Monday, December 25, 2006

The times they are a-changing (4)


La lecture d’un article de Guy Millière dans Les 4 Vérités m’incite à rouvrir une série d’articles close depuis le mois d’août. Tant pis si mes réflexions s’entrelacent comme une broderie d’Irlande.

Extraits significatifs :

L’un des problèmes majeurs de la société française, peut-être le problème majeur, est l’inaptitude de ceux censés constituer ses élites à comprendre le monde tel qu’il devient. Dans nombre d’autres pays du monde, et en particulier dans ceux qui parlent anglais, on comprend que la mondialisation accélérée dans laquelle nous sommes est un fait et que ce fait doit être expliqué par les intellectuels et pris en compte par les hommes politiques.

Qu’est-ce qu’un fait ? Sous la plume de Millière, le devenir collectif semble avoir le caractère inéluctable du fatum antique. Mais la mondialisation accélérée est le fruit d’une convergence de volontés, une réalisation humaine adossée à une vision de l’économie qu’ont toujours défendue les théoriciens américains. L’Angleterre ne s’y est ralliée qu’assez tardivement. Et j’aimerais quand même mettre un bémol : la mondialisation n’empêche pas la plupart des circuits d’échange de rester régionaux ni les Etats-Unis de se protéger par les barrières douanières qu’ils essaient d’interdire aux autres.

Y eut-il dans le passé des époques sans échanges mondiaux ? A l’âge du bronze, c'est-à-dire dès que nous pouvons suivre les circuits économiques, nous voyons l’ambre de la Baltique rejoindre la Méditerranée et même l’Egypte ou, par d’autres voies, la Chine. Ce qui deviendra la Route de la soie s’esquisse par des caravanes régulières entre Chine, Inde, Mésopotamie et, par bateau, les produits d’orient atteignent les îles florissantes de la mer Egée. L’étain vient d’Ecosse, le cuivre de Chypre ou du Zagros. Comme par ailleurs il semble que les échanges entre la Chine et la côte ouest de l’Amérique n’aient jamais cessé malgré le réchauffement climatique interdisant de passer en traîneau le détroit de Béring, on peut déjà parler de mondialisation de l’économie. C’est ainsi qu’un peu plus tard les pharaons d’Egypte consommèrent du tabac comme le suggère l’analyse de la momie de Ramsès II, si ma mémoire est bonne[1]. Ce qui s’accélère aujourd’hui, ce n’est pas la croissance de l’espace géographique des échanges mais celle de leur volume et la vitesse des transports, dus aux progrès technologiques. Mais le fait de base, le commerce à longue distance, n’a pas fondamentalement changé.

On m’objectera, je l’entends d’ici, que l’augmentation quantitative de ces échanges entraîne un changement qualitatif. C’est fort possible. C’est même sans doute vrai. Mais il s’agit de changements culturels, civilisationnels. En dehors d’une analyse marxiste ou d’une idéologie de type école des Annales, on ne peut pas faire de l’économie la cause unique de telles mutations.

Mutation. Millière utilise ce terme pour qualifier le présent et, surtout, le futur proche.

Déchiffrer cette mutation n’est pas simple et implique de se défaire de nombres d’anciennes façons de penser. Ce qui change est non seulement la façon de produire, de vendre, de créer, d’échanger, de communiquer, ce sont aussi les rapports au travail, à l’économie, à l’entreprise, à la culture, les relations des êtres humains entre eux, les définitions et le statut de la matière, du vivant, des technologies.

Sur ce point, nous sommes en accord – à ceci près que je ne cesse pas de me souvenir que tout cela, ce sont des réalisations humaines et non des forces transcendantes.

Il existe sur la planète les lieux où tout cela est acquis et où l’on pense déjà aux prochains horizons. Il existe les lieux où tout cela est en voie d’acquisition. Il existe des lieux d’hostilité radicale où tout cela est refusé, rejeté de manière absolue. Et puis il existe les lieux comme la France où prédominent surtout la peur, l’incompréhension, un mélange de refus de voir et de certitudes anciennes trop ancrées et qui font obstacle. J’entends donner des moyens de surmonter la peur et d’ouvrir les yeux. J’entends dire que le choix est simple : ou bien nous regarderons l’avenir en face, ou bien l’avenir nous oubliera comme s’oublient les civilisations mortes dans la stérilité.

Même si la France disparaissait de la manière qu’il le suggère, on ne pourrait pas parler de « civilisation morte dans la stérilité » car toute son œuvre passée, tout son patrimoine témoignerait au contraire d’une culture féconde. Et s’il est vrai qu’en dehors de quelques polytechniciens abandonnant la science pour le grenouillage mi politique mi commercial, personne ne se précipite vers l’avenir tel que le prônent certains économistes anglo-saxons, ce n’est pas forcément par un mélange de peur et d’aveuglement ni parce que « le monde vu de France est le monde selon José Bové ». Puisque Millière crédite la gauche et, parmi elle, surtout les altermondialistes du désir de « réintroduire du politique dans l’économie », ce parti pris lui cache quelques évidences.

Tout d’abord, il oublie que le malthusianisme sous-jacent à la plupart de l’altermondialisme est d’origine anglo-saxonne autant que les théories libre-échangistes, que ce sont les deux faces d’un même sou, le frein et l’accélérateur d’un même véhicule. La tradition française n’est pas malthusienne, ce qui d’ailleurs explique le faible impact électoral des Verts et l’absence presque totale dans notre paysage politique de contestation écologiste musclée, un brin terroriste, comme il en existe dans les pays anglo-saxons. Il oublie également que l’imaginaire politique traditionnel en France n’a jamais rompu avec la trifonctionnalité que Dumézil pensait indoeuropéenne mais dont l’expression la plus parfaite se trouve chez Raoul Glaber. La révolution française, aussi convulsive qu’elle ait été, n’a fait que déplacer les trois ordres sans les abolir, les universitaires puis aujourd’hui les médias prenant la place des prêtres et les politiciens celle des chefs, c'est-à-dire les deux visages de la première fonction[2] ; la seconde[3] restant incarnée par l’armée, la police et les pompiers ; la production industrielle et le commerce remplaçant les paysans dans la troisième. Et les métaphores guerrières utilisées dans le monde économique n’y changent rien, sauf à suggérer que les multinationales ou les grosses entreprises sont des tribus à part entière portant en elles les trois fonctions de manière transversale ou fractale.

Le problème de la France, de son imaginaire collectif, c’est surtout le vide de plus en plus sensible des deux premières fonctions : politiciens corrompus, intellectuels de la pensée unique, médias englués dans la propagande laquelle ne cesse de dévaloriser l’armée tout en applaudissant à certaines aventures lointaines, police muselée face aux mafias des cités. Des théoriciens qui proposent la libéralisation économique comme remède à tous les maux apparaîtront toujours à cet inconscient collectif comme des usurpateurs, comme la troisième fonction cherchant à s’approprier la « sur-fonction » régalienne.

Josick Croyal m’envoie le texte du commentaire qu’il va poster en réponse à ce texte de Millière. J’en reprends un extrait qui ne manque pas d’intérêt.

En l'état, la meilleure action consiste à contribuer un tant soit peu à priver de revenu l'Etat devenu parasite. C'est l'essence de l'esprit agricole, telle une politique de la terre brûlée, face à la pastoralisation du monde. Ainsi le premier agriculteur, premier résistant, qui castre le reproducteur du troupeau, neutralise son remplaçant en l'appareillant avec le premier. Ainsi, l'attelage de deux boeufs sous le joug retournant la sacro-sainte prairie. Ce sera toujours cela de moins pour l'Etat pastoral.

C’est bien la première fois que je vois comparer l’impôt à la razzia des éleveurs nomades sur les champs des agriculteurs. On pourrait tout de même objecter que les nomades qui prélèvent du butin ne donnent rien en échange alors que l’impôt permet d’entretenir les routes, les chemins de fer, les écoles, les hôpitaux, l’armée, la police, etc. Que certains pensent que les entrepreneurs privés s’en tireraient mieux, c’est leur droit le plus strict. Mais si nous en revenons aux structures profondes de l’imaginaire collectif, il nous faut constater que les services qui dépendent de l’Etat et donc des impôts sont les tâches traditionnellement imparties aux représentants de la première et de la deuxième fonctions. C’était au seigneur local d’entretenir les routes et d’assurer le maintien de l’ordre ainsi que la justice, aux clercs d’assurer l’éducation, le soin hospitalier et la solidarité, la cour royale servant de cour d’appel et d’instance de régulation.

Or la trifonctionnalité n’a pu s’instaurer que par une sorte de fusion des pasteurs nomades razzieurs, ancêtres des guerriers, et des agriculteurs, pères de la troisième fonction, sous l’égide de garants à la fois des serments humains et des serments réciproques des dieux et des hommes. C'est-à-dire lorsque le religieux se détache peu ou prou du magique, lorsque le chaman se transforme en sacrificateur qui offre à la fois les plus belles têtes du troupeau et les prémices des récoltes.

Chez Millière comme chez Croyal, il semble que la mutation actuelle tende à résorber définitivement la première et la seconde fonction, chaque individu devenant au moins idéalement prêtre, guerrier et producteur. Cet imaginaire est sans doute aussi profond historiquement que la trifonctionnalité. C’est en Irlande Lug « polytechnicien » en opposition au système druidique. C’est la société odinique où les Ases et les Vanes cohabitent dans Midgard après s’être longtemps combattus, où la Rigsthula distingue encore trois castes mais, si Thrœll appartient seulement à la troisième fonction, Karl unit en lui la troisième et la seconde tandis que Jarl est la synthèse des trois[4].

Or nous sommes au seuil d’un saut civilisationnel aussi important que la « révolution néolithique », beaucoup plus que la « révolution industrielle » qui n’avait pas changé grand-chose ni dans les rapports humains ni dans les rapports à la matière et à la vie, pour reprendre les termes de Millière. La connaissance du code génétique et les nanotechnologies permettent de passer d’une économie de transformation à une économie de création. Certes, les matériaux qui serviront à fabriquer les objets du futur ne surgiront pas du néant mais la réorganisation atomique permet d’obtenir des molécules qui n’existent pas à l’état naturel[5] ; à terme, c’est la fin de la prédation minière telle que nous la connaissons depuis la nuit des temps. Comme dans la symbolique alchimique, le matériau le plus commun et le plus vil pourra devenir merveille… ou poison sans remède.

Même les libertariens et les transhumanistes, deux mouvements qui partagent au fond le même substrat philosophique, la même revendication adolescente de liberté individuelle absolue[6], sont encore largement héritiers des mémoires, des légendes et des rêves nés avec le néolithique. Une économie de création suppose à la fois de l’audace et un sens aigu de la responsabilité, plus exactement un sens aigu de l’irréversible. Les OGM, pour ne prendre que cet exemple, ne feraient pas tant crier si leur mise en œuvre à l’échelle industrielle ne se faisait pas avant d’avoir toute la connaissance nécessaire, alors qu’on sait bien que l’on introduit des mutations irréversibles ou, du moins, difficilement éradicables si elles se révèlent plus néfastes qu’utiles. Je conseille aux chantres de l’avenir conçu comme un vaste jeu vidéo ou comme un fatum de méditer le roman de SF génial de Neal Stephenson, L’âge de diamant.

La liberté, si rien ni personne ne la garantit, ne tarde pas à se transformer en loi de la jungle[7]. Admettons même que chacun soit armé pour sa défense comme le propose les libertariens : que vaut la pétoire personnelle contre les bombes intelligentes lâchées d’un B2 furtif qui vole hors d’atteinte de la DCA ? On l’a vu en Bosnie, en Serbie, en Irak. Et que vaut le consentement dans le monde du travail si le choix n’est laissé qu’entre trimer pour très peu sans égard au potentiel de chacun mais selon les besoins des actionnaires spéculateurs et se retrouver sur le pavé ? Quel consentement peut avoir le pot de terre face au pot de fer ?

