Friday, July 28, 2006

Les prophètes de la grande muraille (1)


Un ami d’ami m’appelle pour parler de la Z machine. Une seule chose le fascine : les armes potentielles et la possibilité qu’elles permettent le suicide de l’humanité entière. A chacun de mes arguments en faveur du futur, il m’oppose l’inébranlable certitude de la disparition de l’homme : « Mais enfin, vous êtes bien d’accord que l’on va droit dans le mur ? » Non, je ne suis pas d’accord. Mais de tels prophètes de la grande muraille, celle sur quoi viendrait s’écraser tout l’effort de connaissance et de civilisation que notre humanité a entrepris depuis au moins 40 000 ans et, si l’on tient compte des hominiens précédents, depuis la taille du premier chopper, fleurissent aujourd’hui non seulement dans les milieux écologistes[1] où l’on a toujours connu une certaine détestation de notre propre espèce mais aussi chez des intellectuels ordinairement plus neutres et, plus inquiétant, dans la jeunesse.

L’argument clé, c’est le pic pétrolier. En 1956, le géophysicien de la Shell, King Hubbert, calcula que la production de pétrole aux Etats-Unis allait atteindre un sommet en 1970 puis inexorablement décroître. Ce « pic de Hubbert » correspond au moment où l’on a consommé la moitié des ressources disponibles. Sa prédiction se révéla exacte pour les réserves du sud des USA. Puis après le choc pétrolier purement politique de 1973, des gisements autrefois non rentables commencèrent d’intéresser les compagnies pétrolières, de nouvelles méthodes d’extraction virent le jour et, au lieu d’atteindre un pic mondial dans les années 70, on doubla, voire tripla les réserves disponibles. Et l’on recula donc d’autant le pic de Hubbert au niveau mondial. Aujourd’hui, Hugues de Jouvenel fait remarquer que deux écoles s’affrontent : « D’un côté figurent des économistes qui sont convaincus que, plus les prix s’élèveront, plus les réserves augmenteront grâce à la découverte de zones non encore explorées (zones polaires, eaux profondes), à l’exploitation de pétrole de nature non conventionnelle comme les huiles extralourdes de l’Orénoque ou les sables asphaltiques du Canada, sans parler ici des développements, grâce aux progrès scientifiques et techniques, de substituts aux hydrocarbures. De l’autre côté, des géologues qui rappellent que le pétrole est une ressource en quantité finie, dont les principales zones d’exploitation ont depuis longtemps été découvertes, et qui estiment que la production pétrolière conventionnelle pourra peut-être croître jusqu’en 2015 ou 2020 mais qu’elle atteindra alors un pic de production (aux alentours de 90 millions de barils par jour) puis qu’elle déclinera inexorablement par la suite[2]. » mais il faut aussi compter avec la demande croissante des pays émergents comme la Chine ou l’Inde. Hugues de Jouvenel alimente le pessimisme. Après avoir suggéré que, devant ces conditions, il y aura « des efforts pour modérer la consommation, d’autres pour développer des solutions alternatives », il les écarte inexorablement : « Peut-on pour autant espérer en l’espace de 10 ou 20 ans, même si les efforts s’intensifiaient, être au rendez-vous afin d’éviter non plus le choc des prix mais celui de la pénurie ? J’en doute fortement… »

Pour certains experts, le pic a déjà été atteint en 2000, ce qui donne une coloration plus sinistre à la flambée actuelle du prix du baril, nonobstant les bénéfices pharaoniques des compagnies pétrolières.

Jay Hanson résume la situation d’un slogan : No oil ? no economy[3] ! Après avoir démontré que le pétrole est un bien meilleur pourvoyeur d’énergie que le charbon, il explique : « Bien que les économistes traitent l’énergie comme n’importe quelle autre ressource, ce n’est pas une ressource ordinaire. L’énergie disponible est la condition préalable pour toutes les ressources – y compris plus d’énergie ! (…) La dévotion des économistes au Dieu Marché, couplée à leur incapacité innée à comprendre la différence entre bibliothèque et pétrole va conduire à de nouvelles guerres et envoyer des milliards de personnes à la mort. Le prochain cycle de mort commencera quand le monde connaîtra un sévère effondrement pétrolier dans moins de dix ans (sans doute moins de cinq, peut-être encore moins). L’effondrement sera provoqué par une perturbation politique dans un ou plusieurs des pays producteurs, une réaction des musulmans contre l’amitié de l’Amérique avec Israël, une réduction de production de l’OPEC pour faire plus de profits ou simplement le naturel – et inévitable – pic de la production globale. Une fois l’effondrement venu, c’est trop tard. L’économie globale va tourner à l’enfer et la planification rationnelle sera remplacée par la gestion de crise. Avec la perte du pétrole, il n’y a rien qui permette de faire quoi que ce soit. L’effondrement pétrolier à venir est le secret le mieux gardé à Washington, Whitehall, Bruxelles et Jérusalem, mais ce n’est qu’une question de temps pour qu’on en parle dans la rue… »

Ce qui est souligné en noir l’a été par l’auteur. En couleur, par moi.

Ce texte date de 1999. Nous sommes dans la fourchette de ses prévisions mais il semble qu’il ait confondu le pic pétrolier, lequel laisse disponible encore la moitié des réserves connues, avec l’effondrement final. La réaction des musulmans redoutée par Jay Hanson a pris d’autres formes, plus violentes, et c’est surtout la riposte de monsieur Bush qui stérilise tout ou partie des ressources irakiennes, amenant une pénurie temporaire mais garantissant de manière assez malthusienne une prolongation dans le temps des réserves ainsi « économisées ». Notons aussi qu’Hanson ne compare le pétrole qu’au charbon, sans même envisager d’autres modes de production énergétique comme le nucléaire ou l’hydroélectrique, sans un mot pour le gaz. C’est le pétrole ou rien. Cette dichotomie simpliste et la prévision de « milliards de morts » se retrouvent à l’identique sur la plupart des sites consacrés au pic pétrolier.

Hugues de Jouvenel enfonce le clou en janvier 2006, remarquant que les ressources fossiles sont « à l’évidence insuffisantes pour permettre la généralisation à tous les peuples du mode de vie des pays industrialisés », sans compter « la perturbation colossale qu’entraînerait du reste une telle généralisation vis-à-vis de l’écosystème et donc des conditions de vie sur Terre[4] ». Les deux facteurs limitatifs qui forceront les pays émergents à se contenter d’une portion congrue et les pays disons du G8 pour faire court à revenir au cheval et à la bougie (de cire d’abeille) sont le pic pétrolier et l’effet de serre, plus bien entendu la croissance de la population mondiale.

Une rumeur a couru en 2003, reprise dans le chapeau de l’article que Dale Allen Pfeiffer[5] a rédigé pour From the Wilderness : les réserves de pétrole seraient à 80% moins importantes que les chiffres annoncés par les pays producteurs et les compagnies pétrolières. La chose était d’autant plus inquiétante qu’on la retrouvait dans les pages du Jane’s Defence Weekly qui n’a pas pour habitude de propager des bobards. Cet article au titre volontairement provocateur (Manger des énergies fossiles), reprend presque à l’identique le raisonnement de Malthus : la population augmente mais comment augmenter en même temps la production de nourriture ? Au milieu d’un rappel historique de l’expansion puis de la mécanisation de l’agriculture, on trouve quelques réflexions de ce type, soulignées ainsi d’un bout à l’autre (j’ôte ce soulignement et je reprends mon code) : « A présent, les êtres humains se sont appropriés environ 40% des capacités photosynthétiques territoriales. Aux Etats-Unis, nous détournons plus de la moitié de l’énergie captée par photosynthèse. Nous avons absorbé tout le territoire réellement vierge de cette planète. Le reste de la nature est forcé de s’arranger avec les restes. C’est clairement un des facteurs décisifs d’extinction d’espèces et de pression sur l’écosystème. » Rien ne vous choque ? Alors, c’est que la propagande des bien-pensants vous a profondément atteint. A lire ce discours, il semble que nous soyons des extraterrestres venus coloniser et piller la Terre aux dépens de ses seuls habitants légitimes !

Il faut souligner aussi la fausseté de ce discours. En dehors du dodo trop chassé, les espèces qui auraient pu s’éteindre ont toutes fait l’objet de mesures de protection[6]. Et l’on découvre encore aujourd’hui de nouvelles espèces, non seulement des insectes en Amazonie mais même des singes[7] ! De plus, nos villes offrent une niche écologique tout à fait intéressante à nombre d’animaux qui deviennent ainsi nos commensaux c’est à dire, si l’on applique le même raisonnement, nos… pillards. Cela va du faucon au renard, en passant par une grande variété d’oiseaux et de petits mammifères.

Pfeiffer en vient ensuite à la révolution verte, terme qui désigne aux USA l’industrialisation de l’agriculture. Elle aurait augmenté de 250% la production céréalière, grâce « aux énergies fossiles sous forme de fertilisants (gaz naturel), de pesticides (pétrole) et d’irrigation fonctionnant aux hydrocarbures ». Il a oublié manifestement le moteur diesel des tracteurs ! Mais surtout « la révolution verte a augmenté l’énergie drainée vers l’agriculture en moyenne de 50 fois l’apport d’énergie de l’agriculture traditionnelle », et dans les cas extrêmes de 100 fois et plus. Suit le détail de la répartition dont « 31% pour la fabrication d’engrais inorganiques » (souligné). Suit encore le développement mathématique, toujours souligné, ce qui rend la lecture pénible et prépare le lecteur à s’horrifier. Reprenons en plus sobre : la production d’un kilo de nitrate d’ammonium demande une énergie équivalent à 1,4 à 1,8 litres de carburant diesel. D’où sort-il cette équivalence ? Mystère. Par contre, c’est du Fertilizer Institute[8] qu’il tient qu’en un an, les USA ont utilisé environ 12 millions de tonnes d’engrais – qu’il convertit immédiatement en diesel, 15,3 milliards de litres soit 96,2 millions de barils. D’où il conclut : « En un sens vraiment réel, nous mangeons littéralement des énergies fossiles. » (souligné, bien entendu – et martelé).

Un petit détour par les lois de la thermodynamique lui permet d’affirmer que, dans le processus de transformation du pétrole en nourriture via l’agriculture, de l’énergie se perd obligatoirement[9]. Et, horreur, « entre 1945 et 1994, l’énergie mise en entrée dans l’agriculture a augmenté de 4 points alors que le rendement des moissons n’a cru que de 3 points ». Conclusion : « la révolution verte fait banqueroute ».

Dans la suite de l’article, c’est l’ensemble de l’économie qu’il examine : « Avant la révolution industrielle, pratiquement 100% de l’énergie endosomatique ou exosomatique provenait du soleil. Les carburants fossiles représentent aujourd’hui 90% de l’énergie exosomatique utilisée aux Etats-Unis et dans les autres pays développés. » Suit un autre bilan énergétique tout aussi spécieux : « Giampietro et Pimentel ont trouvé que 10 kcal d’énergie exosomatique est nécessaire pour produire 1kcal de nourriture livrée au consommateur dans le système américain. Le système américain consomme dix fois plus d’énergie qu’il ne produit d’énergie-nourriture[10]. Cette disparité est rendue possible par le stock d’énergie fossile non renouvelable. »

On l’a compris : si plus de pétrole, alors famine.

Et si l’on utilise une autre forme d’énergie que le pétrole ? Tout ce raisonnement tient encore sur une dichotomie. Cette fois, le pétrole n’est pas comparé au charbon mais à l’énergie solaire transformée par la photosynthèse. Le vent et l’eau qui furent avec la domestication du bœuf, du cheval et de l’âne les grands moteurs de l’agriculture et de l’industrie d’avant la machine à vapeur n’apparaissent pas dans cette affaire. Le nucléaire n’a pas davantage d’existence.

L’eau va revenir dans le discours mais pour dire que l’agriculture industrielle la gaspille tout comme l’urbanisation et les routes gaspillent de la terre arable. Et durant encore quelques pages, Pfeiffer culpabilise les Américains en comparant leur consommation de tout et de n’importe quoi à « la moyenne du monde », avant de les laisser devant un triple choix : 1, réduire la population, ce qui signifie le contrôle des naissances, et c’est bien ennuyeux que la médecine allonge la longévité, sans parler des religions qui « refusent d’examiner les questions de gestion de la population[11] ». Il en conclut : « Bien que ce soit probablement notre meilleur choix, il y a peu de chances qu’on choisisse cette option ». Mais 2, elle pourrait être imposée par la stérilisation forcée et l’eugénisme, sous la sanction de la loi[12]. Enfin, le 3e choix « présente un indescriptible tableau de souffrance et de mort » avec la possibilité que « la civilisation ne puisse jamais revivre ». On retrouve les milliards de morts de Jay Hanton mais, alors qu’il les attribuait à des guerres, ce serait ici peut-être de faim, de froid, d’impossibilité de faire marcher les machines ou de décision divine. On ne sait pas exactement de quoi, d’ailleurs, sinon qu’il faut qu’un effondrement pétrolier se traduise par une quasi-extinction de l’homme.

