais aussi dans l’épaisseur de l’histoire.
[13] Il faudrait reprendre aux occultistes la notion d’égrégore pour décrire cette individuation collective (quel oxymore et pourtant quelle réalité !) d’un mot plutôt que d’une périphrase embrouillée ou d’un chapitre entier du manuel de psychologie sociale.
[14] Sans précision, c’est toujours de Paul que l’on parle.