Sunday, May 26, 2013

Hommage à Dominique Venner 2




Après le très beau texte d'Athos, qu'on me permette quelques lignes.
Depuis quelques jours, je retiens mon clavier comme on bride un cheval, trop consciente de la phrase de Cocteau : « Mon sang est devenu de l’encre. Il fallait empêcher cette dégoûtation à tout prix. » Avec le sang d’un autre, la métamorphose est encore plus écœurante. Pourtant l’actualité galope, les médias ont déjà gommé et renvoyé au néant la mort volontaire de Dominique Venner et se taire trop longtemps serait se faire complice de ce linceul d’oubli vorace qui tend à ronger d’insignifiance ce qu’il voulait un acte fort et symbolique, une diane sonnant le réveil de l’Europe en dormition. Nombre de ses amis ont évoqué la droiture et la lumière à propos de son geste. Mais il ne s’agit pas d’éclat solaire, c’est la radiance d’une épée nue.
Dans les mythes celtiques ou germano-scandinaves, l’homme se grandit en allant au devant de son destin ; il atteint à l’héroïsme s’il l’affronte pour qu’advienne plus grand que lui. Les Stoïciens disaient : vouloir ce qui arrive, aimer ce qui vient. Parfois, ce qui vient et qu’il s’agit d’épouser de tout son être n’est autre que le sacrifice au combat. Je ne connaissais Dominique Venner que par ses textes, qu’il s’agisse des éditoriaux de la NRH ou de son blog mais, au travers de ses écrits, transparaissait à mes yeux un type d’homme dont le moins qu’on puisse dire est que notre époque ne le cultive pas. Ma génération, comme la sienne, le découvrait encore avec l’idéalisation des Hommes illustres de la république romaine proposés comme modèle de comportement ; celles qui nous suivent n’auront pas eu cette empreinte. Le christianisme tel qu’on l’enseignait à sa génération – ce n’était plus le cas à la mienne – ne pouvait qu’apparaître infantile et niais face à tant de grandeur. Pourquoi alors avoir choisi Notre-Dame de Paris pour un sacrifice suprêmement païen ?
Ce qu’il en a dit laisse une interrogation ouverte. Jean Yves le Gallou, dans Polémia, tente de le comprendre : « Voilà sans doute pourquoi Dominique Venner a choisi "un lieu hautement symbolique, la cathédrale Notre-Dame de Paris, que je respecte et admire, elle qui fut édifiée par le génie de mes aïeux sur des lieux de culte plus anciens, rappelant des origines immémoriales". Dès le premier siècle, les Gallo-Romains y honoraient Jupiter, Mars, Vénus et Cernunnos comme on peut le voir au Musée de Cluny. Depuis 850 ans, Notre-Dame de Paris, théologie de la lumière et quête de verticalité, est devenue le vaisseau du roman national. C’est le lieu de l’histoire et même de la très longue histoire de la France et de l’Europe. » Certes la cathédrale fut édifiée sur l’ancien autel des nautes de Lutèce mais il me semble qu’il faut creuser plus loin et plus proche à la fois. L’hommage que lui ont rendu les jeunes de la mouvance identitaire eut lieu au pied de la statue équestre de Charlemagne, plus en accord avec l’Europe et la fonction de souveraineté.