Dans L’âge de diamant, face aux pouvoirs somptueusement totalitaires du néo-tribalisme, c’est la mise en place d’une régulation par des formes de contre-pouvoirs qui résoudra la crise.



[1] Pour la présence de tabac, j’en suis sûre. C’est sur le nom du pharaon ausculté que j’hésite.

[2] Dumézil parle d’une fonction de souveraineté mais les exemples qu’il en donne, pris dans la mythologie indienne, Varuna et Mitra, représentent : Varuna, un dieu de l’orage ou plutôt de la mousson, par métaphore une puissance incontrôlable et destructrice mais promesse d’abondance par le retour de la vie après la sécheresse ; Mitra le gardien des serments et des contrats, gage de leur inviolabilité. Nous sommes très loin de l’image de la souveraineté en tant que légitimité du pouvoir et surtout pas du pouvoir absolu. Rappelons qu’au dessus des 3 fonctions et comme à leur synthèse se tient le roi, c'est-à-dire le régulateur.

[3] La fonction guerrière, offensive et défensive.

[4] La Rigsthula mériterait un commentaire plus détaillé. Notons toutefois que le dieu Tyr, lorsqu’il descend pour s’unir aux mortels, n’omet aucune des castes. Son parcours ressemble à une ascension sociale, du pauvre vers le riche mais aussi de l’irresponsable vers le pleinement responsable. Thrœll, l’esclave, du fond de sa pauvreté offre au Visiteur ce qu’il a de meilleur et qui ne représente sans doute pas son ordinaire. Il possède peu, il ne sait pas fermer sa porte, ce qui signifie que tout rentre en lui et que c’est d’abord des pensées et envies éclatées de l’instant qu’il est esclave, de son ignorance et de son insensibilité, mais il a déjà le sens de l’hospitalité et de la générosité. Dans l’apologue de Péguy, ce serait celui qui, sans autre perspective, taille la pierre. Karl, paysan libre, a plus d’aisance, plus de savoir-faire et de sociabilité (ses fils se nomment Voisin, Bon camarade, etc.) mais son horizon ne dépasse pas sa famille et son village. S’il prend les armes, c’est pour les défendre. C’est celui, chez Péguy, qui sur le chantier gagne sa vie et celle des siens. Jarl enfin, outre la richesse, s’est éveillé à la connaissance (il sait lire) et au sens esthétique (ses vêtements sont amidonnés et repassés), capable d’avoir un projet sur le long terme (son fils se nomme Héritier). Lui peut avoir conscience de bâtir une cathédrale. Mais tous, répétons le, sont capables de s’ouvrir à la visite du dieu et d’en recevoir une fécondité. S’appuyer sur ce texte pour rejeter des hommes hors de l’humanité serait un contresens absolu.

[5] Comme par exemple les fullerènes.

[6] « Ce n'est pas très difficile de présenter la litanie des libertariens : c'est-à-dire l'ensemble des principes moraux, politiques et économiques qui caractérisent ce courant de pensée, car cet ensemble repose sur une prémisse très simple : la revendication radicale de la libre disposition de leur corps ou de leur propre personne. Il revendique ce que l'on appelle le "self ownership" ou la propriété de soi. Ni Dieu, ni Maître. De celle-ci on déduit une philosophie politique, une épistémologie, une éthique et une économie politique qui caractérisent si bien la façon de penser des libertariens. » écrit Bertrand Lemennicier sur son site http://lemennicier.bwm-mediasoft.com dans l’article intitulé « Libertarien ».

[7] De la jungle humaine s’entend car la régulation des sociétés animales est beaucoup plus contraignante pour l’individu.

Saturday, December 23, 2006

Un appel de Jean Pierre Petit aux présidentiables sur la Z machine

A l'attention des scientifiques oeuvrant au sein des équipes soutenant les candidats à l'élection présidentielle de 2007 :Pour un nucléaire sans radioactivité ni pollution !

8 décembre 2007
Par Jean-Pierre Petit, ancien directeur de recherche au Cnrs, Astrophysicien et physicien, spécialiste en magnétohydrodynamique ( MHD )
jppetit1937@yahoo.fr

