Tuesday, September 19, 2017

Vous avez dit étrange ?



Il s'agit du texte de mon intervention au colloque d'OVNI-Languedoc le 17 septembre 2017. On me pardonnera les facéties du logiciel qui surlignent sans que je l'ai demandé !

De quoi parle-t-on lorsque l’on évoque l’étrangeté d’une observation d’OVNI ? Tout le monde emploie ce terme, certains affirment même pouvoir la mesurer, ou du moins l’estimer comme on repère une température. Soit. Un vieux réflexe me revient : toujours définir les termes avant de discuter d’un problème. Définir, c’est en français consulter d’abord le Littré, la Rolls Royce des dictionnaires. « Étrangeté : Caractère de ce qui est étrange. » Il faut donc se reporter vers étrange, pour apprendre que le mot a d’abord signifié étranger, on le trouve dès le XIe siècle dans la Chanson de Roland, du latin extraneus, de extra, hors, dehors. L’étrangeté serait la qualité de ce qui vient du dehors, qui n’est donc pas de chez nous. Le terme a évolué au cours des siècles. Est étrange ce « qui est hors des conditions, des apparences communes » ; Littré donne plusieurs exemples, ajoute quelques sens dérivés comme « Trouver fort étrange, trouver surprenant et blâmable. Il trouva fort étrange qu'on ne l'eût pas invité » et précise que l’adjectif peut s’appliquer aussi aux personnes. C’est au cours des XVIe et XVIIe siècles que l’on arrive au sens affaibli ou généralisé de « hors des conditions, des apparences communes ». Pour le Larousse, étrange signifie « qui frappe par son caractère singulier, insolite, surprenant, bizarre ». Et Wikipédia donne deux définitions : « 1. Inhabituel, bizarre, étonnant, anormal ; 2. inconnu, étranger ».
Donc l’étrangeté, en matière d’OVNI, peut signifier au minimum ce qui empêche de reconnaître comme tel un phénomène qui devrait être banal mais se présente sous un angle insolite. C’est la définition préférée des sceptiques et autres zététiciens. Mais cette acception est fort récente. Lorsque les premiers ufologues parlaient d’étrangeté, ils résumaient d’un mot les comportements, les caractéristiques qui pouvaient être des indices d’une origine non américaine puis non humaine des phénomènes observés. Or ces indices ont évolué au cours du temps.

