Il s'agit du texte de mon intervention au colloque d'OVNI-Languedoc le 17 septembre 2017. On me pardonnera les facéties du logiciel qui surlignent sans que je l'ai demandé !
De quoi parle-t-on lorsque l’on évoque l’étrangeté
d’une observation d’OVNI ? Tout le monde emploie ce terme, certains
affirment même pouvoir la mesurer, ou du moins l’estimer comme on repère une
température. Soit. Un vieux réflexe me revient : toujours définir les
termes avant de discuter d’un problème. Définir, c’est en français consulter
d’abord le Littré, la Rolls Royce des
dictionnaires. « Étrangeté : Caractère de ce qui est étrange. » Il
faut donc se reporter vers étrange, pour apprendre que le mot a d’abord
signifié étranger, on le trouve dès le XIe siècle dans la Chanson de Roland, du latin extraneus,
de extra,
hors, dehors. L’étrangeté serait la qualité de ce qui vient du dehors, qui
n’est donc pas de chez nous. Le terme a évolué au cours des siècles. Est
étrange ce « qui est hors des conditions, des
apparences communes » ; Littré donne plusieurs exemples, ajoute
quelques sens dérivés comme « Trouver fort étrange, trouver surprenant et
blâmable. Il trouva fort étrange qu'on ne l'eût pas invité » et précise
que l’adjectif peut s’appliquer aussi aux personnes. C’est au cours des XVIe et
XVIIe siècles que l’on arrive au sens affaibli ou généralisé de « hors des
conditions, des apparences communes ». Pour le Larousse, étrange signifie « qui frappe par
son caractère singulier, insolite, surprenant, bizarre ». Et Wikipédia
donne deux définitions : « 1. Inhabituel, bizarre, étonnant, anormal ;
2. inconnu, étranger ».
Donc l’étrangeté, en
matière d’OVNI, peut signifier au minimum ce qui empêche de reconnaître comme
tel un phénomène qui devrait être banal mais se présente sous un angle
insolite. C’est la définition préférée des sceptiques et autres zététiciens. Mais
cette acception est fort récente. Lorsque les premiers ufologues parlaient
d’étrangeté, ils résumaient d’un mot les comportements, les caractéristiques
qui pouvaient être des indices d’une origine non américaine puis non humaine
des phénomènes observés. Or ces indices ont évolué au cours du temps.
Le « non identifié », notion militaire
Le 5 septembre 1947,
donc après la vague de « fusées fantômes » de 1946 en Scandinavie, les
premières observations « classiques » aux États-Unis et le couac de Roswell,
le général Schulgen, assistant remplaçant du chef d'État-major des
forces aériennes, répond au directeur du FBI : « En réponse à la
requête verbale de votre M. Reynolds, un tour d'horizon complet des activités
de recherches nous informe que l'Armée de l'Air n'a aucun projet ayant des
caractéristiques semblables à celles qui sont attribuées aux disques volants. »
Feuilletons les documents déclassifiés de la période 1946-1952. Un mémo daté du
22 août 1946 mais qui se réfère à un document du 1er août 1948 – une
des deux dates est forcément une erreur de frappe – suggère que la vague
scandinave vient d’essais par les Russes des prototypes restés à Peenemünde.
L’étrangeté renvoie à l’adversaire potentiel des débuts de la guerre froide. En 1949 encore, le rapport du Renseignement
Aérien 100-203-79 fait état de 210 observations de témoins qualifiés, officiers
de l’Air Force, personnel de la météo, pilotes civils expérimentés, techniciens
de l’aéronautique et propose deux explications : 1. « Les objets sont
des appareils domestiques, et si oui, leur identification ou origine peut être
établie par un suivi de tous les décollages d'objets aéroportés. Les avions
domestiques de type aile volante observés dans leurs comportements de vol
pourraient être responsable d'une partie des objets volants rapportés, en
particulier de ceux décrits comme disques et en forme approximative de cigare. »
2. « Les objets sont étrangers, et si oui, il semblerait logique de
considérer qu'ils sont d'origine Soviétique. Les Soviétiques possèdent des
informations sur un certain nombre d'avions Allemands de type aile volante tels
que le Gotha P60A, le Junkers EF 130, un bombardier à longue portée et à grande
vitesse à réaction, et le chasseur biréacteur Horten 229, qui ressemble
particulièrement à certaines descriptions d'objets volants non identifiés. »
Les enquêtes demandées dans le cadre des projets SIGN, GRUDGE puis BLUE BOOK
vont dans ce sens.
