Thursday, July 31, 2008

Le Christ, les fées et l’écosystème

Lorsque Pierre Saintyves ou Dontenville lançaient les grandes enquêtes sur le folklore ou la mythologie française, notaient que les saints avaient pris la succession des dieux dans les contes de veillée et les croyances populaires, Max Weber faisait après Nietzsche reproche aux chrétiens d’avoir désenchanté le monde. Le moins qu’on puisse dire, c’est que les deux affirmations se contredisent gaillardement. Les néo-païens résolvent la contradiction, quand ils la voient, en reprenant l’accusation de Weber tout en considérant que ce qui la bat en brèche serait du paganisme déguisé, selon la théorie des « survivances ». A vrai dire, cette théorie due à Pierre Saintyves si je ne m’abuse arrange tout le monde, à condition de ne jamais la regarder de trop près. Mais s’agit-il de « survivances », d’éléments d’un paganisme antérieur qui se seraient maintenus en se déguisant, ou d’une mythopoièse interne à l’univers chrétien ? Certes, la légende de saint Georges reprend presque à l’identique le mythe de Persée, mais c’est plutôt exceptionnel. Les autres saints sauroctones pourraient se rapprocher du mythe d’Apollon qui, à Delphes, s’empare de l’oracle en tuant le serpent Python, premier occupant de la grotte. Mais Apollon doit expier ce meurtre et s’en purifier, même si l’acte équivaut à faire passer le centre énergétique du monde de la magie chtonienne et ténébreuse à la lumière civilisatrice. Rien de tel chez les saints. Très rares sont ceux qui vont jusqu’à tuer la bête : le plus souvent, ils la font fuir ou la domptent et l’apprivoisent. Même l’icône de l’archange Michel le montre seulement fixant le dragon de sa lance sans le transpercer. Avec cet exemple dont le caractère mythique n’est pas niable, on voit les limites d’une hypothèse de « survivance ». A tout le moins, le matériau de l’imaginaire ancien se voit transformé en profondeur dans l’opération.

A rebours, il est des chrétiens prompts à voir le diable partout, jusque sous leur table de nuit ou les coins sombres de leur chambre d’enfant[1] et surtout dans les entités du mythe. J’en connais pour qui l’humanité a vécu dans une nuit ponctuée de cauchemars jusqu’à ce que le Christ s’incarne et, pour eux, le salut s’assimile à l’émergence de la rationalité. On n’est pas loin de la « mentalité pré-logique » que Lévy-Bruhl prêtait à tous les « primitifs ». En d’autres termes, le Christ serait lumière du monde au sens où l’entendaient les Lumières, celles du XVIIIe siècle, incarné sur mesure pour les bourgeois, les maîtres de forge et les lecteurs du Figaro, théoricien du libéralisme avant Hayek et du positivisme avant Auguste Comte. Qu’ils me pardonnent si je trouve cette liberté là un peu étroite aux emmanchures. Et ce n’est pas pour me précipiter vers la fausse libération tant à la mode qui ne remonte guère au dessus de la ceinture.

Je suis plus acerbe à leur égard qu’à celui des païens ? Vrai. On est toujours plus exigeant et plus dur avec les siens. Et c’est surtout que ce rationalisme, s’il reste seul en lice, ne me paraît pas vraiment chrétien. L’essentiel des Evangiles est récit de miracles qu’on ne peut pas toujours désarmer en les supposant symboliques ou simple condescendance à la rudesse un peu niaise des pêcheurs de Galilée. Ne protestez pas, messieurs ! Je n’invente rien, tout cela je l’ai lu et plus d’une fois comme le jugement de Luce Pietri sur la biographie de saint Martin par Sulpice Sévère : en guise de miracles, il s’agirait de « phénomènes naturels mal compris ». Lesquels ? Silence radio. La phrase est citée dans l’introduction d’une édition fort catholique destinée à la lecture populaire. Cette façon de se croire plus malin que ses ancêtres et de les prendre pour d’ignorantes andouilles quand on obtient un poste universitaire m’a toujours hérissé le poil. Et lorsque cessent les récits de miracle, lorsque le Christ enseigne, c’est au travers de « paraboles ». Oh la jolie langue de bois ecclésiastique pour glisser en douceur sur ce mode oriental de transmission de l’expérience spirituelle que l’on appelle simplement conte dans les autres traditions ! Mais oui, des contes ! Il était une fois un roi qui mariait son fils… Il était une fois un homme sorti de bon matin pour les semailles…

Donc il est une mythopoièse chrétienne initiée par le Christ lui-même avec un humour subtil et ceux qui ne sont pas capables d’éclater de rire en voyant les invités se défiler et la salle des noces remplie de tous les boiteux, les scrofuleux, les bancroches et les bayeurs aux corneilles, c’est qu’ils n’écoutent plus, qu’ils ronronnent – ou qu’ils n’ont jamais vu de noces paysannes.