La gestion de l'énergie, au niveau national et planétaire, est un thème important de la politique de tous les états. Nicolas Hulot se positionne comme " fer de lance " de cette action de sensibilisation écologique en insistant sur une évolution climatique qui semble bien se dessiner et s'accélérer. Ce discours renvoie immédiatement aux modes de production de l'énergie. J'ai lu son ouvrage. Malheureureusement, en dehors de prôner une politique d'économie, de lutte contre le gaspillage, "d'austérité énergétique" on ne trouve dans les quelques pages qu'il consacre au sujet, en matière de formules alternatives, que les classiques recours à l'éolien et au solaire. Nicolas Hulot est parfaitement conscient, ce faisant, du fait que ces solutions alternatives sont à la fois très coûteuses et relativement peu efficaces, en comparaison du prix du kilowatt-heure issu d'une production pétrolière. Un coût par ailleurs brut, calculé sans se soucier des retombées, de la dépollution afférante. Je pense que notre pays devrait créer un pôle de recherche sur toutes les nouvelles formules pour produire de l'énergie. Ce genre d'activité mériterait une section du ministère de la recherche et de la technologie. Dans cette optique je voudrais pouvoir exposer à des militants compétents les possibilités offertes par la fusion a-neutronique, ou faiblement neutronique. Je m'explique. Pour tout un chacun, la fusion c'est exclusivement celle du mélange des deux isotopes lourds de l'hydrogène : le deutérium et le tritium, qui produit des neutrons, lesquels "activent les structures environnantes". Le professeur Gilles de Genne a pour sa part fortement mis en doute le fait que le système supraconducteur assurant la magnétisation, dans Iter, puisse résister aux effets d'un bombardement neutronique imparable. Il y a cela, plus le refroidissement du plasma par arrachement de noyaux lourds à la paroi, etc... On sait de longue date qu'il existe des réactions de fusion qui ne génèrent pas de neutrons, telles la réaction Lithium7 + hydrogène H1, donnant deux noyaux d'hélium, ou Bore11 plus hydrogèneH1 donnant trois noyaux d'hélium. La première s'amorce à une température de 500 millions de degrés, la seconde à un milliard de degrés. Cette seconde filière n'avait jamais été envisagées jusqu'à ce jour, du fait de la température qu'on doit créer, qui semblait relever de la ... science-fiction. La filière Lithium hydrogène est utilisée depuis les années cinquante dans ... les bombes à hydrogène. Au coeur d'une explosion thermonucléaire règne donc une température de l'ordre de 500 millions de degrés. C'est aussi la température d'ignition de la réaction, qui est obtenue en focalisant le flux de rayons X produit par une bombe A, faisant office d'allumette, de détonateur. Mais on est loin, ici, d'applications industrielles. La réaction deutérium tritium s'amorce à 100 millions de degrés. C'est ce qui a été obtenu pendant quelques secondes dans le Tokamak anglais de Culham, ce résultat servant de point d'appui au dispendieux et très problématique projet Iter. Avec une telle formule il serait totalement exclu d'envisager ce type de fonctionnement en continu, à la manière d'une chaudière, aux température requises pour les filières Li- H et B-H ( respectivement 500 millions et un milliard de degrés )
Il faudrait opter pour un fonctionnement impulsionnel.
Or ce passage du fonctionnement continu au fonctionnement impulsionnel a déjà été opéré avec succès dans notre technologie et s'est avéré si efficace que l'ancienne formule a aussitôt été abandonnée. Ca n'est autre que cette mutation technologique qui a fait passer l'humanité du stade de la machine à vapeur à celui du moteur à explosion. C'est donc dans la logique technico-scientifique. Et si je devais qualifier le projet Iter de manière critique, outre tous les problèmes technico-scientifiques non résolus qu'il charrie, c'est d'être " la machine à vapeur du troisième millénaire ". Il serait beaucoup plus profitable et logique de pouvoir envisager un fonctionnement du style "moteur à explosion", avec des excursions en température plus importantes, qui permettraient d'opter pour des réactions de fusion non-polluantes et pratiquement exempte de radioactivité, comme celles évoquées plus haut ;
un nucléaire sans radioactivité ni pollution !
Les spécialistes qui se sont penchés sur cette questions concluent tous que la meilleure réaction serait la réaction bore-hydrogène. Si cette réaction est totalement a-neutronique, il existe des réaction parasites afférentes qui produisent quand même des neutrons, et il en est de même pour la réaction lithium-hydrogène. Mais cette production est beaucoup moins importante que dans la filière deutérium-tritium. En comparaison, elle est infime. On peut la qualifier de "quasi-aneutronique".
On voit donc poindre une nouvelle formule : celle d'une générateur à fusion, impulsionnel.
1 - On comprime un mélange Bore hydrogène- Des réactions de fusion dégagent de l'énergie- Il se crée un plasma sous très forte température, qui entre en expansion 2 - Cette expansion est opérée dans un champ magnétique, en régime de nombre de Reynolds magnétique élevé (où le plasma et le champ magnétique sont très liés l'un à l'autre ). "Le champ magnétique est comprimé"3 .- Ceci se traduit par la naissance d'un courant induit, et une production d'énergie qui, modulo un simple transformateur permet de l'extraire par "conversion MHD directe" et de l'exploiter sur un réseau. Ce système a été expérimenté par les Russes ( équipe d'Andréi Sakharov ) dès les années cinquante. Le rendement est très bon.4 - Il faut stocker dans l'équivalent d'un "volant" ( celui du moteur à explosion ) une partie de l'énergie, qui servira à assurer la compression de la charge de fusion suivante. Le qualificatif analogique le plus proche serait
un "diesel à fusion"
Voilà le schéma de principe, connu de longue date. Le compresseur est de type MHD. Cela signifie qu'on injecte un très fort courant électrique, de plusieurs dizaines de millions d'ampères dans un système, également connu de longue date, qu'on appelle un "liner", qui tend à imploser selon son axe sous l'action des forces de Laplace. Pourrait-on parvenir à atteindre une témpérature d'un milliard de degrés avec un tel système ? La réponse positive a été apportée par une équipe américaine en 2005, travail publié en février 2006 par le professeur Haines, directeur du laboratoire de physique des plasmas de l'Imperial College de Cambridge. Ce résultat était .. inattendu.
http://www.jp-petit.com/science/Z-machine/papier_Haines/papier_Haines.htm
Au laboratoire Sandia, Nouveau Mexique, les élèves de Gérold Yonas, pionnier dans les années soixante dix en matière de hautes puissances électriques pulsées, ont construit ce qu'on appelle une " Z-machine"Pourquoi ce nom ? Parce qu'on comprime un plasma "selon l'axe OZ". Le schéma est d'une simplicité absolue. On fait passer plusieurs dizaines de millions d'ampères dans un ensemble conducteur de forme cylindrique (selon les génératrices du cylindre). Cette puissance doit être injectée pendant un temps inférieur au temps d'implosion, de l'ordre de 100 nanosecondes. Mais cette technique, maîtrisée de longue date, ne pose aucun problème. Cette nappe de courant crée un champ magnétique. La combinaison du courant éléctrique I et du champ magnétique B donne des forces de Laplace dirigées selon l'axe, qui tendent à faire se précipiter les atomes du métal constituant ce "liner" vers l'axe.
http://www.jp-petit.com/science/Z-machine/z_machine2.htm
C'est là qu'interviennent les terribles instabilités MHD. Si le liner est un simple cylindre ( de cuivre ou d'aluminium ) il est impossible de maintenir la régularité de la nappe de courant. Au résultat, ça n'est plus un cylindre de plasma qui implose, mais un objet de plus en plus distordu, gauchi, en proie aux "contorsions" dues à la naissances de ces instabilités magnétohydrodynamique (dont je suis spécialiste). Tout cela est connu et a été mis en évidence expérimentalement depuis les années soixante dix, et même avant. Si l'implosion n'est pas régulière, la montée en température s'en ressent bien évidemment. L'équipe de Yonas, conduite par Chris Deeney, avait donc abandonné l'idée de découvrir là une filière alternative pour la fusion. Les températures visées étaient plus modestes : entre un et dix millions de degrés seulement. La Z-machine américaine était donc conçue comme un puissant générateur de rayons X, destiné à vérifier l'efficacité du durcissement de têtes nucléaires. Jusqu'à ce que survienne un évènement totalement imprévu. Pour essayer de conserve l'axisymétrie du liner le plus longtemps possible l'équipe de Chris Deeney imagina de remplacer le cylindre de cuivre par un ensemble de 240 fils en inox, d'un diamètre de l'ordre du micron. Pour fixer les idées un tel "liner à fils" fait 8 cm de diamètre et cinq de haut. Dans les expériences menées en 2005 l'intensité totale injectée était de 18 millions d'ampères et le temps de décharge de 100 nanosecondes. A la surprise générale, les fils de métal ne se sont pas instantanément volatilisés mais se sont au contraire sublimés "relativement lentement" ( ce "relativement lentement" se chiffrant en dizaines de nanosecondes ). Le liner a pu ainsi être transformé en un cordon de plasma extrêmement chaud, d'un millimètre et demi de diamètre. Tout cela a été mesuré. Une mesure de température, fiable, a également été effectuée, en se fondant sur le phénomène d'élargissement des raies par effet Doppler. Les résultats, parfaitement reproductibles, ont plongé les expérimentateurs dans la stupeur et l'incrédulité.
Température atteinte : 3,7 milliards de degrés !
C'est donc 3,7 fois la température d'ignition du mélange Bore-hydrogène ( un milliard de degrés ), 7 fois celle qui règne au coeur des bombes à hydrogène ( 20 500 millions de degrés ), 37 fois celle visée par Iter ( 100 millions de degrés ), 180 fois celle qui règne au coeur du soleil ( 20 millions de degrés ). Les Américains mettront en batterie en 2007 un nouvel appareil, nommé ZR, où les intensités électriques atteindront dès le premier tir 27 millions d'ampères. Le défi technico-scientifique est considérable. En effet rien ne s'oppose à ce que des températures encore plus élevées puissent être atteintes avec ce type de machine. Il n'est pas impossible que des machines de ce genre, où les températures finales croissent comme le carré de l'intensité électrique injectée, puissent atteindre un jour celles qui règnent au coeur des supernovae : 1000 milliards de degrés. La percée réalisé par les laboratoires Sandia ouvre donc la possibilité de déboucher sur des systèmes produisant de l'énergie " par fusion pure ", qui ont évidemment au premier chef des applications militaires à travers des nouvelles bombes à fusion n'ayant pas besoin d'un détonateur à fission, d'une "bombe A" pour amorcer les réactions. . Une technologie terriblement "proliférante". Les Américains, les Russes et différents autres pays travaillent activement sur cette nouvelle génération de ... bombes propres ! Des bombes, non seulement miniaturisables ( les fameux "mini-nukes" ) mais également "furtives", sans "signature nucléaires". D'où un intérêt forcené au plan stratégique. Comment produire les fortes intensités électriques requises ? Réponse : avec des explosifs, selon des techniques initiées par les Russes dès les années cinquante. J'ai donné depuis février 2006 force explications à ce sujet dans mon site et je serais prêt à reprendre toutes ces questions avec des gens de votre équipe pour la présidentielle 2007, suffisamment compétents pour que se noue un dialogue. J'ai également dialogué avec des gens ayant une grande expérience en matière de fusion (des ... anciens des bombes ). Un programme de recherche a été construit, budgeté à hauteur de ... 50 millions d'euros. En effet ces recherches, en comparaison des projets pharaoniques que sont Iter et Mégajoule s'avèrent incroyablement bon marché ( 200 fois moins chères que le projet Iter ). Autour d'une " Z - machine française " il faudrait rassembler 50 personnes, physiciens, ingénieurs, techniciens. C'est au-delà d'une recherche de type universitaire mais très en deçà de la moindre dépense militaire ou de la grande industrie. Au passage, pour des raisons que je pourrais détailler face à de bons physiciens, ce projet représente une porte ouverte vers des recherches en physique fondamentale qui représentent une voie jusqu'ici totalement inconnue : celle de plasmas bitempératures, hors d'équilibre, où la température ionique est cent fois supérieure à celle des électrons ! Ces recherches représentent un vaste bouquet de ... thèses de doctorat. Il est impossible, au-delà des applications de production d'énergie électrique, que de telles recherches sur les milieux hyperdenses et hyperchauds ne soient pas riches de retombées variées. Le simple souci de lancer en France des recherches fondamentales en physique de pointe, novatrices, justifierait le montage d'un tel projet, qui devrait immédiatement prendre une envergure une échelle européenne et même internationale ( dans le cadre d'une action plus générale, touchant à toutes les technologies alternatives, qui pourrait s'inscrire dans un projet planétaire : "énergie sans frontières" ) . En aucun cas cela ne serait de l'argent perdu puisque les Français seraient au minimum assurés de retrouver les résultats américains. Précisons au passage que les Français disposent de toutes les compétences requises pour donner corps très rapidement à un tel projet. La France possède sa propre " Z-machine" ( militaire, située à Gramat, dans le Lot). Mais celle-ci est trop peu puissante pour obtenir une percée comparable à celle opérée par l'équipe de Deeney ( la machine française produit 4 millions d'ampères contre 18 pour celle du laboratoire Sandia ). Mes efforts de sensibilisation, sur dix mois, ont commencé à provoquer un début d'écho... chez les militaires français, qui se moquent évidemment éperdument de la production d'électricité. Une réunion a été prévue au SGDN ( Service général de la défense nationale ). La préoccupation de l'armée serait alors de classer au plus vite de telles recherches sous le sceau du secret défense, étant donnée l'évidente possibilité d'émergence de technologies "proliférantes". De par les derniers échos que j'ai, la politique serait " plutôt que de risquer de voir se développer, via des applications civiles, des technologies sensibles proliférantes mieux vaut... ne rien faire du tout".
C'est le "attendons de voir", français, classique. Comme il y a 25 ans en MHD
Selon moi, en se polarisant sur les applications et les risques d'ordre stratégiques on est simplement... hors sujet. Un pays qui opterait pour le développement intensif d'armes thermonucléaires à fusion pure, sous le couvert du secret défense, au lieu de se poser en leader en matière d'investigations sur de nouvelles filières de production d'énergie électrique, ne ferait que rejoindre la vaste imbécilité planétaire. Un projet de Z-machine à visées civiles est non seulement envisageable mais urgent. Cela ne veut pas dire que le deux-temps à fusion soit immédiatement à portée de main. Il reste un certain chemin à faire, ne serait-ce que pour permettre à des réactions de fusion de démarrer et de s'entretenir après que cette température d'ignition ait été atteinte ( conditions de Lawson pour ce type de confinement, inertiel ). Si les Français démarraient un tel projet, celui-ci devrait en même temps faire école dans les différents pays européens, et même dans tous les pays du monde avec une conjugaison des compétences et un partage du savoir, sans restriction, dans une optique :
Energie sans Frontières
De plus il est difficilement envisageable de laisser des pays comme les USA ( et la Russie, la Chine, très avancés en matière de MHD ) se lancer seuls dans cette nouvelle voie, dans une optique hélas orientée vers la production de nouvelles armes, sans qu'aucun pays ne réagisse. Actuellement, les lobby Iter et Mégajoule voient d'un très mauvais oeil l'émergence possible d'une telle filière "outsider". Ils exercent une pression, visiblement efficace, sur les médias scientifiques et même sur des groupes de scientifiques pour que cette question soit passée sous silence. Ce phénomène ne concerne pas seulement la France mais tous les pays concernés par le projet Iter, et ils sont nombreux.
8 décembre 2006
Jean-Pierre Petit, ancien directeur de recherche au Cnrs, physicien, astrophysicien, spécialiste de MHD adresse électronique : jppetit1937@yahoo.fhttp://www.jp-petit.com
http://www.jp-petit.com/science/Z-machine/lettre_ouverte_politiques.html
Exceptionnellement, la duplication et la diffusion de cette page web est autorisée sur tous supports et dans tous médias.
--> Note de Geneviève : j'insiste. Que les lecteurs de ce blog reprennent et diffusent ce texte dans leurs propres réseaux d'échange. Y compris en Suisse, Belgique et autres pays francophones. Il y va de l'avenir, sauf si vous préférez écouter les prophète de la grande muraille !
_________________________________________________________________________________________________________________________________________
Téléchargez la version Word de ce texte,
Imprimez-là et envoyez-là à vos élus, à vos journaux.
Le cas échéant utilisez-là comme base d'une pétition.

Par courriers :
Mr ou Mme le Député, de la circonstriction ....... 126 rue de l'université, 75 355 Paris 07 SP
Députés:www.assemblee-nationale.fr/12/tribun/comm3.asp Sénateurs:www.senat.fr/listes/france.html
Maires : http://www.amf.asso.fr/ad/index.asp
Conseils régionaux : http://www.conseil-general.com/

Remarque désabusée :
Cette percée scientifique majeure, et totalement inattendue, n'a fait la une d'aucun média scientifique, ou d'un média tout court depuis dix mois, y compris dans le pays même où elle a été effectée :: les Etats-Unis. Ni la célèbre revue Scientific American, aux USA, ni en Angleterre la revue Nature, n'ont pas fait leur couverture avec cette nouvelle, publiée en février 2006 par Malcom Haines dans la revue Moderne Physics Letters. En conséquence les médias des autres pays se sont dits : "si ces revues ne donnent pas un large écho à cette affaire, c'est qu'elle ne doit pas être si importante que cela. ou pire : douteuse. Constatons qu'elle n'a d'ailleurs pas eu de suite. Deeney, Haines et les autres se sont peut être ... trompés, qui sait ?". Attendons de voir comment les choses tournent ....
La vérité est toute autre et porte un nom : désinformation. Les implications militaires d'une telle découverte, à savoir la "fusion pure" sont considérables avec un corollaire évidement préoccupant : le caractère hautement proliférant de cette nouvelle technologie, le fait qu'il ne soit pas indispensable de se doter oréalablement d'armes à fission, d'uranium enrichi pour se doter d'armes de destruction massive. La question qu'on peut se poser, en fait, est "pourquoi ces résultats ont-ils été publiés et non immédiatement couverts par le secret défense le plus épais ? ". Comment imaginer qu'une telle percée ( plus de trois milliards et demi de degrés ! ) ne semble faire l'objet d'aucune suite sur le plan scientifique ?
Il y a deux explications. Les Etats-Unis travaillent d'arrache-pied sur ce nouvelles armes à fusion pure, exemptes de "signature nucléaire", qu'il serait donc possible de faire passer, sur le champ de bataille pour des armes conventionnelle. Un second aspect est le caractère miniaturisable de telles armes, avec comme corrolaire le fait qu'elles pourraient être utilisées massivement, par exemple en étant déversées à partir de l'espace, sans provoquer d'hiver nucléaire. L'avantage stratégique visé est considérable et ne peut se jouer que dans une ambiance de secret et de désiformation. Quand on met la main sur ne mine d'or on ne s'empresse pas de le crier sur tous les toits Au contraire on : fait de son mieux pour minimiser l'ampleur de la découverte.
L'absence d'écho, en France, découle de multiples facteurs. Il y a d'abord la formidable pression exercée par les lobbies Iter et Mégajoule, simple systèmes de traitement du chômage dans les régions, pour qui ces techniques outsider représentent un péril mortel. La seconde barrière est celle de l'incompétence, qui empêcha les Français de réaliser, au milieu des années soixante-dix l'importance cruciale de de la MHD, frein qui reste toujours aussi actif. Ajoutez l'énorme difficulté qu'auraient les écologistes, comme Nicolat Hulot, à associer soudain nucléaire - absence de radioactivité - absence de pollution. Un véritable virage à 180°, difficilement envisageable à échelle de quelques mois. Les équipes entourant les candidats aux présidentielles doivent être assez pauvres en scientifiques, lesquels en règle générale ont peu de goût pour la politique. D'autre part ceux qui militent ne sont probablement des scientifiques de pointe, à même de saisir l'importance des enjeux.
Le dénominateur commun à toutes ces attitudes et le fait de se dire " ce que je ne comprends pas, ce sur quoi je n'ai pas de prise immédiate, ce qui serait le signe de mon infériorité scientifique, technologique et stratégique n'a probablement que peu de chance de présenter un intérêt quelconque".
C'est humain.
En composant ce texte je jette une dernière bouteille à la mer, sans trop y croire. J'aurais au moins ... la conscience tranquille, mais je ne crois pas une seule seconde à l'efficacité de ma démarche, bien que, comme l'avais jadis dit Guillaume d'Orange :
Il est pas nécessaure d'espérer pour entreprendre