Ce nouveau thème de la civilisation à jamais perdue se retrouve aussi tel quel dans les discours ultérieurs.

On retrouve tous ces topiques, accompagnés d’une description terrifiante de l’effondrement sur plusieurs sites en langue française tels qu’Oléocène, Décroissance soutenable, Oilcrash, et ce discours est répercuté dans les colonnes du Monde par le député Vert Yves Cochet[13]. Oléocène trace un tableau déjà fort pessimiste : fin de la globalisation et retour à une économie locale de subsistance à cause du prix des transports, fin de l’industrie aéronautique, du tourisme international, les mégapoles construites en fonction de l’automobile deviendront inhabitables, décroissance forcée, crash boursier mondial, chômage explosif, émeutes, fin des rendements agricoles et donc famine. « Il est fort possible que plusieurs milliards d’humains meurent de faim dans un futur proche[14]… » Avec ce morceau de bravoure qui devrait fortement amuser Poutine s’il lui arrive de lire les sites francophones : « L’ancienne URSS a connu son pic de production en 1987. Quatre ans plus tard, elle s’effondrait complètement. Bien sûr, on peut toujours dire que le communisme était inadapté et a fini par capituler devant le capitalisme triomphant. C’est peut-être le cas mais ce système a quand même tenu soixante-dix ans avant de s’en apercevoir. » La guerre d’Afghanistan bien dopée par la CIA, avec le déséquilibre budgétaire qu’elle a entraîné, n’y est évidemment pour rien – et que la Russie émergente soit redevenue une puissance du G8 en une petite quinzaine d’années grâce au pétrole et au gaz ne les effleure même pas. Pas plus que l’acharnement des compagnies pétrolières à exploiter les réserves de la Caspienne…

On retrouve le même ton sur le site Décroissance soutenable – avec une nuance difficile à rendre dans un commentaire, celle d’une jouissance suicidaire anticipée. Ce sont toujours les mêmes topiques, le même slogan implicite : Du pétrole, sinon rien ! On assiste encore à l’échec des énergies alternatives, à la mort de milliards d’hommes, à l’effondrement sans retour de toute civilisation. Un argumentaire second vient renforcer la prophétie d’une justification morale. Car si, par miracle, on parvenait à maintenir un certain degré de civilisation industrielle, alors on entretiendrait le réchauffement climatique, forcément linéaire et indéfini. Donc, c’est bien de crever en masse et de redevenir des singes dans les branches que notre espèce n’aurait jamais dû quitter pour rester au niveau des autres animaux. Il y a dans cette jouissance de mort quelque relent nauséabond de l’augustinisme, de la punition méritée du péché originel – mais ce péché n’est plus la désobéissance à un arbitraire divin[15], il ne s’agit même pas d’avoir transgressé la loi naturelle puisque nous sommes les fruits de l’évolution darwinienne, il reste vague, non défini, on ne sait pas très bien si nous sommes coupables d’avoir créé la civilisation ou simplement coupables d’être[16].

Le ton est très souvent religieux. L.F. Ivanhoe parle de « l’inévitable jour du jugement dernier » suivi d’une « implosion économique ». Christophe Vieren citant Hubert Reeves déclare que « l’humanité serait menacée par ses propres activités économiques », lesquelles induisent, entre autres menaces, « épuisement des ressources naturelles, bouleversement des conditions climatiques, augmentation des radiations nocives », menaces qui « ont pour cause l’explosion démographique et un développement économique basé sur le très court terme ».

Les plus hargneux de cette brochette de prophètes opposent un déni méprisant à toute tentative de franchir l’obstacle par le haut et non par l’effondrement et l’extinction de l’humanité. L’espoir de résoudre le problème par la technologie, échappant ainsi au châtiment implicite qu’ils appellent de leurs vœux ne serait qu’un « culte du cargo », un mythe naïf[17]. Francis de Winter qui propose cette métaphore[18] offre tout de même une échappatoire, le recours à l’énergie solaire dont il est un spécialiste, sans voir apparemment qu’il s’agit encore de technologie.

Quelques auteurs commencent heureusement à prendre la mesure du problème posé par ce que Vaclav Smil nomme le « culte du catastrophisme[19] ». Il accuse ses apôtres d’avoir « recours à des arguments délibérément alarmistes mélangeant les faits incontestables avec des caricatures de réalités complexes et ignorant tout ce qui ne correspond pas à leurs conclusions préconçues pour pouvoir publier leurs articles nécrologiques de la civilisation moderne ». Smil fait remarquer que « la crainte d’un déclin imminent de l’extraction des ressources remonte à 1865 avec l’économiste victorien William Stanley Jevons (1835-1882) qui avait conclu que le déclin de la production du charbon allait marquer la fin de la grandeur nationale britannique et qu’il était ‘bien entendu… inutile de penser trouver un quelconque carburant de substitution au charbon.’ »

Tout comme la fin du monde chez les Témoins de Jehovah et autres Adventistes, la date estimée du pic mondial a reculé au cours du temps. Hubbert, après son premier succès sur le pic local de 1970, le proposait entre 1993 et 2000 ; en 1977, les partisans des énergies alternatives le situaient entre 1994 et 1997 ; en 79, la CIA le voyait même dans la décennie et BP parlait d’un pic en 1985, la production de l’an 2000 n’étant plus que de 25% du maximum alors atteint[20] ; Campbell l’a d’abord situé en 1989, Ivanhoe en 2000, Deffeye pour 2003 puis 2005.

Smil, après avoir commenté ces dates mouvantes et les désaccords entre géologues, a cette remarque de bon sens : « Même si les dernières ressources mondiales étaient connues à la perfection, on ne pourrait pas tracer une courbe de la production mondiale sans connaître la demande future de pétrole. Nous ne pouvons pas déterminer la demande dans la mesure où elle est influencée, comme par le passé, par les avancées techniques imprévisibles. » Il ajoute qu’une « augmentation rapide des prix du pétrole ne conduirait pas à une demande incontrôlée pour les réserves restantes mais accélérerait la transition vers d’autres sources d’énergie ». Il en fait une liste intéressante, pétrole non-conventionnel, gaz naturel, méthane de houille, méthane hydraté, cellules photovoltaïques, éoliennes, fission nucléaire. Il suggère que la transition prendra quelques décennies mais « les avantages potentiels sont immenses ».

Notant que « l’obsession récente d’un pic pétrolier imminent porte tous les signes d’un culte catastrophiste apocalyptique », ce sur quoi nous sommes bien d’accord, il rappelle que « les transitions énergétiques – de la biomasse au charbon, du charbon au pétrole, du pétrole au gaz naturel, de l’utilisation directe du combustible à l’électricité – ont toujours stimulé les avancées technologiques et l’inventivité humaine. » Cela ne va pas sans réorganisations d’infrastructures, bouleversements sociaux et dépenses monétaires mais, à la sortie, engendre « des économies plus riches et plus productives ». A cette conclusion bien américaine, il faudrait ajouter à terme un formidable enrichissement culturel du peuple et pas seulement des élites. Pensons que le CD a mis à la portée de tous les trésors musicaux autrefois réservés à ceux qui pouvaient fréquenter l’opéra ou les grandes salles de concert ; que la photographie couleur a permis à chacun d’accéder aux œuvres d’art de tous les musées, au moins en reproduction.

La transition dont parle Smil pourrait être largement facilitée par la Z machine puisque le procédé est adaptable à la fois à la production d’électricité (projet Z-IFE) et au transport aérien ou maritime rapide (mais pas à la voiture familiale, pour laquelle la batterie électrique ou les biocarburants sont à terme une meilleure option).

Encore faut-il la volonté d’opérer cette transition. C’est à dire, fondamentalement, l’envie de vivre, l’enthousiasme vis à vis de l’avenir. Il semble que les pays émergents comme la Chine ou l’Inde cultivent cette foi et peut-être la Russie qui se relève d’un écrasement économique de grande ampleur ; mais en France comme dans les pays anglo-saxons, les prophètes de la grande muraille et autres déclinologues entretiennent une morosité sans espérance et se repaissent de la catastrophe malthusienne qu’ils annoncent. Si ce n’est la mort de l’homme, du moins nous prêche-t-on à coup de repentances tout aussi moroses et suicidaires la fin du « fardeau de l’homme blanc » comme auraient dit nos arrière-grands-pères, ce qui implique à la fois la fin de la civilisation industrielle, du christianisme et de la démocratie. Au mieux, on souhaite une retraite pantouflarde à la campagne ; au pire, le châtiment ou la conversion destructrice des descendants de soi-disant coupables historiques.

Comment diable nos élites pensantes en sont-elles arrivées là ?

(à suivre)



[1] L’écologie est une des sciences les plus utiles au monde. L’écologisme, en tant qu’idéologie politique refusant à l’homme le droit à la technologie, à la civilisation, voire à l’existence au nom des droits des autres espèces vivantes, outre qu’il est le plus souvent d’une niaiserie abyssale en matière d’écologie réelle (analyse systémique des fonctionnements globaux et locaux du vivant), a les défauts de toute idéologie – en particulier son côté crypto-religieux et son refus de toute réfutabilité. Autant je prêche pour la connaissance de l’écologie, pour le respect de la vie et le respect de toute intelligence (charte de Hôdo), autant l’écologisme me donne de l’urticaire et ce n’est pas d’aujourd’hui.

[2] Hugues de Jouvenel, « Editorial : la fin du pétrole ? », Futuribles n°312, octobre 2005

[3] Jay Hanson, « The best-kept secret in Washington », 1999, http://www.dieoff.org/

[4] Hugues de Jouvenel, « Editorial : Le développement durable », Futuribles n°315, janvier 2006.

[5] Dale Allen Pfeiffer, « Eating fossil fuels », From the Wilderness, 3 octobre 2003, http://www.fromthewilderness.com/

[6] Les espèces connues du moins. Le taux d’extinction hallucinant que proposent des auteurs comme Vieren (70 disparitions par jour) résulte d’un calcul lié aux découvertes d’espèces inconnues dans les forêts primitives. Comme ces dernières, tant en Amazonie qu’en Afrique ou en Asie perdent environ 1% de leur surface par an, soit 17 millions d’hectares, une règle de trois fort spécieuse permet d’arriver aux disparitions évaluées. Il faut déjà retirer du total les espèces d’insectes ou de vers qu’on a cru nouvelles alors qu’elles avaient déjà été décrites et qui font donc l’objet d’une disparition… de la nomenclature ! Cela concerne environ 4 sur 5 des découvertes annoncées. Mais réfléchissons un instant. 70 espèces disparues par jour, cela ferait 25 550 disparitions par an, ce qui montre bien l’absurdité de ces évaluations.

[7] La nouvelle est répercutée dans les colonnes de La Grande Epoque, http://french.epochtimes.com/

[9] Nooon ? Il a trouvé ça tout seul ? Tous les physiciens se roulent de rire sur le tapis.

[10] J’ai fort envie de rappeler la réponse du Christ au démon qui lui suggère de changer les pierres en pain : « L’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. » Changer des pierres en pain, c’est exactement ce qu’analysent Giampietro et Pimentel, en accusant en plus de prendre trop de pierres pour trop peu de pain. Je ne suis pas sûre que le Christ, en Matt. 4, 1-4, avait en vue le bilan énergétique de l’opération !

[11] Ce spectre de la surpopulation nous a déjà valu l’exaltation de l’avortement aux dépens de la contraception et, aujourd’hui, le lobbying branché en faveur de l’euthanasie. C’est à dire, dans tous les cas, l’apologie du meurtre légal.

[12] De telles mesures furent imposées à l’Inde et à la Chine dans les années 70. Voir le film Urga, un des plus poignants des dernières décennies. Mais il faudrait parler aussi des stérilisations systématiques opérées dans des hôpitaux psychiatriques américains, voire dans des hôpitaux tout court pour des raisons sociologiques (pauvreté, mœurs non acceptées) à l’insu des victimes et de leurs familles, ou de l’obligation de stérilisation imposée par certaines entreprises états-uniennes pour l’embauche des femmes, les enfants éventuels risquant d’engendrer de l’absentéisme. Pfeiffer réveille ici des souffrances et des scandales déjà éprouvés.

[13] Yves Cochet, « Vers la pétro-apocalypse », Le Monde, 1 avril 2004, repris sur www.oilcrash.com/

[14] Page d’accueil du site Oléocène, www.oleocene.org

[15] Chez Augustin, l’interdiction divine est arbitraire, même si ce n’est pas le cas dans le texte de la Genèse.

[16] C’est pire qu’Augustin et Calvin réunis puisque le châtiment doit frapper l’espèce et non les personnes, et qu’aucun Dieu ne viendra proposer le pardon et le salut. L’humanité est invitée à la repentance mais sans espérance de rédemption.