Quelque chose ne va pas cette année. Nous sommes à la fin juillet et le ciel n’est strié d’aucun vol d’hirondelle[2] alors qu’elles étaient présentes l’an dernier. Elles me manquent. Pourquoi ne sont-elles pas venues jusqu’ici nous parler de l’été ?

Il ne s’agit pas vraiment d’une parenthèse. Les hirondelles et leurs cris ont rythmé mon enfance, ma grand-mère m’apprenait qu’elles ne nichent pas n’importe où, qu’elles apportent le bonheur sur les maisons qu’elles élisent – à moins que ce ne soit l’inverse, qu’elles fuient les ambiances lourdes du malheur ou de la méchanceté – et qu’il ne faut jamais détruire les nids. Folklore, jugeront les pisse-vinaigre avec un froncement de nez. Sans doute. L’hirondelle des villes chrétiennes était donc messagère de bénédiction, prophétesse d’un éternel été.

Survivance ? C’est en hirondelle que se métamorphose Isis dans le mythe tardif raconté par Plutarque, lorsqu’elle se met en quête du corps démembré d’Osiris. Ses cris sont les gémissements de la déesse veuve. Deuil et fécondité mêlés. Hirondelle encore, bien que je présume qu’il s’agisse plutôt d’une hirondelle de mer, Fand, épouse infidèle de Manannan mac Lir, initiatrice amoureuse de Cuchulain. Rien dans ces mythes tragiques ou tristes, dans ces histoires de fécondité mais surtout de séparation ne prépare l’hirondelle à devenir messagère de joie, donatrice de bonheur. Cela ne prend sens qu’avec le christianisme, lorsque se confondent dans la sensibilité collective le retour du printemps et l’annonce de la résurrection, mêlés de plus à l’annonce de l’incarnation divine elle-même fêtée le 25 mars, juste à l’équinoxe dans l’antiquité.

Après quoi, l’on nous dira que le judéochristianisme, cette intéressante chimère universitaire, n’a pour la nature que le mépris utilitariste du propriétaire. Mais cet utilitarisme sans frein n’a pas pris naissance au bord du lac de Tibériade, il est le fruit d’une rationalité portée au pinacle et que ne modère consciemment aucune sacralité, le sous-produit de l’idéologie du progrès et de la révolution industrielle, du positivisme et de la « table rase ». On ne trouve pas « bienheureux les scientistes » parmi les Béatitudes !

Je suis d’une génération qui avait encore des grands parents paysans. Claude Claire Kappler écrit parfois qu’elle est née au moyen âge. Moi aussi. Mais le sien était sombre, peuplé d’entités hostiles qu’il fallait conjurer par des rituels précaires, un moyen âge tardif d’après la grande peste, tandis que le mien, plus ensoleillé, devait remonter aux mérovingiens. On y présentait l’enfant de la maison aux abeilles afin qu’elle ne soit pas piquée, on y maintenait une foultitude de traditions en marge de la messe du dimanche, les couronnes de meringue accrochées aux branches de buis des Rameaux, la vraie bûche de Noël dans le poêle à bois qui remplaçait la cheminée, le vœu qui accompagnait les premiers fruits de l’année, les œufs de Pâques dissimulés dans le jardin et semés par les cloches qui revenaient de Rome. Il y avait bien quelques entités plus inquiétantes comme la Mère Angueule qui guettait les enfants au fond du puits – et que je guettais, moi, en me penchant assez dangereusement sur la margelle quand on ne me voyait pas. Il m’a fallu quelques années de comparatisme pour comprendre que cette Angueule était Anguille et l’un des avatars de Mélusine.

