Sunday, December 02, 2007

Lettre ouverte à Fadela Amara

Anne-Lorraine, 23 ans, poignardée par un violeur récidiviste auquelelle tentait de résister…
Quelqu'un de mes amis a demandé ce qui se serait passé si elle avait été voilée.
Si Anne-Lorraine avait porté autre chose que la burqa, je pense qu'elle aurait couru autant de risques, même avec le foulard. On parle d'elle mais combien de filles d'origine maghrébine ou africaine se font violer dans les cités et dans l'indifférence générale ? Pour ma part, je serais révoltée de la même façon quelle que soit la couleur de peau de la victime. Dans les romans arthuriens, on juge de la qualité d'un royaume au fait qu'une pucelle peut voyager seule sans se faire agresser. Nous sommes aujourd'hui très très loin d'un pays civilisé, je suis au regret de le dire.
Quant au fait que le violeur soit turc... il n'y a pas si longtemps que dans certains coins de France, on voyait les mêmes drames avant que l'immigration ait atteint les sommets actuels et que les tribunaux acceptaient le discours fallacieux selon lequel une jolie fille avait "provoqué", du moment qu'elle s'habillait normalement et pas avec un sac à patates.
Le mot insupportable dans cette affaire, c'est "récidiviste".
Lors du traité entre les rois franc, ostrogoth et burgonde, qui tient en 6 lignes sur le parchemin, l'accord portait sur trois crimes dont les auteurs ne pouvaient trouver refuge dans un autre royaume : le meurtre, le viol et le vol. Les rois s'engageaient à poursuivre le coupable fugitif. Ce traité est l'ancêtre lointain d'Interpol. Il me semble significatif que le viol soit alors mis sur le même plan que le meurtre.
On avait réussi à changer les mentalités sur ce point, à faire admettre que la victime d'un viol est une vraie victime - et ça, que les machos me le pardonnent, c'est un des points du combat "féministe" que j'ai toujours soutenu, de toutes mes forces. Dix ans plus tard, tout est à recommencer. J'espère que la résistance d'Anne-Lorraine à son agresseur va déclencher un sursaut chez les femmes.
Et j’aurais apprécié que Fadela Amara s’exprime. D’où cette lettre ouverte.

Madame la Secrétaire d’Etat,

Lorsque vous avez fondé Ni putes, ni soumises après que Sohane Benziane ait fini brûlée vive au milieu des poubelles pour avoir refusé de céder à un petit macho de banlieue, j’ai applaudi. J’ai suivi la marche des femmes que vous organisiez, avec sympathie et même ferveur. Je trouvais simplement très triste qu’il vous faille recommencer un combat que nous n’avions cessé de mener dans ma génération et qui semblait porter enfin du fruit dans les années 90.
Je ne me définis pas par une étiquette politique. D’ailleurs « gauche » et « droite » n’ont plus guère de sens, les clivages réels sont plus complexes et j’ai décidé à 20 ans que je ne m’encarterai nulle part mais que je soutiendrai les initiatives intéressantes d’où qu’elles viennent. Cette marche me semblait de celles qu’il fallait conforter.
Mais je me trompais sur votre compte. Ce n’était pas la dignité des femmes que vous défendiez, semble-t-il aujourd’hui. C’était uniquement la dignité des femmes immigrées. Votre silence devant la mort d’Anne-Lorraine Schmitt, morte de trente coups de couteau dans le RER D pour avoir résisté à son violeur me donne la nausée.
Ah certes, Anne-Lorraine était intégrée, elle, « souchienne » même selon l’odieux jeu de mot ministériel, fille de militaire, « Petit Oiseau » à la Légion d’Honneur, scoute, journaliste stagiaire, chrétienne, blonde naturelle en plus… Faut-il vous rappeler, Madame la Secrétaire d’Etat, qu’elle n’a pas plus que vous ou que Sohane choisi sa naissance ? Y aurait-il des filles à défendre et des filles qu’on peut laisser violer et tuer dans le RER sans un mot ? Je n’ose penser que votre silence vienne d’une solidarité ethnico-culturelle quelconque avec le violeur meurtrier…
Certes, votre ministre Christine Boutin était présente à ses obsèques. Mais cela ne vous déchargeait pas du devoir de dire un mot de compassion, de révolte devant le crime d’un récidiviste, vous qui avez la langue si bien pendue d’ordinaire !
Madame, vous ne m’avez pas seulement écoeurée aujourd’hui. Vous m’avez déçue. Vous avez déçu toutes les femmes. C’est pire.
Permettez moi de ne pas vous saluer.