[17] Francis de Winter, « Technology will solve all oil and gas supply problems : the ‘Cargo Cult’ of Modern World », août 2003.

[18] Et montre ainsi qu’il ne connaît rien de la littérature ethnologique sur le culte du Cargo, beaucoup plus complexe qu’une simple attente infantile de la venue du Père Noël.

[19] Vaclav Smil, « Pic pétrolier : culte du catastrophisme et réalités complexes », parution initiale dans World Watch, traduction française sur www.delaplanete.org/ Vaclav Smil est professeur à l’université de Manitoba à Winnipeg, auteur de nombreux ouvrages sur l’énergie et les questions de civilisation ainsi que sur la Chine.

[20] Aujourd’hui BP est la seule compagnie pétrolière qui se refuse au jeu des pronostics. On comprend pourquoi !

Tuesday, July 25, 2006

Z comme Zénobie ?

J’avais prévu de ne faire qu’un bref article sur la Z machine pour en signaler l’existence mais le développement du forum d’Agoravox, que je presse mes lecteurs d’aller consulter toutes affaires cessantes[1] ainsi que le site de Jean Pierre Petit[2] qui consacre du temps et de l’énergie à cette question, me suggère d’autres réflexions.
Jean Pierre Petit est pessimiste sur la possibilité de poursuivre cette recherche en France, étant donné les luttes de clans, les crédits déjà votés pour ITER et Mégajoule et, surtout, la chape du secret défense sur le site de Gramat. Le problème politique était exactement le même lorsqu’on est passé de la bombe atomique au nucléaire civil. Ce qui est plus grave, c’est d’avoir laissé partir chez Sandia les jeunes gens compétents qui avaient monté la machine de Gramat. Nous aurions pu être en pointe, ce ne sera pas le cas.
Mais pour une fois, les directives européennes et leur manie du tout concurrentiel pourraient servir à quelque chose. Puisque Bruxelles oblige à « ouvrir à la concurrence » la production d’énergie, pourquoi ne pas passer par la recherche privée ? Pourquoi ne pas le proposer comme une diversification d’avenir à des compagnies pétrolières qui ont déjà des filiales assez différentes des derricks et des raffineries ? Les Toulousains se souviendront qu’AZF appartenait à Total et qu’on y fabriquait de l’engrais, entre autres produits chimiques[3] non dérivés du pétrole. De toute manière, ces multinationales n’ont pas le choix : si elles veulent survivre dans un monde où le pétrole deviendra cher, rare et surtout inutile, c’est aujourd’hui qu’elles doivent préparer leur diversification et elles le savent.
Une autre voie serait de passer par des structures internationales. Une pétition est d’ores et déjà en place sur le web mais, comme son message n’était pas parfait, une nouvelle mouture est actuellement en discussion sur Agoravox et sans doute ailleurs. Je mets ici la dernière mouture en invitant mes lecteurs à proposer en commentaire des améliorations et je transmettrai l’ensemble de vos remarques à qui de droit début septembre.

Etat de la pétition au 7 juillet :

La «Z machine» des laboratoires Sandia, du Département de l’énergie des USA, a produit plus de deux milliards de degrés lors d’une expérience, courant 2005. Cet équipement unique au monde, comme ses personnels, sont parfaitement fiables, s’agissant d’une technologie éprouvée et de l’élite scientifique de ce domaine.
Ce record de température ouvre une voie de recherche jusqu’alors inenvisageable: la fusion thermonucléaire inertielle par striction magnétique. Cette nouvelle voie est radicalement différente de celles suivies jusqu’à présent, et notamment de celles retenues par le consortium international ITER, dont le projet de réacteur tokamak expérimental doit être hébergé par la France pour quarante ans à partir de 2008, et par le projet Mégajoule, qui vise la fusion inertielle par laser, en 2010, pour des applications militaires.
Serpent de mer de la recherche nucléaire depuis des décennies, la fusion civile offrirait à l’humanité une chance de lutter efficacement contre la pauvreté, le réchauffement climatique et pour un meilleur environnement.
L’analyse préliminaire de la découverte des laboratoires Sandia permet pour la première fois d’envisager, à moyen voire court terme, l’industrialisation d’un procédé de production d’électricité peu coûteux, inépuisable à l’échelle humaine, sans radioactivité ni déchet toxique d’aucune sorte. Les technologies envisagées relèves de l’intégration de concepts déjà existants, et du développement d’une ingénierie ad hoc.
Les applications militaires de la découverte de Sandia concourent malheureusement à une relance de la course aux armements nucléaires, et il serait irréaliste d’espérer que la recherche civile puisse bénéficier des avancées militaires dans ce domaine, désormais couvert par le secret.
Nous, citoyens de France, d’Europe et du monde de demain, exigeons de nos pouvoirs publics que cette découverte soit prise en compte pour ouvrir immédiatement une nouvelle filière de recherche civile sur la fusion thermonucléaire, dotée du financement adéquat, alternative et concurrente des autres filières.
Nous réclamons spécifiquement la mise à disposition des chercheurs d’un équipement comparable à la «Z machine». Par soucis de bonne gestion, un tel engin pourrait être une version améliorée d’une machine déjà existante, sur le site du Centre d’Etudes de Gramat, moyennant son déclassement militaire. D’autres associations seraient envisageables, telle qu’une implantation sur le site Mégajoule, dont les équipes scientifiques possèdent une précieuse expertise sur la fusion inertielle.
Une nouvelle physique des plasmas est en train de naître, porteuse d’un projet scientifique novateur. Nos intérêts politiques et stratégiques commandent que nous n’en soyons pas absents.

Une des chances de la Z machine civile, c’est le pic pétrolier imminent et, surtout, le besoin criant qu’ont les USA de s’assurer une réelle indépendance énergétique. C’est la seconde fois au moins que Bush revient sur la question dans un discours sur l’état de l’Union. Dans leur compétition prévue et prévisible avec la Chine, qui devient un pont aux ânes de la géopolitique, il s’agit pour eux non seulement de s’assurer une indépendance mais surtout une avance technologique. Lors de la première intervention en 2002, Bush envisageait de reprendre la construction de centrales nucléaires classiques, pratiquement abandonnée au profit du pétrole après les deux grandes peurs que firent naître les accidents de Three Miles Island puis de Tchernobyl. Il s’agissait alors, après les attentats du WTC, de se dégager de la dépendance vis à vis des pays producteurs de pétrole et une telle décision était d’autant plus remarquable que toute l’administration Bush est liée aux grandes compagnies pétrolières comme Exxon ou Halliburton. Personne n’a relevé : les guerres d’Afghanistan puis d’Irak ramenaient le regard des analystes vers le pétrole. Aujourd’hui, il déclare : « Pour que l’Amérique reste compétitive, il lui faut une énergie à la mesure de ses moyens. Et là, nous sommes face à un problème : l’Amérique est dépendante du pétrole, qui est souvent importé de parties du monde instables. La technologie est la meilleure façon de stopper cette dépendance. Depuis 2001, nous avons dépensé 10 milliards de dollars pour développer des sources d’énergie alternatives plus propres, moins coûteuses et plus fiables, et nous sommes maintenant à la veille de progrès incroyables. » Suit l’annonce d’un plan énergétique, d’une augmentation de budget de 22%, ce qui est énorme, et la liste des réalisations projetées : « centrales thermiques non polluantes[4], technologies révolutionnaires en matière solaire et éolienne, énergie nucléaire propre et sans risque ». Le but étant de remplacer « plus de 75% de nos importations de pétrole en provenance du Moyen orient d’ici 2025 ». Logique, puisque à cette date les effets conjoints du pic pétrolier et de la demande chinoise devraient rendre le coût du pétrole prohibitif, le coût politique étant probablement pire que l’emballement financier. Continuons : « Pour que l’Amérique soit compétitive, un engagement prime sur tout : nous devons garder notre place en tête du monde en matière de talents et de créativité[5]. » S’il est évident que les progrès incroyables et l’énergie nucléaire propre évoquent la percée effectuée sur la Z machine de Sandia, le couplet sur la dominance technologique suivi d’une invitation à former les jeunes états-uniens dans les disciplines scientifiques sonne comme une cloche d’alerte aux oreilles d’un habitué de la géopolitique. Si la nécessité de garder une avance technologique prime sur tout, cela signifie :
1. Le recours au secret même pour des réalisations civiles si elles conditionnent l’indépendance et la supériorité des USA. C’est la fin de la science ouverte, comme on l’avait déjà pressenti avec le séquençage du génome humain. Encore ne s’agissait-il que de bagarre économique entre multinationales.
2. Former de jeunes Américains en sciences signifie l’abandon le plus rapidement possible de la politique de drainage des cerveaux. Comme si l’on doutait de la loyauté, à terme, des élites importées, ce qui suggère que des crocs-en-jambe au moins économiques sont prévus pour maintenir dans un sous-développement au moins relatif leurs pays d’origine. A moins que ce ne soit simplement l’impossibilité légale de leur accorder une clearance suffisante.
Si l’annonce de progrès technologiques incroyables désigne sans ambiguïté, dans ce contexte, les résultats déjà obtenus sur la Z machine et ceux attendus de la version Z-IFE, la centrale électrique expérimentale, la volonté de rester la seule hyperpuissance est d’ores et déjà un vœu pieux puisque des recherches du même ordre sont en cours en Russie et en Chine. On ne remettra pas l’oiseau dans sa cage, fût-ce une cage à serins comme on surnomme dans les laboratoires le liner à fils. Sauf à atomiser le reste de la planète, ce que redoute Jean Pierre Petit, à mon avis à tort car le recours à la fusion propre n’éviterait pas l’hiver nucléaire, résultat des fumées des incendies secondaires et non de la radioactivité. Mais c’est là où relire le programme de l’USAF à l’horizon 2025 est instructif puisque, outre la maîtrise climatique et la guerre sismique, est envisagée la possibilité d’utiliser divers moyens pour faire baisser le QI de populations entières. En fait, ces moyens se résument à deux, tous deux interdits par les accords SALT et les conventions de Genève et donc inavouables mais on sait le cas que font les militaires américains des traités internationaux que leur pays a signés, triturer le champ magnétique terrestre via un sondeur ionosphérique de type HAARP ou trouver une arme génétique. La seconde pourrait être exclue par la grande diversité génétique de la population états-unienne. Je sais que la première laisse sceptique nombre de physiciens. Elle a surtout l’inconvénient que des sondeurs ionosphériques existent déjà en Russie, en Europe et sans doute en Chine[6].
On pourrait alors assister à des guerres ouvertes de basse intensité accompagnées de guerres « silencieuses », économiques, climatiques, sismiques, biologiques, où la main de l’homme se cacherait derrière la « main de Dieu » ou plutôt de la nature et où l’intervention technologique serait improuvable. Hors les conflits économiques, le reste n’est encore qu’au stade expérimental. Personne ne peut définir aujourd’hui ce qui deviendra ou non opérationnel dans 20 ans mais ce qui est intéressant, c’est qu’on mette des gens à l’étude de tels sujets.

Z comme Zorglub ou comme Zoé (la vie) posait l’alternative : armement au service d’un despotisme ou usage civil pour un saut de civilisation. Z comme Zénobie fait appel à la mémoire historique. Zénobie, c’est la reine d’un minuscule satellite de l’empire romain qui s’est révoltée contre l’hyperpuissance, a fédéré toute la région, a fini certes par être vaincue mais sa défaite marque le début de la fin de la suprématie et surtout de la civilisation romaines[7]. La remontée en puissance qui s’opèrera plus de quarante ans plus tard avec Constantin se fera sur des bases idéologiques et religieuses bien différentes et après une effroyable guerre civile. La phase expansionniste sera terminée, même si l’empire d’orient se survit dans Constantinople jusqu’au milieu du XVe siècle. Je ne dis pas ici que l’histoire va se répéter à l’identique, loin de là, mais que dans la partie en cours un petit pays courageux, une nouvelle Zénobie, pourrait avoir son rôle à jouer.
Pour ma part, je verrais volontiers naître une Z machine suisse…

[1] http://www.agoravox.fr/forum.php3?id_article=10680
[2] Le lien se trouve dans ma colonne de liens. Une fois sur le site, aller dans Nouveautés.
[3] Je ne rentre pas dans la polémique pour l’instant mais j’ai toujours eu le sentiment que cette appartenance a beaucoup pesé sur l’enquête ; Total étant responsable d’une marée noire l’année précédente, l’explosion d’AZF devenait une occasion de les faire payer. Raisonnement conscient ou inconscient ?
[4] Bush parle même de coal power plants, donc de centrales à charbon. Ce qui signifie une technique fiable pour récupérer le CO2.
[5] On trouvera le texte originel en anglais sur le site officiel de la Maison Blanche. J’utilise ici la traduction de Jean Pierre Petit mais je ne souligne pas exactement les mêmes phrases.
[6] Note à l’intention d’un ami physicien fort sceptique sur les potentialités climatiques et autres de HAARP : outre que ces recherches sont financées en grande partie par la Navy, si l’on se rend sur le site officiel de son équivalent européen, EISCAT, on lit : « La compréhension de tous ces phénomènes a aussi son importance pratique dans les possi-bilités de prédiction de l'activité aurorale. Celle-ci - aurores discrètes ou diffuses - perturbe la propagation des ondes électromagnétiques. La prédiction de cette activité est très importante pour les transmissions d'images de télévision dans les régions polaires, pour les communications radio utilisant les fréquences HF et enfin pour des raisons purement militaires telles que la surveillance de la zone polaire. » C’est moi qui souligne. Si quelque chose était en train de franchir la zone polaire, ce serait sans doute un peu tard pour réagir étant donné qu’il s’agit de la route la plus courte entre Russie, Amérique du Nord et Europe. A moins de pouvoir utiliser EISCAT pour le détruire en perturbant son électronique !
[7] Pour être tout à fait exacte, ce tout début de la fin date de l’usurpation de Postumus vers 257 et de la constitution d’un empire indépendant en Gaules, ainsi que de la défaite de Valérien prisonnier des Perses en 259, donc de 20 ans auparavant. Mais Zénobie, régente en 268 et vaincue en 272, a l’avantage de s’écrire avec un Z.