Survivance ? Aucun doute cette fois. Dans la mythologie celtique d’Irlande, l’anguille est une manifestation de Bodb, d’ordinaire corneille, dame[3] de la guerre. C’est une queue d’anguille plutôt que de couleuvre ou de carpe qu’arborent les sirènes bifides sur les chapiteaux romans, les fées de l’espèce de Mélusine, dames des fontaines et des creux de torrent si ce n’est des vagues comme la Morganhez bretonne. La Mère Angueule vient en droite ligne des traditions celtiques. Mais elle n’a pas été christianisée, pas même dans le mythe de fondation des Lusignan puisque l’une des versions nous montre la dragonne s’envoler par la fenêtre lorsqu’on veut la forcer à assister à la messe. Résistance à la christianisation ? J’en doute. J’y verrais plutôt le sentiment plus ou moins conscient qu’il ne faut pas confondre les registres. Dans les contes de veillée, si les fées sont mauvaises, car il y a de fichues garces parmi elles, un saint les chasse ; si elles sont bonnes, Dieu les bénit et les prend pour messagères. Mais comme chez les anges de Dante, il y a celles « qui ne furent ni pour Dieu ni pour le diable mais pour elles-mêmes ».

(à suivre)



[1] Le bonhomme dans le coin, fantasme nocturne des plus classiques et bien étudié, qui passe normalement à l’adolescence. Pas chez tous, apparemment.

[2] Oui, je sais, si la queue est longue, ce sont des martinets…

[3] Les termes dieux et déesses étant trompeurs, je leur préfère la véritable traduction, puissances, et sa sexualisation en seigneur et dame.

Wednesday, July 02, 2008

Païens et chrétiens 4

Derrière la question de l’histoire se profile celle de l’identité culturelle. Le deuxième reproche fait aux monothéismes serait de privilégier l’universel aux dépens de l’enracinement. Comme Huntington assimile le religieux à l’identitaire dans son Choc des civilisations[1], les néo-païens reprennent l’ancien concept des Dieux de la cité mais en excluant le christianisme des racines légitimes. Effacer près de 1700 ans de la mémoire des peuples[2] pour renouer avec une identité sur laquelle nous avons plus de spéculations que de certitudes a quelque chose de surréaliste quand on y pense.

Cette revendication de retour aux origines, à la pureté et à la grandeur, n’est pas neuve. C’est celle de l’Egypte saïte, des sécessions gauloises dans l’empire romain, de la Réforme par rapport à l’Eglise romaine et sa dernière occurrence, déjà néo-païenne, fut le nazisme. On la voit surgir et prendre de l’importance dans les périodes de décadence comme une sorte d’ultime sursaut mais qui précède le plus souvent une disparition, au moins temporaire. La « renaissance saïte » n’a pas empêché le déclin de l’Egypte mûre pour tomber dans l’escarcelle des conquérants perses puis grecs ; l’empire de Postumus fut le chant du cygne de la civilisation celtique en Gaule ; après la Réforme, si des Eglises demeurent en occident, il n’y a plus de chrétienté ; l’Allemagne enfin n’a survécu au nazisme que brisée et soumise.

1700 ans de christianisme dominant en Europe, en Arménie, en Ethiopie, un millénaire en Russie et dans les pays slaves n’ont pourtant pas effacé les différences culturelles, la personnalité propre des nations et des peuples. Allez donc confondre Hongrois et Tchèques ou même Piémontais et Calabrais et vous entendrez parler du pays ! Et que dire des Gallois et des Anglo-saxons ! S’il est une folie niveleuse des identités collectives, il est vain de la chercher dans le christianisme, même dans sa variante catholique et romaine qui ne prétend qu’à une forme d’empire ecclésial, la réunion de nations diverses sous un même chef. On rencontre plus aisément la confusion de l’universel et de l’uniforme dans les idéologies athées ou vaguement déistes, au premier chef dans le marxisme mais déjà chez les philosophes des Lumières. L’universalisme chrétien n’est pas uniformité mais polyphonie : c’est le sens de la Pentecôte où chacun entend les Apôtres parler dans sa propre langue[3].

L’ecclésiologie chrétienne se fonde sur une antinomie : l’Eglise est une, son universalité n’a jamais été remise en question ; en même temps elle est locale, appelée à baptiser toutes les nations, pas à les nier. Son unité s’exprime par la communion de collèges d’évêques locaux. La voie juste se tient à l’exact équilibre. Si l’on accorde trop de poids à l’unité, on tombe dans une ecclésiologie de type militaire où le patriarche devient le général en chef n’ayant que des subordonnés sous ses ordres au lieu d’être le premier entre les pairs. C’est l’une des erreurs de la réforme grégorienne en occident. Si l’on accorde trop de poids à la diversité, si l’on confond local avec ethnique, on tombe dans l’ethnophylétisme qui empoisonne et ligote l’Eglise orthodoxe ainsi qu’une partie des Eglises protestantes depuis plus d’un siècle. Paradoxalement, idolâtrer les nations empêche de les baptiser en profondeur et le christianisme devient un vernis cachant mal un Dieu de la cité ou de la tribu, un Teutatès ou un Jupiter capitolin, comme l’a bien vu Alain Sanders pour les USA[4].

