Monday, December 22, 2008

A relayer abondamment

Je reçois un appel du professeur Yves Lignon que je relaie bien volontiers en rappelant qu'il s'agit d'études scientifiques.

VOYANCE

Enquête nationale sur la voyance.

Vous faites appel aux services d'une voyante, médium, cartomancienne, car ses prédictions vous semblent justes...

Faites nous part de vos témoignages.

Le GEEPP (Laboratoire de Parapsychologie de Toulouse) recueille ces témoignages dans le cadre de ses recherches.


Confidentialité totale assurée.

Tuesday, December 02, 2008

Notes de lecture

Rentrée fertile, cette année, sur le plan éditorial, pour certains de mes amis. Qu'ils me pardonnent de ne pas avoir rendu compte plus tôt de leurs ouvrages.

A tout seigneur, tout honneur. Louis Dalmas, directeur du mensuel B.I. (Balkans Infos) – voir les liens de ce blog – vient de publier une analyse critique à la fois intelligente et pleine d'humour de l'évolution de la presse française, réquisitoire implacable contre la bêtise, le conformisme, l'autocensure, l'abandon de l'investigation, bref la boboïde « pensée unique ». Il évite aigreur et pesanteur didactique qui sont souvent les deux mamelles de l'opposition radicale par l'intervention rythmique de deux charmantes et coquines soubrettes pipelettes, mesdames Sorladon et Mélamois que l'on imagine s'imprégner de philosophie politique du bout du plumeau, époussetant les concepts avec la porcelaine de Sèvres.
Pour donner à mes lecteurs un simple avant-goût en espérant qu'ils croqueront bientôt le livre à pleines dents, ouvrons le chapitre intitulé « Le devoir d'insolence » : « La conception du journalisme qui court en filigrane dans ce livre est celle d'un métier particulier, différent de tous les autres, en ce qu'il est à la fois intégré à la société (dont il mesure le degré de civilisation et garantit la santé), et asocial. Son essence est (ou devrait être) d'aiguillonner les institutions sans y appartenir, de décanter les conformismes en les refusant, de mettre en question les engrenages, sans en faire partie. Le vrai journaliste est forcément une sorte de marginal, parce qu'un vrai témoin ne peut être qu'en marge de son sujet : on ne voit bien qu'avec le recul du désengagement. L'information sans un brin d'anarchie n'est qu'une litanie de communiqués. »
Ce livre vient juste à l'heure, celle où les « Etats-Généraux » de la presse écrite, lancés le 2 octobre dernier par le président Sarkozy, qui réunissent patrons de presse, universitaires, parlementaires et membres d'ONG et préparent on ne sait quelles réformes se réunissent à huis clos alors que leurs débats devaient être retransmis par Public Sénat sur le site dédié http://www.etatsgenerauxdelapresseecrite.fr afin de « permettre des échanges plus libres entre les participants ». Comme c'est exactement l'argumentaire qui justifie le secret des réunions du Groupe de Bilderberg, on peut tout craindre. Plusieurs associations professionnelles ont d'ailleurs claqué la porte ou fait état publiquement de leurs réserves, dont Médiapart, le Forum des sociétés de journalistes et Freelens. Donc, à lire d'urgence :
Louis Dalmas, Le crépuscule des élites, préface de Roland Dumas suivie d'une lettre de Peter Handke, éditions Tatamis, 2008

Les éditions Xénia vers lesquelles on trouvera également un lien dans ce blog publient un document de première importance, l'œuvre complète de Théodore J. Kaczynski surnommé Unabomber par le FBI avant son arrestation. Il ne s'agit évidemment pas pour Slobodan Despot qui dirige ces éditions ni pour Patrick Barriot qui a réuni, traduit et préfacé ces textes de cautionner les actions terroristes de cet adversaire radical de la technologie moderne1 mais d'offrir au lecteur un document susceptible d'éclairer les fondements de certains courants de pensée très actuels.
Sans doute s'étonnera-t-on de me voir défendre et promouvoir cet ouvrage après mes critiques sans équivoque contre l'écologisme radical. Il est vrai que je ne partage pratiquement aucune des idées défendues par Unabomber. Toutefois, les questions éminemment dérangeantes qu'il soulève me semblent essentielles. Ne pas les entendre, ne pas leur apporter de réponse serait sans doute un remède pire que le mal car il est vrai que la société technologique actuelle est une culture massifiante et chosifiante dans laquelle les libertés individuelles ou locales sont réduites à la portion congrue. Kaczynski propose comme unique solution la régression technique – sans dire jusqu'où – avec destruction des supports écrits du savoir. Je crois pour ma part que le caractère latifundiaire2 et impérial de l'organisation sociale actuelle n'est qu'une étape et que l'on peut en sortir par le haut plutôt que par la régression même rebaptisée décroissance. Je pense aussi que la destruction des données scientifiques actuelles ne servirait à rien car ce qu'un homme a un jour découvert, un autre peut le redécouvrir. Y compris l'écriture et les mathématiques.
Rien ne nous assure que les techniques du futur favoriseront la production de masse comme le croit Kaczynski. L'alternance cyclique, dans l'histoire de l'agriculture, de domaines étendus de type latifundia et de la petite propriété paysanne suggère que les multinationales et les systèmes étatiques contraignants ne sont pas forcément le dernier mot de la technologie. En contrepoint, le roman de Neal Stephenson, L'âge de diamant3, ouvre quelques perspectives intéressantes. Mais au delà de mes réserves sur sa pensée, j'insiste : il faut lire les textes de Kaczynski, ne serait-ce que pour que nos choix de société se fassent en toute conscience.
J'ajouterai que, contrairement aux chantres de la décroissance qui nous la présentent comme une vieillesse heureuse et conviviale, Kaczynski ne donne pas dans l'angélisme des bisounours. Il choisit la vie « primitive » en pleine connaissance de ses défauts : plus d'heures de travail et plus pénible pour acquérir une subsistance parfois aléatoire, le sort des femmes loin de l'égalité ni de la parité et plus proche de l'esclavage ou du punching-ball. Je le remercie d'oser dire tout haut ce que chacun redoute tout bas en croisant les doigts.
Theodore J. Kaczynski, L'effondrement du système technologique, textes traduits et présentés par le Dr. Patrick Barriot, postface de David Skrbina, Xenia, Vevey, 2008.

Il est rare que l'on fasse une note sur un ouvrage acheté en rayon comme tout un chacun et j'avoue ne pas être une exception et préférer souvent parler de livres dont on m'a fait le service. Mais comme toutes les règles, celle-ci est faite pour être transgressée quand l'intérêt d'un ouvrage lu par hasard l'exige. Ainsi de celui que le journaliste Marc Mennessier consacre à l'instruction du procès AZF, très documenté, d'une rare honnêteté intellectuelle et particulièrement dérangeant, lui aussi. Si un journaliste s'est acquitté du devoir d'insolence dont parle Louis Dalmas, c'est bien lui, jusqu'à risquer un procès ainsi que quelques confrères dont la liberté de pensée agaçait le procureur toulousain bien résolu à faire payer Total, quitte à bâcler l'enquête. Je ne sais pas si l'hypothèse qu'il présente comme plausible est la bonne, il me semble qu'il faudrait interroger plus avant les anomalies électromagnétiques dont je sais de source sûre qu'elles ont affecté les ordinateurs jusqu'à Muret, à 20 km au sud de Toulouse. Mais ce livre est un des plus beaux exemples de journalisme d'investigation qu'il faut absolument lire avant que les « Etats Généraux » ne transforment les journalistes en simple communiquants.
Marc Mennessier, AZF, un silence d'Etat, Seuil, Paris, 2008.

1.Leur avertissement en début d'ouvrage est très clair : « En tant qu'éditeur de ce livre, nous condamnons sans ambiguïté les crimes de Theodore Kaczynski qui lui ont valu son emprisonnement à vie. Même si l'intérêt manifeste de ses écrits et de ses théories justifie la présente publication, rien ne peut justifier que l'on use du meurtre et de la violence pour répandre des idées. Nous tenons toutefois à appliquer, même dans ce cas précis, le droit imprescriptible à la liberté d'expression, ce qui est la mission d'un éditeur. »

2. J'étends le concept de latifundia aux domaines industriel et financier, le processus de fusion/acquisition étant du même ordre.

3. http://fr.wikipedia.org/wiki/L'%C3%82ge_de_diamant

Sunday, November 23, 2008

Z comme Helbronner et Bergier

Dans l'intéressant petit livre que Marc Saccardi consacre à Jacques Bergier (Amateur d'insolite et scribe de miracles : Jacques Bergier (1912-1978), éditions de L' Œil du Sphinx, Paris 2008), une citation me fait bondir et je regrette beaucoup que Saccardi ne l'ait pas reprise lors de sa conférence au colloque d'hommage à Bergier, le samedi 22 novembre, à la bibliothèque de Saint-Germain en Laye car j'aurais pu la relever et peut-être pu susciter un débat moins littéraire. Dans ce passage, Bergier commente ses travaux de recherches dans le laboratoire d'André Helbronner, dans les années 30 : « Ces expériences [consistaient] à volatiliser un fil métallique par une décharge électrique extrêmement puissante. Helbronner et moi-même avions constaté qu'il se produisait alors une transmutation des éléments. Nous avions fait en particulier de l'or à partir du tungstène et du bois, et du polonium à partir du bismuth et de l'hydrogène lourd1. » Bois est évidemment une corruption, erreur de dictée ou, plus probablement, de copie et il faut lire bore. Effectivement, le Bore, de nombre atomique 5, et le Tungstène, de nombre atomique 74, peuvent donner l'Or, 79, à condition d'avoir déclenché une réaction de fusion. En d'autres termes, à la recherche d'une source d'énergie basée sur la fusion nucléaire, Helbronner et Bergier ont monté l'ancêtre de la Z machine de Sandia et obtenu des effets que les Américains n'ont pas ou pas encore retrouvés, ou qu'ils considèrent comme un effet secondaire négligeable. Si la guerre n'avait pas interrompu les travaux de ce laboratoire ou si Bergier avait pu les reprendre après la libération, où en serions-nous aujourd'hui ?