Très vite pourtant, après
quelques années d’observations ainsi que d’espionnage efficace, va se poser l’angoissante
question : si ce n’est pas nous, si ce n’est pas l’URSS, alors qui ?
Ou quoi ? L’enquête échappe partiellement à l’armée, avec les premiers
ouvrages de journalistes comme Donald Keyhoe qui publie en 1950 The flying saucers are reals (Les soucoupes
volantes existent). À l’époque, l’armée américaine oscille entre
déclarations systématiquement rassurantes vis-à-vis du public, « circulez,
y a rien à voir » et communiqués de presse tel que celui du 30 décembre
1949 : « Il n’est pas possible d’affirmer avec certitude que
certaines personnes n’ont pas vu un vaisseau spatial, un missile ennemi ou
quelque autre objet. » Donc deux ans à peine après l’observation d’Arnold,
l’hypothèse extraterrestre est officiellement évoquée. Dès lors, l’étrangeté
signifie performances impossibles avec la technologie de pointe en
aéronautique, qu’elle soit russe ou américaine, c’est-à-dire, dans les deux
cas, un prolongement des recherches allemandes de Peenemünde. Une fois
éliminées les méprises dues à l’ignorance du témoin comme à des conditions
météo inhabituelles, les cas irréductibles seront analysés au travers de cette
grille. Virage à angle droit ? Vol stationnaire ? Accélérations qui
tueraient un pilote humain ? En janvier 1950, Keyhoe conclut dans un
article pour True Magazine :
« La Terre a été périodiquement observée par des visiteurs d’une autre
planète. Cette surveillance s’est accrue de façon notable ces deux dernières
années », thèse qu’il développera tout au long de son livre. En cette
première phase, l’évaluation de l’étrangeté d’une observation relève de
connaissances en ingénierie, au point que seront repoussés systématiquement
comme délires ou canulars les témoignages qui ne peuvent être soumis à cette
grille.
À partir de
1954 et de la vague franco-italienne, on ne peut plus éluder les observations
d’humanoïdes, mais elles ne font que renforcer l’hypothèse extraterrestre.
Simplement, le registre de l’étrangeté s’élargit. Outre les performances
technologiques, on va prendre en compte les anomalies biologiques, taille des
créatures, chevelure ou son absence, nombre de doigts, etc. Tout continue
cahin-caha, les commissions d’enquête privées s’organisent, les services
de renseignement ouvrent des dossiers dont ils se gardent bien de publier le
contenu, les témoignages s’accumulent. Le basculement aura lieu à la fin des
années 60, quand on prendra conscience d’une évidence peu rassurante : cela
fait 20 ans que l’on recueille des histoires d’OVNI et l’on ne sait toujours
quasiment rien. S’il s’agissait de prototypes militaires, les agences de
renseignement l’auraient su depuis belle lurette. Exit donc l’étrangeté
domestique, purement terrestre. À partir de là, les hypothèses vont se multiplier et le
concept d’étrangeté ufologique se préciser.
Plus étrange encore ?
Pour reprendre la
classification qu’élabore alors Hynek, les Lumières nocturnes et les Disques
diurnes, sans parler des Radar-visuels qui avaient retenu l’attention des
militaires dans les années 46-52 à cause de leurs performances de vitesse et de
maniabilité supérieures au meilleur de leur propre avionique et des premiers
missiles glissent du côté du banal au profit des rencontres rapprochées
avec ou sans humanoïdes, que les militaires rejetaient autrefois comme pure
dinguerie, imagination, canulars dans le meilleur des cas. Avec la révélation
de l’enlèvement de Betty et Barney Hill puis l’entrée en jeu des mutilations
animales, avec la relecture de certains épisodes bibliques et de vieilles
chroniques ou de la littérature de colportage et la thématique des anciens
astronautes censés avoir visité la Terre à l’aube de l’histoire humaine, la
problématique de l’étrangeté devient de plus en plus complexe. L’analyse des
témoignages échappe aux ingénieurs de l’aéronautique militaire pour intéresser
les physiciens, les psychologues, les historiens des religions, les
spécialistes du folklore et, finalement, exiger un ensemble transdisciplinaire.