Saturday, July 22, 2006

Z comme Zorglub ou comme Zoé ?

N’étant pas physicienne et surtout pas ingénieur, même si je suis dans une certaine mesure capable de comprendre les travaux des autres, je ne discuterai pas des performances de la Z machine des laboratoires Sandia du point de vue du spécialiste. Ce blog ne se couvrira pas d’équations ni de schémas de montage. Mais le silence radio qui entoure en France ce qui semble la percée la plus ahurissante en physique depuis la domestication du feu pose problème à la sociologue historienne que je me targue encore d’être.
Le communiqué de presse de Sandia, en date du 8 mars 2006, a beau garder la sobriété de rigueur en sciences, il ne peut s’empêcher d’enfoncer le clou dès le titre : « La Z machine de Sandia dépasse deux milliards de degrés Kelvin : températures plus chaudes que dans les étoiles »
Continuons la lecture. C’est moi qui traduis.
« Cette chaleur inattendue en sortie, si sa cause était comprise et maîtrisée pourrait signifier in fine que des centrales à fusion nucléaire plus petites et de moindre coût produiraient autant d’énergie que les grandes.
Ce phénomène peut expliquer aussi comment des entités astrophysiques telles que les éruptions solaires peuvent maintenir leurs températures extrêmes.
Ce très haut rayonnement en sortie crée aussi de nouveaux environnements expérimentaux pour aider à valider les codes informatiques qui permettent de garder un stock d’armes nucléaires fiables en toute sécurité – ce qui est la principale mission des installations Z.
‘D’abord, nous n’y avons pas cru’, déclare le chef du projet Sandia, Chris Deeney. ‘Nous avons répété de nombreuses fois l’expérience pour être sûrs que nous avions un vrai résultat et pas une erreur.’
Ces résultats, enregistrés par spectromètre et confirmés par les modèles informatiques créés par John Apruzese et ses collègues du Naval Research Laboratory, ont entraîné 14 mois de tests supplémentaires. »
Suit le rappel de la publication scientifique de Malcolm Haines, consultant de Sandia et spécialiste du pincement Z à l’Imperial College de Londres, dans les colonnes des Physical Review Letters du 24 février 2006.
Puis vient ce qu’on pourrait appeler la description du problème et que je vais résumer. La Z machine est à l’origine un générateur de rayons X par pincement magnétique d’un plasma obtenu en faisant passer un courant électrique de 20 millions d’ampères dans des fils de tungstène très fins. Ce plasma atteint quelques millions de degrés. J’ai sous les yeux un article de décembre 1999 ou janvier 2000, un autre communiqué de presse de Sandia, où ils se congratulaient d’avoir atteint les 1,6 millions de degrés, comparables aux éruptions solaires et très proches des températures de fusion. En remplaçant le tungstène par de l’acier afin d’obtenir des mesures spectroscopiques plus précises, ils ont fait un bond qualitatif autant que quantitatif totalement inattendu : une température de sortie plus chaude que les étoiles, plus d’énergie à la sortie qu’on n’en a envoyé à l’entrée, la température des ions toujours soutenue lorsque le plasma est immobilisé. Une énergie additionnelle imprévue se manifeste. Haines l’attribue à des micro-turbulences engendrées par le champ magnétique dans le plasma.
A de telles températures, on peut envisager la fusion Lithium-Hydrogène, voire Bore-Hydrogène, lesquelles ont l’intérêt de ne pas générer de neutrons donc d’être une énergie totalement propre. Voilà qui devrait réjouir les écolos – mais la lecture de quelques uns de leurs forums nous détrompe. Ils supportent très mal de ne plus pouvoir jouer les Cassandre malthusiennes et donc se réfugient dans le déni. L’hydrogène, on en trouve partout où il y a de l’eau. Des composés du bore servaient déjà pour glacer la céramique romaine. On le déniche dans les sources chaudes d’origine volcanique, dans des lacs et des eaux souterraines. Quant au lithium, on en découvre dans de nombreux silicates. L’intéressant, c’est la localisation de ces minéraux que l’on exploite bien entendu aux Etats-Unis mais aussi, pour le bore, dans des lacs russes ou dans les solfatares volcaniques d’Italie ; et pour le lithium, en Suède, en Saxe ou dans la Creuse.
Les militaires y voient bien entendu à terme la bombe H propre, y compris comme arme de théâtre sous forme de mini-nuke, mais l’autre face, c’est la production d’électricité sans déchets radioactifs ni marées noires et, ce qui n’est pas négligeable politiquement, sans dépendance vis à vis de pays aux choix idéologiques différents[1].
Les laboratoires Sandia font remarquer que la Z machine tient dans un hangar de la taille d’un gymnase de lycée.

Jean Pierre Petit, parce que la Z machine tombe complètement dans son domaine de compétence, s’emploie à secouer le cocotier sur le web. Il en résulte des discussions sur plusieurs forums, où l’on retrouve parfois les mêmes intervenants. Le plus intéressant me semble celui d’Agoravox[2], le forum créé par Joël de Rosnay dès les débuts d’Internet. On y trouve des liens, des références. Malheureusement, on y rencontre aussi la hargne d’un jeune polytechnicien envers Jean Pierre Petit, et c’est un thème secondaire qui traverse tous les sites de discussion francophones que j’ai consultés. Des posts et des posts dérivent du sujet de fond pour débattre de critiques ad hominem.
Je reconnais qu’il est plus facile de lire un long commentaire gratuit en français, surtout signé de JPP qui sait écrire clairement et dans un style agréable, que de se référer aux textes de base en anglais, communiqués gratuits de Sandia et article payant des Physical Review Letters, mais à voir certains commentaires, on croirait vraiment que c’est JPP qui a obtenu ces 2 milliards de degrés dans son garage comme autrefois la propulsion MHD dans son évier…
Et parmi les arguments de mépris scientifique contre lui, le reproche fait par Paul Le Bourdais d’envisager « des espaces jumeaux, idée sortant tout droit de Star Trek » . Je crains que celui qui s’attaque ainsi violemment à Petit n’ait jamais lu Star Trek où je n’ai pas vu l’ombre d’une telle théorie et n’ait jamais lu non plus le physicien russe et dissident célèbre du temps de la guerre froide Andrei Sakharov qui l’a énoncée le premier. Ce n’est pas plus exotique que les supercordes ou le multivers, à tout prendre.
L’argument de non-autorité me donne autant de boutons aujourd’hui qu’il y a 20 ans, si ce n’est plus. Si le silence autour de la Z machine tient à l’enthousiasme de JPP donc à la fine bouche des autres, pauvre France ! Cela rappelle un peu trop la façon dont elle est venue à l’informatique à reculons, malgré la lucidité de gens comme Néel. Nous méritons en ce cas de devenir une république bananière.

Je suis frappée d’un fait : depuis 2004, on trouve sur le web ou parfois dans les journaux l’écho de découvertes dont on peut pressentir qu’elles vont tout transformer de notre vie dans les dix ans (et je suis large, car on commence d’en voir les premières applications). Bien entendu, comme toujours depuis les débuts de la révolution industrielle, il est impossible de forger indépendamment la charrue et l’épée, ce qui laisse aux esprits chagrins le loisir d’avertir des blessures qu’infligera l’arme sans mettre en balance les bienfaits de l’outil. La Z machine qui permet d’apprivoiser le processus à l’œuvre dans une supernova et d’où l’on pourra tirer une énergie aussi peu coûteuse que le fut le pétrole n’est que l’une de ces trouvailles. Un autre immense domaine concerne les nanotechnologies qui permettront de remplacer le pétrole pour la création de nouveaux matériaux, sans parler de leur utilité médicale. La téléportation quantique, outre l’intelligence artificielle sur laquelle tout le monde se focalise, ouvre aussi des perspectives que je n’essaierai même pas d’énumérer. Or, passé un très relatif effet d’annonce, il faut reconnaître que tout le monde s’en fiche, politiques et citoyens unis dans la morosité[3]. Technocratie, quand tu nous tiens…
Pendant ce temps, c’est avec des armes tout ce qu’il y a de plus classiques qu’Israël bombarde le Liban sans qu’on puisse voir d’issue à ce conflit qu’il devient de plus en plus difficile d’analyser. Les argumentaires pour l’un ou l’autre camp font figure de clichés, slogans, propagande – mais des civils meurent et je ne suis même pas sûre que quelqu'un sache pourquoi.

[1] Rappelons que l’uranium nécessaire à nos centrales à fission vient d’Afrique depuis la fermeture de la mine du Lodèvois.
[2] http://www.agoravox.fr/
[3] Mais ni les politiques ni les économistes ni les citoyens de la « France d’en bas » comme disait l’autre n’ont les connaissances nécessaires à la décision. Il suffirait pourtant d’une bonne vulgarisation, ce que l’on sait faire mais qu’on se garde bien de pousser trop loin pour des raisons de prudence idéologique, de désir de ne pas déplaire aux lobbies et, in fine, parce joue la recherche du moindre effort.

Thursday, July 20, 2006

Les liens en image sur la planète Hôdo

J'ai déjà cité la charte de Hôdo, l'univers virtuel qui deviendra peut-être réel si l'humanité se décide à grandir un peu. Les deux images qui semblent de SF renvoient directement sur les sites de la planète Hôdo et la mémoire du Livingstone.
On peut y lire au moins un intéressant roman de SF en deux tomes et des réflexions sur le monde, la vie, les futurs potentiels.
Et j'en profite pour faire ici un amical clin d'oeil à Serspock, l'homme qui réfléchit plus vite que son ombre et que ça n'empêche pas de penser...

Poussière d’étoiles (7)

Qu’est-ce que l’homme ? Ce détour par les diverses théories et spéculations autour de l’évolution n’était pas inutile. Il nous a permis de pressentir à quel point nous tenons par toutes nos fibres à cette planète Terre et, par delà, à l’ensemble de l’univers. On peut pousser autrement le raisonnement anthropique, faire une autre marche à rebours : si vous voulez un observateur, il vous faut de la vie et, pour obtenir de la vie, il vous faut au moins une première cellule, la plus simple sans doute, une cellule à ARN, ce qui suppose des nucléotides, ce qui suppose des catalyseurs, par exemple une argile comme l’a découvert James Ferris[1]. Et pour avoir de l’argile ? Nul besoin d’une planète tellurique complète : on en trouve sur les météorites et même dans le noyau des comètes. La planète devient nécessaire pour l’évolution depuis cette cellule jusqu’à l’observateur. Et il faut des acides aminés, c’est à dire des molécules complexes dont les chaînes ne nécessitent que quatre sortes d’atomes : azote, carbone, hydrogène et oxygène.
L’hydrogène, c’est l’atome le plus simple que l’on puisse concevoir : un électron gire autour d’un proton ; c’est le premier apparu lors du refroidissement de l’univers. Le carbone, c’est celui qui permet le plus de liaisons chimiques covalentes, ce qui amène de fort intéressantes propriétés, des géométrisations, une sorte de sculpture de l’espace par les molécules résultantes. Il apparaît dans les étoiles comme l’un des « résidus » de la fusion hydrogène-hélium, et participe à de nouvelles réactions de fusion en une autre étape de la vie stellaire, particulièrement abondant dans leur vieillesse, lorsqu’elles deviennent orangées puis rouges, entre autres métamorphoses. Elles le crachent comme elles ont autrefois craché les métaux dans leurs colères magnétiques lorsque des jets et des arches de matière s’élèvent loin au dessus de la surface bouillonnante mais surtout lors des phases explosives par lesquelles s’amorcent leur déclin. Curieusement, la vie unit donc la prime jeunesse de l’univers au dernier orgasme des étoiles, si j’ose cette métaphore.
L’oxygène est peut-être le corps le plus réactif, celui qui ronge tout, qui se combine à tout ou presque, même à lui-même pour donner de l’ozone ! Enfin, il y faut quand même quelques conditions… Quant à l’azote, d’une grande stabilité, il offre la particularité de réagir surtout à haute température, soumis à des décharges électriques et le mieux est encore que la pression soit très réduite ; il ne peut être utilisé par le vivant que sous une forme déjà combinée. C’est dire qu’il faut passer par l’accrétion d’astéroïdes ou d’une planète. Mais dès que la vie entre en jeu, on peut suivre de véritables cycles écologiques de l’azote et de l’oxygène.