Le « non identifié », notion militaire

Le 5 septembre 1947, donc après la vague de « fusées fantômes » de 1946 en Scandinavie, les premières observations « classiques » aux États-Unis et le couac de Roswell, le général Schulgen, assistant remplaçant du chef d'État-major des forces aériennes, répond au directeur du FBI : « En réponse à la requête verbale de votre M. Reynolds, un tour d'horizon complet des activités de recherches nous informe que l'Armée de l'Air n'a aucun projet ayant des caractéristiques semblables à celles qui sont attribuées aux disques volants. » Feuilletons les documents déclassifiés de la période 1946-1952. Un mémo daté du 22 août 1946 mais qui se réfère à un document du 1er août 1948 – une des deux dates est forcément une erreur de frappe – suggère que la vague scandinave vient d’essais par les Russes des prototypes restés à Peenemünde. L’étrangeté renvoie à l’adversaire potentiel des débuts de la guerre froide.  En 1949 encore, le rapport du Renseignement Aérien 100-203-79 fait état de 210 observations de témoins qualifiés, officiers de l’Air Force, personnel de la météo, pilotes civils expérimentés, techniciens de l’aéronautique et propose deux explications : 1. « Les objets sont des appareils domestiques, et si oui, leur identification ou origine peut être établie par un suivi de tous les décollages d'objets aéroportés. Les avions domestiques de type aile volante observés dans leurs comportements de vol pourraient être responsable d'une partie des objets volants rapportés, en particulier de ceux décrits comme disques et en forme approximative de cigare. » 2. « Les objets sont étrangers, et si oui, il semblerait logique de considérer qu'ils sont d'origine Soviétique. Les Soviétiques possèdent des informations sur un certain nombre d'avions Allemands de type aile volante tels que le Gotha P60A, le Junkers EF 130, un bombardier à longue portée et à grande vitesse à réaction, et le chasseur biréacteur Horten 229, qui ressemble particulièrement à certaines descriptions d'objets volants non identifiés. » Les enquêtes demandées dans le cadre des projets SIGN, GRUDGE puis BLUE BOOK vont dans ce sens.
Très vite pourtant, après quelques années d’observations ainsi que d’espionnage efficace, va se poser l’angoissante question : si ce n’est pas nous, si ce n’est pas l’URSS, alors qui ? Ou quoi ? L’enquête échappe partiellement à l’armée, avec les premiers ouvrages de journalistes comme Donald Keyhoe qui publie en 1950 The flying saucers are reals (Les soucoupes volantes existent). À l’époque, l’armée américaine oscille entre déclarations systématiquement rassurantes vis-à-vis du public, « circulez, y a rien à voir » et communiqués de presse tel que celui du 30 décembre 1949 : « Il n’est pas possible d’affirmer avec certitude que certaines personnes n’ont pas vu un vaisseau spatial, un missile ennemi ou quelque autre objet. » Donc deux ans à peine après l’observation d’Arnold, l’hypothèse extraterrestre est officiellement évoquée. Dès lors, l’étrangeté signifie performances impossibles avec la technologie de pointe en aéronautique, qu’elle soit russe ou américaine, c’est-à-dire, dans les deux cas, un prolongement des recherches allemandes de Peenemünde. Une fois éliminées les méprises dues à l’ignorance du témoin comme à des conditions météo inhabituelles, les cas irréductibles seront analysés au travers de cette grille. Virage à angle droit ? Vol stationnaire ? Accélérations qui tueraient un pilote humain ? En janvier 1950, Keyhoe conclut dans un article pour True Magazine : « La Terre a été périodiquement observée par des visiteurs d’une autre planète. Cette surveillance s’est accrue de façon notable ces deux dernières années », thèse qu’il développera tout au long de son livre. En cette première phase, l’évaluation de l’étrangeté d’une observation relève de connaissances en ingénierie, au point que seront repoussés systématiquement comme délires ou canulars les témoignages qui ne peuvent être soumis à cette grille.
À partir de 1954 et de la vague franco-italienne, on ne peut plus éluder les observations d’humanoïdes, mais elles ne font que renforcer l’hypothèse extraterrestre. Simplement, le registre de l’étrangeté s’élargit. Outre les performances technologiques, on va prendre en compte les anomalies biologiques, taille des créatures, chevelure ou son absence, nombre de doigts, etc. Tout continue cahin-caha, les commissions d’enquête privées s’organisent, les services de renseignement ouvrent des dossiers dont ils se gardent bien de publier le contenu, les témoignages s’accumulent. Le basculement aura lieu à la fin des années 60, quand on prendra conscience d’une évidence peu rassurante : cela fait 20 ans que l’on recueille des histoires d’OVNI et l’on ne sait toujours quasiment rien. S’il s’agissait de prototypes militaires, les agences de renseignement l’auraient su depuis belle lurette. Exit donc l’étrangeté domestique, purement terrestre. À partir de là, les hypothèses vont se multiplier et le concept d’étrangeté ufologique se préciser.

Plus étrange encore ?

