Tuesday, December 27, 2011

Les prophètes de la grande muraille 3


On trouve sur la Toile à cette adresse une vidéo particulièrement alarmiste.


Le thème : en 2013 – date qui serait celle du maximum du poussif cycle solaire 24 mais aussi le lendemain du 21 décembre 2012, tiens donc – une éjection coronale massive entraîne une tempête magnétique sur Terre, telle que toute alimentation électrique cesse, entraînant la fin de l’eau du robinet, de l’essence à la pompe, par ricochet la famine et le cataclysme final qui engloutit la civilisation si ce n’est carrément l’humanité.

Ah, je les adore, les prophètes de la grande muraille, ceux qui se gargarisent du "on va droit dans le mur" !
On nous a déjà sorti depuis un siècle ce scénario catastrophe avec comme cause :
1. dans les années 70, la future glaciation qui avançait masquée et le retournement des pôles géographiques qu'elle entraînerait.
2. dans les années 80, le peak oil qui devait arriver avant l'an 2000
3. dans les années 90, le bug de l'an 2000
4. dans les années 2000, le terrorisme allié au réchauffement climatique, juste au moment où les températures stagnaient
5. dans les années 2010, après le flop de la pandémie, c'est la tempête magnétique ou le retournement des pôles magnétiques, juste au moment où le cycle solaire est très peu actif au point qu'on évoque le minimum de Maunder ou celui de Dalton
Ne parlons pas des terreurs occasionnelles, mensuelles en somme, comme les prévisionnistes qui nous annonçaient en octobre un hiver glacial et neigeux avec des congères de plusieurs mètres... sans oublier la grippe aviaire, H1N1 et quelques autres.
A moins de 2 millions de morts, pour ces prophètes là, le compte n'y serait pas. Et encore, je suis radine.

C'est évidemment de l'irrationnel pur. On habille de science les vieilles peurs de la fin du monde, bien plus anciennes que le christianisme, la peur des déluges d'eau et de feu venue de vieux traumatismes locaux dont l'archéologie a retrouvé les traces. Sur le présent, oui, il a du y avoir localement des centaines ou des milliers de morts, comme dans toutes les catastrophes. Importance pour l'avenir : sensiblement égale à zéro.

Un des corollaires de ces vieux traumatismes, c'est la culpabilisation. Si on est "puni", c'est qu'on a déplu aux Puissances qui gèrent le monde, qu'on a fait quelque chose de mal, mais quoi ? Forcément quelque chose de nouveau, que nos ancêtres n'avaient pas fait, sinon les Puissances se seraient fâchées avant. Aujourd'hui, ce "nouveau" serait la révolution industrielle et la technologie -- la vieille peur de la faute greffée sur la mauvaise traduction de la Genèse ou "l'arbre de la connaissance du bon et du mauvais" (jugements de valeur) est souvent résumé en "arbre de la connaissance" tout court, contresens à hurler.

J'aime bien vivre en "sauvage", j'adore camper, faire mon jardin quand je peux en avoir un, mais c'est par goût, pas parce que je redouterais la technique.
Elle m'a sauvé la peau, la technique. Je ne vais pas cracher dans la soupe.

PS. J'ai déjà publié ces lignes sur une liste de discussion semi privée, ceux qui le retrouveront ici me pardonneront ce doublon. Ici, c'est tout public.

