Thursday, December 01, 2016

Retour sur le salon Made in France



A vrai dire, je m’y suis rendue sans trop savoir où je mettais les pieds, mais pour me faire une idée de ce que l’on produisait encore dans notre France partiellement désindustrialisée. La réponse est venue très vite : des chaussettes de laine, un artisanat du vêtement, des produits de beauté, des produits alimentaires de qualité, des jouets en bois ou en osier et des inventions insolites qui tentent de dépasser le stade du concours Lépine. Cela s’adresse à une clientèle aisée et assez cultivée, cadres, bobos, touristes… Les « professions intermédiaires » ne pourront s’offrir qu’une ou deux de ces merveilles dans une année, les employés et ouvriers, j’en doute. S’ils n’ont pas d’enfants, peut-être… Tout est beau, de qualité, tout respire un art de vivre de campagnes cossues ou de banlieues rurbaines. Les conseils d’entretien gentiment donnés par Ardelaine, une coopérative « de développement local » centrée sur le textile, supposent d’avoir au minimum un balcon, au mieux une maison avec jardin. Ardelaine est d’autant plus intéressante que son but premier est de créer des emplois durables, un partenariat avec les éleveurs locaux de moutons mérinos ; la coopérative fait vivre une soixantaine de personnes dans un petit bourg d’Ardèche, Saint Pierreville, quelque part dans la montagne entre Valence et Aubenas. J’ai bien aimé leur modèle économique, tel que décrit sur leur catalogue : 45% des bénéfices sont distribués aux salariés, 45% forment la « réserve impartageable » qui permet les investissements nécessaires à la « pérennité du projet », 10% sont distribués en dividendes pour les associés, salariés ou non.

Je ne parlerai que de mes coups de cœur et de mes étonnements. Le premier stand que j’ai abordé proposait avec quelque provocation un « p’tit sniff ». Diantre !  En fait, il s’agit d’un petit diffuseur individuel de parfum que l’on active d’un doigt et qui permet mille jeux : un parfumeur l’utilisera pour faire découvrir ses nouveautés aux clients, un thérapeute y verra l’occasion de détente pour un patient, un éducateur lui trouvera une utilité pédagogique permettant aux enfants de reconnaître et nommer les odeurs. Moi qui pensais ne pas avoir beaucoup de nez, j’ai pu identifier les composants d’une dizaine d’élaborations odorantes complexes ; je n’en revenais pas ! Et j’ai vu de suite une autre utilité, pouvoir traverser certaines stations de métro en respirant autre chose que des relents d’égout. Trois créateurs furent à l’origine de cet objet insolite, Valérie Pasmanian pour les parfums, Michel Pozzo pour la conception du diffuseur et sa miniaturisation, Helmut Dippold pour le design. Site, page facebook, le P’tit sniff semble aussi implanté à Paris.

J’ai rêvé devant les lunettes en bois. L’artisan qui les fabrique aux Voivres, dans les Vosges, sous la marque In’Bô fabrique aussi des vélos en bambou et fibre de lin et… des skateboard de hêtre. On sent l’écho de ses passions de jeunesse ! Dans un tout autre genre, une petite voiture électrique prévue pour la conduite en fauteuil, donc pour les handicapés, intelligente et moins laide qu’on aurait pu le craindre. Chez Kimsi, à Saint-Aubin la Plaine, site et page facebook. Une autre voiture électrique, la Bee Bee, a pour particularité un châssis modulable et évolutif, mais je n’ai pas tout compris ! Voiture de plage ou de ville, utilitaire, mais trois modèles différents ou trois en un ? Le vendeur parlait avec un homme sérieux et j’ai rengainé ma curiosité.
A Tain l’Hermitage, sous la marque Manu Fêtes, on trouve un créateur de drapeaux, depuis les pavillons officiels de tous les pays jusqu’aux voiles publicitaires. Ils se déclinent dans tous les formats, comme les mâts et les hampes auxquels on les associera. On a même des bannières de pèlerinage, qui voisinent pacifiquement avec les fournitures de mairie, buste de Marianne, écharpes de maire, d’adjoint ou de simple conseiller, ruban tricolore pour inaugurations, cocardes, coussins de présentation et autres impédimenta. N’oublions pas les écussons militaires et les fanions d’association.
Il me reste à évoquer les plus insolites. Une bande de filles présente le Pisse debout, gadget qui réjouira les psychanalystes freudiens qui croient encore que les femmes souffrent toutes de l’absence de pénis (ne leur ôtez pas leurs illusions, les filles, ils en feraient une dépression !). Mais ce machin à usage unique (heureusement) fabriqué à Montpellier à partir de pin des Landes transformé en papier en Charente a son utilité dans certaines toilettes publiques mal entretenues ou quand de tels édicules manquent, qu’il n’y a pas de buissons bien drus pour se dissimuler… Enfin, nous avons toutes connu ce type d’inconfort ! Et peut-être pour nous donner l’occasion de l’utiliser, le stand le plus proche propose un vin blanc étonnant : un vin de kiwi, dont le jus vinifié se laisse boire sans problème et pourrait accompagner des fruits de mer, des poissons, des légumes frits. Un peu acide, mais pas plus qu’un vin jeune. Reste à savoir combien d’années il se garde, puisque c’est la première production des jeunes de Longonya.