Rappelons ce qu'est la Z machine. J'écrivais dans l'article Z comme Zorglub présent dans les archives de ce blog : La Z machine est à l’origine un générateur de rayons X par pincement magnétique d’un plasma obtenu en faisant passer un courant électrique de 20 millions d’ampères dans des fils de tungstène très fins. Ce plasma atteint quelques millions de degrés. J’ai sous les yeux un article de décembre 1999 ou janvier 2000, un autre communiqué de presse de Sandia, où ils se congratulaient d’avoir atteint les 1,6 millions de degrés, comparables aux éruptions solaires et très proches des températures de fusion. En remplaçant le tungstène par de l’acier afin d’obtenir des mesures spectroscopiques plus précises, ils ont fait un bond qualitatif autant que quantitatif totalement inattendu : une température de plasma plus chaude que les étoiles, plus d’énergie à la sortie qu’on n’en a envoyé à l’entrée, la température des ions toujours soutenue lorsque le plasma est immobilisé et supérieure à celle des électrons. Une énergie additionnelle imprévue se manifeste. Haines l’attribue à des micro-turbulences engendrées par le champ magnétique dans le plasma.

Un courant de 20 millions d'ampères, c'est exactement ce que décrit Bergier. Leur a-t-il manqué le pincement magnétique exact pour atteindre la fusion lithium-hydrogène et le générateur électrique de petite taille qu'ils espéraient mettre au point ? Comment se fait-il qu'ils aient obtenu des transmutations dont ne parlent pas les gens de Sandia, alors qu'elles sont prévisibles à de telles températures ?

Et surtout, on peut se demander pourquoi ces résultats n'ont pas été repris par les chercheurs alliés. On sait qu'il y eut de nombreuses recherches aux USA, en marge du Manhattan Project. Dont la trop célèbre Philadelphia Experiment que l'on dissimule encore derrière un mensonge diplomatique tellement gros qu'il ne trompera personne ayant quelques notions de physique puisqu'on oppose aux jeunes romantiques épris de téléportation cet argument massue qu'il y eut bien des recherches à la Navy en 1943, qu'Albert Einstein y fut effectivement mêlé mais qu'il s'agissait « simplement » d'obtenir pour les navires une furtivité radar, pas une invisibilité visuelle. Le jeune romantique repartira déçu sans poser d'autres questions, espèrent-ils. Mais moi qui ne suis pas un jeune romantique, j'en pose une. Comment donc obtenir une furtivité radar dans l'eau ? Alors qu'on sait que l'humidité de l'air peut suffire à annuler la furtivité d'un F117 ? Réponse, non pas technique mais théorique : il faut disperser les ondes radar en amont du bateau, donc utiliser un champ électromagnétique ad hoc. Tonton, pourquoi tu tousses ?

J'ajoute que j'ignore totalement si la série d'expériences a eu des effets secondaires aussi spectaculaires que ceux que rapporte le soi-disant Allende dans ses annotations du bouquin de Morris K. Jessup et que la chaise de Montauk me donne surtout envie d'éclater de rire, sauf si j'analyse ce corpus comme un mythe en voie d'émergence ou quelque réminiscence des romans de Van Vogt. Cette affaire montre surtout que les efforts militaires de recherche ne se sont pas limités à la mise au point de la bombe A et qu'il y aurait eu place pour la proto-Z machine d'Helbronner et Bergier. Plus d'un demi-siècle perdu, sans parler d'un génie gâché. Quelle pitié !


1Jacques Bergier, La grande conspiration russo-américaine, Albin-Michel, Paris, 1978, p.99

Sunday, September 28, 2008

Z'êtes ét(h)iques ?

Tandis que je lis ou relis les textes d'Aimé Michel récemment publiés1 avec la ferveur de qui trouve à chaque page de quoi penser, méditer ou s'en prendre une dans les gencives mentales, une micro prise de bec avec un zététicien sur un forum m'a donné l'occasion d'aller sur leur site. J'y ai trouvé une perle d'une telle eau que je ne peux laisser passer. Voici l'histoire. Le sieur Broch, ci-devant spécialiste de biophysique et titulaire d'une chaire de zététique à l'université de Nice Sophia Antipolis, a repris la ruse déjà utilisée au XIXe siècle par l'Académie des sciences2 pour attirer les magnétiseurs et créé un prix rondelet pouvant être décerné à qui lui prouverait jouir de dons « paranormaux ». Bien évidemment, le malheureux candidat ne passera jamais la barre3 et, mieux encore, s'en retournera avec une explication « rationnelle » qui le détournera à tout jamais de ses prétentions censément illusoires. Le brave homme attiré par l'appât, cette fois-ci, pensait que, chaque fois qu'il se concentrait, il faisait claquer les portes – des portes fermées, précisons. Vrai, faux ? Comment le savoir ? En le testant ? La porte réagissait bel et bien mais rassurez vous ! L'équipe de Broch a trouvé une explication purement physique : le bonhomme en se concentrant fronçait les sourcils et crispait quelques muscles ; cela suffisait à induire une variation de pression dans la pièce, ce qui entraînait mécaniquement la réaction de la porte. Ouf ! Rien à payer, le sujet rassuré car, s'il peut être flatteur de se penser des « pouvoirs », c'est aussi la meilleure porte ouverte sur l'angoisse d'être4. Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Sauf que leur explication n'est que foutaise. Où donc est la contre-expérience ? Ont-ils fait défiler dans la pièce un nombre suffisant de sujets auxquels n'aurait été demander que de froncer les sourcils et de contracter les épaules et les fesses – et surtout pas de se concentrer ? Ont-ils mesuré la pression de l'air avant, pendant et après ? Quel type de porte peut réagir à une aussi faible différence de pression, à supposer qu'elle existe ? Où sont les données chiffrées ? Pas sur leur site, apparemment, où je les ai cherchées en vain.

Une porte fermée qui claque, j'ai connu. Une seule fois dans ma vie pour une cause physique, à vrai dire, le soir du tremblement de terre qui, dans les années 1970, a dévasté le Frioul. J'habitais alors en Bourgogne et l'onde sismique fut sensible jusque là. L'onde de choc, la différence de pression de l'air qu'elle entraîne, cela se perçoit sans ambiguïté possible dans la poitrine autant que dans le bruit de la porte. Cela va très vite mais les sensations s'inscrivent durablement dans la mémoire. Faut-il ajouter que cette porte n'a jamais bronché lorsque, grande épistolière, je me concentrais sur ma correspondance en crispant inconsciemment tout les muscles que l'on voudra ?

Si monsieur N. est capable de faire bouger les portes en contractant quelques muscles du visage – tout en restant assis, remarquez, l'air n'étant même pas brassé par le mouvement d'un marcheur – je prétends que l'effet physique est alors aussi inquiétant que l'effet PK que Broch se flatte d'avoir exorcisé et qu'il faudrait l'étudier dare-dare. Si cet effet ne se manifeste que chez lui, cela intéressera les assureurs de savoir que cet immeuble5 est tellement instable qu'il suffit de froncer les sourcils pour le faire vibrer avec la même intensité qu'un séisme. S'il se manifeste partout, alors notre homme semble le siège de processus biologiques assez insolites. Ne me demandez pas lesquels, ce n'est pas mon métier.

Mais n'y aurait-il pas quelque malhonnêteté intellectuelle à présenter comme explicative une hypothèse aussi capillotractée que rien, dans l'expérience courante de milliers de gens, ne vient corroborer – et cela sans étude sérieuse ? Je ne dis pas que cette hypothèse ne serait pas scientifique, elle l'est. Elle obéit au premier pont-aux-ânes qui permet de différencier la science de ce qui n'en est pas : en théorie, elle est falsifiable. Mais qui va monter la contre-expérience ? Les seuls qui auraient les crédits nécessaires, ce sont justement ceux qui n'ont aucun intérêt idéologique à le faire, à savoir les zététiciens. Z'êtes éthiques ? Assez pour relever ce défi là ?

Je dis très vite que l'hypothèse est falsifiable. Sur le papier sans doute et je n'aurais aucun mal à en bâtir les grandes lignes, test d'un nombre suffisant de sujets non prévenus, test de lieux et de types différents de porte, mesure de la pression d'air avec une batterie de baromètres ultrasensibles disposés le long d'un gradient supposé, mesure de la contraction musculaire, etc. Dans la réalité, c'est moins sûr. Qui m'assure qu'on peut maîtriser toutes les variables ?

Ce dont il s'agit, c'est de se rassurer, de claquer la porte mentale qui pourrait nous mettre devant l'inconnu, ouvrir une brèche dans les représentations du monde. Comme dans les romans de Jean Pierre Andrevon, il faut pouvoir penser que l'homme est petit, plutôt con, avec des passions mesquines, que ses émotions le trompent toujours et que seule la matière est solide – ce qui ferait bien rigoler un physicien, lequel tend à jeter la notion de matière aux poubelles de l'histoire des sciences et à lui préférer celle d'interaction ou d'événement. Si Blaise Pascal a raison, si « l'homme passe infiniment l'homme », le vertige devient pour eux insupportable. Zététiciens et rationalistes affirment souvent que l'on invente des croyances pour boucher les trous de la représentation du monde, trous dus uniquement à l'ignorance. Mais j'ai connu nombre de gens dont l'image du monde ressemblait à une dentelle, contradictoire de surcroît, et que cela ne gênait pas plus que cela du moment que cela permettait de se repérer dans leur vie quotidienne. Pourquoi cette obsession de clore les représentations, de les resserrer le plus possible ? Z'êtes étiques ? Ou ne serait-ce que de l'agoraphobie mentale ?