Sunday, October 16, 2011

Humeur d’été



 En cette fin du mois d’août, tandis que les glands mûrs tombent des chênes avec un petit bruit métallique lorsqu’ils heurtent les tuiles, la façon dont va le monde me donne la nausée. Il a suffi d’une semaine sous la tente, loin des nouvelles et des rumeurs, loin des médias, loin des sondages et des élections à venir, des feuilletons obligés d’une actualité qui se n’est plus que ragots de cour et moralismes en tout genre, une seule petite semaine à m’emplir les yeux de la beauté des arbres, de la beauté des arts, à vider quelques verres avec de bons copains en discutant de l’essentiel, de l’écriture et de l’imaginaire. J’en suis sortie comme lavée des miasmes de ce temps et, revenant au quotidien, l’obscénité de ce qui se joue parmi les puissants de ce monde m’est apparue dans sa crudité.
Je ne comprenais rien à l’intervention en Libye, sinon qu’une fois de plus la machine à moudre de la propagande s’était remise en marche et qu’on nous jouait la guerre morale pour pouvoir la faire à outrance. Je ne comprenais plus rien à ce printemps arabe confisqué par l’islamisme, les militaires ou les anciens ministres, sinon que toutes les révolutions commencent dans la pureté d’une révolte pour finir confisquées par des émules d’Iznogoud puisqu’il s’agit toujours de devenir calife à la place du calife. Et je ne sais que trop qu’une révolution appartient, in fine, à ceux qui la financent, qui alimentent en armes, en argent et en autres impedimenta le camp qu’ils espèrent voir triompher. Certes, comme aurait dit ma belle-mère, « ils lancent la pierre et cachent la main » mais un peu d’entraînement permet de voir la trace de ce geste. Nihil novum sub sole !
Le pétrole, me disaient mes amis férus de géopolitique. On trouve toujours un contrat refusé, une concession trop vite attribuée à d’autres, qui servira d’explication. Pourtant Kadhafi n’était pas chiche de son or noir. Pourquoi diable fallait-il en urgence se séparer d’un dictateur – n’ayons pas peur des mots – que l’on supportait bon an mal an depuis un bon demi-siècle ? J’avais un temps pensé qu’il s’agissait d’un contre-feu pour désamorcer les événements de Tunisie mais cela n’a pas de sens.
Ce qui commence d’en prendre, du sens, c’est le paysage qui s’offre aux yeux d’un historien lorsqu’il se retourne sur les vingt ou les trente dernières années. Je ne suis pas la première à noter l’effarante continuité de la politique étrangère des USA depuis la fin du XIXe siècle, si l’on exclut les temps de repli ; cette continuité comporte depuis au moins 1947 et le début de la guerre froide le soutien systématique à l’islamisme. Pourquoi ?
On reconnaît un arbre à ses fruits, dit l’Evangile. Ceux de ce soutien sont simples : le sous-développement masqué par la richesse d’élites assises sur les puits de pétrole, tandis qu’au peuple n’est accessible au mieux qu’une formation technique sans remise en question idéologique. En d’autres termes, le soutien à ce qu’il y a dans ces pays de plus figé dans sa vision du monde et de plus agressif, c’est la certitude de pouvoir continuer à acheter le pétrole à relativement bas prix, de maintenir le dollar comme monnaie internationale et de n’avoir aucun rival dans le domaine de l’innovation scientifique et technologique. Et c’est pourquoi les subsides coulent vers les partis islamistes pour confisquer ce qu’il pouvait y avoir de démocratie réelle, c’est à dire directe et locale, dans les printemps arabes, pour s’assurer qu’ils resteront de simples vendeurs de pétrole ou de soleil et ne deviennent pas une force économique. Le tout au nom des « droits de l’homme ». Ce qui permet aussi, par ricochet, de s’assurer une supériorité « morale » et de maintenir chez les peuples occidentaux la peur du loup qui empêche de réfléchir. Nausée.
J’ai commencé ce mot d’humeur à la fin août, je le termine à la mi-octobre. Pour une part, c’était faute de temps ; pour une autre, je l’avoue, j’ai pris peur devant l’énormité de ce que je découvrais. Mais on ne peut pas vivre toujours dans la peur, surtout quand la nausée l’emporte.

Thursday, March 17, 2011

Un nouveau livre essentiel

Bertrand Méheust, Les miracles de l’esprit : Qu’est-ce que les voyants peuvent nous apprendre ?, Les empêcheurs de penser en rond, La Découverte, Paris, 2011.

Un nouveau livre de Bertrand Méheust est toujours un événement et celui-ci ne manque pas à la règle. En dépassant le problème de la preuve pour interroger les modes opératoires de la métagnomie, il nous offre une enquête passionnante, philosophique et psychologique, sur les plus grands voyants étudiés scientifiquement depuis deux siècles. Au fond, qu’est-ce que la voyance, quand on ne se crispe pas à justifier son existence face aux zététiciens de tout poil et quand admirer l’artiste ne suffit plus ? Bertrand Méheust répond : « un état limite de la mémoire ». Pour parvenir à cette formule qui a l’immense mérite de nous faire sortir de l’opposition entre normal et anormal[1] où l’on ne sait jamais si le premier terme désigne une médiété mathématique ou une règle sociale tacite, il lui fallait explorer non seulement les archives de la recherche métapsychique mais aussi les travaux des philosophes sur la mémoire la plus banale. Il revisite Proust au delà du littéraire, convoque Bergson et Gabriel Marcel et le lecteur découvrira sans doute comme moi les aventures de ce champion de l’introspection qu’est François Ellenberger dont, je l’avoue, j’ignorais jusqu’à l’existence. En remontant plus loin dans l’histoire, il interroge l’oracle grec et le mythe de Mnémosyne avant de revenir au laboratoire le plus moderne, celui des chercheurs américains financés dans leurs meilleures années par la CIA[2].