Pourquoi cet écho d’un salon d’artisanat, cet article plus léger que mes messages habituels ? L’art de vivre qu’il représente, même s’il n’est accessible qu’avec quelques moyens, n’est pas une évocation nostalgique de la France rurale des années 1950 ; il trace des chemins vers un autre mode économique qui conjuguerait innovation et tradition, localisme de la production et échanges au long cours via internet. Ce mode économique qui tâtonne encore entre luxe et quotidien pourrait offrir une alternative viable au capitalisme de grands groupes, ne laissant à ces derniers que la guerre et l’espace.
A suivre.

P.s. Je n'ai pas réussi à importer les photos prises à cette occasion. Vous les trouverez sur ma page Facebook, dans l'album dédié.

Wednesday, November 09, 2016

Des jurons et des hommes



On ne jure que par un dieu. L’exemple le plus clair, pour les amateurs de B.D., serait le « By Jove ! » cher au professeur Mortimer dans les œuvres d’Edgar P. Jacob, juron so british qui n’est autre qu’une invocation de Jupiter. Mais il n’est pas toujours facile d’identifier la Puissance qui se cache derrière un autre juron devenu quasiment universel en France, toutes origines ethniques confondues : « Putain ! » Qui diable évoque-t-on par cette épithète ?
A l’évidence, une femme. Le juron n’est d’ailleurs pas nouveau, on le lance depuis longtemps dans le sud-ouest, avec un g final (putaing !) qui ne nous aide guère. A Marseille, on y ajoute une précision anatomique : « Pute borgne ! » Autre énigme. On connaît dans les panthéons indoeuropéens le dieu borgne dont Odin serait le plus évident représentant ou le dieu manchot, mais une déesse estropiée ?  Peut-être, si l’on songe à nombre de triades féminines, images maternelles du temps et du destin ordinaire, pourrait-il s’agir des Grées, ces vieilles, vieilles depuis la naissance nous assure-t-on, qui se partagent au fond de leur grotte un œil et une dent ? Elles ne possédaient pourtant pas de temple et n’interviennent que comme des personnages secondaires dans le mythe de Persée, cet œil pris en otage lui permettant d’apprendre comment se défaire de la Gorgone. 