1La clarté au cœur du labyrinthe et L'apocalypse molle, éditions Aldane, voir mon message précédent

2Voir la thèse de Bertrand Meheust, Somnambulisme et médiumnité, t1 Le défi du magnétisme, t2 Le choc des sciences psychiques, Synthélabo, coll. Les empêcheurs de penser en rond, 1999.

3Bien fait ! L'avidité est un vilain défaut !

4Dont Aimé Michel parle si bellement...

5J'ignore où habite monsieur N. mais une maison particulière est un immeuble au même titre qu'un ensemble d'appartement, si l'on en croit l'Académie.

Friday, September 05, 2008

Actualité d'Aimé Michel

Il m'arrive souvent de citer Aimé Michel au fil de ce blog et mes lecteurs savent l'admiration que je porte à ce grand philosophe. Aussi est-ce avec joie que je peux annoncer la parution conjointe aux éditions Aldane de deux ouvrages essentiels pour la connaissance de sa pensée. Le premier rassemble les articles courts et denses qu'il écrivit pour le mensuel France Catholique entre 1970 et 1992. Réunis par Jean Pierre Rospars, ces textes forment un livre de presque 800 pages avec notes et index, le traité qu'Aimé Michel n'a jamais pris le temps d'écrire et qui, peut-être, l'aurait fait reconnaître par ses pairs – encore que, sur ce point, j'aie un doute : la philosophie ou nouvelle scolastique, en France, gangrenée par le marxisme et dominée, si l'on peut dire, par Jean Paul Sartre, ignorait superbement la science et se fourvoyait dans la politique à la petite semaine. Comme les mêmes illusions vidaient alors les églises au nom de Vatican II, souvenons nous de Maurice Clavel tonnant « mes pères ! Vous avez tellement peur d'être les derniers chrétiens que vous serez les derniers marxistes ! », France Catholique faisait figure de bulletin paroissial confidentiel, pauvre, souvent introuvable au banc de presse des paroisses, ce qui ne l'empêchait pas de réunir sur son mauvais papier des signatures parmi les plus intelligentes de l'époque.
Le second livre résulte d'une longue histoire. A la suite de nombreux échanges, Aimé Michel et Bertrand Meheust avaient caressé le projet d'un livre à deux voix, une correspondance philosophique dans laquelle le jeune philosophe permettrait à son aîné, par ses questions, d'approfondir sa réflexion. La correspondance eut lieu mais pour mille raisons, le projet de publication fut abandonné, repris, puis interrompu par la mort d'Aimé Michel et le temps de deuil nécessaire de sa famille, puis l'oubli qui s'installait autour de son œuvre. Il voit enfin le jour et je m'en réjouis d'autant plus que, dans cette correspondance, Aimé Michel n'était pas limité par le format standardisé d'un article de presse ni par la nécessité du style. Comme chez Flaubert, les écrits destinés à l'édition sont d'un classicisme ciselé tandis que la correspondance emploie l'argot, la gouaille, la verdeur qui n'est peut-être qu'une forme de pudeur. La pensée qu'il exprime n'en est paradoxalement que plus profonde.
Je reviendrai sur ces livres mais je tenais à signaler leur parution sans attendre.

Aimé Michel, La clarté au cœur du labyrinthe : chroniques sur la science et la religion, textes choisis, présentés et annotés par Jean Pierre Rospars, préface d'Olivier Costa de Beauregard, Aldane éditions, Cointrin, 2008

Aimé Michel, L'apocalypse molle, correspondance adressée à Bertrand Meheust de 1978 à 1990, précédé de Bertrand Meheust, Le Veilleur d'Ar Men, préface de Jacques Vallée, postfaces de Geneviève Beduneau et Marie Thérèse de Brosses, Aldane éditions, Cointrin, 2008

A quoi j'ajoute ce que je reçois aujourd'hui de l'éditeur :


Les Éditions Aldane ont le plaisir de vous faire part de la publication de ses deux derniers ouvrages:

Aimé Michel: L'apocalypse molle 
Correspondance adressée à Bertrand Méheust de 1978 à 1990 (textes inédits) 
Précédé du «Veilleur d'Ar Men» par Bertrand Méheust 
Préface de Jacques Vallée 
Postfaces de Geneviève Beduneau et Marie-Thérèse de Brosses

Aimé Michel, qui nous a quittés en 1992, ne fut pas seulement un des pères fondateurs de Planète et un pionnier de l'ufologie, il fut aussi, par la dimension prophétique de sa pensée et par la puissance de sa plume, un écrivain et un philosophe visionnaire, dont on trouvera difficilement l'équivalent dans la culture française contemporaine.
Mais une grande partie de son oeuvre reste dispersée et sa dimension épistolaire est encore à découvrir. C'est à cette tâche que ce livre souhaite contribuer. On y trouvera la correspondance que l'auteur de Mystérieux Objets Célestes a entretenue avec Bertrand Méheust entre 1978 et 1990. Ces textes devaient entrer dans la composition d'un livre qui n'a jamais vu le jour. Ils sont aujourd'hui disponibles dans leur intégralité.

Pour les présenter au lecteur, Bertrand Méheust s'attache, dans Le Veilleur d'Ar Men, à introduire la pensée d'Aimé Michel, à dégager ses grands thèmes et leur articulation.
Aux yeux d'Aimé Michel, la question des soucoupes volantes s'intégrait dans un projet grandiose: réfléchir à l'évolution cosmique de la vie et de la pensée en considérant l'espèce humaine comme un cas particulier et transitoire. C'est autour de cette idée-mère que s'organisent les textes donnés dans cet ouvrage, dont le titre posthume est inspiré d'une expression favorite d'Aimé Michel. L'univers est une «apocalypse» dans les deux sens du terme, c'est-à-dire qu'il est une catastrophe continuée, et qu'un projet s'y dévoile. Et cette apocalypse est 'molle' en ce sens qu'elle se déroule à une échelle temporelle qui n'est pas la nôtre.
 
Un texte terrible et envoûtant qui complète les chroniques de France catholique publiées par Jean-Pierre Rospars chez le même éditeur et qui permet une écoute stéréoscopique de la pensée de l'écrivain visionnaire.

La préface de Jacques Vallée, les postfaces de Geneviève Beduneau et de Marie-Thérèse de Brosses insistent sur la haute figure d'Aimé Michel, sur la dimension de l'homme et du penseur.

Aimé Michel: La clarté au coeur du labyrinthe 
Chroniques sur la science et la religion 
Textes choisis, présentés et annotés par Jean-Pierre Rospars 
Préface de Olivier Costa de Beauregard
 
Entre 1970 et sa mort, Aimé Michel a donné à la revue France catholique plus de 500 chroniques, dont certaines sont des merveilles de concision et de profondeur. Réunies par thèmes dans cet ouvrage, elles dessinent une image nouvelle de la trajectoire d'un philosophe dont la pensée reste largement à découvrir. Leur auteur n'a pas été seulement le «prophète des ovnis». Toute sa vie il s'est interrogé sur les «vrais problèmes de l'homme»: ce qu'ils sont, d'où ils viennent, où ils vont, et il en dégage l'idée qui commande toutes les autres: la réalité n'est pas triste, le monde n'est pas un «petit machin», il va quelque part et nous avec.

L'examen des données scientifiques n'interdit pas cette vue, au contraire. Aimé Michel nous entraîne des origines animales de la pensée humaine à un futur matériel et spirituel potentiellement sans limite; du coeur de la matière, dont il souligne les déconcertantes propriétés, aux profondeurs de l'espace où s'inscrira notre devenir parmi nos semblables et nos maîtres; du secret de notre conscience à la Pensée cachée qui se dévoile parfois au coeur de l'homme et court dans la «rumeur chrétienne», dont il montre la centralité et la modernité.
 
Cette vision du monde à contre-courant n'est ni un système, ni un prêt-à-penser, mais un questionnement dont la première vertu est de faire circuler de l'air dans l'espace confiné où nous enferment notre propre petitesse et des vieilleries philosophiques datant du XIXe siècle. Concret sans renoncer au lyrisme, enjoué sans s'interdire des critiques acerbes, empli d'espérance sans ignorer la férocité du monde, Aimé Michel
annonce certains des grands thèmes de réflexion d'aujourd'hui, préfigure ceux de demain et fait entendre l'appel du large pour mieux nous aider à vivre sur cette étrange planète.
 
Jean-Pierre Rospars, neurobiologiste, directeur de recherche, a rassemblé et annoté ces chroniques et les a fait précéder d'un avant-propos qui les replace dans la vie et l'oeuvre d'Aimé Michel.

Le physicien Olivier Costa de Beauregard, récemment disparu, a écrit la préface.