Pour reprendre la classification qu’élabore alors Hynek, les Lumières nocturnes et les Disques diurnes, sans parler des Radar-visuels qui avaient retenu l’attention des militaires dans les années 46-52 à cause de leurs performances de vitesse et de maniabilité supérieures au meilleur de leur propre avionique et des premiers missiles glissent du côté du banal au profit des rencontres rapprochées avec ou sans humanoïdes, que les militaires rejetaient autrefois comme pure dinguerie, imagination, canulars dans le meilleur des cas. Avec la révélation de l’enlèvement de Betty et Barney Hill puis l’entrée en jeu des mutilations animales, avec la relecture de certains épisodes bibliques et de vieilles chroniques ou de la littérature de colportage et la thématique des anciens astronautes censés avoir visité la Terre à l’aube de l’histoire humaine, la problématique de l’étrangeté devient de plus en plus complexe. L’analyse des témoignages échappe aux ingénieurs de l’aéronautique militaire pour intéresser les physiciens, les psychologues, les historiens des religions, les spécialistes du folklore et, finalement, exiger un ensemble transdisciplinaire. On peut même se demander, dès lors, si le sigle OVNI, Objet Volant Non Identifié, qui correspond à une préoccupation militaire d’identification des aéronefs et des missiles, de distinction de l’ami et de l’ennemi, possède encore un sens. Il devient de plus en plus soit un synonyme de « vaisseau extraterrestre », soit un mot valise pour désigner tout phénomène inconnu, voire l’étrangeté en soi.
On trouve désormais des catalogues de « types d’OVNI » qui rappellent le vieux Catalogue des Armes et Cycles de Saint-Étienne ! Sans oublier celui des « races d’extraterrestres ». Bertrand Méheust le comparait à la gigantomachie de la mythologie grecque, je lui ai répliqué qu’il s’agit alors d’une gigantomachie du pauvre, d’un imaginaire au rabais qui tente d’apprivoiser l’inconnu. Mais dans le même temps où s’élabore sur Internet ce Disneyland de la soucoupe, se multiplient aussi les approches théoriques qui doivent prendre en compte tous les aspects du phénomène tel que le décrivent les témoins, une fois éliminées les méprises – donc les fausses étrangetés, les étrangetés purement subjectives, qui peuvent provenir de l’ignorance de phénomènes naturels rares, de conditions particulières du terrain ou de la météo, etc. – et les descriptions trop vagues. Le résidu utile a longtemps tourné autour de 20% des témoignages. Il serait aujourd’hui à 10%, si l’on en croit le GEIPAN. Outre qu’on puisse soupçonner des consignes de debunking, cette baisse de pourcentage pourrait s’expliquer par le rétrécissement de l’univers du banal chez nos contemporains qui vivent en général en ville, voient rarement le ciel et encore moins la nature sauvage. L’étrangeté subjective commence plus vite qu’au siècle dernier. Mais seul, bien sûr, le résidu irréductible au connu nous intéresse.
Irréductible au connu signifie forcément étrangeté. Mais de quel ordre ? Dans la lettre du 29 avril 1952 de l’USAF, on lit cette définition : « Objets Volants Non Identifiés, tel que défini dans cette lettre, concerne tout quel objet aéroporté qui par son comportement, ses caractéristiques aérodynamiques, ou des caractéristiques inhabituelles, ne se conforme à aucun type actuellement connu d'avion ou de missile. » Cela peut s’appliquer aussi bien à des prototypes russes qu’à des vaisseaux spatiaux venus du fond du cosmos, mais en tout état de cause, cela exclut tout ce qui ne serait pas un « objet aéroporté ». Le guide des pompiers, ouvrage officiel présent