Rentrée fertile, cette année, sur le plan éditorial, pour certains de mes amis. Qu'ils me pardonnent de ne pas avoir rendu compte plus tôt de leurs ouvrages.
A tout seigneur, tout honneur. Louis Dalmas, directeur du mensuel B.I. (Balkans Infos) – voir les liens de ce blog – vient de publier une analyse critique à la fois intelligente et pleine d'humour de l'évolution de la presse française, réquisitoire implacable contre la bêtise, le conformisme, l'autocensure, l'abandon de l'investigation, bref la boboïde « pensée unique ». Il évite aigreur et pesanteur didactique qui sont souvent les deux mamelles de l'opposition radicale par l'intervention rythmique de deux charmantes et coquines soubrettes pipelettes, mesdames Sorladon et Mélamois que l'on imagine s'imprégner de philosophie politique du bout du plumeau, époussetant les concepts avec la porcelaine de Sèvres.
Pour donner à mes lecteurs un simple avant-goût en espérant qu'ils croqueront bientôt le livre à pleines dents, ouvrons le chapitre intitulé « Le devoir d'insolence » : « La conception du journalisme qui court en filigrane dans ce livre est celle d'un métier particulier, différent de tous les autres, en ce qu'il est à la fois intégré à la société (dont il mesure le degré de civilisation et garantit la santé), et asocial. Son essence est (ou devrait être) d'aiguillonner les institutions sans y appartenir, de décanter les conformismes en les refusant, de mettre en question les engrenages, sans en faire partie. Le vrai journaliste est forcément une sorte de marginal, parce qu'un vrai témoin ne peut être qu'en marge de son sujet : on ne voit bien qu'avec le recul du désengagement. L'information sans un brin d'anarchie n'est qu'une litanie de communiqués. »
Ce livre vient juste à l'heure, celle où les « Etats-Généraux » de la presse écrite, lancés le 2 octobre dernier par le président Sarkozy, qui réunissent patrons de presse, universitaires, parlementaires et membres d'ONG et préparent on ne sait quelles réformes se réunissent à huis clos alors que leurs débats devaient être retransmis par Public Sénat sur le site dédié http://www.etatsgenerauxdelapresseecrite.fr afin de « permettre des échanges plus libres entre les participants ». Comme c'est exactement l'argumentaire qui justifie le secret des réunions du Groupe de Bilderberg, on peut tout craindre. Plusieurs associations professionnelles ont d'ailleurs claqué la porte ou fait état publiquement de leurs réserves, dont Médiapart, le Forum des sociétés de journalistes et Freelens. Donc, à lire d'urgence :
Louis Dalmas, Le crépuscule des élites, préface de Roland Dumas suivie d'une lettre de Peter Handke, éditions Tatamis, 2008
Les éditions Xénia vers lesquelles on trouvera également un lien dans ce blog publient un document de première importance, l'œuvre complète de Théodore J. Kaczynski surnommé Unabomber par le FBI avant son arrestation. Il ne s'agit évidemment pas pour Slobodan Despot qui dirige ces éditions ni pour Patrick Barriot qui a réuni, traduit et préfacé ces textes de cautionner les actions terroristes de cet adversaire radical de la technologie moderne1 mais d'offrir au lecteur un document susceptible d'éclairer les fondements de certains courants de pensée très actuels.
Sans doute s'étonnera-t-on de me voir défendre et promouvoir cet ouvrage après mes critiques sans équivoque contre l'écologisme radical. Il est vrai que je ne partage pratiquement aucune des idées défendues par Unabomber. Toutefois, les questions éminemment dérangeantes qu'il soulève me semblent essentielles. Ne pas les entendre, ne pas leur apporter de réponse serait sans doute un remède pire que le mal car il est vrai que la société technologique actuelle est une culture massifiante et chosifiante dans laquelle les libertés individuelles ou locales sont réduites à la portion congrue. Kaczynski propose comme unique solution la régression technique – sans dire jusqu'où – avec destruction des supports écrits du savoir. Je crois pour ma part que le caractère latifundiaire2 et impérial de l'organisation sociale actuelle n'est qu'une étape et que l'on peut en sortir par le haut plutôt que par la régression même rebaptisée décroissance. Je pense aussi que la destruction des données scientifiques actuelles ne servirait à rien car ce qu'un homme a un jour découvert, un autre peut le redécouvrir. Y compris l'écriture et les mathématiques.
Rien ne nous assure que les techniques du futur favoriseront la production de masse comme le croit Kaczynski. L'alternance cyclique, dans l'histoire de l'agriculture, de domaines étendus de type latifundia et de la petite propriété paysanne suggère que les multinationales et les systèmes étatiques contraignants ne sont pas forcément le dernier mot de la technologie. En contrepoint, le roman de Neal Stephenson, L'âge de diamant3, ouvre quelques perspectives intéressantes. Mais au delà de mes réserves sur sa pensée, j'insiste : il faut lire les textes de Kaczynski, ne serait-ce que pour que nos choix de société se fassent en toute conscience.
