Monday, October 25, 2010

Qu’arrive-t-il au CNRS ?

Jamais deux sans trois, dit-on, mais les deux premières occurrences sont assez désagréables pour qu’on n’en souhaite pas une troisième. Le CNRS et, plus généralement, la recherche d’Etat est-elle devenue le nouveau temple d’une idéologie « rationnelle » et les diverses théories standard un dogme indépassable ? La dénonciation des hérétiques remplacerait-elle le débat entre pairs ?
Il y a quelques mois, une lettre adressée au ministre en charge de la recherche scientifique dénonçait Claude Allègre et Vincent Courtillot, adversaires des thèses du GIEC attribuant à l’homme et à ses rejets de CO2 la responsabilité « à 90% » du réchauffement climatique. Les termes employés assimilaient deux chercheurs reconnus à des charlatans de foire. Et la semaine dernière, un article signé simplement CNRS paraissait dans Marianne pour attaquer les frères Bogdanoff et remettre en cause la validité de leurs doctorats.
Peu importe qui a tort ou raison sur le fond. On avait connu de ces diatribes dans la presse à la fin du XIXe siècle mais c’était alors le lieu habituel du débat scientifique et l’insulte le ton normal de toutes les controverses, à commencer par la politique. Puis les choses étaient devenues plus feutrées, la science s’était retirée dans le jardin secret de ses revues spécialisées et les querelles ne se vidaient qu’entre pairs dans un langage d’une vipérine courtoisie à l’occasion de colloques ou de correspondance privée. Quant aux trublions, ceux qui se permettaient d’avoir des idées neuves qui secouaient quelque peu les mandarins en place, il suffisait de rejeter leurs articles des revues à modérateurs. Internet n’a que peu changé la donne, permettant surtout aux novateurs rejetés de proposer directement leurs recherches à la lecture de leurs pairs. Comme la ménagère de moins de 50 ans n’allait que rarement se passionner pour les quaternions, le code génétique ou les supercordes, les échanges restaient encore dans le giron universitaire.
Les dénonciations de ces derniers mois ramènent le débat scientifique sur des terrains où il a peu à faire. La demande d’un arbitrage politique ou, pire, par l’opinion publique semble oublier allègrement que le seul juge de la vérité ou de la fausseté d’une théorie, c’est le réel lui-même et que l’observation et la mesure doivent toujours avoir la primauté sur les modèles. Dans la dénonciation d’Allègre et Courtillot, les chercheurs donnaient le spectacle plutôt affligeant de gamins d’école maternelle allant se plaindre à la maîtresse ; du moins avaient-ils pour les yeux avertis l’excuse fragile d’une crainte pour leurs crédits. En temps de vaches maigres, il s’agit de réduire le nombre de parts en quoi l’on divise le gâteau. Le procédé manquait singulièrement d’élégance mais le malthusianisme sous-jacent transparaissait assez vite. Il reste que le reproche fait aux trublions de remettre en cause les travaux d’un groupe d’experts, fût-il international, est irrecevable en sciences où chaque avancée opère justement par remise en question des certitudes précédentes. Avec l’appel à la vigilance vis-à-vis des frères Bogdanoff, on franchit carrément la ligne rouge. Il est aisé de voir derrière les affirmations vertueuses de ce CNRS là (ils sont combien à se prendre ainsi pour l’institution toute entière ? 5 ou 6 chercheurs ?) la jalousie féroce de ceux qui ne passeront jamais à la télévision et ne publieront jamais de best-seller.
Mais dans les deux cas, l’argumentaire utilisé est le même et peut ainsi se résumer : ces gars là n’ont pas les compétences requises dans la maison car ils rejettent la théorie standard. Allègre et Courtillot voient dans le réchauffement climatique qui d’ailleurs fait une pause certaine le résultat de cycles naturels plus que de l’activité industrielle humaine ; les frères Bogdanoff suggèrent que le temps de Planck n’est pas un mur opaque et que l’on peut « voir » l’état de l’univers en deçà du Big Bang. Une vision toute mathématique s’entend, mais qui renvoie les supercordes et leur complication croissante dans la corbeille aux épicycles. Notons que, dans les deux cas, les dénonciateurs d’hérétiques ne redoutent pas trop le verdict du réel : il faut trente ans pour juger d’une évolution climatique et l’expérience cruciale en ce qui concerne le temps de Planck n’est pas encore à la portée de nos collisionneurs de hadrons.
Encore une fois, peu importe qui a raison ou tort sur le fond. Ce qui me semble gravissime, c’est que l’on transforme des hypothèses, des modèles ou des théories en dogmes intangibles et l’ensemble université/CNRS en clergé autorisé refusant le droit de prêche (pardon, de vulgarisation) en dehors de coteries.