Pour compléter cet "événement" Aimé Michel, les Éditions JMG 
rééditent le livre de

Michel Picard: Aimé Michel ou la Quête du Surhumain

Thursday, July 31, 2008

Le Christ, les fées et l’écosystème

Lorsque Pierre Saintyves ou Dontenville lançaient les grandes enquêtes sur le folklore ou la mythologie française, notaient que les saints avaient pris la succession des dieux dans les contes de veillée et les croyances populaires, Max Weber faisait après Nietzsche reproche aux chrétiens d’avoir désenchanté le monde. Le moins qu’on puisse dire, c’est que les deux affirmations se contredisent gaillardement. Les néo-païens résolvent la contradiction, quand ils la voient, en reprenant l’accusation de Weber tout en considérant que ce qui la bat en brèche serait du paganisme déguisé, selon la théorie des « survivances ». A vrai dire, cette théorie due à Pierre Saintyves si je ne m’abuse arrange tout le monde, à condition de ne jamais la regarder de trop près. Mais s’agit-il de « survivances », d’éléments d’un paganisme antérieur qui se seraient maintenus en se déguisant, ou d’une mythopoièse interne à l’univers chrétien ? Certes, la légende de saint Georges reprend presque à l’identique le mythe de Persée, mais c’est plutôt exceptionnel. Les autres saints sauroctones pourraient se rapprocher du mythe d’Apollon qui, à Delphes, s’empare de l’oracle en tuant le serpent Python, premier occupant de la grotte. Mais Apollon doit expier ce meurtre et s’en purifier, même si l’acte équivaut à faire passer le centre énergétique du monde de la magie chtonienne et ténébreuse à la lumière civilisatrice. Rien de tel chez les saints. Très rares sont ceux qui vont jusqu’à tuer la bête : le plus souvent, ils la font fuir ou la domptent et l’apprivoisent. Même l’icône de l’archange Michel le montre seulement fixant le dragon de sa lance sans le transpercer. Avec cet exemple dont le caractère mythique n’est pas niable, on voit les limites d’une hypothèse de « survivance ». A tout le moins, le matériau de l’imaginaire ancien se voit transformé en profondeur dans l’opération.

A rebours, il est des chrétiens prompts à voir le diable partout, jusque sous leur table de nuit ou les coins sombres de leur chambre d’enfant[1] et surtout dans les entités du mythe. J’en connais pour qui l’humanité a vécu dans une nuit ponctuée de cauchemars jusqu’à ce que le Christ s’incarne et, pour eux, le salut s’assimile à l’émergence de la rationalité. On n’est pas loin de la « mentalité pré-logique » que Lévy-Bruhl prêtait à tous les « primitifs ». En d’autres termes, le Christ serait lumière du monde au sens où l’entendaient les Lumières, celles du XVIIIe siècle, incarné sur mesure pour les bourgeois, les maîtres de forge et les lecteurs du Figaro, théoricien du libéralisme avant Hayek et du positivisme avant Auguste Comte. Qu’ils me pardonnent si je trouve cette liberté là un peu étroite aux emmanchures. Et ce n’est pas pour me précipiter vers la fausse libération tant à la mode qui ne remonte guère au dessus de la ceinture.

Je suis plus acerbe à leur égard qu’à celui des païens ? Vrai. On est toujours plus exigeant et plus dur avec les siens. Et c’est surtout que ce rationalisme, s’il reste seul en lice, ne me paraît pas vraiment chrétien. L’essentiel des Evangiles est récit de miracles qu’on ne peut pas toujours désarmer en les supposant symboliques ou simple condescendance à la rudesse un peu niaise des pêcheurs de Galilée. Ne protestez pas, messieurs ! Je n’invente rien, tout cela je l’ai lu et plus d’une fois comme le jugement de Luce Pietri sur la biographie de saint Martin par Sulpice Sévère : en guise de miracles, il s’agirait de « phénomènes naturels mal compris ». Lesquels ? Silence radio. La phrase est citée dans l’introduction d’une édition fort catholique destinée à la lecture populaire. Cette façon de se croire plus malin que ses ancêtres et de les prendre pour d’ignorantes andouilles quand on obtient un poste universitaire m’a toujours hérissé le poil. Et lorsque cessent les récits de miracle, lorsque le Christ enseigne, c’est au travers de « paraboles ». Oh la jolie langue de bois ecclésiastique pour glisser en douceur sur ce mode oriental de transmission de l’expérience spirituelle que l’on appelle simplement conte dans les autres traditions ! Mais oui, des contes ! Il était une fois un roi qui mariait son fils… Il était une fois un homme sorti de bon matin pour les semailles…

Donc il est une mythopoièse chrétienne initiée par le Christ lui-même avec un humour subtil et ceux qui ne sont pas capables d’éclater de rire en voyant les invités se défiler et la salle des noces remplie de tous les boiteux, les scrofuleux, les bancroches et les bayeurs aux corneilles, c’est qu’ils n’écoutent plus, qu’ils ronronnent – ou qu’ils n’ont jamais vu de noces paysannes.

Quelque chose ne va pas cette année. Nous sommes à la fin juillet et le ciel n’est strié d’aucun vol d’hirondelle[2] alors qu’elles étaient présentes l’an dernier. Elles me manquent. Pourquoi ne sont-elles pas venues jusqu’ici nous parler de l’été ?

Il ne s’agit pas vraiment d’une parenthèse. Les hirondelles et leurs cris ont rythmé mon enfance, ma grand-mère m’apprenait qu’elles ne nichent pas n’importe où, qu’elles apportent le bonheur sur les maisons qu’elles élisent – à moins que ce ne soit l’inverse, qu’elles fuient les ambiances lourdes du malheur ou de la méchanceté – et qu’il ne faut jamais détruire les nids. Folklore, jugeront les pisse-vinaigre avec un froncement de nez. Sans doute. L’hirondelle des villes chrétiennes était donc messagère de bénédiction, prophétesse d’un éternel été.

Survivance ? C’est en hirondelle que se métamorphose Isis dans le mythe tardif raconté par Plutarque, lorsqu’elle se met en quête du corps démembré d’Osiris. Ses cris sont les gémissements de la déesse veuve. Deuil et fécondité mêlés. Hirondelle encore, bien que je présume qu’il s’agisse plutôt d’une hirondelle de mer, Fand, épouse infidèle de Manannan mac Lir, initiatrice amoureuse de Cuchulain. Rien dans ces mythes tragiques ou tristes, dans ces histoires de fécondité mais surtout de séparation ne prépare l’hirondelle à devenir messagère de joie, donatrice de bonheur. Cela ne prend sens qu’avec le christianisme, lorsque se confondent dans la sensibilité collective le retour du printemps et l’annonce de la résurrection, mêlés de plus à l’annonce de l’incarnation divine elle-même fêtée le 25 mars, juste à l’équinoxe dans l’antiquité.

Après quoi, l’on nous dira que le judéochristianisme, cette intéressante chimère universitaire, n’a pour la nature que le mépris utilitariste du propriétaire. Mais cet utilitarisme sans frein n’a pas pris naissance au bord du lac de Tibériade, il est le fruit d’une rationalité portée au pinacle et que ne modère consciemment aucune sacralité, le sous-produit de l’idéologie du progrès et de la révolution industrielle, du positivisme et de la « table rase ». On ne trouve pas « bienheureux les scientistes » parmi les Béatitudes !

Je suis d’une génération qui avait encore des grands parents paysans. Claude Claire Kappler écrit parfois qu’elle est née au moyen âge. Moi aussi. Mais le sien était sombre, peuplé d’entités hostiles qu’il fallait conjurer par des rituels précaires, un moyen âge tardif d’après la grande peste, tandis que le mien, plus ensoleillé, devait remonter aux mérovingiens. On y présentait l’enfant de la maison aux abeilles afin qu’elle ne soit pas piquée, on y maintenait une foultitude de traditions en marge de la messe du dimanche, les couronnes de meringue accrochées aux branches de buis des Rameaux, la vraie bûche de Noël dans le poêle à bois qui remplaçait la cheminée, le vœu qui accompagnait les premiers fruits de l’année, les œufs de Pâques dissimulés dans le jardin et semés par les cloches qui revenaient de Rome. Il y avait bien quelques entités plus inquiétantes comme la Mère Angueule qui guettait les enfants au fond du puits – et que je guettais, moi, en me penchant assez dangereusement sur la margelle quand on ne me voyait pas. Il m’a fallu quelques années de comparatisme pour comprendre que cette Angueule était Anguille et l’un des avatars de Mélusine.

Survivance ? Aucun doute cette fois. Dans la mythologie celtique d’Irlande, l’anguille est une manifestation de Bodb, d’ordinaire corneille, dame[3] de la guerre. C’est une queue d’anguille plutôt que de couleuvre ou de carpe qu’arborent les sirènes bifides sur les chapiteaux romans, les fées de l’espèce de Mélusine, dames des fontaines et des creux de torrent si ce n’est des vagues comme la Morganhez bretonne. La Mère Angueule vient en droite ligne des traditions celtiques. Mais elle n’a pas été christianisée, pas même dans le mythe de fondation des Lusignan puisque l’une des versions nous montre la dragonne s’envoler par la fenêtre lorsqu’on veut la forcer à assister à la messe. Résistance à la christianisation ? J’en doute. J’y verrais plutôt le sentiment plus ou moins conscient qu’il ne faut pas confondre les registres. Dans les contes de veillée, si les fées sont mauvaises, car il y a de fichues garces parmi elles, un saint les chasse ; si elles sont bonnes, Dieu les bénit et les prend pour messagères. Mais comme chez les anges de Dante, il y a celles « qui ne furent ni pour Dieu ni pour le diable mais pour elles-mêmes ».

(à suivre)



[1] Le bonhomme dans le coin, fantasme nocturne des plus classiques et bien étudié, qui passe normalement à l’adolescence. Pas chez tous, apparemment.

[2] Oui, je sais, si la queue est longue, ce sont des martinets…

[3] Les termes dieux et déesses étant trompeurs, je leur préfère la véritable traduction, puissances, et sa sexualisation en seigneur et dame.

Wednesday, July 02, 2008

Païens et chrétiens 4

Derrière la question de l’histoire se profile celle de l’identité culturelle. Le deuxième reproche fait aux monothéismes serait de privilégier l’universel aux dépens de l’enracinement. Comme Huntington assimile le religieux à l’identitaire dans son Choc des civilisations[1], les néo-païens reprennent l’ancien concept des Dieux de la cité mais en excluant le christianisme des racines légitimes. Effacer près de 1700 ans de la mémoire des peuples[2] pour renouer avec une identité sur laquelle nous avons plus de spéculations que de certitudes a quelque chose de surréaliste quand on y pense.