Les Grecs détestaient le mouvement. Parménide nous décrit l’Etre comme une sphère (forme parfaite : toujours la même distance au centre) homogène, isotrope, immobile, incolore, inodore et sans saveur. Comment parvenait-il à faire cadrer cette vision avec son expérience quotidienne, il ne nous en a rien dit. Zénon d’Elée a failli inventer le calcul différentiel et intégral. J’ai longtemps pensé qu’il l’avait raté par manque d’un formalisme pratique comme nos chiffres et nos signes algébriques jusqu’à ce qu’un helléniste me détrompe car un tel formalisme existait. Non, il l’a raté parce qu’il voulait démontrer l’inexistence du mouvement. Les mathématiciens du XVIIe siècle, à rebours, cherchaient les équations du mouvement.
Cette étrange répugnance a coloré leur vision de l’univers. S’ils admettaient, contraints et forcés par la triste réalité[2], le changement dans la vie terrestre, dans ce monde sublunaire attribué aux mortels, il n’était ni concevable ni convenable que les sphères célestes se transforment. Lorsque Platon admet une origine à l’ordre du monde, le démiurge copiant dans la matière les idées éternelles, cette dernière préexiste éternellement mais à l’état chaotique ; et ce commencement tend surtout à expliquer pourquoi tout se déglingue, à cause des erreurs successives de copie. Lorsque Hésiode rapporte le mythe des quatre âges du monde, c’est pour pleurer sur l’or, l’argent et le bronze, sur les sages et les héros enfuis à jamais pour nous laisser dans l’âge de fer, des violences, des injustices et des mesquineries. Peuple tragique. Pas un seul mythe qui se termine bien, sauf l’histoire de Persée mais qu’ils projettent dans un ailleurs, une Ethiopie qui résume toutes les terres barbares – et dont j’ai pu montrer qu’ils l’ont probablement reçu des Elycites ou de leurs prédécesseurs de la région narbonnaise[3]. Le miracle grec a sans doute engendré Phidias mais au prix d’un étonnant pessimisme auquel seule échappe l’école de Milet, en Asie, dans une région ouverte aux échanges intellectuels qui accompagnaient le commerce sur ce que l’on n’appelait pas encore la route de la soie. Le milétain Héraclite a des accents qui rappellent certaines Upanishad et plus encore la conception chinoise d’un univers en perpétuelle transformation. Mais c’est l’école éléate qui fait souche en occident et plus tard s’impose à Claude Ptolémée, astronome et compilateur d’Alexandrie..
Or les astronomes du moyen âge ne connaissent que Ptolémée, tout comme les théologiens occidentaux, aux pires époques, ne lisent qu’Augustin qui prête à Dieu l’immuable simplicité de l’Etre parménidien[4]. Chrétiens, ils admettent la création comme Platon admettait un démiurge mais, une fois créé, leur univers est stable. Dès que l’Eglise romaine perd du terrain, que ce soit à l’Académie Platonicienne de Florence, chez les humanistes ou, plus tard, chez les libertins puis lors des Lumières, tend à revenir le vieux modèle parménidien d’un univers éternel et, si l’on ne rejette plus le mouvement, du moins celui des astres doit-il être majestueux et régulier. Or toute l’observation astronomique montre au contraire des irrégularités, des perturbations, des incongruités qui obligent à améliorer les mathématiques. L’équation de l’orbite lunaire exige trois lignes d’écriture au moins ! Einstein en publiant sa Relativité Générale en 1915 introduit dans son équation une « constante cosmologique » à laquelle il donne une valeur choisie pour corriger et stabiliser le mouvement des galaxies qui avaient une fâcheuse tendance à se rapprocher ou se fuir. Quelques dix années plus tard, Hubble découvre le décalage vers le rouge du spectre des galaxies, indice de l’expansion de l’univers. Puis, en 1965, Penzias et Wilson observent un rayonnement universellement présent et sans orientation décelable, à 3°K environ ; pour expliquer la présence de ce rayonnement « fossile » et la fuite des galaxies, naît l’hypothèse du Big Bang, d’une origine explosive de l’univers à partir d’une singularité quasi-ponctuelle.
Aujourd’hui, il semblerait que nous avons franchi le pas vers une vision de l’univers résolument dynamique, historique, en perpétuelle transformation. Pourtant un Hawking, le même qui découvrit l’évaporation des trous noirs, trouve une astuce de calcul pour transformer la singularité du Big Bang et la dynamique cosmique en une sphère immuable et éternelle où « l’espace et le temps forment ensemble une surface finie en grandeur mais sans frontières ni bord[5] ». Il est vrai que cela demande d’inscrire le réel dans une sorte de méta-univers avec une composante de temps imaginaire et de supposer, de plus, que la masse invisible est telle qu’à la fin de l’histoire, l’univers se précipite vers un Big Crunch symétrique de l’explosion initiale.
Trois possibilités restent en lice quant au destin de l’univers et dépendent en fait de l’importance de la masse noire et de l’énergie noire, et donc de la courbure de l’espace-temps : expansion illimitée et mort par refroidissement comme le prévoyaient les astronomes du XIXe siècle ; stabilité et mort par refroidissement ; renversement de l’expansion vers une singularité finale. Hubert Reeves postule la première solution, la seconde revient régulièrement dans la presse. Le Big Crunch n’est presque jamais évoqué, alors qu’il eut les faveurs de John A. Wheeler et de Hawking. Pourquoi ? Aucune certitude scientifique n’a encore tranché. On trouve même dans Le Figaro du 12 mai 2005 un article de Cyrille Vanlerberghe sur l’inexistence de l’énergie noire : « L'absence de matière[6] noire serait une énorme surprise pour toute la communauté des cosmologistes, puisqu'elle va à l'encontre de l'avis général selon lequel l'Univers serait en expansion toujours accélérée, à cause d'une mystérieuse énergie noire présente en grande quantité dans l'Univers. Telle est l'une des conclusions possibles d'une toute récente étude menée par une équipe de chercheurs parmi lesquels des Français. (…) D'après les conclusions d'Alain Blanchard et de ses coauteurs, l'Univers ne contiendrait pas d'énergie noire, serait donc dominé par la seule matière et n'aurait pas une expansion accélérée[7]. » Ces conclusions viennent de l’apparente stabilité du gaz chaud à l’intérieur des amas galactiques. Interrogé, Steve Allen, de Stanford, qui avait conclu à la domination de l’énergie noire sur l’univers et à l’accélération de l’expansion répond que ces divergences « pourraient provenir de choix méthodologiques différents dans les deux équipes ». En d’autres termes, quand on pose la même question au réel en des mots légèrement différents, il répond de manière contradictoire[8].
Cet article n’a qu’une importance anecdotique. D’autres observations reposeront le problème. Mais il suggère plusieurs arrière-plans. Tout d’abord, aucune théorie standard ne permet aujourd’hui d’aboutir à une intelligibilité globale de l’univers ; les supercordes sur lesquelles tant d’espérances furent suspendues se révèlent plutôt du genre épicycles, une complication de la théorie plutôt qu’une unification, ce qui suggère un prochain changement de paradigme, c’est-à-dire de point d’observation. Sans présumer de ce qu’il sera, il devra forcément tenir compte des dernières avancées expérimentales, par exemple de cette « téléportation quantique[9] » qui, poussant plus loin l’expérience d’Alain Aspect qui avait déjà fait grincer quelques dents, renouvelle ce que l’on appelait autrefois le paradoxe Einstein-Podolsky-Rosen, c’est à dire la non localité et l’interdépendance des entités quantiques. Ce qui, volens nolens, donne une actualité d’autant plus forte au principe de participation énoncé par Wheeler.
Ma seconde remarque concerne la sociologie des sciences. Ou plutôt la psychologie des scientifiques. En étudiant l’histoire des avancées théoriques depuis le XIXe siècle, on s’aperçoit avec stupeur que les plus grands découvreurs, ceux qui ont révolutionné la connaissance, y sont allés à reculons. Les réponses du réel les désespéraient. Planck ne s’est jamais remis de la perte de déterminisme qu’impliquaient les quanta ; Einstein a tordu ses équations, introduit une constante ad hoc pour ne pas voir l’univers en expansion ; Hawking a cherché comment réduire la singularité initiale… Encore aujourd’hui, un siècle après la naissance de la physique quantique et de la physique relativiste, en dehors du petit monde des physiciens, les meilleurs esprits cultivent une vision classique[10] de l’univers et refusent d’en sortir ; les biologistes moléculaires répugnent à penser les données de la chimie physique et les gens de sciences humaines en restent à Arago et Berthelot, méfiants même devant Maxwell. J’avoue avoir eu beaucoup de mal à comprendre cette attitude qui me stupéfie toujours. La vérité, c’est que nous ne parvenons pas à sortir de la répugnance grecque pour la dynamique et le changement, même lorsque l’on annonce à son de trompe le contraire ; la vérité encore plus inavouable, c’est que tout ce qui semblerait conforter la théologie chrétienne sent le soufre et que le Big Bang est devenu la singularité à abattre depuis qu’un pape l’a canonisé. Que le Big Crunch, même s’il ne nous menace que dans quelques milliers de milliards d’années, ressemble trop à la description chrétienne des cieux qui se délitent « comme un livre qu’on roule » ou, pire encore, au ragnarök de la mythologie nordique. Jusqu’où va se nicher la haine de ce Dieu là… ou la peur de la bête immonde !
Hawking fut le seul à le dire clairement : « L’idée que l’espace et le temps pourraient former une surface fermée sans bord a également de profondes implications quant au rôle de Dieu dans les affaires de l’univers. (…) Tant que l’univers aura un commencement, nous pouvons supposer qu’il a eu un créateur. Mais si réellement l’univers se contient tout entier, n’ayant ni frontières ni bord, il ne devrait avoir ni commencement ni fin : il devrait simplement être. Quelle place reste-t-il alors pour un créateur ? » On n’est pas plus grec.
Mais Hawking laisse une autre question sans réponse – il se garde bien de la poser. C’est celle de Wheeler, que je vais reposer de la manière brutale dont on l’envisageait dans les années 70 : sans un observateur, peut-il y avoir collapse de la fonction d’onde ?
Tant que personne n’ouvre la boîte, le chat de Schrödinger est à la fois mort et vivant. Etat qui ne manque pas de singularité, même pour un chat !

C’est là que l’on retrouve Johnjoe McFadden. Son hypothèse de base, c’est que l’on doit tenir compte des phénomènes quantiques et, en particulier, de l’expérience des fentes de Young ou de la téléportation quantique dans l’étude de la réplication de l’ADN. Une équipe autrichienne aurait mis en évidence chez des molécules de fullerène – molécules de synthèse formées de 60 atomes de carbone et qui n’existent pas dans la nature – la capacité de passer à la fois par les deux fentes. Or le fullerène a pratiquement le même diamètre que l’ADN. McFadden note aussi que la mutation la plus commune du code génétique porte sur une liaison hydrogène – ce qui suggère un effet quantique. Il s’appuie sur les travaux d’un chercheur de Harvard, John Cairns, qui remarque dans les mutations de l’ADN une violation du hasard pur analogue au comportement des drosophiles amoureuses : les mutations interviennent surtout quand une cellule subit un stress et qu’elle a besoin de muter pour survivre.
Par exemple, dans la baie de Chesapeake ?
Intéressante remarque. Les mutations apporteraient bien un avantage darwinien mais il interviendrait en quelque sorte en amont, comme un projet, la réponse à un besoin plutôt que comme un simple hasard. A Chesapeake, les vers de vase devaient trouver le moyen d’intégrer les métaux lourds à leur métabolisme ou s’éteindre.
A ce stade, l’ID fait intervenir la volonté divine qui devient alors ce que les physiciens appellent un « dieu des failles », une entité providentielle ad hoc spéculée pour boucher le trou de la théorie. Personne n’aime beaucoup en sciences ce genre d’idole. McFadden propose un mécanisme quantique qui ressemble beaucoup à ce qu’Olivier Costa de Beauregard appelle les potentiels avancés et qui s’appuie sur la non-séparabilité.
C’est cela, le paradoxe EPR, les fentes de Young, etc., c’est ce que l’expérience d’Alain Aspect a permis de vérifier et cela peut s’énoncer ainsi : deux particules ayant interagi ou allant interagir ne sont pas séparables mais se comportent comme une seule entité. De proche en proche, c’est ce que Wheeler nommait le bootstrap, un univers en lacet de bottines, fondamentalement non séparable car tissé d’interactions croisées. Or rien n’oblige, dans les équations quantiques, à ce que la causalité soit parallèle à la flèche du temps, aille toujours du passé vers le futur. Jusqu’à ce qu’ait lieu le collapse de la fonction d’onde ou, si l’on préfère, jusqu’à ce qu’on ouvre la boîte pour constater l’état du chat, les équations sont parfaitement réversibles et la cause d’un événement peut se situer n’importe où dans le passé ou le futur. Bref, voici la téléonomie parfaitement justifiée. On peut donc envisager que le besoin d’un certain état futur puisse déterminer un ensemble de mutations simultanées dans l’ADN et par là même l’apparition soudaine d’un système de complexité irréductible.