Oublions pour l’instant l’œil unique de celle de Marseille pour nous intéresser à la prostitution affirmée. Certes, une solution de facilité serait de penser à la Grande Prostituée au chapitre 17 de l’Apocalypse :
« Puis un des sept anges qui tenaient les sept coupes vint, et il m'adressa la parole, en disant: Viens, je te montrerai le jugement de la grande prostituée qui est assise sur les grandes eaux. C'est avec elle que les rois de la terre se sont livrés à l'impudicité, et c'est du vin de son impudicité que les habitants de la terre se sont enivrés. Il me transporta en esprit dans un désert. Et je vis une femme assise sur une bête écarlate, pleine de noms de blasphème, ayant sept têtes et dix cornes. Cette femme était vêtue de pourpre et d'écarlate, et parée d'or, de pierres précieuses et de perles. Elle tenait dans sa main une coupe d'or, remplie d'abominations et des impuretés de sa prostitution. Sur son front était écrit un nom, un mystère: Babylone la grande, la mère des impudiques et des abominations de la terre. Et je vis cette femme ivre du sang des saints et du sang des témoins de Jésus. Et, en la voyant, je fus saisi d'un grand étonnement. Et l'ange me dit: Pourquoi t'étonnes-tu? Je te dirai le mystère de la femme et de la bête qui la porte, qui a les sept têtes et les dix cornes. La bête que tu as vue était, et elle n'est plus. Elle doit monter de l'abîme, et aller à la perdition. Et les habitants de la terre, ceux dont le nom n'a pas été écrit dès la fondation du monde dans le livre de vie, s'étonneront en voyant la bête, parce qu'elle était, et qu'elle n'est plus, et qu'elle reparaîtra. C'est ici l'intelligence qui a de la sagesse. Les sept têtes sont sept montagnes, sur lesquelles la femme est assise. Ce sont aussi sept rois: cinq sont tombés, un existe, l'autre n'est pas encore venu, et quand il sera venu, il doit rester peu de temps. Et la bête qui était, et qui n'est plus, est elle-même un huitième roi, et elle est du nombre des sept, et elle va à la perdition. Les dix cornes que tu as vues sont dix rois, qui n'ont pas encore reçu de royaume, mais qui reçoivent autorité comme rois pendant une heure avec la bête. Ils ont un même dessein, et ils donnent leur puissance et leur autorité à la bête. Ils combattront contre l'agneau, et l'agneau les vaincra, parce qu'il est le Seigneur des seigneurs et le Roi des rois, et les appelés, les élus et les fidèles qui sont avec lui les vaincront aussi. Et il me dit: Les eaux que tu as vues, sur lesquelles la prostituée est assise, ce sont des peuples, des foules, des nations, et des langues. Les dix cornes que tu as vues et la bête haïront la prostituée, la dépouilleront et la mettront à nu, mangeront ses chairs, et la consumeront par le feu. Car Dieu a mis dans leurs cœurs d'exécuter son dessein et d'exécuter un même dessein, et de donner leur royauté à la bête, jusqu'à ce que les paroles de Dieu soient accomplies. Et la femme que tu as vue, c'est la grande ville qui a la royauté sur les rois de la terre. »
L’assimilation de la ville et de la femme traverse toute l’antiquité profonde. En français encore nous distinguons le royaume et la cité, la ville. La Bible fait de Jérusalem la fille de Sion, ce dernier terme désignant le massif montagneux, la suite de collines sur laquelle s’étageaient ses demeures. Troie renferme Hélène enlevée par Pâris, prétexte homérique à sa conquête par les Achéens. On trouverait aisément d’autres exemples, ne serait-ce que l’assimilation d’Athènes à la déesse Pallas Athéna qui apparaît à la fois comme sa protectrice et sa figure éponyme. Les représentations romaines de Cybèle la montrent turrita, couronnée de remparts comme une ville. Cybèle pourrait-elle être la figure que nous cherchons ?
Dans l’Abrégé de la Mythologie universelle ou Dictionnaire de la Fable de François-Joseph Noël, inspecteur-général des études, paru en 1815 à Paris chez Le Normant, on trouve deux figures au nom très proche, Cybébé, « divinité ainsi appelée du pouvoir qu'on lui attribuait d'inspirer la fureur », du grec cybebein, et Cybèle, qu’il assimile à « Vesta l'ancienne, fille du Ciel et de la Terre, et femme de Saturne, qu'on appela autrement Ops ,Rhée, Vesta, Tellus, bonne déesse, mère des dieux, etc., comme mère de Jupiter, de Junon , de Neptune , et de la plupart des dieux du premier ordre. Sa mère l'exposa, aussi-tôt après sa naissance, dans une forêt où les bêtes sauvages prirent soin d'elle, et la nourrirent. Son culte devint célèbre dans la Phrygie, d'où il fut porté en Crète. Cette déité fut inconnue eu Italie jusqu'au temps d'Annibal. Les Romains, ayant consulté les livres des sibylles, reçurent pour réponse que l'ennemi ne pourrait être chassé de l'Italie, jusqu'à ce qu'on eût fait venir à Rome la mère des dieux. Ses mystères, comme ceux de Bacchus, étaient célébrés avec un bruit confus de timbales, de hautbois et de cymbales. On lui offrait en sacrifice une truie à cause de sa fertilité, un taureau ou une chèvre ; ses prêtres étaient les Cabires, les Corybantes, les Curètes, les Dactyles idéens, les Galles, les Sémivirs et les Telchines, qui, tous en général, étaient eunuques. On représentait cette déesse comme une femme robuste et puissante, couronnée de chêne, la tête ceinte de tours, une clef à la main, portée sur un char traîné par des lions, vêtue d'habillements verts et bigarrés. » Sourions de la confusion, à l’usage des enfants des écoles, entre les figures mythiques que sont les Cabires, les Corybantes, les Curètes et les Dactyles avec les prêtres eunuques, les Galles. Résumer en elle toutes les déesses romaines de la Terre peut également faire sourire mais ce syncrétisme renvoie à des cultes sans doute plus archaïques. Il reste qu’aucun mythe n’en fait une prostituée même occasionnelle et que la castration de ses prêtres forcés ainsi à la continence absolue suggère plutôt un retrait.