Qu’est-ce alors que le baptême des nations ? Lorsqu’il m’est arrivé de traiter cette question[5], je l’ai fait sous l’angle de l’antinomie unité/diversité que je viens de rappeler mais je n’ai pas abordé l’aspect le plus théologique. L’ethnophylétisme et sa parèdre, l’unité pour l’unité, qu’elle prenne l’aspect d’une hiérarchie à la romaine ou, plus à la mode, de l’œcuménisme adogmatique sacrifient tous deux l’essentiel. La vérité, sans doute mais, comme disait le vieux Pilate, « qu’est-ce que la vérité ? » Non, elles oublient simplement que Dieu est personnel, tri-personnel même et qu’il ne s’agit pas d’un dogme à énoncer mais d’une relation vivante, d’une relation de feu qui transforme l’être en le confirmant dans son unicité. Dès qu’on passe dans les « ismes », qu’on oppose des concepts, des arguments, des structures, des idéologies, qu’on parle de Dieu et non plus avec Dieu, on fait barrage à la vie, au donateur de vie. Le baptême des nations, pour le dire très vite, c’est l’infusion de cette présence de vie, des énergies divines dans la mémoire collective profonde. Il commence peut-être avec le premier baptisé concret, avec Olga en Russie, avec Frumentios en Ethiopie, avec Nino en Géorgie, encore est-ce bien rare que l’on connaisse le nom de ce premier là, mais qui peut dire quand il s’achève ? Et qui peut dire ce que sera la floraison d’une nation libérée des vieilles entraves, des ornières d’éternel retour sans pour autant être déculturée ni avoir à se renier ?

Le troisième reproche, très différent des deux premiers, c’est celui d’avoir désenchanté le monde, fait fuir les fées et les dryades, posé sur la nature un regard de propriétaire utilitariste et jouisseur, oublié que l’homme n’est qu’un élément du grand tout sans plus de droits que le cèdre ou la fourmi. Lorsqu’on objecte que la fourmi ne s’occupe pas tant du bonheur des pucerons qu’elle domestique que de sa propre fourmilière ou que le lion n’a pas scrupule à dévorer la gazelle, les néo-païens soucieux d’écologie reconnaîtront à l’homme le droit à un égoïsme d’espèce à condition qu’il reste dans de saines limites comme celui de nos ancêtres, bridé par le sacré. Le sacré ? Le sentiment de communion avec la nature comme les chamanes ou les druides et n’oublions pas les druidesses d’Avallon.

Je vais trop vite. Deux mouvances néo-païennes bien distinctes font aux monothéismes et surtout au judéo-christianisme un procès d’écologistes contre des pollueurs désenchanteurs, deux mouvances qui dans le meilleur des cas s’ignorent et dans le pire se méprisent mutuellement. Ceux qui se réclament d’Alain de Benoist et qui se soucient de géopolitique et de mémoires anciennes ont avec lui découvert la finitude de la planète Terre et embrassé les arguments de la décroissance[6]. Les autres, plus nombreux dans les pays anglo-saxons et qui cultivent de nombreux liens avec le new age, seraient plutôt les adorateurs de la Grande Déesse, les adeptes d’un néo-chamanisme oscillant entre Gaïa, Wicca et Castaneda, ainsi que toute une frange de sympathisants de l’hindouisme, du bouddhisme et du taoïsme. Je parle bien de sympathisants car très peu dans cette mouvance vont au-delà de prendre refuge auprès d’un lama célèbre à Berkeley ou de suivre des cours de tai ji. Très peu savent même que ces religions ont des doctrines constituées et des textes de référence. Encore que ces deux mouvances ne soient jamais étanches l’une à l’autre, il est difficile de confondre l’argumentaire des disciples d’Evola et ceux des sorcières de la Wicca. Les deux s’unissent toutefois pour condamner la fin du Poème biblique de la création[7] qu’ils ne connaissent qu’en traduction anglaise ou française. Les versets incriminés, 1, 26 et 1, 28 sont généralement traduits par l’injonction faite à l’homme de « soumettre » ou de « dominer sur » « la terre, les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et toute bête qui se meut sur la terre ». Soumettre, dominer sur ? Mais pourquoi faudrait-il le comprendre comme une tyrannie utilitariste ?