dans toutes les casernes des États-Unis, parle en 1993 de pannes de courant à l’échelle d’une ville, d’un État ou de plusieurs, provoquées par des OVNI, avec comme exemple la grande panne du 9 novembre 1965 qui débute en Pennsylvanie, lors de laquelle plusieurs témoins ont vu une « boule rouge » au-dessus des lignes à haute tension de Syracuse. Cela signifie que l’essentiel de ce que l’on associe aux OVNI serait désormais d’ordre énergétique. Pour le dire très vite, des plasmas et l’anomalie vient alors de leur stabilité dans notre atmosphère. Ce constat va générer plusieurs hypothèses, depuis les lumières sismiques et la foudre en boule, phénomène naturel longtemps nié par les rationalistes au nom d’on ne sait quelle image de la raison, jusqu’à la MHD défendue par Jean Pierre Petit.
Dans la classification de Jacques Vallée, chaque catégorie se présente selon 5 degrés que l’on peut lire comme une montée vers l’étrangeté, au moins subjective pour les deux premiers mais aussi une montée vers la dramatisation de la rencontre. Dans sa première version, le type 1, que le blog résume par « anomalie » serait : « Observation d’un objet inhabituel, de forme sphérique, en disque, ou d’une autre géométrie, situé près du sol (à la hauteur des arbres ou plus bas), auquel on peut associer des traces, ou des effets thermiques, lumineux ou mécaniques. » Je souligne « ou d’une autre géométrie », qui ouvre à toute forme possible. Le type 5 ne manque pas non plus d’intérêt : « Observation d’un objet inhabituel d’apparence indistincte, apparaissant comme un objet qui n’est pas entièrement solide ou matériel. » Vallée va transformer sa classification, destinée à faciliter l’étude statistique par ordinateur. En 1990, il la résume ainsi :
Anomalie (AN)
Type I:  Observation: Lumière ou explosion mystérieuses.
Type II:  Effets physiques: Poltergeists, agroglyphes...
Type III:  Entités: fantôme, extra-terrestre, animal cryptozoologiques (Yéti, Loch Ness, etc).
Type IV:  Transformation de la réalité: NDE, vision ou hallucination à caractère religieuse.
Type V:  Blessure ou mort: combustion humaine spontanée, stigmates, etc.
Vol rapproché (FB)
Type I:  Observation: Trajectoire continue de l’OVNI.
Type II:  Effets physiques: OVNI laissant une trace physique.
Type III:  Entités:  observation d’êtres (RR3).
Type IV:  Transformation de la réalité:  le témoin a une impression de déformation de la réalité.
Type V:  Blessure ou mort:  blessure ou décès causés par un OVNI (RR6).
Manœuvres (MA)
Type I:  Observation:  trajectoire discontinue de l’OVNI.
Type II:  Effets physiques:  OVNI laissant une trace physique.
Type III:  Entités:  observation d’êtres (RR3).
Type IV: Transformation de la réalité: le témoin a une impression de déformation de la réalité.
Type V : Blessure ou mort:  blessure ou décès causés par un OVNI (RR6).
Rencontre Rapprochée (CE)
Type I:  l’OVNI est proche (RR1).
Type II:  Effets physiques:  OVNI laissant une trace physique (équivalent à une RR2).
Type III:  Entités:  observation d’êtres (RR3).
Type IV:  Transformation de la réalité:  Enlèvements (RR4).
Type V:  Blessure ou mort:  blessure ou décès causés par un OVNI (RR6).
 On peut discuter à l’infini pour savoir si telle ou telle catégorie, en particulier les Anomalies, relève ou non de ce que l’on tend de plus en plus à désigner par un oxymore : phénomène OVNI.
Pour le fun : la classification du GEIPAN reprend les 5 degrés de dramatisation de Vallée, sans se préoccuper de typologie des objets ou situations observés, et les rebaptise « degrés d’étrangeté » sans définir davantage ce qu’ils entendent par là.