Cette revendication de retour aux origines, à la pureté et à la grandeur, n’est pas neuve. C’est celle de l’Egypte saïte, des sécessions gauloises dans l’empire romain, de la Réforme par rapport à l’Eglise romaine et sa dernière occurrence, déjà néo-païenne, fut le nazisme. On la voit surgir et prendre de l’importance dans les périodes de décadence comme une sorte d’ultime sursaut mais qui précède le plus souvent une disparition, au moins temporaire. La « renaissance saïte » n’a pas empêché le déclin de l’Egypte mûre pour tomber dans l’escarcelle des conquérants perses puis grecs ; l’empire de Postumus fut le chant du cygne de la civilisation celtique en Gaule ; après la Réforme, si des Eglises demeurent en occident, il n’y a plus de chrétienté ; l’Allemagne enfin n’a survécu au nazisme que brisée et soumise.

1700 ans de christianisme dominant en Europe, en Arménie, en Ethiopie, un millénaire en Russie et dans les pays slaves n’ont pourtant pas effacé les différences culturelles, la personnalité propre des nations et des peuples. Allez donc confondre Hongrois et Tchèques ou même Piémontais et Calabrais et vous entendrez parler du pays ! Et que dire des Gallois et des Anglo-saxons ! S’il est une folie niveleuse des identités collectives, il est vain de la chercher dans le christianisme, même dans sa variante catholique et romaine qui ne prétend qu’à une forme d’empire ecclésial, la réunion de nations diverses sous un même chef. On rencontre plus aisément la confusion de l’universel et de l’uniforme dans les idéologies athées ou vaguement déistes, au premier chef dans le marxisme mais déjà chez les philosophes des Lumières. L’universalisme chrétien n’est pas uniformité mais polyphonie : c’est le sens de la Pentecôte où chacun entend les Apôtres parler dans sa propre langue[3].

L’ecclésiologie chrétienne se fonde sur une antinomie : l’Eglise est une, son universalité n’a jamais été remise en question ; en même temps elle est locale, appelée à baptiser toutes les nations, pas à les nier. Son unité s’exprime par la communion de collèges d’évêques locaux. La voie juste se tient à l’exact équilibre. Si l’on accorde trop de poids à l’unité, on tombe dans une ecclésiologie de type militaire où le patriarche devient le général en chef n’ayant que des subordonnés sous ses ordres au lieu d’être le premier entre les pairs. C’est l’une des erreurs de la réforme grégorienne en occident. Si l’on accorde trop de poids à la diversité, si l’on confond local avec ethnique, on tombe dans l’ethnophylétisme qui empoisonne et ligote l’Eglise orthodoxe ainsi qu’une partie des Eglises protestantes depuis plus d’un siècle. Paradoxalement, idolâtrer les nations empêche de les baptiser en profondeur et le christianisme devient un vernis cachant mal un Dieu de la cité ou de la tribu, un Teutatès ou un Jupiter capitolin, comme l’a bien vu Alain Sanders pour les USA[4].

Qu’est-ce alors que le baptême des nations ? Lorsqu’il m’est arrivé de traiter cette question[5], je l’ai fait sous l’angle de l’antinomie unité/diversité que je viens de rappeler mais je n’ai pas abordé l’aspect le plus théologique. L’ethnophylétisme et sa parèdre, l’unité pour l’unité, qu’elle prenne l’aspect d’une hiérarchie à la romaine ou, plus à la mode, de l’œcuménisme adogmatique sacrifient tous deux l’essentiel. La vérité, sans doute mais, comme disait le vieux Pilate, « qu’est-ce que la vérité ? » Non, elles oublient simplement que Dieu est personnel, tri-personnel même et qu’il ne s’agit pas d’un dogme à énoncer mais d’une relation vivante, d’une relation de feu qui transforme l’être en le confirmant dans son unicité. Dès qu’on passe dans les « ismes », qu’on oppose des concepts, des arguments, des structures, des idéologies, qu’on parle de Dieu et non plus avec Dieu, on fait barrage à la vie, au donateur de vie. Le baptême des nations, pour le dire très vite, c’est l’infusion de cette présence de vie, des énergies divines dans la mémoire collective profonde. Il commence peut-être avec le premier baptisé concret, avec Olga en Russie, avec Frumentios en Ethiopie, avec Nino en Géorgie, encore est-ce bien rare que l’on connaisse le nom de ce premier là, mais qui peut dire quand il s’achève ? Et qui peut dire ce que sera la floraison d’une nation libérée des vieilles entraves, des ornières d’éternel retour sans pour autant être déculturée ni avoir à se renier ?

Le troisième reproche, très différent des deux premiers, c’est celui d’avoir désenchanté le monde, fait fuir les fées et les dryades, posé sur la nature un regard de propriétaire utilitariste et jouisseur, oublié que l’homme n’est qu’un élément du grand tout sans plus de droits que le cèdre ou la fourmi. Lorsqu’on objecte que la fourmi ne s’occupe pas tant du bonheur des pucerons qu’elle domestique que de sa propre fourmilière ou que le lion n’a pas scrupule à dévorer la gazelle, les néo-païens soucieux d’écologie reconnaîtront à l’homme le droit à un égoïsme d’espèce à condition qu’il reste dans de saines limites comme celui de nos ancêtres, bridé par le sacré. Le sacré ? Le sentiment de communion avec la nature comme les chamanes ou les druides et n’oublions pas les druidesses d’Avallon.

Je vais trop vite. Deux mouvances néo-païennes bien distinctes font aux monothéismes et surtout au judéo-christianisme un procès d’écologistes contre des pollueurs désenchanteurs, deux mouvances qui dans le meilleur des cas s’ignorent et dans le pire se méprisent mutuellement. Ceux qui se réclament d’Alain de Benoist et qui se soucient de géopolitique et de mémoires anciennes ont avec lui découvert la finitude de la planète Terre et embrassé les arguments de la décroissance[6]. Les autres, plus nombreux dans les pays anglo-saxons et qui cultivent de nombreux liens avec le new age, seraient plutôt les adorateurs de la Grande Déesse, les adeptes d’un néo-chamanisme oscillant entre Gaïa, Wicca et Castaneda, ainsi que toute une frange de sympathisants de l’hindouisme, du bouddhisme et du taoïsme. Je parle bien de sympathisants car très peu dans cette mouvance vont au-delà de prendre refuge auprès d’un lama célèbre à Berkeley ou de suivre des cours de tai ji. Très peu savent même que ces religions ont des doctrines constituées et des textes de référence. Encore que ces deux mouvances ne soient jamais étanches l’une à l’autre, il est difficile de confondre l’argumentaire des disciples d’Evola et ceux des sorcières de la Wicca. Les deux s’unissent toutefois pour condamner la fin du Poème biblique de la création[7] qu’ils ne connaissent qu’en traduction anglaise ou française. Les versets incriminés, 1, 26 et 1, 28 sont généralement traduits par l’injonction faite à l’homme de « soumettre » ou de « dominer sur » « la terre, les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et toute bête qui se meut sur la terre ». Soumettre, dominer sur ? Mais pourquoi faudrait-il le comprendre comme une tyrannie utilitariste ?

Peut-être faut-il retrouver le mode de lecture qui fut celui tant des exégètes juifs que des pères de l’Eglise, à savoir éclairer un passage biblique par d’autres. Poissons, oiseaux, animaux terrestres. Dès la Parabole de la mort et de la vie[8], on voit ce qu’il faut entendre par la hiérarchie établie dans le Poème : le Seigneur Dieu amène à l’homme les bêtes de la terre et les oiseaux « pour voir comment il les nommerait ». Or dans la culture suméro-babylonienne d’où est issue la tradition juive, le nom et l’essence d’un être sont identiques. Nommer, c’est connaître et révéler l’essence, voire même la donner, et le texte précise qu’il s’agit de la qualité d’être vivant qui sera reconnue à tous ceux que l’homme a désignés. Mais, ajoute le texte, il ne trouve pas parmi eux « d’aide semblable à lui ». En nommant l’animal, l’homme se nomme aussi en creux, il reconnaît à la fois sa ressemblance en tant que vivant et sa différence. Quelle différence ? Il est le seul vivant capable de reconnaître sa femme comme son miroir et non comme sa femelle, d’avoir des relations qui dépassent les besoins de la reproduction de l’espèce. Il la nomme comme il a nommé les animaux passant devant lui, par un jeu de mots intraduisible : « isha car elle a été tirée de l’ish », littéralement « elle, car elle a été tirée de lui », mais isha peut se comprendre comme « être de ish ». Ma sœur, mon épouse, mon être extériorisée… Nous sommes loin, très loin, du mâle arrogant et dévastateur qu’ont perçu les néo-chamanes au travers de traductions lues superficiellement. Que ces mythes aient été compris, au cours des siècles, autrement qu’ils ne furent transmis, racontés puis écrits, nul ne songe à le nier. Mais les interprétations tardives ne sont pas la source. Si l’on accuse un texte d’avoir infléchi les mentalités, encore faut-il avoir une connaissance suffisante de ce texte, être capable de le lire en finesse.

Le paganisme antique était-il si respectueux de la nature et de la vie ? C’est souvent le cas dans les cultures de chasseurs cueilleurs avec ou sans l’apport d’une petite agriculture, d’un jardinage au bâton à fouir analogue à ce qui se faisait à l’épipaléolithique lors de la première sédentarisation. Mais les Grecs des cités n’aimaient pas la nature sauvage, ils la redoutaient, la peuplaient de monstres comme l’hydre de Lerne ou le sanglier d’Erymanthe. Le héros type de leurs mythes, c’est celui qui débarrasse les abords de la ville et les routes de tels monstres, des périls enfantés par la Terre. Tous les Argonautes, avant d’être guerriers, sont des chasseurs. Cette méfiance s’étend aux femmes qui herborisent, comme Médée, dans la montagne. L’espace sauvage est celui des dieux, Olympiens en goguette ou déités mineures des arbres et des sources, des daïmones, périlleux pour les mortels. La défense de la biodiversité les aurait peut-être choqués comme une régression dangereuse pour la civilisation !