On peut même se demander, dès lors, si le sigle OVNI, Objet Volant Non
Identifié, qui correspond à une préoccupation militaire d’identification des
aéronefs et des missiles, de distinction de l’ami et de l’ennemi, possède
encore un sens. Il devient de plus en plus soit un synonyme de « vaisseau
extraterrestre », soit un mot valise pour désigner tout phénomène inconnu,
voire l’étrangeté en soi.
On trouve désormais
des catalogues de « types d’OVNI » qui rappellent le vieux
Catalogue des Armes et Cycles de Saint-Étienne ! Sans oublier celui des « races
d’extraterrestres ». Bertrand Méheust le comparait à la gigantomachie de
la mythologie grecque, je lui ai répliqué qu’il s’agit alors d’une
gigantomachie du pauvre, d’un imaginaire au rabais qui tente d’apprivoiser
l’inconnu. Mais dans le même temps où s’élabore sur Internet ce Disneyland de la
soucoupe, se multiplient aussi les approches théoriques qui doivent prendre en
compte tous les aspects du phénomène tel que le décrivent les témoins, une fois
éliminées les méprises – donc les fausses étrangetés, les étrangetés purement
subjectives, qui peuvent provenir de l’ignorance de phénomènes naturels
rares, de conditions particulières du terrain ou de la météo, etc. – et les
descriptions trop vagues. Le résidu utile a longtemps tourné autour de 20% des
témoignages. Il serait aujourd’hui à 10%, si l’on en croit le GEIPAN. Outre
qu’on puisse soupçonner des consignes de debunking, cette baisse de pourcentage
pourrait s’expliquer par le rétrécissement de l’univers du banal chez nos
contemporains qui vivent en général en ville, voient rarement le ciel et encore
moins la nature sauvage. L’étrangeté subjective commence plus vite qu’au siècle
dernier. Mais seul, bien sûr, le résidu irréductible au connu nous intéresse.
Irréductible au connu
signifie forcément étrangeté. Mais de quel ordre ? Dans la lettre du 29
avril 1952 de l’USAF, on lit cette définition : « Objets
Volants Non Identifiés, tel que défini dans cette lettre, concerne tout quel
objet aéroporté qui par son comportement, ses caractéristiques aérodynamiques,
ou des caractéristiques inhabituelles, ne se conforme à aucun type actuellement
connu d'avion ou de missile. » Cela peut s’appliquer aussi bien à des
prototypes russes qu’à des vaisseaux spatiaux venus du fond du cosmos, mais en
tout état de cause, cela exclut tout ce qui ne serait pas un « objet
aéroporté ». Le guide des pompiers, ouvrage officiel présent dans toutes
les casernes des États-Unis,
parle en 1993 de pannes de courant à l’échelle d’une ville, d’un État ou de plusieurs, provoquées
par des OVNI, avec comme exemple la grande panne du 9 novembre 1965 qui débute en
Pennsylvanie, lors de laquelle plusieurs témoins ont vu une « boule
rouge » au-dessus des lignes à haute tension de Syracuse. Cela signifie
que l’essentiel de ce que l’on associe aux OVNI serait désormais d’ordre
énergétique. Pour le dire très vite, des plasmas et l’anomalie vient
alors de leur stabilité dans notre atmosphère. Ce constat va générer plusieurs
hypothèses, depuis les lumières sismiques et la foudre en boule, phénomène
naturel longtemps nié par les rationalistes au nom d’on ne sait quelle image de
la raison, jusqu’à la MHD défendue par Jean Pierre Petit.