McFadden n’est pas le seul à regarder du côté des quanta pour trouver ce qu’on pourrait appeler une théorie unifiée de la vie, de l’évolution et de la conscience. Le Dr. Mae-Wan Ho, notant les exemples de coopération entre animaux, aussi fréquents et notables que l’égoïsme et la compétition, écrit : « Je propose que la cohérence quantique est la base de l’organisation du vivant et peut aussi rendre compte des caractéristiques clés de l’expérience consciente[11]. » Cette même cohérence quantique serait pour elle responsable de l’interrelation systémique des différentes espèces, autrement dit de Gaïa : « Il semble que l’essence de l’état vivant soit de construire et développer une plate-forme spatio-temporelle cohérente pour la communication, en partant de l’énergie solaire initialement absorbée par les plantes vertes. Les systèmes vivants ne sont jamais des sujets solitaires ni des objets isolés mais s’inscrivent dans un univers de sens par communication mutuelle. Contrairement au point de vue néo-darwinien, leur capacité d’évolution ne dépend pas de la rivalité ni de la lutte pour l’existence, mais plutôt de leur capacité de communication[12]. » Et de préciser : « Les organismes sont donc émetteurs et, plus probablement, récepteurs de signaux électromagnétiques qui pourraient être l’essentiel de leur fonctionnement. »
Le physicien Roger Penrose a cosigné avec un anesthésiste, Stuart Hameroff, un article sur des phénomènes de cohérence optique observés dans les microtubules des neurones qui semblent fonctionner comme un ordinateur biologique. Cette cohérence passerait par le collapse simultané de la fonction d’onde d’un nombre critique de tubulines, qui réduit un nombre infini de possibilités à une seule décision. « Cela se passe parce que la différence masse-énergie des états superposés[13] de tubulines cohérentes perturbe de manière critique la géométrie de l’espace-temps. Pour éviter l’apparition d’univers multiples, le système doit les réduire à un unique espace-temps en choisissant des états définis[14]. »
Des phénomènes de cohérence s’observent aussi à l’échelle macroscopique. C’est frappant chez les populations d’insectes « chanteurs » dont les élytres vibrent au même rythme, parfois sur des distances considérables. On explique généralement le phénomène par l’émission de signaux chimiques, les phéromones. Mais si elles expliquent que, dans un pensionnat, les filles finissent par avoir leur règles en même temps, la synchronisation d’un rythme sonore ou lumineux exige autre chose qui ressemble plus à de la danse. Encore un danseur perçoit-il la musique, mais comment une luciole peut-elle se caler sur une congénère à plusieurs kilomètres de distance ? Comment le comprendre sans faire appel à des notions telles que la non-séparabilité, la non localité, en d’autres termes la cohérence quantique ?
Mais il faut aussi se souvenir que les phénomènes de cohérence ne sont ni durables ni universels. Ils apparaissent puis tout fluctue, un autre ordre surgit, s’immerge et même le hasard a sa part, qu’il soit ou non métaphysique.
Il reste la ressemblance étonnante entre la cohérence quantique et ce qui nous a été révélé de la périchorèse trinitaire. Je ne dis pas que Dieu est quantique ! Mais qu’il semble avoir mis dans l’univers le germe d’une forme de périchorèse.

Pourtant, le point de vue darwinien ne peut être totalement rejeté. Aimé Michel parlait de l’univers comme d’un coupe-gorge où tout s’entredévore. Y compris l’homme qui partage avec les chimpanzés et certains rats de ne pas avoir de limites innées au meurtre intraspécifique.

Nous ne pouvons pas dissocier notre nature humaine de l’ensemble de la création. Nous en sommes tissés, nous vivons des échanges constants avec le milieu, les plus évidents mais peut-être les plus grossiers étant la nourriture et la respiration. Si Persinger, Penrose, Wheeler et d’autres ont raison, chacun de nos regards, chacun de nos émerveillements, chacune de nos joies mais aussi nos tristesses et nos haines modifient les champs quantiques dont participent nos neurones et, au fond, tout notre corps. Cela signifie, si la conscience est liée à l’activité électromagnétique des microtubules neuronales, qu’aucun de nous n’est séparable de l’ensemble de l’univers et que nous en portons la mémoire. Celle du futur et de ses probabilités d’être comme celle du passé fixé par les collapses dans un univers en lacet de bottine. D’ailleurs, il vaudrait mieux parler de mémoire, dormante ou activée que de conscience puisque des filtres nous limitent la plupart du temps à un étroit présent mais que tout un substrat d’information moins conscient nous anime et travaille en nous.
La voyante Maud Kristen, étudiée par Bertrand Meheust, lui explique que la voyance fonctionne, pour elle, comme une mémoire[15].
Toute une école de jeunes physiciens se demande si l’univers n’est pas un gigantesque ordinateur, une machine à échanger et traiter de l’information.
Une jeune femme, en RED, revit l’explosion de l’île de Thèra, qui eut lieu vers –1470, et la revit du point de vue du volcan. Sans doute s’agit-il d’une mémoire ancestrale mais, comme tout ce qui relève de l’inconscient collectif, ce transfert d’information n’est explicable que par une forme de non-séparabilité.
Mais cela signifie aussi que tout ce que nous sommes, tout ce que nous faisons, tout ce que nous pensons et surtout si la passion y met sa touche d’intensité transforme l’univers. De très peu, sans doute, mais qu’en savons nous vraiment ?
[1] Voir André Brack, « De la naissance de la vie sur Terre à une vie universelle », in Florence Raulin-Cerceau, Pierre Léna, Jean Schneider et al. Sur les traces du vivant, de la terre aux étoiles, Le Pommier, 2002, pp.71-94.
[2] Au siècle de Périclès, les faits étaient déjà têtus.
[3] Geneviève Béduneau et Pascal Pastor, « Aude, terre sacrée », Liber Mirabilis. L’analyse serrée du Conte des quatre frères recueilli dans la région de Narbonne montre qu’il s’agit d’une variante archaïque et peut-être autochtone du mythe de Persée, plus ancienne en tout cas que la version grecque, bien qu’elle ait été remaniée au XVIIe ou XVIIIe siècle.
[4] Arius avait fait la même erreur de perspective, ce qui lui rendait impossible d’admettre la consubstantialité du Père et du Fils. Augustin l’admet mais au prix d’acrobaties logiques intenables. Or ce Dieu Sphaïros, Dieu des philosophes et des savants dira Blaise Pascal, n’est plus qu’une abstraction très loin de la liberté de feu du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob.
[5] Stephen Hawking, Une brève histoire du temps : du Big Bang aux trous noirs, trad. Isabelle Naddeo-Souriau, Flammarion, Paris, 1989, réed. Champs 1991, p.177.
[6] Il s’agit d’une erreur du journaliste : lire « énergie ».
[7] Cyrille Vanlerberghe, « L’énergie noire, force majeure de l’univers, n’existerait finalement pas », Le Figaro, 12 mai 2005, http://lefigaro.fr/
[8] Cela n’a rien d’unique. Dans l’expérience EPR, la place du capteur derrière les fentes de Young détermine la manifestation du photon comme onde ou comme corpuscule.
[9] Dépêche Reuters du 16 juin 2004. L’expérience sur des atomes massifs a été menée à bien par deux équipes, l’une en Autriche, l’autre à Boulder, Colorado. Les crédits de recherche furent alloués dans l’espoir de réaliser enfin l’ordinateur quantique qui serait aux actuelles puces ce que fut l’avion par rapport aux montgolfières.
[10] C’est à dire grecque, avec un espace euclidien, un temps horloger, un déterminisme aussi poussé qu’on peut l’obtenir et le hasard en guise de « dieu des failles », celui qui ne sert qu’à boucher les trous du savoir.
[11] Mae-Wan Ho, « Quantum coherence and conscious experience », http://www.i-sis.org.uk/brainde.php
[12] Mae-Wan Ho, « Gaia and the Evolution of Coherence », http://www.i-sis.org.uk/gaia.php
[13] Le chat est à la fois mort et vivant : 2 états superposés.
[14] Roger Penrose et Stuart Hameroff, « Orchestrated objective reduction of Quantum coherence in brain microtubules : the ‘Orch OR’ model for consciousness », http://www.quantumconsciousness.org/penrose-hameroff/orchOR.html
[15] Communication personnelle de l’auteur.

Thursday, July 13, 2006

Poussière d’étoiles (6)


Les travaux de Lovelock, la rumeur qui accompagne ses premiers rapports et le scandale que finit par causer la publication en 1979 de son hypothèse Gaïa sous sa forme la plus métaphysique eurent toutefois le mérite d’attirer l’attention de tous sur l’aspect systémique du vivant, sur les phénomènes de régulation écologique, de variations du milieu, sur les boucles de rétroaction présentes à tous les niveaux de l’univers. L’une des conséquences imprévues de cette prise de conscience fut de rapprocher astrophysiciens et biologistes. L’évolution des espèces devenait d’autant plus banalisable qu’on pouvait l’inscrire dans l’histoire de l’univers et de la formation planétaire. Aujourd’hui, après dix ans d’observation de planètes extra-solaires, dont la première de type tellurique, on a du mal à se souvenir que, encore dans les années 1970, il était de bon ton rationaliste de penser que, si les étoiles abondaient dans l’univers, les planètes devaient être fort rares, la vie un accident de parcours rarissime si ce n’est unique et l’intelligence sans doute si peu probable qu’il n’était pas raisonnable de la postuler en dehors de l’homme. Et quand on demandait en quoi l’hypothèse de la rareté était plus rationnelle ou plus économique que l’application à la vie du principe de banalité, le débat tournait assez vite à l’insulte plutôt qu’à l’argumentaire.

Car il n’y avait aucun argument, sinon que se développait au même moment une mythopoièse de l’extraterrestre adossée à des vécus mythiques, au sens que donne à ce terme l’ethnologue Michel Boccara, que tout cela pour des rationalistes sentait sa superstition populaire et que, si le père Lustucru voyait atterrir des petits bonshommes gris dans son champ de lavande, c’est évidemment qu’il ne pouvait exister d’autre vie que la nôtre. A quoi les rares théologiens catholiques qui daignèrent se pencher sur la question applaudirent bien fort, voyant en d’éventuels E.T. un risque majeur pour la foi puisque ces êtres d’ailleurs n’auraient connu ni Christ ni pape. Pour la papauté, je ne dis pas, il pourrait y avoir quelque secousse sismique – mais la théologie chrétienne est assez vaste pour un univers grouillant de vie[1].

Dans cette même fin des années 1970 circule sous le manteau, en photocopies, le brouillon d’un article du grand physicien John Archibald Wheeler, le découvreur des trous noirs et du bouillonnement du vide quantique à la longueur de Planck. Il y propose, en termes fort mesurés, que peut-être les lois de la nature ont elles aussi évolué au cours du temps ; il y insiste aussi sur le rôle de l’observateur qu’il propose d’appeler plutôt, comme en ethnologie, observateur-participant. Je me souviens avoir tremblé d’excitation en le lisant, tant il ouvrait de portes. Puis l’article fut publié et suscita une intense controverse.

A peu près dans le même temps paraît l’ouvrage d’Ilya Prigogine et Isabelle Stengers[2] sur les systèmes ouverts, les structures dissipatives, l’approche fractale ou non-linéaire du vivant – ce qu’on appelle aujourd’hui les équations de chaos. C’en est fait alors de l’univers déterministe et figé au profit d’une histoire fluctuante et parfois convulsive, d’un monde qui monte en complexité au fur et à mesure qu’il étire l’espace-temps. Comme une réponse au Zarathoustra de Nietzsche, lui qui demande un dieu qui danse.