Polonium-210

Une amie journaliste me communique un texte en anglais dont les révélations sont toujours à reprendre. En marge de l’affaire Litvinenko, il rappelle les expérimentations américaines sur le polonium 210, en particulier celle de 1944 à l’université de Rochester (New York) où l’on en injecta à 4 personnes et l’on en fit avaler à un cinquième cobaye. Un des patients succomba à un cancer au bout de six jours. Les autres… mirent simplement un peu plus longtemps à mourir.
Voir William Moss et Roger Eckhardt, "The Human Plutonium Injection Experiments" , Los Alamos Science n° 23, 1995, repris à cette adresse (format pdf) :
http://www.fas.org/sgp/othergov/doe/lanl/pubs/00326640.pdf
Une phrase me revient en tête, captée au vol à la terrasse d’un bistrot de Montpellier où un professeur que je pense d’université discutait avec quelques étudiants : « Les USA sont le seul pays qui est passé directement de la barbarie à la décadence sans passer par la civilisation. » J’ajouterais volontiers Rome dans cette catégorie d’exception, le maintien de la civilisation hellénistique dans le cadre impérial faisant illusion.

Féminismes et autres questions (1)

Un(e) correspondant(e) m’a aiguillé sur le blog de Jean Gabard, auteur d’un ouvrage que je n’ai pas encore lu mais dont le titre et la présentation m’intéressent : Le féminisme et ses dérives : Du mâle dominant au père contesté, Les Editions de Paris, mai 2006. http://www.jeangabard.com/Accueil.html http://blogdejeangabard.hautetfort.com/
Voici de qu’il écrit dans son blog :
« Mon livre analyse l’évolution d’une pensée « féministe » (« féministe » dans la mesure où elle s’oppose radicalement à l’idéologie de la société patriarcale traditionnelle, autoritaire et machiste). Cette vision du monde « féministe » a permis d’accéder à une démocratie en favorisant la liberté et l’égalité en droits des hommes et des femmes. Cette démocratie n’est pas parfaite et la lutte contre le machisme est encore plus que nécessaire. Cependant, cette vision du monde « féministe » a tendance à devenir, chez des hommes et des femmes, une idéologie qui dérive…
Dans mon ouvrage j’ai essayé de dévoiler ces dérives en cherchant leurs origines et en montrant les conséquences de celles-ci dans notre vie de tous les jours et particulièrement dans l’éducation des enfants. Ainsi mon livre aborde les questions de la famille, de l’école, des cités, la crise de l’autorité, de la citoyenneté, la montée de l’intégrisme, du machisme, de l’extrême droite…
Traiter de tels sujets est encore une tâche délicate, alors que des plaies ne sont pas cicatrisées (et peut-être même encore régulièrement ouvertes). Faut-il, pour autant, parce que le machisme est encore trop présent, ne pas essayer de limiter des dérives « féministes » qui risquent d’alimenter, chez certaines personnes fragilisées, la tentation du retour en arrière ? Est-il inconvenant de croire qu’après la crise de société que nous traversons et que l’on peut assimiler à une crise d’adolescence, les hommes et les femmes puissent aller de l’avant et avoir le projet de cheminer ensemble vers un monde plus adulte ? (…)
Après avoir retracé l’évolution de la paternité, je montre comment, aujourd’hui, les limites sont posées à des enfants et comment on assiste à l’effacement des pères, à un refus de l’autorité, à une perte de repères. Les conséquences pour les enfants dans la famille, et à l’école, sont abordées et le débat peut ensuite s’engager sur la place que peut trouver la fonction du « père » dans une société qui respecte les droits des hommes et des femmes et qui cherche à devenir adulte. »

Il y a là comme un mélange (d)étonnant de choses justes et d’erreurs historiques. La démocratie n’a pas attendu le mouvement féministe ni dans l’antiquité athénienne ni dans les trois derniers siècles en Amérique puis en Europe. Disons plutôt que les femmes de notre temps ont réussi où Lysistrata avait échoué, à se faire une place d’ailleurs encore contestée dans le cadre démocratique. Je n’aime pas la politique menée par Condoleeza Rice mais qu’une femme noire accède au poste de Secrétaire d’Etat (ministre des affaires étrangères) aux USA, même s’il s’agit de la seconde femme (la première étant Madeleine Albright) et de la seconde black (le premier étant Colin Powell), témoigne d’une évolution sociétale qui n’était pas gagnée d’avance. Cela dit, opposer la démocratie « féministe » et « la société patriarcale traditionnelle, autoritaire et machiste », c’est un peu court, jeune homme ! comme aurait dit Cyrano… On a connu dans le passé le plus traditionnel des sociétés non démocratiques où les femmes avaient toute leur place. Par exemple les royaumes celtiques d’Irlande et de Grande Bretagne où c’est tout de même une reine, Boudicca, qui tint tête le plus longtemps à l’invasion romaine. Par exemple la Phénicie dont un dernier sursaut fut le combat contre Rome (encore) de la reine Zénobie de Palmyre. Et n’oublions pas le moyen âge classique. Ni, entre antiquité tardive et moyen âge, l’épopée de la Kahina dans les Aurès contre l’invasion arabe. Le machisme, c’est surtout de la démocratique Rome qu’il nous est parvenu, sans parler de l’islam qui a détruit le statut de la femme en Arabie puis dans toutes les terres soumises par la conquête et qui s’acharne à le détruire en Afrique aujourd’hui.
Mais où je rejoins Jean Gabard, c’est sur la dérive du mouvement féministe et la tendance à « l’effacement des pères, à un refus de l’autorité, à une perte de repères » dans l’éducation des enfants. J’ai été frappée du côté bien gentil, bien propre, presque nunuche de nombre de jeunes gens même lorsqu’ils portent l’uniforme adolescent des banlieues. Quelque chose d’incertain, de flou, chez la plupart. D’autres compensent par la rigidité idéologique ou la violence surtout lorsque un choc culturel s’ajoute à l’effacement du père, de sa valorisation du moins, ce qui permet à tous les manipulateurs (qu’ils soient imams, politiques, mafieux ou le tout à la fois) de prendre la place d’autorité restée vacante. La dérive idéologique féministe que constate Gabard et sur laquelle j’ai moi-même ironisé déjà sur ce blog a pour corollaire la dérive machiste des cités que l’on peut aussi comprendre comme une réaction de défense.

Si l’on survole la diversité des cultures humaines dans le temps et dans l’espace, on s’aperçoit que la sexualisation des fonctions sociales diffère beaucoup de l’une à l’autre, ce qui signifie que rien n’est inscrit dans les gènes ou la biologie, que rien n’est « naturel » sinon le fait indépassable que l’enfant mûrit 9 mois dans le ventre de la femme. On peut sans doute réaliser la fécondation in vitro mais il faut toujours implanter l’embryon dans l’utérus de la mère pour qu’il vive[1]. Tout le reste et je dis bien tout ce qui ne dérive pas directement de la grossesse et de l’allaitement est question de culture, de tradition locale, de règles de vie sociales. Pour certains peuples, la femme ne doit pas labourer car la pénétration du soc de la charrue dans la terre est symboliquement assimilé à la pénétration sexuelle ; pour d’autres, ce sont les femmes qui s’occupent entièrement des champs, du labour à la récolte. Certaines cultures pratiquent la séparation des sexes et cela peut aller jusqu’à parler une langue différente ; d’autres ne voient pas d’obstacle au côtoiement. Il existe des cultures qu’on peut qualifier de matriarcales en particulier chez les Hopis et les Navajos. Il est d’ailleurs notable que le féminisme en Amérique du Nord tende à rejoindre l’organisation sociale matrilinéaire et matrilocale de ces Amérindiens sédentaires et agriculteurs, comme si vivre sur le même sol suscitait un transfert de mémoire profonde.
Dans notre vieille Europe, comme disait l’autre, et même partiellement dans celle qu’il traitait de nouvelle en oubliant l’histoire en deçà du dernier siècle, on a vu l’alternance de périodes d’égalité des sexes et de périodes machistes, comme si l’équilibre ne pouvait s’établir, ce qui révèle à mes yeux un choc culturel, un conflit de mémoires collectives non résolu comme je l’avais esquissé en parlant des robes et des pantalons. En effet, l’univers celtique et, au moins partiellement, l’univers germano-scandinave sont des cultures assez égalitaires quant aux sexes, bien que formées de classes ou de castes[2] hiérarchisées, tandis que la loi romaine si démocratique d’apparence hiérarchise la famille et place le père en position de monarque absolu ou, plus exactement de propriétaire auquel appartiennent femme, enfants, esclaves, bétail et chiens de chasse pratiquement sur le même plan. Et la révolution française, si sourcilleuse en matière de « droits de l’homme », a fini par engendrer le machisme très romain du code Napoléon – sans oublier que c’est alors que la Franc Maçonnerie a fermé les Loges dites d’adoption, c'est-à-dire les Loges féminines. Qu’on aime ou pas les frères trois points, le fait est tout de même significatif[3]. Auparavant, le machisme s’était répandu à la faveur de la grande peste et des guerres de succession française, c'est-à-dire au moment où Philippe V a inventé la loi salique[4] pour écarter du trône sa nièce Jeanne et se saisir lui-même de la couronne, ce que n’ont pas admis les descendants de sa sœur Isabelle.

(à suivre)

[1] Je pourrais dériver sur les mères porteuses mais ça m’entraînerait trop loin de mon propos du jour.
[2] Aucun de ces termes ne me satisfait. Classe renvoie à la théorie marxiste et, au minimum, au primat explicatif de l’économie, ce que je ne cesse de contester ; mais caste est trop rigide puisqu’il a toujours existé des ascenseurs sociaux (et leur corollaire pour la descente) ; peut-on parler de caste ouverte ?
[3] J’ai traité de la Maçonnerie dans « De mots, d’outils et d’obédiences » et « De pentes, de parole et de liberté », voir les archives de ce blog. Je n’y reviens pas.
[4] Le fait fut reconnu explicitement par Henri III devant les Etats généraux lors d’une autre guerre de succession adossée à la guerre de religions.