Dans la classification
de Jacques Vallée, chaque catégorie se
présente selon 5 degrés que l’on peut lire comme une montée vers l’étrangeté,
au moins subjective pour les deux premiers mais aussi une montée vers la
dramatisation de la rencontre. Dans sa première version, le type 1, que le blog
résume par « anomalie » serait : « Observation d’un objet
inhabituel, de forme sphérique, en disque, ou
d’une autre géométrie, situé près du sol (à la hauteur des arbres ou plus
bas), auquel on peut associer des traces, ou des effets thermiques, lumineux ou
mécaniques. » Je souligne « ou d’une autre géométrie », qui
ouvre à toute forme possible. Le type 5 ne manque pas non plus d’intérêt :
« Observation d’un objet inhabituel d’apparence indistincte, apparaissant
comme un objet qui n’est pas entièrement solide ou matériel. » Vallée va
transformer sa classification, destinée à faciliter l’étude statistique par
ordinateur. En 1990, il la résume ainsi :
Anomalie (AN)
Type I: Observation: Lumière ou explosion
mystérieuses.
Type II: Effets physiques: Poltergeists,
agroglyphes...
Type III: Entités: fantôme, extra-terrestre, animal
cryptozoologiques (Yéti, Loch Ness, etc).
Type IV: Transformation de la réalité: NDE, vision ou
hallucination à caractère religieuse.
Type V: Blessure ou mort: combustion humaine
spontanée, stigmates, etc.
Vol rapproché (FB)
Type I: Observation: Trajectoire continue de l’OVNI.
Type II: Effets physiques: OVNI laissant une trace
physique.
Type III: Entités:
observation d’êtres (RR3).
Type IV: Transformation de la réalité: le témoin a une impression de déformation de
la réalité.
Type V: Blessure ou mort: blessure ou décès causés par un OVNI (RR6).
Manœuvres (MA)
Type I: Observation:
trajectoire discontinue de l’OVNI.
Type II: Effets physiques: OVNI laissant une trace physique.
Type III: Entités:
observation d’êtres (RR3).
Type IV:
Transformation de la réalité: le témoin a une impression de déformation de la
réalité.
Type V : Blessure ou
mort: blessure ou décès causés par un
OVNI (RR6).
Rencontre Rapprochée (CE)
Type I: l’OVNI est proche (RR1).
Type II: Effets physiques: OVNI laissant une trace physique (équivalent
à une RR2).
Type III: Entités:
observation d’êtres (RR3).
Type IV: Transformation de la réalité: Enlèvements (RR4).
Type V: Blessure ou mort: blessure ou décès causés par un OVNI (RR6).
On peut discuter à l’infini pour savoir si
telle ou telle catégorie, en particulier les Anomalies, relève ou non de ce que
l’on tend de plus en plus à désigner par un oxymore : phénomène OVNI.
Pour le fun : la classification
du GEIPAN reprend les 5 degrés de dramatisation de Vallée, sans se
préoccuper de typologie des objets ou situations observés, et les rebaptise
« degrés d’étrangeté » sans définir davantage ce qu’ils entendent par
là.
Phénoménologie de l’étrangeté
Dès que l’on sort de
la définition militaire de l’OVNI, qui ne peut recouvrir l’ensemble des
témoignages et se révèle particulièrement inadaptée dans les cas avec entités,
donc dès la vague de 1954, ou dans les cas d’enlèvements, on se trouve
confronté au problème des limites. Des descriptions présentes dans d’anciennes
chroniques évoquent à nos yeux les observations de nos contemporains : on
va parler d’OVNI du passé. On va relire de la même manière les
apparitions religieuses, en les détachant totalement de leur contexte. On
interprétera des tableaux de maître ou des gravures de colportage. La
multiplication des mutilations animales sera reliée aux OVNI, ainsi que les agroglyphes
qui apparaissent dans les années 1980. On va multiplier les hypothèses sur
l’origine du « phénomène OVNI »
– sans voir que l’on a peut-être regroupé des
phénomènes différents sous une même étiquette. Phénomène : c’est, en grec,
ce qui se donne à voir. Mais est-ce la même chose qui se donne à voir
sous les traits de la Vierge Marie, de fées, d’humanoïdes, de chupacabra ou
d’objet plus ou moins lumineux dans le ciel ? Faut-il se baser sur la
phénoménologie des apparitions en respectant leur diversité ou dépasser les
apparences pour saisir leur source unique ?
