-- J’y étais !
-- Où ça ?
-- Aux manifs, bien sûr !
Aux deux manifs.
Ce dialogue résume l’ambiguïté de
ces journées de lutte contre la loi sur le mariage homosexuel dit
frauduleusement « pour tous » et comment, au lieu d’unir toutes les
forces contre l’imbécillité monstrueuse du texte en préparation, elles furent
divisées en une manif également « pour tous » et une autre, censément
aux extrêmes. Bref, pour ne pas se tromper d’adversaire, il fallait aller aux
deux, même – et surtout – si l’on ne partageait pas toutes les idées des autres
manifestants. Et donc j’ajouterai une photo des deux. 200 000 participants
pour l’une, 20 000 pour l’autre, cela fait longtemps que le pavé de Paris
n’avait été battu avec une telle force.
Comme l’a fort bien montré Claude
Lévi-Strauss, les structures de la parenté ne sont pas des milliers dans les
sociétés humaines et toutes les variantes culturelles se ramènent à quelques
modèles simples qui sont le pont-aux-ânes des études d’ethnologie : filiation
patrilinéaire ou matrilinéaire (on hérite en ce cas de l’oncle maternel, comme
on le lit encore en filigrane des romans arthuriens et des canetons de Disney),
mariage matrilocal ou patrilocal fixant la demeure des jeunes époux, exogamie
donnant la préférence à la cousine croisée ou endogamie qui mène à épouser sa
cousine germaine du côté paternel. A cela s’ajoutent les interdits de proximité
qui étendent plus ou moins le refus de l’inceste. Au bout du compte, les mœurs
idéales de chaque peuple se résument en une formule mathématique courte et
parlante. J’ajouterai que, si plusieurs cultures ont donné une place honorable
à l’homosexualité, aucune n’a eu l’idée d’en faire la base d’une famille car c’est bien ce que signifie
ce projet de loi aussi sot que grenu.
Qu’y a-t-il derrière cette mode
pour ne pas dire cette rage qui saisit brusquement les élites politiques des
cultures dites « occidentales » de vouloir détruire le mariage comme
base sociale de la famille pour en faire la reconnaissance (?) de l’amour, un
« droitdlhomme » ou une revendication féministe, trois slogans
largement éprouvés ? Au fond, je ne vois que trois justifications
potentielles et indicibles, et les trois me font frémir tant elles représentent
une régression vers l’anomie sociale. La première est d’ordre malthusien et
soutient tout ce qui ferait baisser la fécondité humaine ; or il est
certain que l’encouragement à l’homosexualité réduit forcément la démographie
sans forcer à l’ascèse. En d’autres termes, le sexe stérile remplacerait le
rôle de régulation des populations qu’ont joué les monastères dans le
christianisme comme dans le bouddhisme. La deuxième est d’ordre économique
libéral : dans un monde entièrement régulé par le marché, l’homme devient
à la fois producteur, consommateur et… marchandise. Si l’on ne remet pas en
selle l’esclavage, si on lui préfère le salariat, c’est surtout pour se
débarrasser des devoirs qu’imposerait aux maîtres les extrémités improductives
du début et de la fin de vie. Mais tout ce qui peut rentrer dans le marché donc
bientôt la gestation pour autrui serait bon à prendre. La troisième, qui
confond l’égalité avec l’uniformité, c’est la peur de l’autre et le refuge
narcissique dans le même, tels qu’Alain de Benoist ne cesse de les dénoncer en
de fort pertinentes analyses.
Et qu’on ne nous oppose pas
qu’aujourd’hui la famille est souvent recomposée. Elle l’a toujours été, soit
dans des cultures qui admettaient la répudiation, soit plus cruellement par le
nombre de mères qui mouraient en couches. De nombreuses études ont montré que
le remariage des veufs a privé d’accès au mariage précoce des classes entières
de jeunes gens depuis le moyen âge jusqu’au XVIIIe siècle ; on en trouve
assez l’écho chez Molière. Rares étaient alors les enfants qui grandissaient
avec le même père et la même mère jusqu’à leur propre entrée dans l’âge adulte.
Et pourtant la famille a tenu, le
concept même des liens du sang, de la filiation, de l’héritage et du lignage
s’est maintenu. Avant de le détruire bêtement par la loi, il conviendrait de se
demander pourquoi.