J’ai retrouvé en ligne une interview donnée par Wheeler à Mirjana R. Gearhart du magazine scientifique Cosmic Search[3]. Il y affirme que la plus grande des découvertes est en cours et qu’il s’agit de la manière dont l’univers, « venant à l’être par le Big Bang, a développé ses lois d’opération », ce qu’il appelle « Loi sans Loi ». A relire aujourd’hui cette expression, j’en frissonne encore, d’autant qu’il continue par ce qui faisait le cœur de l’article, le problème de la mesure puisque, « selon la théorie quantique, le fait de mesurer va influencer ce qui se passe ». Dans ces conditions difficiles, « comment pouvons nous imaginer que l’univers avec toutes ses régularités et ses lois soit issu de quelque chose de totalement à la débandade, pêle-mêle et stochastique ? Ou pour le dire autrement : si vous étiez le Seigneur en train de construire l’univers, comment est-ce que vous vous y prendriez ? » Profonde question, remarque Mirjana Gearhart. A quoi Wheeler répond qu’il s’est inspiré de Darwin, l’évolution étant « une merveilleuse indication du fait qu’on peut atteindre l’ordre en partant du désordre ».

Lorsque, après l’avoir interrogé sur sa rencontre avec Einstein puis sur la découverte du trou noir, elle lui rappelle la question qu’il posait lui-même quelques années plus tôt – « la vie et l’esprit sont-ils sans importance pour la structure de l’univers ou occupent-ils la place centrale ? » – il répond : « C’est une question qui implique le principe anthropique – l’idée que l’univers doit être tel qu’il est, sinon la vie serait impossible. Pas seulement la vie que nous connaissons mais toute vie serait impossible. Et sur quoi peut être construit un univers compréhensible sinon cette demande de compréhensibilité ? » Il cite Robert Dicke : « A quoi sert un univers sans personne pour le regarder ? » puis commente : l’idée n’est pas neuve mais « elle l’est sous la forme que lui donne Dicke. Il a posé que si vous voulez un observateur, vous avez besoin de vie ; et si vous voulez de la vie, il vous faut des éléments lourds. Pour fabriquer des éléments lourds à partir de l’hydrogène, il vous faut la combustion thermonucléaire, laquelle exige un temps de cuisson de plusieurs milliards d’années dans une étoile. Et pour disposer de plusieurs milliards d’années dans la dimension temps, selon la relativité générale, il en faut autant dans les dimensions d’espace. » Conclusion : « Pourquoi l’univers est-il si vaste ? Parce que vous êtes là ! »

Mais sa propre théorie, ce qu’il appelle « principe de participation » dépasse le principe anthropique. « Selon [ce principe], on ne peut même pas imaginer un univers qui ne contiendrait pas d’observateurs quelque part et pour un bon bout de temps parce que les véritables matériaux de construction de l’univers sont ces actes d’un observateur-participant. […] Ce principe de participation se fonde sur un point absolument central de la théorie quantique : Aucun phénomène élémentaire n’est un phénomène avant d’être un phénomène observé (ou enregistré). »

Courageusement, la journaliste diverge vers autre chose.

Un des plus grands physiciens du XXe siècle énonce et dépasse le principe anthropique. Aujourd’hui encore, le principe anthropique suscite plus de réticences que de compréhension et le principe de participation, bien que ses bases soient enfin devenues expérimentales avec la manip d’Alain Aspect à Orsay, reprise et validée désormais partout, a disparu dans les oubliettes. Quelqu’un comme Hubert Reeves qui se fait là l’écho de la tendance écologiste, reprend l’idée anthropique mais s’arrête à la présence de vie et le transforme en principe de complexification, lequel serait inhérent à l’univers, loi plus primitive que les émergences successives qui en dessinent les structures. Ce faisant, disparaît le caractère désordonné et bouillonnant des origines. Mais cela permet au pessimisme écologiste de s’exprimer et de se demander si l’homme n’est pas intrinsèquement le germe destructeur de la planète.

Un seul biologiste, à ma connaissance, semble avoir compris le principe de participation et en avoir tiré une hypothèse qui eut à peu près autant de succès. Mais il est vrai qu’il faisait partie de la liste de diffusion de notre réseau informel d’échange… de photocopies. Ah, si nous avions eu Internet ! Bref, il s’agit de Rémy Chauvin et de son ouvrage le plus important à mes yeux, Dieu des fourmis, Dieu des étoiles.

Chauvin avait depuis longtemps publié sous le pseudonyme de Pierre Duval quelques ouvrages provocateurs s’amusant à relever de manière systématique les énigmes archéologiques et autres cailloux « parapsychologiques » dans les chaussures de l’Union Rationaliste. Spécialiste des insectes sociaux, fourmis, abeilles, il s’était particulièrement intéressé à la façon dont les activités individuelles désordonnées des ouvrières aboutissaient à ce chef d’œuvre d’architecture animale qu’est une fourmilière. Il avait aussi fait connaître les observations de von Frisch sur la communication chez les abeilles[4] et, à la suite d’autres expériences, pouvait écrire dès 1963 que « la ruche est sans doute un organisme véritable, sans métaphore, et l’abeille n’en constitue qu’une cellule sans importance individuelle [5]». Observation qu’il étend à la fourmilière. Mais si les « cellules », cette fois le terme est métaphorique puisque abeille ou fourmi sont déjà des pluricellulaires, peuvent avoir un tel degré d’autonomie, comment l’organisme, ruche ou fourmilière, peut-il fonctionner comme un tout ? Echanges chimiques, langage de communication, cela suffit-il ? Qu’est-ce qui fait que ce tout est plus que la somme des parties et où placer le centre de décision ? Chauvin et son équipe ont surtout démontré que l’individu, abeille ou fourmi, ne saurait survivre isolé ; et déterminer les substances chimiques, vitamines, hormones, etc., qui circulent à l’intérieur de cet organisme éclaté. Mais on ne peut s’empêcher de penser que tout cela, aussi important que cela soit, ne suffit pas entièrement. D’où l’intérêt de « Pierre Duval » pour ces modes plus subtils de communication avec d’autres individus comme avec l’environnement que l’on commençait d’étudier au laboratoire avec toutes les ressources de la psychologie expérimentale, y compris l’expérimentation animale, je veux parler de la télépathie et de la psychokinèse ou PK. Il a d’ailleurs proposé lui-même quelques manips intéressantes.

Aux Etats-Unis, ces recherches, nous l’apprendrons vingt ans plus tard, étaient financées par la CIA. En France, elles ne pouvaient se mener que dans des laboratoires privés, le plus souvent associatifs, avec des appareillages bricolés comme au plus beau temps d’avant 14-18, et ne se publiaient qu’en fanzine ou, pire, en samizdat. Si l’on appartenait à l’Université ou au CNRS, mieux valait utiliser un pseudonyme. Il ne trompait personne mais permettait de sauvegarder l’honorabilité de la maison. Et gare au précurseur ! Un organisme de censure veille. Quelle que soit la discipline, une idée réellement neuve pouvait valoir à son auteur un ostracisme qui briserait sa carrière et si, par malheur, il avait taquiné ce que Chauvin nommait les « curiosités coupables », les ciseaux d’Anastasie se déchaînaient – évidemment dans les colonnes de Science et Vie. Il fallait dix ans de bouteille et un passage par les USA pour qu’une réelle percée soit acceptée par ce quarteron terrible qui servait à la fois de référents à la revue et d’équipe de direction à l’Union Rationaliste[6].

Rémy Chauvin, disais-je, semble avoir compris le discours de Wheeler sur l’importance de l’observateur, mais en tant que naturaliste, il a surtout été sensible à l’absurdité du darwinisme strict dans le monde des insectes : complication des modes de reproduction, formes ahurissantes de certaines espèces et qui ne servent même pas de camouflage, comme les « cornes » de la lucane, organismes collectifs de type fourmilière. Il est vraiment difficile de déceler le moindre « avantage » ni pour la survie ni pour la descendance. Il semblerait plutôt que la nature complique à plaisir la vie de ces bestioles sans profit pour personne – sauf pour les fleurs que les abeilles pollinisent et j’ajoute pour la forêt nettoyée des épines de conifères et autres débris et donc moins en risque d’incendie en cas de foudre. Sans parler de la voirie des cadavres animaux. Nous ne sommes pas loin de l’hypothèse Gaïa, à condition de doter cette dernière d’un solide sens de l’humour[7]. L’âme du monde, comme auraient dit les hermétistes de la Renaissance, l’âme du monde s’amuse.

L’hypothèse Gaïa pourrait représenter, tout comme le principe de complexification d’Hubert Reeves le pôle païen, l’humoristique esprit démiurgique de Chauvin une approche néo-platonicienne (encore que Platon manquasse terriblement d’humour, comme tous les esprits totalitaires), mais tout cela reste fondamentalement panthéiste. Et l’homme, quand il n’excitait pas la méfiance ou la hargne des écologistes, n’a pas d’autre rôle que celui de cerveau ou de conscience de Gaïa. Une nouvelle école a vu le jour depuis quelques années, une école anglo-saxonne bien entendu, qui se veut religieusement neutre mais dont l’inspiration chrétienne ne fait de doute pour personne et qui propose en place de la sélection darwinienne l’hypothèse de l’intelligent design, le dessein intelligent.

Le pasteur Adam Hamilton, chargé de l’Eglise de la Résurrection à Kansas-City, 13 000 membres, résume assez bien le problème : « Je crois que l’évolution est un processus conçu par Dieu lui-même. Je ne vois pas personnellement en quoi l’évolution outrage ma foi pourvu que l’on tienne l’évolution comme un mécanisme et qu’on ne soit pas tenté de dire qu’elle est un processus non téléguidé[8]. » Dans l’activité de lobbying des fondamentalistes américains, le Dessein intelligent a pris la place du créationnisme – avec lequel on lui reproche d’avoir flirté – pour tenter d’arracher aux autorités un enseignement alternatif au darwinisme. Cette incidence politique fausse totalement le problème et offre au néo-darwinisme, par réaction, le ballon d’oxygène dont il avait besoin pour survivre… en tant qu’idéologie.

J’insiste, idéologie. Revenir aujourd’hui en deçà des constats des années 70 sur l’intégration systémique du vivant, l’éco-évolution, avec tous les problèmes inhérents est une mauvaise farce. Or le néo-darwinisme strict n’est pas et n’a jamais été systémique. Le seul moteur reconnu (plus encore par ses disciples que par Darwin lui-même) est, comme chez les néo-libéraux en économie, la compétition. Ce que dément l’observation éthologique.

J’ai sous les yeux un texte issu de défenseurs américains et chrétiens de l’ID[9]. Il est insupportable par sa façon de mélanger Bible et science sans que leurs domaines de pertinence soient définis et un certain triomphalisme, mais si l’on passe par dessus cet agacement, il faut avouer que tous les arguments ne sont pas à rejeter. En particulier l’argument de la complexité irréductible développé par le fondateur de l’ID mérite réflexion[10]. Michael Behe[11] prend l’exemple d’une tapette à souris. Ce piège simpliste se compose de 5 éléments et ne peut fonctionner que s’ils sont présents tous les 5 et correctement placés. De même, le métabolisme des êtres vivants exige des séries de transformation moléculaire, des chaînes enzymatiques. Que l’une manque et la protéine qui doit apparaître en fin de chaîne n’apparaît pas. Pour Behe, de telles séries sont irréductiblement complexes et les systèmes de ce type « sont un grand défi à l’évolution darwinienne. Puisque la sélection darwinienne ne peut choisir que des systèmes qui sont déjà opérationnels, alors, si un système biologique ne peut pas être produit progressivement, il a dû apparaître comme une unité intégrée, d’un seul coup, pour que la sélection naturelle ait quelque chose sur quoi agir ». Behe étudie sous cet angle de nombreux systèmes internes au vivant, dont ceux qui comportent une causalité circulaire comme la duplication de l’ADN, la coagulation du sang ou les flagelles des bactéries.

Une autre remarque intéressante concerne la complexité de la première cellule vivante. Pour être vraiment une cellule, il lui faut un système de captation de l’énergie, photosyntèse ou dévoration d’autres organismes, une membrane qui l’isole du monde extérieur et garantisse son identité métabolique, un système d’enregistrement de l’information génétique et un système de transcription qui lise les instructions du code et fabrique les molécules nécessaires, enfin, un mécanisme d’autoréplication qui lui assure une descendance. Et tout cela doit fonctionner de manière coordonnée.

Darwin avait admis que, « si l'on arrivait à démontrer qu'il existe un organe complexe qui n'ait pas pu se former par une série de nombreuses modifications graduelles et légères, ma théorie ne pourrait plus certes se défendre[12] ». Behe, après avoir examiné toute la littérature présente dans le Journal of Molecular Evolution depuis sa fondation en 1971, en conclut qu’aucun article n’a proposé un modèle suffisamment précis et détaillé de la façon dont un système biochimique complexe aurait pu être produit étape par étape, selon le gradualisme de Darwin et Lyell.