Et quelle serait cette
source ? Nous-mêmes, notre imaginaire actif ? La Terre elle-même,
redevenue la déesse Gaïa ? Une intelligence extérieure ? Venue d’un
univers parallèle, dont la physique commence d’admettre l’existence ? D’un
autre système solaire ? De notre futur ? D’entités spirituelles ?
De toutes ces théories qui s’entrecroisent, laquelle est la bonne et y en
a-t-il même une seule de juste ? Ou faut-il admettre que l’on a regroupé
toutes les étrangetés et que chacune de ces hypothèses serait vraie – mais ne
concernerait qu’une partie de l’ensemble disparate coiffé par le sigle
OVNI ?
Comment
trancher ?
Il ne suffit pas de
mesurer le degré d’étrangeté, l’éloignement plus ou moins grand à la banalité
quotidienne, si tant est que cet écart soit mesurable de façon objective. Comme
le montre la classification de Vallée, ce degré d’étrangeté doit être relié à
une typologie, à des catégories d’objets ou de comportements. Si nous prenons
les agroglyphes, qui ont sur l’OVNI « classique » l’avantage
de se maintenir dans l’environnement sur un temps assez long pour qu’on puisse
photographier, prélever des échantillons de plantes, etc., les premiers
apparus, les nids de soucoupe australiens, avaient une forme des plus simples.
Juste un rond de roseaux couchés. Au fil des années, les formes se sont
compliquées, avec une préférence pour des jeux de fractales qui demandent un
calcul par ordinateur. Mais complexité signifie-t-il étrangeté ? Les
fractales nous sont totalement compréhensibles, c’est une branche de nos
mathématiques. Il suffit d’une formation adéquate, en université, pour les
maîtriser. De même, si nous nous en tenons aux objets volants, la forme des
intrus a largement évolué depuis le couple soucoupe-cigare des années 1950
jusqu’au triangle de la vague belge, au chevron géant de Phoenix, en passant
par quelques rectangles. À part la taille et les performances, les triangles qui
évoquent nos avions de combat n’ont rien de particulièrement étrange, moins que
les soucoupes de grand-papa. Il est vrai qu’il y eut en 2003 un objet
« polymorphe » qui se déploya comme « une toile
d’araignée » devant une caméra de surveillance pour pomper l’eau d’une
piscine napolitaine… quoi que soit un tel polymorphe ! Mais est-ce
réellement hors de notre portée ? En 1949, si ma mémoire est bonne, un des
porte-paroles de l’USAF ou de la CIA déclarait déjà que « rien, dans ces
affaires, ne dépasse notre capacité de compréhension ». Pardonnez-moi de
citer de mémoire, mais j’ai trop de documentation et, du coup, je ne suis pas
arrivée à retrouver cette « petite phrase » qui m’avait frappée. Elle
ne signifiait pas, comme le croient généralement les sceptiques, que les cas
non-identifiés devraient se résorber dans l’ensemble majoritaire des identifiés
mais que nous avons les outils intellectuels et scientifiques pour les étudier,
que rien ne suggérait une remise en cause des paradigmes de la physique
fondamentale et des autres sciences. C’est encore plus vrai en 2017 qu’en
1950 ! Nous avons la capacité d’étudier, probablement celle de comprendre les
éléments scientifiques en jeu, et cela même si nous n’avons pas les moyens
d’une exploitation technologique.
Le meilleur exemple en
serait les trous de ver théorisés par John Archibald Wheeler, qui
permettent théoriquement de traverser l’univers en un temps minimal, mais au
prix d’une dépense énergétique que nous sommes incapables de mettre en œuvre. Pour
l’instant. L’intrication quantique offre même des possibilités théoriques
encore plus prometteuses, à ceci près que personne ne sait comment intriquer un
système à particules multiples comme un être vivant ou un véhicule. On ne sait
faire qu’avec des électrons ou des photons jumeaux, pris paire par paire. Pour
l’instant. Mais si quelqu’un quelque part sait faire, nous pouvons comprendre
ce qu’il fait. Parler d’étrangeté revient alors encore à une question de
performances technologiques et suppose un autre, un étranger qui les maîtrise –
ou un phénomène naturel inconnu. Mais l’apparence, la phénoménologie d’une
telle technologie, ou même celle d’un événement naturel rare, même
compréhensible par la fine pointe de notre science, peut se revêtir pour le
témoin d’une puissante étrangeté subjective, c’est-à-dire échapper à son
univers mental, ses habitudes, sa manière de percevoir ce qui l’entoure. Et
c’est en ce sens-là qu’il existe une ressemblance OVI/OVNI et qu’un lâcher de lanternes
thaïlandaises ou un lever de Lune entre les nuages peut paraître plus
étrange aux yeux d’un jeune homme de la ville qui n’a jamais l’occasion de voir
le ciel sans pollution lumineuse qu’un triangle de la vague belge.