(à suivre)



[1] Samuel Huntington, Le choc des civilisations, Odile Jacob, Paris, 2007 (1993)

[2] A partir du moment où Constantin accorde le droit de cité au Dieu de l’Eglise et proclame le christianisme « foi de l’empire », donc à partir du concile d’Arles de 314 et du concile de Nicée de 325.

[3] Actes 2

[4] Je l’ai entendu en parler durant une heure sur Radio Courtoisie et son analyse m’avait d’autant plus intéressée qu’il passe à raison pour le plus américanophile des journalistes de la droite radicale.

[5] Dans les plus anciennes archives de ce blog.

[6] Alain de Benoist, La décroissance : penser l’écologie jusqu’au bout, Krisis, 2007

[7] Genèse 1 et 2, 1-3. Le découpage classique est ici particulièrement stupide et je tâche de rétablir la réalité du texte originel, donc un ensemble de tablettes ou de papyri, par des titres. Je distingue ainsi dans le livre de la Genèse le Poème de la création, assez tardif, la Parabole de la mort et de la vie, le récit du Déluge, la Tour, les Chroniques des patriarches. Tout ce qui précède les chroniques des patriarches est constitué de récits mythiques à ne pas confondre avec l’histoire, mais d’une richesse spirituelle rarement égalée. Reste qu’il vaut mieux lire en hébreu, un hébreu qui souvent est du pur chaldéen dans les textes archaïques, qu’en traduction, la langue en étant très difficile.

[8] Genèse 2, 4 à 5, 32. Soit le mythe d’Eden et la chute, Caïn et Abel et la double généalogie.

Thursday, June 19, 2008

Païens et chrétiens 3

J'avais entamé cette série de réflexions comme une incise à l'intérieur d'une question géopolitique mais, après avoir examiné la couche philosophique, la plus facile et que les Apologètes comme Justin ou les théologiens de l'école d'Alexandrie avaient largement débroussaillée, je me retrouve devant un problème si multiforme et traversé de tant de contradictions que je ne sais plus par où commencer. En dehors d'un philosophe admirateur du principe d'empire à la romaine, qu'est-ce qu'un "païen" ? Un comparatiste s'appuyant sur les seuls récits mythiques a déjà du mal à dégager le substrat culturel commun à tous les peuples relevant d'une même famille linguistique et ce substrat ne rend pas compte des échanges, des nuances, de la circulation et de la transformation des contes, des rites, des variantes locales et des symboles universels. Dans ce foisonnement complexe, les néo-païens contemporains choisissent des axes qui auraient peut-être étonné leurs ancêtres, comme la "trifonctionnalité indoeuropéenne" dégagée par Georges Dumézil érigée en modèle "identitaire" de société ou l'alliance écologique avec la nature, concept qui eût fait fuir un Grec du siècle de Périclès.
Les deux mouvances proclament très haut que tout le mal de notre temps vient du christianisme. Les plus bornés lui reprochent son origine sémitique donc étrangère - oubliant que la plupart des peuples sémites vivaient à l'intérieur de l'empire dont ils formaient l'essentiel de la part orientale, les royaumes eux-mêmes ayant un statut de protectorat. Bornés est le mot juste puisqu'ils conçoivent les cultures comme des ensembles homogènes, profondément anhistoriques, destinés à se juxtaposer dans l'espace comme des termitières autarciques. Une telle vision du monde exclut les échanges et l'un des représentants les plus typés de cette mouvance n'a pas su que répondre quand je lui ai demandé comment ferait l'Europe pour maintenir un haut niveau de civilisation sans matières premières ni pétrole. Mais en général les tenants de cette mouvance ne vont pas à ces extrêmes ! Ils rejettent surtout l'égalitarisme dont j'ai montré qu'il n'est pas chrétien et l'eschatologie qu'ils voient comme l'illusion d'une sortie de l'histoire. Là encore, leurs traits ne frappent souvent qu'une caricature.
Il faut tout de même examiner ce point, encore que les idéologies de la sortie de l'histoire me semblent davantage relever du platonisme que de l'eschatologie chrétienne. Il est piquant de constater que les "néo-païens" accusent les chrétiens à la fois d'avoir inventé l'histoire - le temps linéaire - et de lui voir une issue, de la résorber dans la "cité de Dieu" pour reprendre le mot d'Augustin.J'ai déjà traité ce thème dans mes Impertinentes contributions... (j'invite mes
lecteurs à revenir fréquemment aux archives de ce blog : mes articles ne traitent pas où très peu de questions d'actualité mais de problèmes de fond et forment un ensemble), montrant que temps linéaire, temps cyclique et temps immobile sont trois noyaux conscientiels que chaque homme peut éprouver, que chaque culture a plus ou moins valorisés sans ignorer totalement les autres. Je rappellerai simplement ici que le temps liturgique chrétien est par excellence cyclique, entrelaçant chaque année un cycle développé de trois ans ou de trois temps : théophanique, pédagogique et mystérique. Théophanique : c'est le temps qui va de l'Annonciation au baptême du Christ dans le Jourdain en passant par Noël ; pédagogique : le rappel de l'enseignement du Christ ; mystérique : de la Transfiguration à la Pentecôte en passant par la croix et la Résurrection.
De même que l'expression la plus nette de la trifonctionnalité ne se trouve pas dans la loi romaine ni dans celle des cités grecques mais au début du moyen âge chez le chrétien Raoul Glaber, la liturgie chrétienne est peut-être le rite le plus pleinement cyclique puisque tous les éléments qui le composent ont leur périodicité propre et s'inscrivent dans les rythmes cosmiques. Mais les mêmes néo-païens qui reprochent aux "judéochrétiens" la valorisation du temps linéaire et de l'histoire renâclent quand on leur fait constater cette cyclicité et son appui sur le cosmos, accusant alors l'Eglise de plagiat. Argument admirable ! Je ne vois pas pour ma part comment mettre dans l'antiquité le solstice d'hiver un autre jour que le 25 décembre ni quel autre jour serait plus cohérent avec la nativité de Celui qui est "Lumière de Lumière". On me rétorquera que ce n'était sans doute pas le véritable jour de la naissance de Jésus. Qu'en savent-ils, nos critiques qui agitent cet argument comme une évidence universitaire depuis Loisy ? Rien de plus que moi, c'est à dire rien. La tradition orale, par définition, échappe à l'histoire. La différence entre eux et moi, c'est que pour eux une date qui fait sens ne peut être que fausse alors que je pense que, si Jésus est Dieu incarné, il peut avoir rendu sa naissance cohérente avec les rythmes de sa création comme avec les attentes sourdes de l'humanité et que l'on doit s'attendre à ce que toute date de sa vie fasse sens. Mais c'est là franchir l'abîme de la foi. Qu'au moins les critiques universitaires aient le courage de dire que leur refus du sens vient de leur refus de la foi, volontaire ou non. Ce serait plus clair et parfaitement légitime. J'ai plus de mépris pour les intellectuels qui se disent chrétiens mais adoptent le même refus du sens pour faire plus sérieux à la Sorbonne ou aux éditions du Cerf.
Que reste-t-il alors de l'invention de l'histoire ? Uniquement ceci : Jésus est un personnage historique, né sous Hérode le Grand et crucifié à Jérusalem sous Ponce Pilate. Même s'il s'agissait d'un personnage imaginaire - thèse que plus personne ne défend sérieusement - il s'inscrirait encore dans une époque et un lieu précis, la Galilée et la Judée au début de l'empire romain. Le premier imperator est Octave Auguste (-63, +14), détenteur de l'ensemble des pouvoirs civils et religieux depuis -27. La naissance de Jésus a lieu sous son règne. Son successeur Tibère, né en -43, meurt en 37, il est donc de plus contemporain de la crucifixion. On n'insistera jamais assez : l'empire et le christianisme croissent ensemble.
(à suivre)

Tuesday, May 13, 2008

Une conférence intéressante

Mon ami Louis Dalmas, directeur de B.I. (Balkans Infos), avait donné une conférence à Genève en fin 2006 sur la question du Kosovo. Cette conférence fut enregistrée et se trouve aujourd'hui sur le site dailymotion. Pour ceux que cela peut intéresser :
http://www.dailymotion.com/relevance/search/louis%2Bdalmas/video/x4t0t1_kosovo-louis-dalmas-conference-12-2_news
http://www.dailymotion.com/relevance/search/louis%2Bdalmas/video/x4t0l0_kosovo-louis-dalmas-conference-22-2_news

Païens et chrétiens 2

Est-il un feu dans les déserts,

Est-il un feu qui nous délivre ?

Il y a quelque chose dans l’air

Qui nous désamorce de vivre !

Jean Vasca

Mircea Eliade fait remonter les débuts du désenchantement du monde aux Grecs et sans doute n’a-t-il pas tort[1]. On sait que Platon interdit sa république idéale aux poètes, c'est-à-dire à ceux qui maintiennent et enrichissent le récit mythique. Il est remarquable que ce fondateur de l’idéalisme philosophique pour qui les modèles éternels l’emportent sur le concret refuse l’imaginal mais accepte marchands et artisans dans son utopie[2]. Le commerce est même peut-être la seule activité qu’il ne règlemente pas par anticipation. Par un paradoxe assez juteux, le premier théoricien du goulag (Les Lois) et de la société totalitaire[3] serait-il aussi l’ancêtre du libéralisme économique ? Mais ce paradoxe ne devrait pas nous étonner car c’est celui de notre société post-moderne où les gardiens (autoproclamés) de la pensée unique et du politiquement correct sont aussi les défenseurs de la mondialisation. C’est encore Platon qui donne au terme mythos le sens de récit mensonger et l’oppose au logos ou discours de raison[4], précurseur ainsi d’un Fontenelle ou d’un Diderot, si ce n’est du positivisme. C’est le premier désenchanteur.