Revenons à son œil unique. On trouve dans le panthéon de l’Inde védique une figure considérée comme mineure dont on raconte qu’elle n’a qu’un œil, quoique elle soit représentée avec les deux bien ouverts. Fille du sage Kashyap et de Kadru, sœur du roi serpent Sesha ou, selon d’autres sources, fille de Shiva lui-même, Manasa Devi est la Dame des serpents. Elle les protège tout en protégeant les hommes de leur venin. Les contes populaires affirment qu’elle est née directement de l’esprit de Kashyap et que son nom signifie « née de l’esprit », esprit au sens de l’intellect agent de la scolastique médiévale.  On pense évidemment à Pallas Athéna sortie toute armée du crâne de Zeus. Selon les Puranas, Manasa fut mariée par son père à un autre sage, Jaratkaru, qui mit une condition à cette union : à la moindre désobéissance de sa part, il l’abandonnerait. Les interdits de cet ordre finissent toujours par être transgressés, à l’instar des geis irlandais et Manasa se retrouva seule un matin où elle avait réveillé son mari si tard qu’il fut en retard pour ses prières rituelles. Réconciliés au bout de quelque temps, les époux engendrèrent un fils, Astika. Les contes du Bengale disent que Manasa sauva le dieu Shiva d’un poison mortel – motif qui rappelle évidemment le mythe égyptien d’Isis qui guérit Râ du poison qu’elle lui a elle-même inoculé. La conception d’Astika semble d’ailleurs une édulcoration de celle d’Horus, une réinterprétation qui élimine le personnage de Seth mais garde le temps de « veuvage » symbolique de sa mère. On représente Manasa assise sur un lotus, tenant dans ses mains deux serpents, parfois couronnée de cobras, ce qui renvoie encore à l’uraeus égyptien. Une autre paire de bras brandit des objets rituels, dont une hache. D’autres images la montreraient portant son fils dans ses bras, en déesse « à l’œil unique ».  Toutefois Manasa, pas plus qu’Isis, ne paraît se livrer à des galipettes extra-conjugales.
Retenons toutefois le lien entre l’œil unique et les serpents, qui pourraient renvoyer à une figure beaucoup plus archaïque, la déesse néolithique que l’on va trouver en Crète et quasiment sur tout le pourtour méditerranéen. Le plus souvent représentée au pied d’un arbre, la Dame des animaux tient un serpent dans chaque main et se présente donc comme une maîtresse des venins. Certes, il est difficile de reconstituer les mythes des temps sans écriture, mais certaines représentations de Manasa la font accompagner d’un cygne. Sans prétendre en épuiser la signification, notons que le cygne ou hamsa rappelle l’humanité de l’âge d’or, avant la distinction des castes. On le retrouve nageant sur la fontaine d’Urd au pied d’Yggdrasil, l’arbre-monde germano-scandinave, urd signifiant origine, comme arché en grec, au double sens temporel et principiel.
Mais c’est dans le monde celtique, dans la mythologie irlandaise, que nous allons découvrir une figure féminine qui rassemble tous les caractères recherchés. Boann ou Boand – ou Bo-vinda, celle qui procure des vaches, richesse nourricière par excellence, fécondité incarnée – est l’épouse d’Elcmar, le frère du Dagda ; or elle devient la maîtresse de son beau-frère. Le Dagda avait éloigné son frère par ruse, son absence de neuf mois lui semble ne durer qu’un jour. Mais neuf mois suffisent à une grossesse et, durant l’absence de son mari va naître Mac Oc ou Oengus, héros de nombreux récits épiques. Après quoi, Boann se plonge pour se purifier dans la fontaine Segais, source originelle purificatrice et mortelle. Elle perd dans ce bain un œil, une jambe et un bras. En d’autres termes, elle est transformée à l’instar des Fomoires, les géants monstrueux auxquels les enfants de Dana doivent arracher la terre d’Irlande. La métamorphose va plus loin, puisqu’elle devient la Boyne, la rivière sacrée qui sourd d’un sidh, Brug na Boinne, la demeure même du Dagda.