Notre-Dame de Paris ou, plus exactement, son parvis actuellement recouvert d’une structure provisoire est aussi le point zéro, le centre officiel des distances géographiques en France. Elle représente donc la sacralisation de l’Omphalos, le Centre autour duquel chaque cité antique se bâtissait, le croisement du cardo polaire et du décumanus solaire ici matérialisé par la Seine. Tous les lecteurs de Guénon et d’Evola reconnaîtront la symbolique du Centre, cœur vivant d’une civilisation, dont Guénon écrivait qu’il est, « avant tout, l’origine, le point de départ de toutes choses ; c’est le point principiel, sans forme et sans dimensions, donc indivisible, et, par suite, la seule image qui puisse être donnée de l’Unité primordiale. De lui, par son irradiation, toutes choses sont produites[1] ». Le sacrifice opéré au Centre même ne peut manquer d’agir invisiblement sur le monde.
Or cet Omphalos que représente Notre-Dame de Paris condense en lui toutes les composantes de notre civilisation et tous les germes de sa dissolution : bâtie sur une île, ce qui en renforce la centralité, la cathédrale l’est aussi dans une ville qui s’est nommée Lutecia, la boueuse, la marécageuse, le lieu des formes indifférenciées, du chaos primordial. L’ordre que génère le centre s’impose au plus désordonné des milieux. Mais Strabon la désigne comme Λoυκoτοκία / Loukotokía et Ptolémée comme Λευκοτεκία / Leukotekía, ce qui signifie Celle qui enfante la lumière, si ce n’est le loup selon le jeu de mots classique en grec. Le caractère alchimique de cette lumière enfantée par la dissolution même n’échappera à personne. Le Centre, ici, se présente comme le « bouton de retour » qui permet à une forme plus parfaite de renaître de la dissolution de l’ancienne. C’est exactement le sens du réveil qu’appelait Dominique Venner et pour lequel il a donné volontairement sa vie.
Retenons aussi que Notre-Dame a pris la place du pilier des nautes érigé pour l’empereur Tibère, entassement de quatre autels qui verticalise et axialise ce qui devrait qualifier les directions de l’espace et des saisons du temps, synthèse des puissances civilisatrices tant de Rome que des Gaules puisque on y reconnaît Jupiter, la souveraineté ; Mars, la fonction guerrière ; Vulcain, l’artisan au service du guerrier ; Castor et Pollux ; et pour la troisième fonction Mercure accompagné de Vénus et de Fortuna ; enfin Esus le puissant, Smertrios le guerrier, Tarvos trigaranus et Cernunnos garants de la fécondité sauvage[2]. C’est en ce lieu de fécondité féminine par excellence l’affirmation de la force virile, de la tension complémentaire des sexes seule capable d’engendrer une cité.
La christianisation n’a pas détruit la symbolique profonde de ce lieu, elle en a fait une autre lecture mais il s’agit toujours de rassembler au cœur, de laisser rayonner du Centre les directions ordonnatrices de la civilisation, de favoriser l’alchimie humaine. Même Viollet-le-Duc en rajoutant sur la balustrade des démons de pacotille s’est plié à la vocation essentielle de ce lieu et ses figures faussement médiévales en ont acquis sens et fonction.
Il fallait le rappeler dans cet hommage à Dominique Venner car nous ne sommes pas en face d’un suicide psychologique mais dans le registre de l’impersonnalité active.