Nous devons toutefois faire la peau d’une autre idée reçue. Quand il s’oppose à la mythopoièse, Platon n’annonce en rien la démarche scientifique. Sa maïeutique (rappelons que le terme signifie accouchement) n’est pas une véritable interrogation de l’univers mais un art de convaincre et d’amener l’autre à l’acquiescement, en d’autres termes un art de propagande.

Ramenons le filet. Il contient trois gros poissons dont il serait intéressant de savoir si leur rencontre dans l’œuvre de Platon est fortuite ou si elle résulte de leur nature même :

  1. l’accent mis sur le commerce et l’activité économique en général
  2. le primat du logos sur le mythos
  3. le primat des modèles rationnels a priori sur le réel

A ces trois points s’ajoute le rôle du discours fait pour convaincre et arracher l’acquiescement donc un art du consensus[5].

Le commerce n’a certes pas attendu Platon. On trouve trace d’échanges dès le paléolithique. Ce qui m’intéresse ici n’est pas l’activité économique en elle-même mais l’intérêt que lui porte un philosophe qui, par ailleurs, prétend soumettre le réel à des modèles idéaux dont il ne serait qu’un reflet dégradé[6] et régir la société grâce à des gardiens de la pensée et des mœurs formés à l’art de convaincre comme à celui de contraindre et institués en un véritable ordre initiatique qui serait en même temps une milice.

L’influence du platonisme, encore sensible aujourd’hui comme source d’inspiration idéologique, s’est fait sentir sur toute la philosophie ultérieure. Ce n’est pas un hasard si nous possédons toute son œuvre et seulement des bribes des autres penseurs grecs de la même époque. Nous avons même, en dehors des spécialistes, du mal à comprendre le néoplatonisme des premiers siècles de notre ère comme un retour à une doctrine largement oubliée pendant quelques siècles.

En dehors même de la pensée juive ou chrétienne, ces trois premiers siècles dominés par deux écoles philosophiques et par les cultes « à mystère » c'est-à-dire initiatiques, sont des temps désenchantés. E. R. Dodds parle d’un âge d’angoisse[7]. Ce qui frappe qui se penche sur les écrits de cette époque, c’est leur tonalité très moderne. La petitesse de la Terre par rapport au cosmos, déjà clairement exprimée par les savants hellénistiques, entraîne chez Sénèque, Celse ou l’empereur Marc Aurèle le sentiment du néant de l’être humain. Mais c’est déjà dans Les Lois : « Hommes et femmes ne sont que des marionnettes et ne possèdent en eux-mêmes qu’une petite part de réalité », écrit Platon[8]. Un siècle plus tard, Bion de Borysthènes[9] fait déjà du hasard le régulateur de l’univers. De nombreux auteurs soulignent le caractère onirique ou théâtral de l’existence humaine, l’irréalité du monde sensible et donc élaborent la première philosophie de l’absurde.

Quand E. R. Dodds s’interroge sur le débat entre païens et chrétiens (pp.119-154), il ne cite du côté païen que des philosophes et de Celse dont la pensée relève d’abord de la philosophie politique. « Ce qui étonnait tous les premiers observateurs païens, Lucien et Galien, Celse et Marc Aurèle, était la confiance totale que les chrétiens faisaient à des propositions non démontrées, leur disponibilité à mourir pour l’indémontrable. Pour un observateur relativement bienveillant comme Galien, les chrétiens possèdent trois des quatre vertus cardinales : ils montrent du courage, de la maîtrise de soi et de la justice, mais ce dont ils manquent, c’est de la phronèsis, l’insight intellectuel, la base rationnelle des trois autres. » (pp.137-8) En d’autres termes, le « paganisme » qui s’oppose frontalement au christianisme n’est pas le culte polyphonique de l’antiquité profonde mais un rationalisme théiste, version gréco-latine du vedanta hindou. Ajoutons que la phronèsis relève de la raison pratique et non de la raison pure. Aristote la définit comme la faculté de choisir le « juste milieu » dans des circonstances changeantes et en partie imprévisibles. On croirait lire un éloge contemporain de la pensée ou de la religion modérée. Bailly traduit par intelligence raisonnable : c’est le bon sens opposé à la folie, la prudence opposée à l’hubris.

En d’autres termes, le « paganisme » qui s’oppose au christianisme en ces premiers siècles de notre ère et de l’empire romain[10] s’accommode fort bien d’un monde désenchanté. Dodds remarque d’ailleurs (p.133) qu’ « on a pu dire avec de bonnes raisons que Celse était un monothéiste plus conséquent qu’Origène. »

(à suivre)



[1] Mircea Eliade, Aspects du mythe, NRF, Paris, 1963, réed. 1971, pp.181 et sq.

[2] Il faudrait citer entièrement la République et les Lois.

[3] Y compris au sens d’Hannah Arendt puisqu’il légifère sur la vie quotidienne la plus « privée », sexualité, nourriture, éducation des enfants, etc.

[4] Voir Fonctions du mythe, dans les archives de ce blog.

[5] On n’aura pas de mal à retrouver tous ces éléments dans les écrits des grands théoriciens libéraux, de Bastiat à Mises, d’Haynes à Georges Lane ou François Guillaumat. Toutefois, ils introduisent et rendent central un élément qui n’existe pas chez Platon, à savoir le contrat. Ce faisant, sans doute ne sont-ils pas conscients de renouer avec un thème essentiel de la tradition indoeuropéenne, représenté dans la mythologie indienne par la figure de Mitra garant des serments, second visage de la souveraineté comme l’a montré Georges Dumézil. Nous y reviendrons.

[6] Thème de la caverne, thème du démiurge.

[7] E. R. Dodds, Païens et chrétiens dans un âge d’angoisse, trad. H. D. Saffrey, La Pensée sauvage, Claix, 1979.

[8] Lois 804B, 644D-E

[9] Philosophe cynique à l’humour ravageur, 335-245, dont il nous reste quelques fragments, en particuliers chez Stobée (5e siècle de notre ère).

[10] Rappelons que le Christ est contemporain d’Auguste et de Tibère.

Thursday, May 01, 2008

Païens et chrétiens


Nous avons déjà évoqué la légende de l’égalitarisme chrétien, lequel interdirait l’amour kénotique. A la limite, si j’élève l’autre, ce n’est pas à mon niveau mais au dessus de moi. C’est ce que signifie l’humilité, terme qui dérive du latin humus, terre féconde. Il s’agit de toucher terre, à tous les sens du terme, non pour l’écrasement mais pour un ressourcement comme l’exprimait déjà le mythe d’Antée. La grande métanie monastique, cette prosternation front contre terre devant l’autre, réplique un très ancien rite du sujet égyptien devant Pharaon. D’où vient ce geste ? On pourrait songer aux rites de soumission qui désarment l’agressivité animale mais l’animal se rend vulnérable, offre gorge et ventre à la morsure, se met à la merci du dominant. A rebours, le prosterné n’expose que son dos, partie la moins vulnérable de son corps et cache au roi tout ce qui humanise : le visage, les mains, le sexe. Il se présente comme terre plutôt que comme autre. En le relevant, sinon le rite n’a plus de sens, le roi – ou le roi virtuel qu’est le moine devant qui s’humilie son frère – le découvre et le confirme dans son humanité, son altérité. Notons que le sens se perd aussi lorsque on le remplace par l’agenouillement qui hiérarchise la taille respective des protagonistes, coupe les jambes et interdit la démarche. La plus grosse bêtise de Marie de Médicis fut d’imposer cette posture aux membres du Parlement. C’est façon d’humilier l’autre, de le faire rentrer en terre en se tenant devant lui, seul debout ou dans le confort du fauteuil, seul à taille humaine. L’inverse de la kénose. Alors que dans le monachisme, celui qui fait la métanie reconnaît la royauté spirituelle de l’autre. Il n’efface pas la hiérarchie mais la creuse temporairement entre pairs.

L’autre point sociétal reproché par les néo-païens concerne la proclamation d’universalité du christianisme, ressenti par eux comme une négation de la diversité des cultures et des civilisations. C’est la même analyse que fait Huntington lorsqu’il prédit le choc des civilisations en les définissant par la religion localement dominante. Pourtant, la plus claire expression de la trifonctionnalité indoeuropéenne nous vient du moyen âge chrétien et l’apôtre Paul recommandait déjà de « se faire Grec avec les Grecs et Juif avec les Juifs », reconnaissant explicitement la spécificité de chaque peuple. La mission confiée à ses disciples par le Christ lors de son Ascension, si elle donne à la Bonne Nouvelle une portée universelle, va aussi dans le sens d’une reconnaissance de l’identité des Nations[1].

La seconde critique que font les néo-païens à ce qu’ils nomment le judéochristianisme concerne la structure du temps et la qualification de l’espace. J’ai déjà largement traité de la question du temps[2] et je n’y reviendrai pas. Il me semble plus important d’interroger ce que Marcel Gauchet après Max Weber et conjointement Alain de Benoist regrettent comme « désenchantement du monde » avec un argument d’ordre plus philosophique qu’historique : si l’on admet un Dieu transcendant et créateur de l’univers, alors la création n’a forcément plus rien de sacral.

Admettons, encore que l’argument soit un peu court. Mais encore faut-il démontrer que le Dieu des théologiens est pure transcendance. C’est peut-être vrai dans l’islam si l’on excepte le soufisme. Quand on parle du judaïsme et du christianisme, les choses sont moins simplistes que cela. Toute la Bible est traversée de théophanies qui, au moins temporairement, inscrivent la présence divine au cœur même de la création : c’est Béthel dont le nom signifie « maison de Dieu », où Jacob rêve de l’échelle parcourue par les Anges et, lorsqu’il veut élever une stèle, s’entend dire de prendre une pierre non taillée car le ciseau la profanerait ; c’est le Buisson ardent devant lequel Moïse doit retirer ses sandales « car la terre sur laquelle tu te tiens est une terre sainte » ; c’est la grande théophanie du mont Sinaï ; c’est aussi la grotte depuis laquelle Elie voit passer le Seigneur comme un souffle doux et léger suivant le séisme et l’orage.