Peut-être faut-il retrouver le mode de lecture qui fut celui tant des exégètes juifs que des pères de l’Eglise, à savoir éclairer un passage biblique par d’autres. Poissons, oiseaux, animaux terrestres. Dès la Parabole de la mort et de la vie[8], on voit ce qu’il faut entendre par la hiérarchie établie dans le Poème : le Seigneur Dieu amène à l’homme les bêtes de la terre et les oiseaux « pour voir comment il les nommerait ». Or dans la culture suméro-babylonienne d’où est issue la tradition juive, le nom et l’essence d’un être sont identiques. Nommer, c’est connaître et révéler l’essence, voire même la donner, et le texte précise qu’il s’agit de la qualité d’être vivant qui sera reconnue à tous ceux que l’homme a désignés. Mais, ajoute le texte, il ne trouve pas parmi eux « d’aide semblable à lui ». En nommant l’animal, l’homme se nomme aussi en creux, il reconnaît à la fois sa ressemblance en tant que vivant et sa différence. Quelle différence ? Il est le seul vivant capable de reconnaître sa femme comme son miroir et non comme sa femelle, d’avoir des relations qui dépassent les besoins de la reproduction de l’espèce. Il la nomme comme il a nommé les animaux passant devant lui, par un jeu de mots intraduisible : « isha car elle a été tirée de l’ish », littéralement « elle, car elle a été tirée de lui », mais isha peut se comprendre comme « être de ish ». Ma sœur, mon épouse, mon être extériorisée… Nous sommes loin, très loin, du mâle arrogant et dévastateur qu’ont perçu les néo-chamanes au travers de traductions lues superficiellement. Que ces mythes aient été compris, au cours des siècles, autrement qu’ils ne furent transmis, racontés puis écrits, nul ne songe à le nier. Mais les interprétations tardives ne sont pas la source. Si l’on accuse un texte d’avoir infléchi les mentalités, encore faut-il avoir une connaissance suffisante de ce texte, être capable de le lire en finesse.

Le paganisme antique était-il si respectueux de la nature et de la vie ? C’est souvent le cas dans les cultures de chasseurs cueilleurs avec ou sans l’apport d’une petite agriculture, d’un jardinage au bâton à fouir analogue à ce qui se faisait à l’épipaléolithique lors de la première sédentarisation. Mais les Grecs des cités n’aimaient pas la nature sauvage, ils la redoutaient, la peuplaient de monstres comme l’hydre de Lerne ou le sanglier d’Erymanthe. Le héros type de leurs mythes, c’est celui qui débarrasse les abords de la ville et les routes de tels monstres, des périls enfantés par la Terre. Tous les Argonautes, avant d’être guerriers, sont des chasseurs. Cette méfiance s’étend aux femmes qui herborisent, comme Médée, dans la montagne. L’espace sauvage est celui des dieux, Olympiens en goguette ou déités mineures des arbres et des sources, des daïmones, périlleux pour les mortels. La défense de la biodiversité les aurait peut-être choqués comme une régression dangereuse pour la civilisation !

(à suivre)



[1] Samuel Huntington, Le choc des civilisations, Odile Jacob, Paris, 2007 (1993)

[2] A partir du moment où Constantin accorde le droit de cité au Dieu de l’Eglise et proclame le christianisme « foi de l’empire », donc à partir du concile d’Arles de 314 et du concile de Nicée de 325.

[3] Actes 2

[4] Je l’ai entendu en parler durant une heure sur Radio Courtoisie et son analyse m’avait d’autant plus intéressée qu’il passe à raison pour le plus américanophile des journalistes de la droite radicale.

[5] Dans les plus anciennes archives de ce blog.

[6] Alain de Benoist, La décroissance : penser l’écologie jusqu’au bout, Krisis, 2007

[7] Genèse 1 et 2, 1-3. Le découpage classique est ici particulièrement stupide et je tâche de rétablir la réalité du texte originel, donc un ensemble de tablettes ou de papyri, par des titres. Je distingue ainsi dans le livre de la Genèse le Poème de la création, assez tardif, la Parabole de la mort et de la vie, le récit du Déluge, la Tour, les Chroniques des patriarches. Tout ce qui précède les chroniques des patriarches est constitué de récits mythiques à ne pas confondre avec l’histoire, mais d’une richesse spirituelle rarement égalée. Reste qu’il vaut mieux lire en hébreu, un hébreu qui souvent est du pur chaldéen dans les textes archaïques, qu’en traduction, la langue en étant très difficile.

[8] Genèse 2, 4 à 5, 32. Soit le mythe d’Eden et la chute, Caïn et Abel et la double généalogie.