Mémoire, sœur obscure et que je vois de face – Autant que le permet une image qui passe, écrivait Supervielle. Au fil de l’ouvrage de Méheust, cette face se dégage de son obscurité constitutive et les ténèbres en lesquelles elle se drape s’illuminent. On chemine ainsi jusqu’au moment où surgit l’insidieuse question : si la voyance est un état limite de la mémoire, à quoi sert de les distinguer ? Toute mémoire ne serait-elle pas également voyance ? Il n’élude pas cette possibilité, tout en gardant une grande prudence méthodologique. Mnémosyne, dans le panthéon grec et particulièrement chez Homère connaît tout ce qui est, qui fut et qui sera, dépassant largement le simple (?) enregistrement de souvenirs individuels. Notons au passage, car la lecture suppose aussi les résonances que le texte induit chez le lecteur, que cette formule homérique qui unit passé, présent et futur en une seule conscience surplombante sera exactement reprise comme attribut divin dans la liturgie chrétienne. En d’autres termes, pour un Grec de l’empire, nourri de culture hellénistique, ayant forcément lu Homère et les grands tragiques, l’omniscience de Dieu est mémoire[3]. L’occident latin perdra hélas cette référence. Dans la liturgie grecque, reprise telle quelle par les Slaves, la glorification de la Trinité s’achève par maintenant et toujours et aux siècles des siècles. On part du présent et l’onde se répand sur le temps entier, toujours englobant à la fois le passé et le futur. Les clercs carolingiens rendirent la formule linéaire en explicitant le passé : comme il était au commencement, maintenant et toujours et aux siècles des siècles (sicut erat in principio et nunc et semper et in saecula saeculorum). Cela enfermera notre représentation du monde dans l’étroitesse du temps linéaire dont les chercheurs en sciences humaines ont du mal à se déprendre – et dont les physiciens ne se déprennent qu’à reculons. Mais le temps de Mnémosyne ne serait pas davantage cyclique et s’apparenterait plutôt à un éternel présent dans lequel s’inscrivent tous les événements de l’univers passant ainsi du fugace à l’éternel.

Y puiser est un autre problème. Méheust décrit très précisément la façon dont y parviennent les grands voyants – mais aussi le moindre cruciverbiste qui a un mot sur le bout de la langue sans parvenir à le trouver. Sœur obscure, Mnémosyne se dérobe et ne se livre qu’au bout d’un long et difficile voyage ponctué de carrefours où l’explorateur (le mnémonaute ?) a mille occasions de se perdre, de glisser soit vers l’imaginaire pur, soit vers des à-côté, des dérives vraies mais hors sujet.

Dans son recours aux Grecs, Méheust ne pouvait oblitérer Platon et sa théorie de la réminiscence. C’est la partie du livre où il s’adresse le plus directement aux tenants des sciences humaines, où il ferraille frontalement avec les préjugés philosophiques de notre temps. Il faudrait applaudir mais cela fait si longtemps que je reproche aux mêmes de s’accrocher avec l’énergie du désespoir à une vision du monde périmée depuis au moins 1904 si ce n’est depuis Maxwell que retrouver encore ces discussions d’arrière-garde me laisse le même sentiment d’inutilité que chercher sempiternellement à prouver l’existence du psi à des rationalistes qui la refusent de toute la force de leur croyance au dieu Hasard. Cela dit, c’est lui qui a raison. Si l’on veut montrer aux universitaires des sciences humaines toute la richesse drainée par la métagnomie, il faut bien partir de leurs préjugés pour les entraîner à faire un pas de plus. Heureusement, hors de France, cet enfermement dans la vision du monde de Laplace, Arago ou Berthelot commence à céder et d’aucuns à admettre que Planck, Louis de Broglie ou Feynman avaient aussi quelque chose à dire qui concerne l’homme[4]. Méheust cite un ouvrage collectif américain récent (2007) issu de l’Institut d’Esalen, qui bat en brèche « la conception matérialiste, causaliste, déterministe et localiste de la conscience qui domine la pensée actuelle ». Les auteurs reprennent la théorie de William James selon laquelle le cerveau ne représente pas un générateur de pensée mais un filtre et se collètent frontalement avec les neurosciences et l’hypothèse qui voit dans les souvenirs des traces atténuées de perceptions antérieures et se refusent à envisager une mémoire sans support matériel. De nombreux faits permettent de rejeter cette théorie des traces, des faits incontournables et concrets comme la régénération des fonctions cognitives après une lésion cérébrale. A ceux-ci, j’ajouterai que l’hypothèse du filtre fut reprise dans les années 80-90 par un physicien qui n’avait aucun rapport ni de près ni de loin avec les métapsychistes et qui la basait uniquement sur les équations relativistes, je veux parler de Régis Dutheil.