Le terme « Dieu » est ambigu et sans doute faut-il remercier Alain de Benoist de l’avoir souligné[3]. Sans remonter au *deyw-o indoeuropéen qui signifie le ciel diurne, en nous bornant au θεός grec, remarquons que ce terme change de sens lorsque les « Septante » et leurs continuateurs l’utilisent pour traduire les termes bibliques Ælohim, IHVH ou Adonaï[4]. Ce terme θεός est d’ailleurs tardif, peu employé en grec archaïque. Homère et surtout Hésiode ne parlent que de puissances naturelles, les Titanides, et culturelles, les Olympiens[5]. Puissances encore, les neter du panthéon égyptien, les regin scandinaves. Comme dit joliment Michel Boccara, les « dieux » sont tous des esprits de la brousse, des agrégats psychiques ou des puissances de la nature. Cet aspect demeure dans le christianisme orthodoxe où certains de ces esprits de la nature figurent dans les icônes, en particulier des fleuves sous la forme d’un vieil homme[6] et n’a disparu d’occident qu’avec la réforme grégorienne et le triomphe de l’augustinisme. On sait combien Augustin, marqué par le manichéisme n’a pu se défaire d’un pessimisme radical envers l’homme et la nature. Homère emploie θεός pour désigner la divinité en général, la volonté ou l’influence active des puissances. L’ennui, c’est que les dictionnaires ont tellement accepté l’équation θεός = dieu, qu’elle en devient difficilement dépassable. Je proposerais pour ma part, de privilégier une traduction par « puissances » et de réserver le terme « Dieu » à la fois au deus otiosus que décèle Mircea Eliade en arrière-fond de toutes les mythologies et au Dieu explicite, impersonnel ou personnel, des philosophes et des religions dites monothéistes. Cela éviterait le plus gros des confusions.

Si l’on applique cette règle, le « Dieu » trinitaire chrétien devient parfaitement inclassable. Transcendant ? Sans doute, au point que le cœur de toute théologie chrétienne est l’apophatisme : de la nature de Dieu, nul ne peut rien dire positivement. Mais en même temps immanent, présent en toutes les fibres de la création. Unique ? On ne peut plus unique mais en même temps tripersonnel, Père, Fils et Saint-Esprit. Irréductible au Dieu des philosophes, au Sphairos de Parménide, à l’Un de Plotin, au Souverain Bien de Platon : Augustin s’est pris les pieds dans une suite d’apories et de régressions à l’infini pour avoir voulu les identifier[7] et l’Eglise romaine n’y a gagné que de devenir totalitaire. Toute la théologie patristique se fonde sur des antinomies assumées comme celles-ci. Prenons le couple transcendance/immanence. La transcendance personnalise mais, pensée seule, ne peut aboutir qu’à l’écrasement de l’homme par Dieu : si cet écrasement devient volontairement assumé, c’est l’islam ; sinon, le cri de révolte offre la seule chance à l’homme de retrouver quelque dignité, comme l’a vu Nietzsche. L’immanence seule, expression du monisme philosophique, ne peut permettre l’émergence de la relation personnelle et de l’amour vrai puisqu’il n’y a plus de face à face. Pensées ensemble, même et surtout en se souvenant qu’elles n’épuisent pas la réalité divine, la kénose divine permet la relation d’amour entre le créateur et la créature, dans une dynamique éternelle et libre où l’amour devient interpénétration non fusionnelle[8], dynamique rendue tragique par la chute, par le refus de l’homme lorsqu’il se veut seul à définir ses propres valeurs[9].

Dans la sainteté au sens chrétien du terme, c'est-à-dire l’acceptation de l’inhabitation divine au cœur de l’humanité, la revivification de l’immanence sur le mode de la périchorèse transfiguratrice, le monde n’est jamais désenchanté. Mais la relation de l’homme à la nature et à ses puissances s’inverse. Il ne s’agit plus comme dans les traditions archaïques de rites propitiatoires pour s’assurer les bonnes grâces d’entités pour le moins étrangères à l’homme si ce n’est hostiles, ni de nourrir la cohésion de la cité au travers de la personnification de son égrégore[10] mais que l’homme accomplisse vis-à-vis de la nature sa fonction sacerdotale et la bénisse.

Dans cette perspective, tout se retrouve et d’abord le temps cyclique au travers de la liturgie et de son inscription cosmique, avec Pâques, fête lunisolaire liée à l’équinoxe de printemps, et Noël au solstice d’hiver. Les anciennes techniques de sacralisation de l’espace sont mises en œuvre : orientation des églises sur les levers et couchers de soleil lors de la fête du saint auquel elles sont dédiées[11], d’où des effets lumineux voulus et signifiants comme à Chartres au solstice d’été, fontaines et sources rattachées à un saint patron, etc. Les vies de saints du haut moyen âge fourmillent de théophanies désignant au héros le lieu de son futur monastère, de liens d’amitié tissés avec les bêtes, de paraboles vivantes porteuses d’un enseignement spirituel.

Toutefois quelque chose a bel et bien changé par rapport aux sacralisations anciennes. L’eschatologie oriente effectivement le temps. Dans la perception des cycles on passe de la roue sans fin à ce que l’on pourrait appeler un spiroïde. Mais il faut rappeler qu’entre les « paganismes » primitifs et le christianisme se place l’âge des philosophes, c'est-à-dire en Inde, des Upanishad, en Perse, de la réforme zoroastrienne et, en Grèce, des présocratiques suivis de Platon. Dans tous les cas, le but du philosophe est de s’évader de la roue des apparences et des recommencements pour passer à une autre réalité, en général dégagée de la matérialité du monde. La rupture des philosophes avec le temps cyclique vécu comme une malédiction est plus importante que celle du christianisme qui ouvre la roue et lui donne sens dans l’eschatologie mais l’assume comme fondamentalement bonne.

Au bout de ce tour d’horizon, l’opposition païens/chrétiens qu’on nous trompette si puissamment s’estompe singulièrement ou du moins se déplace. Il reste à interroger la diabolisation des puissances naturelles en remarquant que celle-ci ne concerne pas l’orthodoxie mais uniquement le christianisme occidental, Rome en partie et surtout les diverses écoles protestantes. Notons d’abord qu’il ne s’agit pas d’un désenchantement du monde mais de la crainte d’un enchantement qui mènerait à la perte de l’homme. D’où le recours, dans le meilleur des cas à la bénédiction. Nous avons déjà montré que les rites archaïques étaient surtout des rites de propitiations et que les entités, les puissances de la nature n’étaient pas toujours les amies de l’homme, loin s’en faut. Il suffit de relire l’Odyssée pour s’en convaincre. Dans la bénédiction, il ne s’agit pas de chasser ces puissances mais de les ouvrir à la relation d’amour kénotique, l’homme dans sa fonction sacerdotale devient donateur, intermédiaire de la donation divine. Dans la Genèse, la terre n’est pas donnée à l’homme pour qu’il l’exploite mais pour qu’il la régule, pour la cultiver et la garder, pour un amour kénotique qui l’élève. Et la terre crie en recevant le sang d’Abel. Si la terre crie, c’est bien qu’elle a esprit et voix.

Comment alors en est-on arrivé à la diabolisation puis au désenchantement du monde tel que décrit par Gauchet et Benoist ?

(à suivre)



[1] J’ai traité de cette question en détail dans mon article sur le baptême des nations, dans les archives de ce blog.

[2] Voir Impertinentes contributions à la question de la tradition primordiale dans les premières archives de ce blog.

[3] Alain de Benoist, Jésus et ses frères, et autres écrits sur le christianisme, le paganisme et la religion, Paris 2006, pp.103-114.

[4] ALHIM est d’ailleurs un terme très curieux formé de AL ou ALH qui signifie lui (que l’arabe décline en Allah) et de HIM, eux. Pluriel de majesté, nous dit-on. Ah bon ? Pourquoi ne le trouve-t-on pas pour les rois ou pour l’imprononçable IHVH, fait de souffles et qui décrit le jaillissement de l’être, du « je suis », à tous les temps et modes ?

[5] C’est évident chez Hésiode qui détaille les filiations et suggère une histoire on ne peut plus linéaire, une évolution. Les Titans et leur immédiate progéniture gouvernent les éléments et les événements naturels, depuis le substrat de l’espace, la radiance lumineuse, la nuit, le ciel, la mer, tandis que les Olympiens issus de Zeus seront les protecteurs du commerce, des marins, des artisans, des arts, de la famille ou de la guerre.

[6] Et honni soit qui y verrait un diable !

[7] Je renverrai sur ce point à l’article décisif de Thomas Ross Valentine

http://www.geocities.com/trvalentine/orthodox/filioque.html

[8] C’est tout le dernier discours du Christ aux chapitres 16 et 17 de l’Evangile de Jean.

[9] Je ne reprendrai pas pour la énième fois l’exégèse des premiers chapitres de la Genèse, c’est quelque part dans les archives du blog.

[10] On me reprochera sans doute encore l’emploi de ce terme, historiquement lié à la magie pratiquée dans certains hauts grades maçonniques. Je veux bien l’abandonner mais alors que la psychologie sociale en crée un équivalent qui ne soit pas une périphrase de trois kilomètres pour désigner l’inconscient collectif structuré d’un groupe précis. Et pas si inconscient que ça…

[11] Cela s’oublie après la grande peste et surtout après les guerres de religion en occident.