Phénoménologie de l’étrangeté

Dès que l’on sort de la définition militaire de l’OVNI, qui ne peut recouvrir l’ensemble des témoignages et se révèle particulièrement inadaptée dans les cas avec entités, donc dès la vague de 1954, ou dans les cas d’enlèvements, on se trouve confronté au problème des limites. Des descriptions présentes dans d’anciennes chroniques évoquent à nos yeux les observations de nos contemporains : on va parler d’OVNI du passé. On va relire de la même manière les apparitions religieuses, en les détachant totalement de leur contexte. On interprétera des tableaux de maître ou des gravures de colportage. La multiplication des mutilations animales sera reliée aux OVNI, ainsi que les agroglyphes qui apparaissent dans les années 1980. On va multiplier les hypothèses sur l’origine du « phénomène OVNI » – sans voir que l’on a peut-être regroupé des phénomènes différents sous une même étiquette. Phénomène : c’est, en grec, ce qui se donne à voir. Mais est-ce la même chose qui se donne à voir sous les traits de la Vierge Marie, de fées, d’humanoïdes, de chupacabra ou d’objet plus ou moins lumineux dans le ciel ? Faut-il se baser sur la phénoménologie des apparitions en respectant leur diversité ou dépasser les apparences pour saisir leur source unique ?
Et quelle serait cette source ? Nous-mêmes, notre imaginaire actif ? La Terre elle-même, redevenue la déesse Gaïa ? Une intelligence extérieure ? Venue d’un univers parallèle, dont la physique commence d’admettre l’existence ? D’un autre système solaire ? De notre futur ? D’entités spirituelles ? De toutes ces théories qui s’entrecroisent, laquelle est la bonne et y en a-t-il même une seule de juste ? Ou faut-il admettre que l’on a regroupé toutes les étrangetés et que chacune de ces hypothèses serait vraie – mais ne concernerait qu’une partie de l’ensemble disparate coiffé par le sigle OVNI ?
Comment trancher ?
Il ne suffit pas de mesurer le degré d’étrangeté, l’éloignement plus ou moins grand à la banalité quotidienne, si tant est que cet écart soit mesurable de façon objective. Comme le montre la classification de Vallée, ce degré d’étrangeté doit être relié à une typologie, à des catégories d’objets ou de comportements. Si nous prenons les agroglyphes, qui ont sur l’OVNI « classique » l’avantage de se maintenir dans l’environnement sur un temps assez long pour qu’on puisse photographier, prélever des échantillons de plantes, etc., les premiers apparus, les nids de soucoupe australiens, avaient une forme des plus simples. Juste un rond de roseaux couchés. Au fil des années, les formes se sont compliquées, avec une préférence pour des jeux de fractales qui demandent un calcul par ordinateur. Mais complexité signifie-t-il étrangeté ? Les fractales nous sont totalement compréhensibles, c’est une branche de nos mathématiques. Il suffit d’une formation adéquate, en université, pour les maîtriser. De même, si nous nous en tenons aux objets volants, la forme des intrus a largement évolué depuis le couple soucoupe-cigare des années 1950 jusqu’au triangle de la vague belge, au chevron géant de Phoenix, en passant par quelques rectangles. À part la taille et les performances, les triangles qui évoquent nos avions de combat n’ont rien de particulièrement étrange, moins que les soucoupes de grand-papa. Il est vrai qu’il y eut en 2003 un objet « polymorphe » qui se déploya comme « une toile d’araignée » devant une caméra de surveillance pour pomper l’eau d’une piscine napolitaine… quoi que soit un tel polymorphe ! Mais est-ce réellement hors de notre portée ? En 1949, si ma mémoire est bonne, un des porte-paroles de l’USAF ou de la CIA déclarait déjà que « rien, dans ces affaires, ne dépasse notre capacité de compréhension ». Pardonnez-moi de citer de mémoire, mais j’ai trop de documentation et, du coup, je ne suis pas arrivée à retrouver cette « petite phrase » qui m’avait frappée. Elle ne signifiait pas, comme le croient généralement les sceptiques, que les cas non-identifiés devraient se résorber dans l’ensemble majoritaire des identifiés mais que nous avons les outils intellectuels et scientifiques pour les étudier, que rien ne suggérait une remise en cause des paradigmes de la physique fondamentale et des autres sciences. C’est encore plus vrai en 2017 qu’en 1950 ! Nous avons la capacité d’étudier, probablement celle de comprendre les éléments scientifiques en jeu, et cela même si nous n’avons pas les moyens d’une exploitation technologique.
Le meilleur exemple en serait les trous de ver théorisés par John Archibald Wheeler, qui permettent théoriquement de traverser l’univers en un temps minimal, mais au prix d’une dépense énergétique que nous sommes incapables de mettre en œuvre. Pour l’instant. L’intrication quantique offre même des possibilités théoriques encore plus prometteuses, à ceci près que personne ne sait comment intriquer un système à particules multiples comme un être vivant ou un véhicule. On ne sait faire qu’avec des électrons ou des photons jumeaux, pris paire par paire. Pour l’instant. Mais si quelqu’un quelque part sait faire, nous pouvons comprendre ce qu’il fait. Parler d’étrangeté revient alors encore à une question de performances technologiques et suppose un autre, un étranger qui les maîtrise – ou un phénomène naturel inconnu. Mais l’apparence, la phénoménologie d’une telle technologie, ou même celle d’un événement naturel rare, même compréhensible par la fine pointe de notre science, peut se revêtir pour le témoin d’une puissante étrangeté subjective, c’est-à-dire échapper à son univers mental, ses habitudes, sa manière de percevoir ce qui l’entoure. Et c’est en ce sens-là qu’il existe une ressemblance OVI/OVNI et qu’un lâcher de lanternes thaïlandaises ou un lever de Lune entre les nuages peut paraître plus étrange aux yeux d’un jeune homme de la ville qui n’a jamais l’occasion de voir le ciel sans pollution lumineuse qu’un triangle de la vague belge.