Monday, December 18, 2006

La loi et le doute (2)

J’ai parlé dans un précédent article du « retour d’un Dieu de la loi, de justice rétributive et de volonté aussi arbitraire qu’infrangible mais révélée, un Dieu qui comble le besoin de repères plus que le besoin d’amour ». Si ce retour brandi sur un mode affirmatif et qui ne tolère aucun démenti, aucun doute, bat en brèche toute la démarche interrogative de la philosophie et de la science, je trouve aussi remarquable son opposition à l’Etat de droit, à la loi telle que la disent les autorités légales du pays. On ne peut pas parler de coutume qui s’opposerait au droit écrit : la charia tout comme la loi juive ou le droit canonique chrétien s’appuient sur un corpus de textes. Ce qui se voit remis en cause, c’est la légitimité du législateur laïc, purement humain, issu des urnes de la démocratie représentative. Cela ne signifie pas non plus, sauf dans quelques cercles très minoritaires, la promotion d’un absolutisme royal, califal ou papal. Il s’agirait plutôt de confier aux représentants du peuple l’exécutif flanqué du judiciaire, les modalités d’application de la loi dans le concret, y compris la part purement réglementaire.
Ce sont deux visions antagonistes du droit écrit qui commencent à s’opposer frontalement, l’une issue d’une tradition qui s’enracine loin dans les cultures du Croissant fertile et qui remonte peut-être à la stèle d’Hammourabi, l’autre née dans les cités grecques, étrusques et finalement à Rome.
Qui doit dire le droit ? Où se place la légitimité ? Dès que l’esprit critique, interrogatif, se pose cette question, elle devient inextricable. Contrairement aux espèces animales qui portent en elles leur loi comme le révèle l’éthologie, l’humanité ne possède que très peu de comportements « précodés » et chaque enfant doit faire l’apprentissage des règles de la société dans laquelle il naît. Tout un jeu d’interdits, de transgressions et de repères orienté vers la maîtrise de soi et la liberté paradoxale qu’elle offre se met en place – idéalement pendant l’enfance et l’adolescence, parfois tout au long de la vie. Si la rigidité puritaine fait des ravages psychologiques, la règle négociable par les enfants rois, la soumission à son propre caprice éphémère est peut-être encore plus redoutable dans ses conséquences. Le dire est désormais banal. En tenir compte, un autre problème, car cela demande de la force d’âme au quotidien, sans égard aux fatigues d’adultes sollicités jusqu’au bout de leurs forces, surtout dans les familles monoparentales ou reconstituées. Mais le plus dévastateur, ce dont on constate partout les effets en période de migration des peuples, que ce soit au travers des documents du passé ou des faits divers du présent, c’est sans doute le conflit de règles qu’entraîne le choc culturel.
Toute société s’appuie sur un droit explicite – dit ou écrit – qui se transmet par la parole et le comportement des adultes, mais aussi sur un droit implicite, une coutume tellement coutumière qu’elle va de soi et que, au sein d’un groupe, ce sera la dernière que l’on transgressera. Cette coutume joue dans les gestes quotidien, concrets, identitaires sans qu’on y pense : le samovar russe ou la théière anglaise ! Comment se placer dans le métro tant que restent des places assises, qui salue qui le premier, qui cède la place à qui, qui tient la porte à qui, qui marche à l’ombre et qui au soleil… La chanson de Renaud a fait se tordre de rire tous les habitants du sud pour qui le côté ombreux de la rue est le côté enviable. Mais cette coutume confondue souvent avec le droit naturel entraîne toute une cascade de conséquences dans l’art de distribuer l’espace, donc de bâtir ; dans l’art de distribuer le temps, horaires de travail et de repos ; sans parler des objets mais eux peuvent tenir dans des bagages ou faire l’objet d’un commerce d’importation. Des paysans pour qui la maison de plain pied ouvre sur les cours et places communes transplantés dans des tours perdent tous leurs repères implicites. Le phénomène s’observe à toutes les périodes d’urbanisation. Et l’on n’est pas encore sortis de la rencontre entre les cultures où l’on porte la robe (toge, tunique, etc.) et celles où l’on porte le pantalon (braies, saroual, etc.). La sexualisation de ces façons de se vêtir entre le haut moyen âge et nos jours, dans une aire culturelle très localisée d’abord au nord de l’Europe puis généralisée tardivement à l’ensemble Europe (Russie comprise) et Amérique, témoigne d’un de ces chocs ravivé par la conquête romaine et qui se rejoue aujourd’hui avec les migrations arabes, levantines et africaines. Derrière ce qui peut sembler une futile question de mode vestimentaire se profile tout le rapport à l’autorité parentale, à l’autorité culturelle du pays d’accueil et à la difficulté d’en apprendre les codes implicites, tout le rapport au corps de soi-même et de l’autre. Ce n’est pas si négligeable quand on voit se multiplier les viols d’adolescentes, quand des filles sont brûlées vives comme autrefois les sorcières ou les hérétiques, quand c’est tout l’éros des garçons qui ne trouve plus ni limites ni repères.
(à suivre)

Thursday, December 14, 2006

Z machine et élections

Reçu ce jour de David Ginnas :

Bonjour aux signataires de la pétition
Un nouveau forum consacré à la z//machine vient d'ouvrir ses portes, disponible depuis l'adresse suivante : http://la-revolution-mondiale.info/forumecologie (ou depuis l-r-m.info, plus bas en colonne de droite)Il est envisagé de créer un projet international, pour lequel vous êtes tous invités à proposer vos idées, répondre/améliorer celles des autres, ou simplement contribuer à l'évolution de la structure des sections elle-mêmes.Un point spécifique de ce forum est que les personnes constamment désagréables seront directement bannies, sans aucun avertissement (avec effacement des messages si nécessaire). Nous avons assez subi de nombreux pollueurs sur d'autres forums tel que celui d'Agoravox, inutile qu'il s'en prennent à coeur joie sur un forum supplémentaire.Il s'agit donc d'un forum réunissant des personnes ayant un espoir de faire bouger les choses ensemble, en fournissant leurs idées. Les présidentielles de France sont à cette occasion un opportunité qu'il serait utile de saisir, en s'y préparant dès maintenant. Des premières idées sont déjà fournies, à vous de critiquer celles-ci, d'analyser et d'enrichir le débat.Parmi les 200 signataires actuels, l'administrateur du forum espère réunir une grande majorité d'entre vous, afin de créer une première base solide de participation, d'idées, de propositions. L'inscription au forum est instantanée, et vous permet de consulter/participer aux discussions immédiatement (nul besoin de confirmation intermédiaire par votre boite e-mail).En espérant que vous répondrez tous à ce premier appel, indispensable pour créer une première communauté "d'eco-citoyens" et inciter d'autres à nous rejoindre...David Ginnaswebmaster@z//machine.net

Je venais de mettre un message sur ce thème dans mon propre forum où j'attends tousjours mes lecteurs fidèles.

Wednesday, December 06, 2006

Le forum nouveau est arrivé

Avant toute chose, je vous annonce la création d’un forum en lien avec ce blog, forum dont voici l’adresse :
http://reflexions-temps-courants.esystems.fr/

Merci de venir y poster vos réflexions.

Pour ceux qui s'étaient inscrits ces derniers jours : l'hébergeur a changé pour des raisons d'accessibilité.

Dernière heure : vu son peu de succès, ce forum a été supprimé.

Tuesday, November 21, 2006

La Loi et le doute

Nous vivons une époque étrange où puritanisme et rationalisme croissent ensemble, tandis que le retour du religieux bat en brèche toutes les attentes universitaires et donne raison à Malraux. Le XXIe siècle sera – et sera spirituel. Ou du moins voit le retour d’un Dieu de la loi, de justice rétributive et de volonté aussi arbitraire qu’infrangible mais révélée, un Dieu qui comble le besoin de repères plus que le besoin d’amour. J’ai toujours tenu ce Grand Gendarme Cosmique pour une idole et même si je comprends qu’une jeunesse déboussolée se rassure avec des injonctions simples, des interdits sans casuistique et des comportements bien listés, du « prêt à vivre » comme en couture on fait du prêt-à-porter, je ne suis pas prête à me rallier à cette théologie ni à confondre les canons de l’Eglise avec une forme de charia.
Pourquoi ce retour de la Loi ? A tort ou à raison, j’y vois quelque chose de plus profond que le simple balancier des générations, après la folle libération des années 60 où il devenait interdit d’interdire. Car c’est aussi un retour à la lettre plutôt qu’à l’esprit, à l’injonction de certitude au mépris du réel, de sa complexité et des interrogations qui en résultent. C’est un monde où le langage n’a pas de mode interrogatif, seulement le oui et le non, abrupts.
Oui et non. Un et zéro. En d’autres termes, il s’agit du langage machine qui, in fine, régit les ordinateurs et me permet de saisir et de diffuser cet article. C’est aussi l’un des modes de fonctionnement de nos propres neurones : polarisé, dépolarisé. Dans notre cerveau, ce jeu simplissime se couple avec le nuancier chimique des neurotransmetteurs ; en informatique, la souplesse des langages évolués comme le C++ pallie partiellement à la rigueur binaire. Toutefois, même les plus évolués des langages informatiques ne connaissent pas l’hésitation qui induirait une boucle oscillant sans fin, ce que l’on élimine dès que cela se produit car ça empêche les programmes de tourner ; ils ignorent aussi le doute, les états crépusculaires, les contradictions… Tout se passe comme si leur emploi de plus en plus répandu dans les nouvelles générations induisait des processus mentaux à l’image de cette certitude informatique.
Or ce mode interrogatif, ce doute est un acquis culturel récent. On pourrait le faire remonter aux quaestiones de Thomas d’Aquin, même si les questions qui ouvrent les chapitres de son œuvre pléthorique ne sont là que pour introduire des réponses. Jusqu’à lui, presque tous les textes philosophiques ou théologiques se bornaient à des propositions affirmatives assorties de quelques négations indignées. A dire vrai, je ne connais que trois exceptions dans l’antiquité : certains dialogues platoniciens dans lesquels Socrate interroge son interlocuteur pour mieux l’amener où Platon veut en venir ; le livre biblique de Job ; les épîtres de saint Paul. Le moyen âge va développer la question amorce, que ce soit au travers de ce qu’on appellerait aujourd’hui le débat interreligieux[1] ou comme ouverture de la disputatio universitaire. Les Questions de Thomas d’Aquin ne sont que la transcription d’une disputatio imaginaire. Cette timide percée ne durera pas puisque, dès le XIVe siècle, le dialogue se fige en questions et réponses stéréotypées que l’étudiant doit apprendre par cœur et régurgiter telles. On ne retrouvera doutes et questionnements qu’avec l’émergence de la science expérimentale et, en philosophie, avec Descartes.
Sur cette émergence du doute et de l’esprit critique, on lira avec profit l’ouvrage d’Eric Werner La maison de servitude[2]. Je ne partage pas toutes les idées de l’auteur. En particulier, je ne pense pas que le christianisme se réduise à un message temporel, à la psychologie ou la sociologie, encore moins à la politique ; dès que Werner insiste sur le « ce n’est que… », je décroche. Mais la lecture qu’il fait, si l’on accepte d’y voir une exégèse parmi d’autres et qui n’épuise pas le texte biblique, ne manque pas d’intérêt. Pour lui, le questionnement, le doute, l’esprit critique apparus timidement avec Héraclite puis Aristote ne sont réellement accouchés que par le christianisme libérateur de la parole, parole individualisante qui s’oppose tant aux structures sociologiques répétitives qu’au décervelage du Grand Inquisiteur[3] (ou de Big Brother).
(à suivre...)