Darwin avait repoussé l’hypothèse d’un dessein intelligent pour des raisons de sensibilité théologique : « Je ne peux pas me persuader qu'un Dieu bienveillant et omnipotent ait pu créer à dessein les Ichneumonidae avec l'intention expresse de les alimenter à l'intérieur des corps vivants des chenilles[13] ou qu'un chat puisse jouer avec une souris. » Ward et Hancock répliquent d’après Dembski : « La réponse de Dembski à cette critique est que le dessein n'a pas à être parfait. Nous reconnaissons que les logiciels des ordinateurs ou les systèmes d'exploitation comme Windows ont été conçus, mais pour la plupart ils sont loin d'être parfaits. Dans une perspective scientifique, Dembski soutient que ce n'est pas parce que la nature ne nous paraît pas parfaite que cela signifie que nous ne pouvons pas y détecter un dessein. La théologie nous raconte que le mal est entré dans ce monde et que ce que nous voyons maintenant n'est pas ce que Dieu voulait initialement, aussi devrions-nous nous attendre à voir une création qui montre l'indication d'un bon concepteur mais aussi l'indication d'une nature pervertie par le mal. »

On comprend qu’à ce retour du péché originel en version augustinienne perfectionnée, les chercheurs du CNRS hurlent.

Il reste tout de même l’argument de la complexité irréductible qui, s’il ne renouvelle pas forcément les preuves anselmiennes de l’existence de Dieu, semble effectivement porter un coup de griffe mortel au gradualisme.

Mais je ne résiste pas. En préparant ce dossier sur l’ID, je suis tombée sur les écrits d’un certain Harun Yahya qui semble un des intellectuels de référence de l’islamisme. On aurait pu penser que l’islam, comme les fondamentalistes protestants, se serait jeté sur les idées de Michael Behe pour les opposer au darwinisme impie. Pas du tout. Et voilà ce qu’il écrit :

« Aucun musulman n'oserait dire, "Il y a un dessein intelligent" au lieu de "Dieu a créé" ! Il y a des partisans de la théorie du dessein intelligent également en Turquie. Cependant, en défendant cette théorie, ils cherchent notamment à imiter le style employé par leurs partenaires occidentaux, et sont prudents de ne pas évoquer toute référence au nom de Dieu. Au lieu de dire, "Dieu a créé l'univers entier et tout ce qu'il y a à l'intérieur, vivant et non-vivant" dans leurs dires, ils utilisent à travers leurs discours, des expressions vagues comme "Il y a un dessein intelligent dans l'univers" donnant l'impression d'éviter délibérément de mentionner le nom de Dieu. Bien sûr, il n'y a rien d'étonnant à ce que des non-musulmans, des athées et des philosophes utilisent une telle méthode. Cependant, il est inacceptable pour quiconque se déclare musulman de constamment éviter de dire "Dieu a créé" et d'utiliser au contraire des termes tels que "une force a créé…" ou bien "le travail d'un dessein intelligent". C'est une approche qu'aucun musulman ne peut adopter, car cela sous-entend, "je ne veux pas dire Dieu, je dis plutôt qu'il y a une force, et un dessein intelligent". Or rien de tout cela n'est compatible avec l'Islam et le coran. Eviter de dire que Dieu a créé toute chose, que tout a été conçu par Dieu, Seigneur des mondes, en disant seulement "Sois", et se référer seulement à un "dessein intelligent dans l'univers", ne peut être que le produit d'une mentalité qui a un manque de foi en l'existence de Dieu. Même les enfants de primaire savent que c'est Dieu, et non pas un "dessein intelligent", qui a créé les cieux, les gazelles, les poissons, les agneaux, les pommes, les bananes, les grappes de raisins et les oranges.

A qui d'autre, à part Dieu, ces expressions telles que "dessein intelligent" et "force intelligente" peuvent-elles se référer ? Avancer l'idée d'un dessein intelligent, en ignorant l'existence de Dieu est excessivement irrationnel et illogique. Après un moment de réflexion, tout individu sensé et qui possède une conscience, comprendra que si la perfection dans l'univers semble être le fruit d'une conception, alors le créateur de cette perfection ne peut être autre que Dieu. Il verra que toutes les entités de l'univers, vivantes ou non-vivantes, sont des manifestations de la sagesse, de la connaissance, du pouvoir, et de l'art créatif infinis de Dieu. Par conséquent, il dira : "Dieu existe; Dieu a créé" plutôt que : "Il y a un dessein intelligent", ou "Il existe une force intelligente".

Comme nous le savons, les païens de la Mecque préislamique ont donné les noms de Dieu aux statues qu'ils ont sculptées de pierre et de bois avant de les prendre comme idoles. Ils maintenaient que ces idoles, auxquelles ils donnèrent des noms tels que al-Lat, Manat et al-'Uzza, les avaient créées, leur avaient procuré leurs subsistances et avaient le pouvoir de les protéger. En bref, ils donnèrent des associés à Dieu en leur attribuant Ses noms. Aujourd'hui, de manière similaire, des gens essaient d'en détourner d'autres de la croyance en l'existence de Dieu en abusant de Ses attributs suprêmes dans des notions telles que "dessein intelligent" et "force intelligente". C'est quasiment la même chose que d'adopter une idole en lui donnant le nom de dessein intelligent. Le Coran nous dit ceci sur les attitudes des païens : Ce ne sont que des noms que vous avez inventés, vous et vos ancêtres. Dieu n'a fait descendre aucune preuve à leur sujet. Ils ne suivent que la conjecture et les passions de (leurs) âmes, alors que la guidée est venue de leur Seigneur. (Coran, 53 : 23)

Les francs-maçons, utilisant la même logique, parlent dans leurs récits d'une "force absolue" ou d' "une conscience" qui dirige l'univers, mais ce à quoi ils font référence n'est définitivement pas Dieu. Apparemment, les adhérents du dessein intelligent emploient exactement la même logique que l'on trouve chez les dires maçonniques.

[…] Les explications du "dessein intelligent" peuvent être un sérieux danger pour les individus attirés par la religion. Aujourd'hui, au 21ème siècle, le monde entier est en train de se détourner de ces idées matérialistes et athées. Chaque jour qui passe, on comprend mieux que le darwinisme, loin d'être une théorie scientifique, est irrationnelle et invalide ; et il y a une tendance vers une croyance sincère en Dieu. L'un des exemples les plus frappants est celui d'Anthony Flew, le célèbre scientifique qui a passé sa vie à embrasser l'athéisme. Dans une interview qu'il a donnée quelques mois auparavant, Flew a annoncé qu'il avait abandonné l'athéisme pour croire en Dieu. De la même manière, plusieurs scientifiques, artistes et politiciens ont aussi déclaré leur intérêt et leur curiosité vis-à-vis du Coran. Ceci dit, des termes comme "dessein intelligent" qui manque de sincérité et de conscience islamique, pourraient avoir un effet négatif sur les gens qui ont une attirance sincère vers la foi. Des expressions voilées et vagues de ce genre peuvent mener ces gens à tendance religieuse à tomber dans le doute et l'inconsistance, dans la confusion et le trouble.


Le "dessein intelligent" est une autre distraction de Satan. En rejetant une telle déclaration comme celle de l'évolution, on doit être prudent à ne pas devenir la proie d'autres ruses de Satan. L'un des principaux objectifs de Satan est d'empêcher la reconnaissance de Dieu par tous les moyens possibles, et d'amener les gens à ignorer Son rappel. Il y a ceux que Satan n'a pu avoir avec le concept de l'évolution. Mais s'il peut les divertir dans une autre direction, telle que celle du "dessein intelligent" il arrivera de nouveau à ses fins en éloignant les gens du rappel de Dieu. La manière dont Satan apparaît au nom de la vérité et cause la déviation des gens en leur obstruant la vérité est révélée dans le Coran : Puisque Tu m'as mis en erreur, dit (Satan), je m'assoirai pour eux sur Ton droit chemin, Puis je les assaillirai de devant, de derrière, de leur droite et de leur gauche. Et, pour la plupart, Tu ne les trouveras pas reconnaissants. (Coran, 7 : 16-17) On doit savoir que renverser la théorie de l'évolution et révéler que le principe du hasard est invalide démontrent tous deux l'existence de Dieu, qui a tout créé et non pas celle d'un dessein intelligent. Dire, "S'il n'y a pas d'évolution, alors il y a un dessein intelligent" n'est rien d'autre que d'adopter encore une autre fausse idole pour remplacer celle de l'évolution.

Ce qui convient à un musulman est d'adopter le chemin des prophètes et messagers comme il l'est mentionné dans le Coran. Les musulmans ne sont pas obligés de suivre tel ou tel mouvement scientifique, mais ils doivent suivre la voie des prophètes et des messagers que le Coran cite comme modèle, et suivre l'exemple de ces individus bénis. »

Et on veut faire entrer la Turquie dans l’Europe !

Comment se fait-il que nos laïcistes de Sagascience, prompts à s’inquiéter du retour des fondamentalistes chrétiens aux USA, n’aient pas un mot pour signaler l’existence de ce courant anti-scientifique et créationniste pur beurre dans l’islam ?

J’aimerais quand même bien savoir qui est cet Harun Yahya et quel est l’impact réel de sa pensée dans les pays à majorité musulmane. Et, accessoirement, ce qu’en pense Dalil Boubakeur.

(à suivre…)



[1] Je me souviens d’une conférence-débat à la maison de la culture de Chalon sur Saône dans ces années là, quand c’était encore une MC. Le docteur Pierre Geste, psychiatre, qui avait travaillé sur les miracles de Lourdes, voulait en présenter quelques diapositives médicales. C’est le curé de service, un théologien de Lyon assez connu, qui refusa le plus fort, plus fort encore qu’Evry Schatzmann. J’avais avec quelques amis commencé d’entraîner le public à protester contre cette censure et la salle devenait si houleuse que la technicienne de la MC fit signe qu’elle allait lancer le diaporama. Schatzmann accepta d’un signe. Et l’on entendit alors le curé hurler un « Noooon ! » désespéré, reculant sa chaise et se précipitant, inconsciemment, comme pour s’abriter derrière le n°2 de l’Union Rationaliste. C’était tellement disproportionné et tellement signifiant que personne n’a su comment réagir. Et la censure l’emporta, par charité. Je n’ai jamais compris en quoi la vision de ses propres miracles était devenue aussi périlleuse pour l’Eglise romaine.

[2] La nouvelle alliance, 1979.

[3] « From the Big bang to the Big Crunch », Cosmic Search vol. 1 n°4. Le © est daté bizarrement 1979-2004, ce qui suggère que l’interview elle même date de 79, la mise en ligne de 2004. Sur le site http://www.bigear.org/

[4] Les travaux de ce grand naturaliste allemand furent très peu traduits en français et, pour ceux qui le furent, très peu étudiés. Chauvin, dans Les sociétés animales : de l’abeille au gorille, Plon, Paris, 1963, rappelle sa stupeur d’avoir été le premier à couper les pages de ses ouvrages anciens, certains de 1926, à la bibliothèque du Museum. L’opposition ne venait pas tant des biologistes que des linguistes, à cause du terme Bienensprache, langage des abeilles. Or la France était le berceau de la linguistique. Aujourd’hui, ces audaces sont devenues des truismes.

[5] Op. cit. p.66.

[6] Jean Pierre Petit, seul réel spécialiste de la MHD en France, en a fait les frais ; Jacques Benveniste a vu son laboratoire de l’Inserm envahi par… un prestidigitateur hostile, dépêché là par l’UR après ses expériences sur les hautes dilutions, lesquelles sont désormais banales partout dans le monde sauf en France ; Michel Bounias, pour avoir accepté d’analyser les luzernes de Trans en Provence puis s’être intéressé aux biorythmes a fini au placard. Ne parlons même pas de Jacques Ravatin qui se décrivait avec humour comme MAVE – Maître Assistant à Vie Eternelle, ne pouvait disposer de laboratoire et devait se contenter d’enseigner les rudiments de la physique aux étudiants de DEUG. En représailles, il avait fait exprès d’inventer un vocabulaire qui interdisait de rattacher ses travaux au reste de la physique. La bêtise et le ressentiment fleurissaient de tous côtés.

[7] Que Chauvin put repérer car il n’en manque pas lui-même.

[8] Cité par Amy Green, « Histoire des origines : nouvelle théorie avec l’idée d’un Dessein intelligent », EEMNI News, 8 février 2006, http://eemnews.umc-europe.org/ , site de l’Eglise Evangélique Méthodiste.

[9] Ewan Ward et Marty Hancock, « Le dessein intelligent : un défi biochimique à la théorie darwinienne ? », Dialogue Universitaire, 2003, sur le site http://dialogue.adventist.org/articles/ du CEDUA ou Comité pour les Etudiants et Diplômés Universitaires Adventistes. Ce site est conçu par un certain John Wesley Taylor V, ce qui indique l’implantation de cette Eglise dans les dynasties de la côte est.

[10] Michael Behe, Darwin’s Black Box : The Biochemical Challenge to Evolution, Free Press, New York, 1996.

[11] Professeur de biochimie à l’université Lehigh de Pennsylvanie. Ce n’est tout de même pas Harvard.

[12] C. Darwin, L'Origine des espèces, réed. Paris, GF-Flammarion, 1992, p. 241-242.

[13] Ces guêpes pondent dans le corps de chenilles que leur venin paralyse et qui servent de nourriture à leurs larves.