A partir de l’appui que lui fournissent les travaux de l’équipe d’Esalen, Méheust récuse la théorie physicaliste, cette vieille idée que le cerveau sécréterait la pensée comme la vésicule la bile, que tout prendrait naissance dans la matière au sens le plus compact et chimique de ce terme. Et il est vrai que, tributaires encore pour une large part de la mode du tout moléculaire que critiquait déjà Michel Jouvet, pourtant champion de l’expérimentation animale sur le sommeil et le rêve, nombre de chercheurs des neurosciences, tout en reconnaissant que le « parallélisme corps/esprit » (cache-pot du causalisme corps vers esprit) est un postulat improuvable s’accrochent à cet unique niveau, celui des échanges de neurotransmetteurs. Méheust reprend l’historique de la théorie du filtre et note l’apport des théoriciens des sciences psychiques comme Myers ou William James. Quant à l’équipe d’Esalen qui la revisite, c’est à la lumière de la physique la plus contemporaine et en admettant établie la réalité de la métagnomie. Sans rentrer dans le débat technique, Méheust note que ce filtre cérébral, cette membrane qui s’interpose entre le réel en soi et notre conscience locale n’est pas étanche et que ses frontières semblent mouvantes, fluides. Il ajoute qu’elle est, comme tout en nous, un produit de l’évolution mais peut-être aussi la condition de la montée vers la pensée. A cette théorie du filtre, Bertrand Méheust apporte une complexification. Le niveau physico-physiologique n’en forme pour lui qu’un niveau ; l’environnement culturel, historique voir psychologique démultiplierait les membranes, permettrait, interdirait ou régulerait l’émergence du psi.

Les enjeux sont immenses, rien de moins que notre nature et notre rapport au monde. Juste encore une remarque en passant, remarque de lectrice intéressée de longue date à la question des limites : accepter la métagnomie et ses conséquences donne une base solide à la psychogénéalogie aujourd’hui irréfutable quant aux faits mais impossible à comprendre dans les modèles anthropologiques hérités des Lumières.

Et surtout, surtout, cet ouvrage repose implicitement la question que même la physique, en le spatialisant, n’a fait que contourner : qu’est-ce que le temps ?



[1] Oublions le terme paranormal. Avec le mauvais esprit qui me caractérise, je soutiens que le para normal est celui qui se produit en chute libre sur le terrain de Saint-Yan lors du meeting annuel, sans oublier que, si le parapluie protège de la pluie, le paravent protège idéalement du vent, le paratonnerre de la foudre, on pourrait insinuer que le mérite du paranormal serait de nous protéger de la normalité normative !

[2] A ce propos, le programme Stargate a peut-être été abandonné mais au profit d’un autre qui le continue. En cherchant sur Internet, on s’aperçoit que la CIA recrute toujours des volontaires pour des expériences de voyance amusante, avec une annonce fort alléchante pour de jeunes gens. De quoi se rêver quelques heures en disciple du professeur Xavier… On ne voit pas à quoi leur servirait de financer un tel vivier si ce n’était pour y pêcher quelques gros poissons.

[3] Merci, Bertrand, de m’en avoir fait prendre conscience. Par ce rappel d’Homère, tu m’ouvres des horizons assez vertigineux et qui renvoient définitivement au dépotoir des idées fausses celle qui veut que le judéo-christianisme aurait substitué le temps linéaire au temps cyclique. Cela fait des années que je ferraille contre cette vision superficielle et finalement fausse, là tu me forges une épée de choix pour porter l’estocade.

[4] Volontairement, je ne cite pas Einstein, trop médiatisé et trop investi par les rationalistes là où sa théorie sert leur fermeture du monde.