[1] Débat piégé puisqu’il servait surtout, en tout cas à partir du XIIIe siècle, à repérer les suspects afin de permettre au « bras séculier » les arrêter. La méthode avait déjà servi à Léon l’Isaurien et aux autres empereurs iconoclastes. Elle s’est répandue dans l’Eglise romaine quand celle-ci, en plus de devenir augustinienne, a repris à son compte avec Hildebrand le projet impérial pour le transformer en projet de théocratie papiste.
[2] Eric Werner, La maison de servitude : réplique au Grand Inquisiteur, Xénia, Vevey, 2006.
[3] On aura reconnu l’allusion à l’œuvre de Dostoïevski.

Sunday, November 05, 2006

Les Illuminés et le Prieuré de Sion

Note de lecture
Massimo Introvigne, Les Illuminés et le Prieuré de Sion, traduction Antoine Ofenbauer, Editions Xénia, Vevey, CH.

On ne présente plus Massimo Introvigne. Encore que… Tous les lecteurs de ce blog ne rôdent peut-être pas dans les cours de sociologie religieuse des universités. En deux mots, Introvigne est « le » sociologue italien spécialiste des religions émergentes et des croyances contemporaines, fondateur et dirigeant du CESNUR (Centro Studi sulle Nuove Religioni), groupe d’étude international qui compte les meilleurs spécialistes européens.
On ne compte plus les réfutations du Da Vinci Code. On en trouve par centaines, peut-être par milliers sur la Toile mais la plupart d’entre elles s’attachent à rectifier les erreurs historiques du romancier. L’ouvrage d’Introvigne a l’intérêt d’aborder la question par un autre angle, celui de sa préhistoire, des élaborations ésotéristes dans lesquelles Dan Brown a puisé sa thématique.
C’est une œuvre d’historien, documentée, solide, et qui se lit comme un polar. Je veux dire par là qu’avant de ranger ce livre sur les rayons de sa bibliothèque, du côté des ouvrages de référence, on risque de ne pas pouvoir le refermer avant la dernière ligne et de passer une nuit blanche comme avec le meilleur Maigret. On pénètre dans les coulisses de l’ésotérisme du XXe siècle. Si l’on n’y trouve ni secret dynastique sulfureux ni trésor caché, on y rencontre une galerie de personnages hors du commun qui vaut à elle seule le détour. Les mauvais romans de Brown s’oublient très vite devant la réalité.
Et comme pour un bon polar, je n’en dévoilerai pas les révélations.
J’ai particulièrement apprécié la distinction qu’opère Introvigne entre microcomplot, terme qui peut recouvrir tous les complots historiques réels, qu’ils aient eu ou non un impact sur leur temps, complot métaphysique dont le principal acteur sera Dieu, diable ou autres entités du monde invisible et qui échappe forcément à l’analyse scientifique[1], et enfin macrocomplot, complot mythique censé expliquer tous les aléas de l’histoire.
J’aurais cependant trois légères critiques.
La première vise le traducteur et porte sur un point de détail. Lorsque Introvigne précise que Henry Lincoln, l’auteur de L’Enigme sacrée, avait joué dans la série télévisée anglaise The Avengers, Ofenbauer traduit par Agent spécial, ce qui donne au lecteur français l’impression qu’il s’agit d’une série de seconde zone jamais diffusée hors du Royaume Uni. En fait, c’est la série culte Chapeau melon et bottes de cuir ! Une correction s’impose si l’ouvrage est réédité.
La seconde concerne l’explication de l’aisance de l’abbé Saunière par des trafics de messe. C’est l’hypothèse chérie du chercheur de trésor qui signe Pierre Jarnac après avoir été celle de Descadeillas. Je ne suis pas entièrement d’accord. L’un comme l’autre ont cherché à dégonfler le trafic de mythes et le montage à plusieurs voix qui s’est opéré autour de Rennes le Château. Ma propre contre-enquête, qui prenait encore les choses sous un autre angle et s’attachait surtout à démonter le montage lui-même, me laisse penser que la réalité est plus complexe. En particulier, Saunière n’a pas laissé dans le pays le souvenir d’un escroc mais celui d’un homme généreux qui offrait un louis d’or aux couples qu’il mariait pour qu’ils puissent au moins s’acheter deux écuelles et deux cuillers pour leur premier repas ensemble. Ce témoignage, je le tiens des enfants ou petits-enfants de ces couples, des ouvriers, des secrétaires, des paysans de la région qui n’ont rien à faire de l’ésotérisme. Vu le nombre de pièces distribuées et ses autres générosités, le trafic de messe ne peut pas tout expliquer. Cela ne signifie pas l’existence d’un trésor mirifique dans le sous-sol de la commune.
La troisième est encore un point de détail. Introvigne parle d’un manuscrit vendu aux Anglais prétendument par un neveu de l’abbé Saunière et, comme Saunière n’avait pas de neveu, il met en doute très logiquement toute l’affaire. Or il se trouve que j’ai rencontré le vendeur du dit manuscrit, un papier de famille sans intérêt dynastique quelconque mais, comme m’a dit en rigolant ce protagoniste : « Moi aussi, j’ai profité du trésor de l’abbé Saunière ! » J’appris ainsi que c’est le surnom donné dans toute la haute vallée de l’Aude à la manne touristique que représentent les gogos attirés par le montage de Plantard et qui sont prêts à payer cent fois son prix le moindre souvenir de famille… Bref, neveu de curé il y a bien. L’erreur ne porte que sur le nom. C’est un neveu de l’abbé… Boudet.
J’espère que ceux à qui ces noms ne disent rien seront assez alléchés, auront assez envie de comprendre de quoi l’on parle pour se précipiter sur l’ouvrage d’Introvigne.

[1] Ce qui n’est pas une preuve d’inexistence.

Wednesday, November 01, 2006

Un poème de Jacques Tallote Botelli

Un de mes correspondants m’envoie ce poème. Comme j’ai aimé, je le cite . J’ai aimé l’ambiance onirique ou peut-être la rencontre de ce texte avec l’ambiance du Caucase que je parcourais au travers de dépêches d’agence au moment où je l'ai reçu.

Ami, venu du Haut Pays porter, de ton amour, la preuve,
tu tends, transi, ta lettre fermée de cire verte.

Tes rêves, le cercle enneigé de la place
ne les contient plus, ils volent entre les toits pointus,
indécis, sans repos,
fragments de carte que sème le vent des vallées.

La main d'un autre (à cette heure endormi), brisera le sceau de ta lettre que tu serres comme le pan du manteau
de celle qui veut fuir. Il dépliera (mal réveillé) la lettre
entre les bêlements, près de l'octroi, et la neige,
glissant d'une corniche, mais ne comprendra pas,
n'ayant lu que décrets agraires, impropre à recevoir
la preuve avant que l'énigme s'énonce.

Jacques Tallote Botelli

Que fais-tu ? (2)




Revenons aux images du 11 septembre. Si l’Amérique a suivi comme un seul homme la structure mythique de la séquence en boucle de ses télévisions, l’Europe s’y est craquelée avant de se briser, sauf dictature imprévisible dans les années à venir. Trois jours après les faits, une émission nocturne d’Antenne 2 expliquait déjà que les représailles annoncées sur l’Afghanistan réalisaient en fait un projet caressé par les pétroliers anglo-saxons durant de discrets entretiens à Berlin l’été précédent. En d’autres termes, le mythe se brisait d’emblée.
Quelques jours plus tard, la France connaissait une catastrophe aussi puissante d’impact que le 11 septembre : l’explosion de l’usine AZF. L’événement aurait pu, convenablement traité, induire un mythe de renouvellement. Au lieu de quoi, on a vu suinter une peur malsaine et un règlement de comptes d’une rare bassesse : avant toute enquête, on nous donnait officiellement un verdict d’accident et l’on désignait à la vindicte populaire… les victimes, les ouvriers de cet atelier. On assistait à un débat écologiste larvé sur les dangers des usines à risque, on cherchait à incriminer Total et, pour qui réfléchissait un minimum, cela sonnait comme une revanche assez mesquine sur l’affaire de l’Erika ; et l’on avait l’impression que les autres hypothèses, à commencer par celle d’un attentat à grande échelle, étaient repoussées sans examen pour ne pas fâcher on ne sait quelle puissance, pays de l’OPEP, parti politique local, voire même les USA ou certains de leurs partisans exigeant un statut de victimes privilégiées comme d’autres se réservaient, toujours en France, l’usage exclusif du terme génocide, du moins jusqu’aux délires de Carla del Ponte et de ses épigones contre les Serbes. En France, AZF l’oubliée marque le point d’inflexion mais, loin de permettre une refondation dans l’espérance, l’explosion joue comme un traumatisme non soigné, lequel induit culpabilisation, sentiment de mensonge sans possibilité d’accès à la vérité, angoisse et peur. Et je rappelle que, dans cette série d’articles, je ne traite pas des responsabilités réelles mais de l’impact de l’information sur l’inconscient collectif[1]. Or l’information, en dehors d’une ou deux émissions courageuses, a surtout consisté en un défilé d’experts ou labellisés tels qui venaient asséner des « vérités » à croire sur parole. Circulez, y a rien à voir, et laissez parler les doctes ! Soyez encore heureux qu’on vous les amène sur les écrans, ces doctes, pour jeter à bas vos superstitions, peuple sans cervelle. Et pas de débat. Les témoins ne peuvent rien voir, pas plus que Fabrice à Waterloo ; seuls les Napoléon de la Justice et de l’Université ont la vision globale nécessaire.
Mais on a tout de même vu, en particulier lors de la reconstitution qui devait définitivement assurer l’hypothèse de l’erreur humaine dans AZF même et qui tourna en 2 minutes au grand guignol. Rappelons, pour mémoire, que les experts prétendaient qu’on avait déversé par erreur un produit chloré sur l’ammonitrate et que la réaction chimique s’était amorcée je ne sais plus pourquoi, un cadavre de chat ou une histoire du même genre. Le jour où l’on devait faire détonner en petit ce mélange hypothétique, l’odeur de chlore chassa les participants toussant et haletant, doctes et juges, sans parler des médias, dès l’ouverture du sac. Exit l’erreur humaine, en tout cas celle ci. On enterra donc derechef AZF dans le placard des choses qui fâchent, telles que le procès de Milosevic à la défense un peu trop efficace, les promesses de Chirac ou l’évolution de certaines banlieues. Mais tant d’enterrements finissent par donner le sentiment d’un pays qui meurt étouffé par l’inachevé.
Revenons aux images et à l’information. Les premières qui parviennent d’AZF, ce sont celles d’une autoroute jonchée d’éclats de verre et d’épaves entre lesquelles erre un journaliste solitaire[2]. C’est une étrange impression de déjà vu qui s’en dégage, du moins pour les lecteurs assidus de BD qui reconnaissent des séquences de Simon du Fleuve ou de Valérian et Laureline. On a des descriptions de ce genre dans la SF, tant américaine que française : c’est l’univers post-atomique, celui qui se reconstruit comme monde tribal ou mafieux après l’effondrement de la civilisation. Par delà cette autoroute qui semble le sceau d’un futur régressif longtemps prophétisé, une tour se dresse encore, rouge et blanche, de forme allusivement phallique, au bord d’un cratère boueux. Tout ce qui reste de ce monde explosé, c’est donc une virilité de métal ou de béton.
Nous ne sommes pas dans le régime hermésien. Ce phallus dressé appartient à l’imaginaire du combat, du régime diurne des oppositions manichéennes, des monstres que doit vaincre le héros, de la lumière affrontant les ténèbres. Il n’est pas question de régénération mais de victoire sur le dragon, un dragon que manifeste assez bien cette autoroute qui serpente autour de l’usine détruite. Il n’est pas non plus indifférent que cela se passe à Toulouse, ville des cathares, des troubadours et des Jeux Floraux : c’est encore l’Occitanie victime de la rapacité du Nord auquel s’assimile fantasmatiquement Total, les multinationales ayant pris dans l’imaginaire politique la place des envahisseurs ou de l’Inquisition. En filigrane, ce combat destructeur entre le héros (la tour d’AZF) et le dragon autoroutier, combat faussement chevaleresque puisque ce serait celui d’un pollueur contre un autre, loin de délivrer la princesse Toulouse la blesse irrémédiablement. Toulouse la rose, Toulouse de Clémence Isaure, dame des troubadours, et même d’Ariane au nom de femme mais très ambiguë puisqu’elle envoie des fusées phalliques dans le ciel.
La séquence mythique est relativement cohérente mais elle ne peut fonctionner qu’en inversion du régime diurne. Si le héros est représenté par la tour d’AZF et le dragon par l’autoroute de ceinture qui enserre (enferme ?) la Dame du capitole, la Ville, le combat s’achève par la mort définitive du faux chevalier et la mort uniquement symbolique et temporaire du grand serpent. La Dame n’en est pas délivrée mais meurtrie. Et pour les oreilles francophones, ce pourrait être non la princesse attendue mais une dame « vile »[3]. C’est un conte sans issue qui ne conduit qu’au constat de mort et d’échec. L’inconscient collectif ne pouvait en tirer qu’une leçon : dans le monde réel, l’héroïsme détruit tout ; pour vivre heureux, évitons l’univers diurne et ses corollaires, l’effort, le sentiment d’identité, les sommets et les gouffres.