Ce n’est là qu’une première piste. Il ne s’agit certes pas d’assimiler l’une à l’autre des entités liées à des contextes culturels aussi différents que l’Irlande, l’Inde védique et l’Egypte mais de cerner une constellation symbolique qui pourrait encore hanter notre inconscient collectif. Nous y reviendrons.

Monday, August 01, 2016

Réflexions autour du martyre du père Jacques Hamel



Un prêtre vient d’être égorgé devant l’autel pendant qu’il célébrait la messe. Il ne s’agit pas seulement d’un attentat de plus dans une période qui les voit pousser comme des champignons après la pluie. Le choc nous atteint plus profondément, ébranle l’inconscient collectif, l’égrégore de la France. Quand je lis et que j’entends les réactions des uns et des autres, je suis frappée par leur inhabituelle sévérité qu’on n’avait jusqu’ici rencontrée que dans des milieux restreints de militants identitaires ou nationalistes. En particulier se dessine un consensus pour fermer les mosquées salafistes, renvoyer leurs imams à leurs pays d’origine, refuser de reprendre sur le territoire français ceux qui sont partis en Syrie se battre aux côtés de Daesh. J’ignore si le gouvernement de Manuel Valls ira jusqu’au bout de telles mesures mais la vox populi l’exige.
A terme, l’historienne en moi me chuchote que la persécution d’une croyance religieuse n’a le plus souvent servi à rien, sinon à retarder sa diffusion. L’empire romain n’a pas éradiqué le christianisme, pas plus sous Dioclétien que sous ses prédécesseurs ; l’empire chinois n’a pas plus éradiqué le bouddhisme, à peu près à la même époque. Celles qui ont disparu, comme les écoles gnostiques, se sont le plus souvent reconstituées sous d’autres noms, manichéisme, dualisme cathare, ecclésioles néo-gnostiques créées au sein de la franc-maçonnerie. Certes, mais, dans l’urgence, une telle mesure donnerait au moins un temps pour respirer et s’organiser. Ce n’est pas la panacée, c’est simplement inévitable si l’on tient à rester cohérent. Et qu’on ne me dise pas que l’islam est davantage une doctrine politique qu’une religion, les choses ne sont pas si simples dans le cas de l’affirmation d’un idéal théocratique lequel, dans le contexte d’un monothéisme strict, ne saurait être que totalitaire. C’est une religion de la loi. Rome avait bien fait une déesse de la Justice, dans le sens le plus juridique de ce terme !
Religion vient du latin religare, relier. Mais à quoi se relie-t-on, individuellement et collectivement ? Répondre à cette question fut essentiel pour nos ancêtres. Aujourd’hui, les manipulateurs y répondent par l’absurde, réduisant le pain mais exaltant les jeux. Invite à rester à la surface de soi-même et du monde. Mais que vienne un choc dans l’inconscient collectif comme celui qui vient d’avoir lieu et l’absurde laisse un goût de cendres. La colère qui se réveille a des allures d’explosion d’un volcan que l’on croyait éteint. Nul ne peut prédire jusqu’où iront les laves. Le pire serait sans doute qu’on tente de remettre le couvercle et de le fixer plus hermétiquement, pour des visées électoralistes… Ce serait le meilleur moyen de préparer le chaos.
Or je suis frappée par la façon très sûre dont les enfants perdus de Daesh et, avant eux, les agents d’al-Qaïda manipulent nos symboles et frappent à coups précis les points sensibles mais consciemment oubliés des égrégores d’Europe. Guénon rattacherait sans doute cette habileté à la contre-initiation, les cathos tradi y verraient plutôt la griffe du Malin ; étiquettes peut-être valides mais qui ne doivent pas nous dispenser de les interroger. Il s’agit d’analyser plutôt que d’estampiller. Comment le culte de la Loi permet-il que le trait soit acéré et la cible si bien définie, alors que le mode de la propagande par internet s’adresse à une nébuleuse sans formation réelle ni religieuse ni politique ?