[1] René Guénon, « L’idée du Centre dans les traditions antiques », Regnabit, mai 1926 ; repris dans la compilation de Michel Vâlsan, Symboles fondamentaux de la science sacrée, Gallimard, Paris, 1962, p.84.
[2] http://www.cairn.info/revue-archeologique-2005-2-page-315.htm

Saturday, May 25, 2013

Hommage à Dominique Venner

Comme chacun le sait désormais, Dominique Venner s'est donné la mort le 21 mai 2013 devant l'autel principal de la cathédrale Notre Dame de Paris. Voici l'hommage que lui rend Athos :



Pour moi, Dominique Venner a donné sa vie en sacrifice sur l’autel de la patrie, de la grande patrie française et européenne que symbolise Notre-Dame de Paris. Ce suicide sacrificiel a aussitôt été suivi d’un « meurtre dans la cathédrale », d’un meurtre médiatique s’efforçant de réduire l’auteur de cet acte tragique en « essayiste d’extrême-droite ». L’orchestration des médias officiels va faire en sorte que, aux yeux du grand public, cet acte de résistance soit réduit à un fait divers comparable aux suicides en public qui se multiplient, hélas, dans des écoles et sur des lieux de travail.

Le sens véritable de l’acte de Dominique Venner ressort très nettement au fil de la lecture des écrits qu’il a laissé sur son site personnel, depuis le début de l’année 2013, que j’ai relu en guise d’hommage personnel le soir même de sa disparition. Il y est question du printemps français, de ses limites et de ses perspectives, de la façon dont naissent les révolutions, des « glorieuses défaites » qui traversent l’histoire européenne, de l’héritage multi-centenaire de de Machiavel  - qui « préfère sa patrie à son âme » - et du Chevalier  de Dürer qui affronte le Diable et la Mort, ce rebelle chevalier auquel s’identifiait Dominique Venner. On y trouive également une référence à l’engagement héroïque de Jean Bastien-Thiry, une autre à la renonciation de Benoît XVI, « qui est « parti en beauté », une autre à l’archiduc François-Ferdinand, qui incarne la transformation d’un malheur en manifestation héroïque de la beauté pure. 

L’acte héroïque de Dominique Venner a été préparé de longue main et avec le plus grand soin, et il a été parfaitement exécuté, avec une minutie et une lucidité traduisant une volonté inexorable : une seule balle dans le revolver, un déjeuner avec des amis non mis au courant de ce qui allait se passer. On a peine à imaginer l’extrême tension intérieure qui a porté cet homme dont l’acte suprême a, définitivement, changé la vie en destin, un destin hautement assumé.

L’espérance renfermée dans ce sacrifice est de contribuer à réveiller la conscience des Français et des Européens et à centrer leur réflexion sur le péril majeur qu’est le « grand remplacement » des populations opéré en Europe par le mondialisme sous la forme d’une politique d’immigration-invasion suicidaire. Péril majeur qui constitue la menace la plus grave que l’Europe ait connue, sur ce plan, depuis les invasions du Xe siècle, sous la triple pression des Avars, des Arabes et des Vikings.

On peut songer au suicide sacrificiel par le feu de Jan Palakh, dans les jours qui ont suivi l’invasion de la Tchécoslovaquie, le 21 août 1968, par les forces soviétiques du Pacte de Varsovie. Mais alors, le peuple tchèque tout entier était parfaitement conscient de subir une agression brutale et potentiellement mortelle, alors qu’aujourd’hui, en France et dans une grande partie de l’Europe occidentale, les populations sont rendues somnolentes et anesthésiées par le matraquage médiatique quotidien. 

La mort de Dominique Venner est celle d’un Kshatriya, d’un guerrier, qui reflète l’héroïsme tragique de cette caste, tel que l’exprime l’œuvre de Julius Evola. La référence « traditionniste » de Dominique Venner à la mémoire longue des Européens qui trouverait son fondement chez Homère s’allie à une sourde et tenace opposition au christianisme - un christianisme perçu essentiellement dans sa dimension politique, comme le « ver rongeur » des vertus viriles de la romanité antique. C’est un point sur lequel, depuis bien longtemps, je mène un débat intérieur avec la pensée de Dominique Venner, que je respecte et comprends, mais sans la partager. S’il est aujourd’hui un espoir de renaissance européenne, il pourrait peut-être s’inspirer du Légendaire de Tolkien, synthèse des traditions mythologiques de l’Europe du Nord, baignant dans la clarté du message évangélique.

Dominique Venner sentait la nécessité de poser un geste « nouveau et spectaculaire », et il a choisi pour ce faire un lieu hautement symbolique : la cathédrale Notre-Dame de Paris. Un lieu qui représentait sans doute, dans son esprit, le cœur non seulement de l’histoire de France, mais aussi de la civilisation européenne. Ce lieu a été choisi aussi, peut-être, du fait de l’écho qu’il donnerait à son acte à travers toute l’Europe, du fait de la présence de nombreux touristes dans le sanctuaire. S’il a pris le risque de profaner un lieu saint - en répandant son sang devant le maître-autel - ce n’est sans doute pas par provocation envers les chrétiens ; c’est néanmoins un défi lancé à une Église conciliaire qui prône et soutient une politique d’immigration mortellement dangereuse pour le peuple de France et pour la « fille aînée de l’Église ». 

Athos.