Depuis, il n’y a pas eu d’événement, en France, qui puisse induire un sentiment de renaissance assez puissant pour la rendre effective et les commentateurs ne cessent de parler de « fin de règne », une fin qui n’en finit pas de finir et qui laisse les gens sur l’impression que les choses vont mal et qu’elles iront de plus en plus mal, ce qui paradoxalement les incite à une certaine confiance dans les gouvernants. Tout comme la « fin de règne », ces rapports au pouvoir plongent loin dans l’histoire, jusqu’à l’époque où les rois se voulaient les pères de leurs peuples. C’est une confiance de désespoir, le sentiment d’un dernier rempart contre l’adversité. La France serait mûre pour un homme providentiel, à ceci près qu’il n’y en a pas. Elle ne l’est pas tout à fait pour une jacquerie.

[1] Au vu de l’enquête, officielle et surtout non officielle, j’ai encore deux hypothèses en lice concernant l’événement lui-même. Je sais que le verdict condamnera Total parce que les politiques veulent une peau de pollueur pour faire bien dans leur tableau de chasse ; l’attentat ne sera jamais évoqué parce que, dans ce cas, les frais d’indemnisation seraient à la charge de l’Etat. Les hypothèses les plus probables au vu des données physiques, celle d’un essai militaire qui aurait mal tourné et celle d’un accident assez particulier dans l’usine voisine, celle qui fabrique des explosifs militaires et le carburant d’Ariane, engageraient aussi financièrement et moralement l’Etat. Elles seront évoquées dans un siècle, quand les historiens auront le droit de travailler sur les archives nécessaires.
[2] J’ai cherché à retrouver ces images sur Internet, mais je n’y suis pas parvenue.
[3] Quelque temps plus tard, l’affaire Baudis prolongera cette inversion mythique comme des variations sur le thème de la dame vile, qu’il s’agisse de la prostituée dénonciatrice ou de la ville corrompue ; le tueur en série prolongeant aussi le thème du faux héros diabolique.

Sunday, October 15, 2006

Loup, y es-tu ? (1)


Les circonstances ont fait que je n’ai pas eu le loisir de réagir ici, de suite, à l’affaire Redeker, ce qui me permet heureusement un certain recul. Rappelons les faits. Dans la foulée du discours prononcé par Benoît XVI à Ratisbonne et de l’incroyable mousse médiatique qui s’en suivit après la protestation de milieux musulmans, un professeur de philo déjà connu par quelques publications a fortement réagi. Il a dit haut et clair ce qu’il pensait de l’islam, en particulier dénoncé son caractère intrinsèquement violent. Une fatwa fut immédiatement lancée contre lui, avec sur des sites web sa photo, celle de sa maison, celles de sa famille, et le professeur ayant reçu protection de la DST n’est plus qu’un errant qui se cache, un clandestin en somme. Mais le plus inquiétant de cette affaire n’est pas que des musulmans se croient obligés de nous persuader de la non-violence du Coran en lançant des appels au meurtre, ce qui est tout de même paradoxal, c’est le moins qu’on puisse en dire ; le plus inquiétant, c’est la hâte avec laquelle les chers collègues, le journal qui l’avait publié, les hommes politiques et jusqu’au ministre tentent de se désolidariser de lui comme s’il s’agissait d’un animal pesteux. Et balancent aux orties par la même occasion la liberté de parole et de pensée pour laquelle leurs pères et leurs grands-pères se sont battus avec assez d’énergie pour finir par l’inscrire dans la Constitution[1]. Mais de quoi ont-ils peur ?
Si l’on raisonne de manière froide, objective, cynique peut-être mais la politique en suscite toujours une dose, toute l’affaire est ridicule. Enfin quoi ! Un pays du G8, avec une armée assez performante pour aller semer les droits de l’homme et la démocratie à la pointe du canon de la Bosnie au Kosovo et de l’Afghanistan à la Côte d’Ivoire, tremble parce qu’un prof de lycée a écrit quelques lignes qui déplaisent à des imams et qu’on a manifesté quelques heures dans des pays étrangers ? Ce même pays qui n’hésite pas à faire du maintien de la paix au Liban, situation un tantinet plus dangereuse, y compris pour les risques d’attentats si quelque jihadiste prend la mouche ? Y aurait-il même eu quelques voitures de plus brûlées dans les banlieues, cela valait-il cette dérobade ? Qu’est-ce qui est le plus précieux, notre mode de vie, notre liberté, ou de ne pas risquer de fâcher ceux qui tiennent le robinet du pétrole ? Je pourrais comprendre, sans l’approuver, que certains mettent les questions économiques au dessus de toute autre considération ; à ceux là, je ne peux opposer que la parole du Christ : « A quoi sert à l’homme de gagner le monde s’il vient à perdre son âme ? », c'est-à-dire son identité la plus profonde. Si l’on relit La Fontaine, ils sont chiens bien nourris et qui portent leur collier ; je ne sais pas faire autrement que rester loup, famélique peut-être mais libre. Mais je ne suis pas sûre que le responsable du lycée susurrant aux journalistes que Redeker « était controversé » dans l’établissement ait beaucoup à voir avec l’économie pétrolière ; quant au Figaro qui retire l’article des archives en ligne parce que la Tunisie a interdit un numéro sur son territoire, on peut se demander comment il ose encore sans rougir afficher sa devise : « Sans liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur. »
Mais l’affaire Redeker n’est que la partie visible d’un iceberg.

Si le 11 septembre a transformé quelque chose dans le monde, c’est le rapport de nos pouvoirs à la sécurité. Déjà depuis une bonne quinzaine d’années, la propagande de plus en plus présente jouait sur l’émotion en excluant l’analyse rationnelle de l’information, surtout télévisée. On assurait de l’audience en faisant pleurer Margot, une Margot que, par ailleurs, on méprisait profondément en attribuant douze ans d’âge mental au « téléspectateur moyen », cette chimère, cet oxymore que généralement on ne reconnaît pas comme tel. Les politiciens y trouvaient leur avantage : sans analyse, il n’est pas de critique solide. Mais depuis que les avions se sont écrasés sur les tours de Manhattan, la palette émotionnelle s’est resserrée sur les étranges lucarnes ; on ne règne plus que par la peur et, plus subtilement pervers, par des peurs virtuelles, non pas d’une adversité réelle mais de ce qui pourrait arriver, peut-être, si un mot, une image, un souffle dépasse l’autre. Bref, on nous fait gober quelque chose qui ressemble à la peur de son ombre. On nous fait trembler à l’avance devant des virus qui muteront peut-être, des astéroïdes qui risquent un jour de percuter la Terre, la fin annoncée du pétrole, les extrapolations linéaires sur le réchauffement climatique, les récessions économiques probables, la fin des retraites et maintenant les fatwas. Plus personne ne semble se souvenir du conte du berger qui tous les jours criait au loup pour s’amuser ; quand vraiment vint le loup, il fut dévoré dans l’indifférence générale des villageois blasés de ses cris. Ils oublient, nos propagandistes, que l’anxiété parvenue à un certain degré de répétition ou d’intensité se renverse et génère simplement le déni.
La dernière mode en cette matière, campagne publicitaire – oh pardon, électorale oblige, c’est de monter en épingle les policiers blessés par les caillasseurs des banlieues. On filme certain ministre au chevet du héros abattu, on fait donner la cavalerie en oubliant de prévenir monsieur le maire mais pas les agences de presse[2], et l’on s’étonne que ça recommence quinze jours plus tard. Mais si les gens ont peur, ils voteront sécuritaire, n’est-ce pas ? Je ne sais quel est le brillant dircom qui a concocté la chose mais, outre qu’il n’a pas encore compris que prendre les gens pour des imbéciles finit toujours par devenir contre-productif, il semble des plus légers dans la prévision des conséquences à court terme. Cher monsieur (chère madame), il serait temps de saisir qu’on ne vend pas un président comme une marque de couches-culottes et que la lecture de la presse est trompeuse en matière de suivi d’impact. En d’autres termes, on ne peut pas à la fois mentir et se fier à ses propres mensonges pour évaluer la réalité.
Il n’empêche. Tout mis bout à bout et les déclinologues vrombissant par-dessus pour couvrir aussi la couche intellectuelle, angoisse et morosité s’installent bel et bien. Avec une sorte de nervosité à fleur de peau. Mais attention ! On n’insiste, rappelons la règle du jeu, que sur des peurs virtuelles. Les aspects réellement dangereux de notre civilisation ou qui demanderaient réflexion sur les enjeux ne sont guère débattus que sur Internet, dans quelques colloques universitaires ou à l’intérieur de tribus marginalisées. Pourquoi ? Sans doute un vrai débat réorienterait-il l’économie, alors que certains décideurs ont déjà investi – par exemple dans les OGM – et tiennent à leurs dividendes ; mais l’histoire a prouvé que l’économie serait plutôt bonne fille. Elle abandonne sans remords ce qui ne marche pas et fait son blé d’autre chose, mieux vendable. L’insistance avec laquelle on escamote le débat pour faire passer en force des produits, des recherches, des comportements au lieu de suivre la sacro-sainte loi du marché me fait subodorer qu’autre chose est à l’œuvre, une idéologie aussi grandiose que subreptice, un projet sur l’homme. Ou plusieurs. Quant aux peurs virtuelles, elles ont une caractéristique qui les rend à la fois périlleuses et tentantes pour des propagandistes : elles ne sont pas affrontables. Je ne sais plus dans lequel de ses livres Saint-Exupéry eut cette phrase que j’ai toujours gardée en mémoire : « Seul l’inconnu épouvante les hommes. Mais pour quiconque l’affronte, ce n’est déjà plus l’inconnu. » Les catastrophes qu’on imagine sont toujours plus terrifiantes que les épreuves auxquelles on doit faire face. Donc, pour être sûr que « la France d’en bas[3] » se maintiendra dans un état de peur latente que l’on croit mieux gouvernable – ce en quoi l’on se trompe sans doute – il ne faut pas qu’elle puisse combattre les ogres, loups garous et vampires qu’on agite devant elle comme si c’était tous les jours Halloween. Mais à force de tant inciter au cocooning et à la lâcheté, à faire le gros dos sous des orages imaginaires, si le loup venait et quel que soit le loup, saurait-on encore que l’on peut toujours se dresser contre lui ?