La raison et le mythe

Quand quelque chose heurte notre routine de perception et de pensée, nous n’avons pas spontanément le langage pour le décrire ; or le langage conditionne aussi très fortement notre perception. Il existe de nombreuses études ethnologiques qui le démontrent et même un film génial que j’espère tout le monde a vu, Premier contact, qui suggère que même notre appréhension du temps dépend du langage. Or quand le langage rationnel et quotidien ne suffit plus, nous basculons vers notre autre mode de description du monde, le mode onirique ou mythique.
J’ai été frappée, dernièrement, et ça amusera ceux qui me connaissent bien, par un article très connu de Pierre Lagrange mais que je n’avais pas encore lu, Pierre ne faisant plus partie depuis longtemps de mes auteurs de chevet. Il s’agit de « Reprendre à zéro : pour une approche irréductionniste des OVNI » (Inforespace n°100, 2000). Il y dit une chose très juste : « La sociologie des ovnis peut très bien se faire sans réduire l'ovni à un pur phénomène sociopsychologique. » On peut de fait étudier avec tous les outils de la sociologie comment les informations sur l’OVNI, les hypothèses, les réticences sont reçues dans nos sociétés, et le travail sera le même quelle que soit l’explication ultime des cas. En le paraphrasant, j’ajouterai qu’on peut étudier la mythopoièse qui s’est développée autour de l’hypothèse extraterrestre, en particulier sur internet, sans rejeter pour autant cette hypothèse. Mais si je retrouve des archétypes et des mythèmes connus par ailleurs dans les élaborations sur les Petits Gris et les Grands Blonds, sans parler des formes intermédiaires, la zone 51, les enlèvements avec grossesses interrompues, les hybrides, les chupacabras, etc., j’aurai tendance à penser que nos sociétés apprivoisent l’inconnu au travers de cette faculté de se raconter ce qui n’aurait pas de nom avec la seule raison. D’autres, comme Jacques Vallée, pensent que les êtres de nos folklores, fées, lutins et autres, relèvent du même vécu que notre expérience actuelle de l’OVNI. Certains, comme Jean-Bruno Renard, voient aussi dans cette ressemblance une raison de douter qu’il y ait là autre chose que ce que Michel Boccara appelle des « vécus mythiques », qu’il définit comme une puissante expérience subjective de rencontre avec les entités présentes dans les mythes de la tribu. Pour ma part, je n’aime pas fermer les portes, surtout pas celles de l’intelligence. Mais cette capacité très énigmatique qui permet aux mythes de s’incarner aussi dans des vécus visionnaires qu’il faut différencier des hallucinations dues à une maladie mentale, ne serait-ce que parce que ce sont des expériences temporaires, vient encore complexifier la question.
OVNI est devenu un mot valise, à partir d’observations réellement insolites mais à plusieurs niveaux, et qui désormais, en plus de telles observations qui continuent et prennent même une tournure parfois assez dramatique, comme si nous avions affaire à une intervention extérieure hostile, génère des œuvres d’art comme les films de Spielberg ou les toiles de notre ami Gildas Bourdais, des récits mythiques sous forme de blogs ou de sites internet, une fraction des romans de SF, et même comme par ricochet des expériences mystiques ou visionnaires qui n’ont rien à envier  aux vies de saints du haut moyen âge ou à leurs homologues du bouddhisme tibétain. 
Où sont alors les limites ? 
Et que signifie encore le terme étrangeté ?



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