La raison et le mythe
Quand quelque chose
heurte notre routine de perception et de pensée, nous n’avons pas spontanément
le langage pour le décrire ; or le langage conditionne aussi très
fortement notre perception. Il existe de nombreuses études ethnologiques qui le
démontrent et même un film génial que j’espère tout le monde a vu, Premier contact, qui suggère que même
notre appréhension du temps dépend du langage. Or quand le langage rationnel et
quotidien ne suffit plus, nous basculons vers notre autre mode de description
du monde, le mode onirique ou mythique.
J’ai été frappée,
dernièrement, et ça amusera ceux qui me connaissent bien, par un article très
connu de Pierre Lagrange mais que je n’avais pas encore lu, Pierre ne faisant
plus partie depuis longtemps de mes auteurs de chevet. Il s’agit de
« Reprendre à zéro : pour une approche irréductionniste des
OVNI » (Inforespace n°100,
2000). Il y dit une chose très juste : « La sociologie des ovnis peut
très bien se faire sans réduire l'ovni à un pur phénomène sociopsychologique. »
On peut de fait étudier avec tous les outils de la sociologie comment les
informations sur l’OVNI, les hypothèses, les réticences sont reçues dans nos
sociétés, et le travail sera le même quelle que soit l’explication ultime des
cas. En le paraphrasant, j’ajouterai qu’on peut étudier la mythopoièse qui
s’est développée autour de l’hypothèse extraterrestre, en particulier sur
internet, sans rejeter pour autant cette hypothèse. Mais si je retrouve des
archétypes et des mythèmes connus par ailleurs dans les élaborations sur les Petits
Gris et les Grands Blonds, sans parler des formes intermédiaires, la zone
51, les enlèvements avec grossesses interrompues, les hybrides, les
chupacabras, etc., j’aurai tendance à penser que nos sociétés apprivoisent
l’inconnu au travers de cette faculté de se raconter ce qui n’aurait pas de nom
avec la seule raison. D’autres, comme Jacques Vallée, pensent que les êtres de
nos folklores, fées, lutins et autres, relèvent du même vécu que notre
expérience actuelle de l’OVNI. Certains, comme Jean-Bruno Renard, voient aussi
dans cette ressemblance une raison de douter qu’il y ait là autre chose que ce
que Michel Boccara appelle des « vécus mythiques », qu’il définit
comme une puissante expérience subjective de rencontre avec les entités
présentes dans les mythes de la tribu. Pour ma part, je n’aime pas fermer les
portes, surtout pas celles de l’intelligence. Mais cette capacité très
énigmatique qui permet aux mythes de s’incarner aussi dans des vécus
visionnaires qu’il faut différencier des hallucinations dues à une maladie
mentale, ne serait-ce que parce que ce sont des expériences temporaires, vient
encore complexifier la question.
OVNI est devenu un mot
valise, à partir d’observations réellement insolites mais à plusieurs niveaux,
et qui désormais, en plus de telles observations qui continuent et prennent
même une tournure parfois assez dramatique, comme si nous avions affaire à une
intervention extérieure hostile, génère des œuvres d’art comme les films de
Spielberg ou les toiles de notre ami Gildas Bourdais, des récits mythiques sous
forme de blogs ou de sites internet, une fraction des romans de SF, et même
comme par ricochet des expériences mystiques ou visionnaires qui n’ont rien à
envier aux vies de saints du haut moyen
âge ou à leurs homologues du bouddhisme tibétain.
Où sont alors les
limites ?
Et que signifie encore
le terme étrangeté ?