Il n’est pas inutile, à ce stade, de relire les virtualités terrifiantes qu’on nous propose au travers de ce que Gilbert Durand nommait les Structures anthropologiques de l’imaginaire[4]. Dis moi ce que tu redoutes, dis moi ce que tu diabolises, dis moi ce que tu encenses et je te dirai qui tu es. Car il m’est évident que toute cette manipulation de l’opinion ne prendrait pas si elle ne brassait des mythèmes en phase avec l’état profond de l’inconscient collectif. C’est donc les images du 11 septembre, celles qui passaient en boucle et qui reviennent à chaque anniversaire, qu’il faut d’abord interroger. Et pour dissiper d’avance tout malentendu : je sais qu’il s’agit d’un événement réel ; je ne cherche pas ici à pondérer les responsabilités ni à démêler d’éventuels complots, je ne fais pas de commentaire politique ; mon sujet est à la fois plus restreint, je ne traite que des images télévisuelles, de l’information et de son impact sur l’inconscient collectif, et plus vaste puisqu’il s’agit de déchiffrer les embrassements intimes du réel et de l’imaginaire.
Je me souviens fort bien de cette journée. Pascal était dans sa chambre, fatigué mais dans la phase de rémission de sa maladie ; je travaillais à l’ordinateur, pour changer, et la tante Josette regardait son feuilleton à la télévision. Quand elle m’a appelée, j’ai d’abord cru qu’elle avait confondu la bande annonce d’un film catastrophe avec l’actualité et quand, devant son insistance, je me suis décidée à regarder avec elle, je n’ai pas pu me défaire d’un sentiment d’irréalité durant un bon quart d’heure. J’ai su plus tard que je n’étais pas la seule à ressentir au départ ces images comme de l’imaginaire – ce qui signifie qu’elles avaient la structure d’un mythe. Contrairement aux épisodes visionnaires dont j’ai pu écrire que l’imaginaire s’y déguise en réel comme le loup en mère-grand, c’était ici le réel qui se déguisait en imaginaire. Le passage en boucle n’a pu qu’accentuer cette parenté inattendue, ainsi que le traumatisme puisque non seulement le petit (une poignée de terroristes) rossait le grand (l’unique hyperpuissance) sur ses terres mais ce qui aurait du rester de l’ordre du symbole envahissait la réalité pour la détruire. D’une certaine façon s’accomplissait ce que les séries fantastiques américaines n’avaient cessé d’annoncer : les hordes démoniaques issues de l’ailleurs, des ténèbres ou de l’inconscient se répandaient dans la vie quotidienne et l’asservissaient à leur propre loi.
Le petit rossait le grand. Cela inversait l’histoire biblique de David contre Goliath puisque, cette fois, c’était un fort méchant garnement contre un géant qui se croyait débonnaire. Mais inverser la Bible ferait sourire en Europe alors qu’aux USA, terre d’élection des Eglises protestantes, c’est retourner contre eux le mythe fondateur des Pèlerins. C’était un séisme sur leurs fondements mêmes, une gifle identitaire autant qu’un attentat.
Les images racontaient autre chose.
Ces tours jumelles, très minces et carrées de silhouette, évoquent deux fûts ou les deux montants d’une porte dont le linteau serait invisible. Voulue ou non, c’est la structure d’un temple maçonnique avec ses deux piliers Jakin et Boas repris de la description biblique du premier Temple et leur ombre portée que sont les deux colonnes, celle des apprentis et compagnons et celle des maîtres. Et l’on sait l’importance de la Maçonnerie aux USA. Mais cette structure est bien plus archaïque. Après tout, il n’y a pas trente mille façons de faire une porte. Soit on pose un linteau sur des montants droits ou obliques, soit on courbe une arche. Et les portes traditionnelles de la côte est sont souvent précédées de deux colonnes blanches. A Manhattan, visibles de la mer comme l’ont montré de nombreux films, les Twin Towers apparaissent donc comme la porte sacrale de l’Amérique – ou de l’Eldorado. Mais ce sont des hauts lieux du business, ce que d’aucuns liraient comme le portail d’un temple de Mammon, du Veau d’or ou de quelque Baal.
Encadrant une porte subtile, ces tours n’ont rien de phallique ; dans une symbolique sexuelle, leur gémellité et l’ouverture béante entre elles les tire du côté du féminin. Or si l’on écarte le commentaire haletant des journalistes, que voit-on à l’écran – et, je le répète, en boucle ? Un coït. Une pénétration et même, plus précisément, la pénétration d’un spermatozoïde dans chacun des systèmes ovariens qui encadrent le vagin dans une représentation schématique de la féminité. Donc une fécondation. Mais une fécondation de mort et non de vie, destructrice et non créatrice. Si l’on ajoute à cela les flammes qui jaillissent immédiatement sous l’impact, la forme en croix des avions à l’approche, ailes et fuselage, la reprise cyclique de l’image, jusqu’à l’effondrement des tours mais qui semblent, telles un phénix impossible, renaître de leurs cendres pour un nouveau sacrifice, l’ensemble est d’une rare cohérence mythique. Rien ne vient briser ce que Durand appelle le régime nocturne synthétique, hermésien ou dramatique de l’imaginaire, régime fondé sur, je cite, « la dialectique des antagonistes, la dramatisation ».
Or ce régime hermésien fonctionne d’ordinaire comme un mythe de régénération ou de salut. Il est ici totalement inversé dans son intention, tant par les terroristes eux-mêmes, quels qu’ils soient car on ignore tout d’eux lorsque ces images surgissent pour la première fois, que par les rédacteurs en chef des médias qui décident du passage en boucle, une boucle qui bientôt s’augmente des effondrements. Après quoi la caméra revient à terre pour montrer de la fumée, de la poussière, des gens hagards. On retrouve tous les éléments d’un rite sacrificiel comme ceux qu’étudiait Marie Bonaparte[5], y compris le marché passé avec les Puissances, ici symbolisé comme pour un surcroît de cohérence par le fait que ces Tours se nommaient le World Trade Center, le Centre Mondial du Commerce. On sait l’importance du Centre et surtout du Centre du Monde dans les mythes de sacralisation[6]. Et nous sommes bien dans le monde d’Hermès, dieu grec du commerce et même des voleurs, patron mythique de tous les échanges, licites et illicites.
De plus, Gilbert Durand fait remarquer, à propos du sacrifice et de la régénération, que cette épiphanie « est également assimilée avec fréquence par les théologies au retour au chaos, à l’informe, à l’histolyse diluviale ». Il y a bien retour au chaos par l’effondrement des tours, mais c’est un déluge de feu, de poussière et de fumée, non un déluge d’eau même si les pompiers en déversent aussi. Le nom qu’on a donné spontanément à ce trou chaotique et qui lui restera, ground zero, est tout aussi symptomatique, un jeu de mots à tiroirs qui exprime à la fois le centre, le retour au chaos et le sentiment d’irréalité. Essayons de décrypter. Ground, c’est le sol, un synonyme de floor qui signifie également étage. Or aux USA, on numérote les étages à partir de 1 qui désigne le rez-de-chaussée, lequel peut aussi se dire ground floor. S’il existe des niveaux souterrains, on inverse : -1, -2, etc. L’étage zéro n’existe pas. Par contre, zéro, c’est le terme d’un compte à rebours, l’instant décisif, ce que nous appelons l’heure H. C’est aussi le cœur de cible. Ou le point d’impact d’une bombe atomique, point zero. Et ground est utilisé dans le vocabulaire militaire, en particulier pour les missiles et les bombes air-to-ground, air-sol. Ceux qu’on lance d’un avion.
Mots ou images, tout y est. Y compris peut-être la régénération, celle de la conscience identitaire des Etats-Unis : la main revenue plus volontiers sur le cœur pour saluer le drapeau ou chanter les hymnes, le choix insistant, parmi ces derniers, de God bless America, dont le refrain s’achève par my home, sweet home, qui confond l’Etat, le territoire et la maison.
Or cela m’étonnerait beaucoup si les concepteurs de l’attentat, quels qu’ils soient, avaient lu Gilbert Durand pour élaborer à froid une séquence mythique pratiquement parfaite quoique, rappelons le, inversée dans son intention destructrice. Le retour au chaos ne devait pas aller plus loin. L’histoire s’arrêtait sur les errants hagards dans la poussière et la fumée, sur les larmes et sur la mort. Mais c’est bien parce que la structure mythique transmise par les télévisions était parfaitement cohérente que l’événement a pu comme naturellement susciter ce réveil identitaire et l’élan de générosité qui a poussé des centaines d’Américains ordinaires à se porter volontaires pour déblayer les ruines et rechercher morts et survivants.
C’est aussi ce qui explique ce sentiment presque universel qu’il y avait un avant et un après le 11 septembre, que c’était un instant charnière durant lequel le monde se métamorphosait. Si le Centre du Monde (du commerce, certes, certes, mais l’inconscient collectif traduit « du Monde d’Hermès ») revient au chaos, ce ne peut être que pour entamer un nouveau cycle.
Alors pourquoi ce nouveau cycle n’est-il pas profondément neuf ? Pourquoi le sentiment dominant en Europe et en particulier en France est-il celui d’un déclin et non d’un renouvellement, d’une régénération ? La cohérence mythique qui unissait au moins tout l’occident au voisinage du 11 septembre s’est presque immédiatement brisée sur une divergence qui ressemble à une autre forme de mythe gémellaire, celui de Castor et Pollux, des frères dont l’un est immortel et l’autre mortel. Les USA, malgré les errements de la guerre d’Irak, regardent vers le futur et se croient de nouveau immortels. L’Europe à quoi l’on ne croit plus, la France surtout rejette son passé, se culpabilise et jouit amèrement de sa ruine future et fantasmatique.
Léon Bloy attendait les cosaques et le Saint Esprit. Les déclinologues n’attendent rien, pas même Godot, ou peut-être de s’engloutir dans le trou de la sécu, ce qui évoque plutôt un fantasme de Bukowski[7]. Il serait judicieux de se demander pourquoi.

(à suivre…)

[1] Oui, je mets une majuscule. Et pourtant, Dieu sait que j’ai été critique avec les fondements de la cinquième…
[2] Cité par Marianne du 7 octobre.
[3] Celle là, je ne parviens pas à la digérer. D’autant qu’il ne fut pas si brillant lors de sa sortie, celui qui se croyait perché en haut de l’échelle.
[4] Gilbert Durand, Les structures anthropologiques de l’imaginaire : Introduction à l’archétypologie générale, Bordas, Paris, 1969.
[5] Marie Bonaparte, Mythes de guerre, Image Publishing, London, 1946.
[6] Voir en particulier René Guénon, Symboles fondamentaux de la science sacrée, recueil posthume présenté par Michel Vâlsan, NRF Gallimard, Paris, 1962 ; ainsi que pratiquement toute l’œuvre de Mircea Eliade.
[7] Comment, vous n’avez ni lu ni vu les Contes de la folie ordinaire ?