J'ajouterai que, contrairement aux chantres de la décroissance qui nous la présentent comme une vieillesse heureuse et conviviale, Kaczynski ne donne pas dans l'angélisme des bisounours. Il choisit la vie « primitive » en pleine connaissance de ses défauts : plus d'heures de travail et plus pénible pour acquérir une subsistance parfois aléatoire, le sort des femmes loin de l'égalité ni de la parité et plus proche de l'esclavage ou du punching-ball. Je le remercie d'oser dire tout haut ce que chacun redoute tout bas en croisant les doigts.
Theodore J. Kaczynski, L'effondrement du système technologique, textes traduits et présentés par le Dr. Patrick Barriot, postface de David Skrbina, Xenia, Vevey, 2008.
Il est rare que l'on fasse une note sur un ouvrage acheté en rayon comme tout un chacun et j'avoue ne pas être une exception et préférer souvent parler de livres dont on m'a fait le service. Mais comme toutes les règles, celle-ci est faite pour être transgressée quand l'intérêt d'un ouvrage lu par hasard l'exige. Ainsi de celui que le journaliste Marc Mennessier consacre à l'instruction du procès AZF, très documenté, d'une rare honnêteté intellectuelle et particulièrement dérangeant, lui aussi. Si un journaliste s'est acquitté du devoir d'insolence dont parle Louis Dalmas, c'est bien lui, jusqu'à risquer un procès ainsi que quelques confrères dont la liberté de pensée agaçait le procureur toulousain bien résolu à faire payer Total, quitte à bâcler l'enquête. Je ne sais pas si l'hypothèse qu'il présente comme plausible est la bonne, il me semble qu'il faudrait interroger plus avant les anomalies électromagnétiques dont je sais de source sûre qu'elles ont affecté les ordinateurs jusqu'à Muret, à 20 km au sud de Toulouse. Mais ce livre est un des plus beaux exemples de journalisme d'investigation qu'il faut absolument lire avant que les « Etats Généraux » ne transforment les journalistes en simple communiquants.
Marc Mennessier, AZF, un silence d'Etat, Seuil, Paris, 2008.
A tout seigneur, tout honneur. Louis Dalmas, directeur du mensuel B.I. (Balkans Infos) – voir les liens de ce blog – vient de publier une analyse critique à la fois intelligente et pleine d'humour de l'évolution de la presse française, réquisitoire implacable contre la bêtise, le conformisme, l'autocensure, l'abandon de l'investigation, bref la boboïde « pensée unique ». Il évite aigreur et pesanteur didactique qui sont souvent les deux mamelles de l'opposition radicale par l'intervention rythmique de deux charmantes et coquines soubrettes pipelettes, mesdames Sorladon et Mélamois que l'on imagine s'imprégner de philosophie politique du bout du plumeau, époussetant les concepts avec la porcelaine de Sèvres.
Pour donner à mes lecteurs un simple avant-goût en espérant qu'ils croqueront bientôt le livre à pleines dents, ouvrons le chapitre intitulé « Le devoir d'insolence » : « La conception du journalisme qui court en filigrane dans ce livre est celle d'un métier particulier, différent de tous les autres, en ce qu'il est à la fois intégré à la société (dont il mesure le degré de civilisation et garantit la santé), et asocial. Son essence est (ou devrait être) d'aiguillonner les institutions sans y appartenir, de décanter les conformismes en les refusant, de mettre en question les engrenages, sans en faire partie. Le vrai journaliste est forcément une sorte de marginal, parce qu'un vrai témoin ne peut être qu'en marge de son sujet : on ne voit bien qu'avec le recul du désengagement. L'information sans un brin d'anarchie n'est qu'une litanie de communiqués. »
Ce livre vient juste à l'heure, celle où les « Etats-Généraux » de la presse écrite, lancés le 2 octobre dernier par le président Sarkozy, qui réunissent patrons de presse, universitaires, parlementaires et membres d'ONG et préparent on ne sait quelles réformes se réunissent à huis clos alors que leurs débats devaient être retransmis par Public Sénat sur le site dédié http://www.etatsgenerauxdelapresseecrite.fr afin de « permettre des échanges plus libres entre les participants ». Comme c'est exactement l'argumentaire qui justifie le secret des réunions du Groupe de Bilderberg, on peut tout craindre. Plusieurs associations professionnelles ont d'ailleurs claqué la porte ou fait état publiquement de leurs réserves, dont Médiapart, le Forum des sociétés de journalistes et Freelens. Donc, à lire d'urgence :
Louis Dalmas, Le crépuscule des élites, préface de Roland Dumas suivie d'une lettre de Peter Handke, éditions Tatamis, 2008
Les éditions Xénia vers lesquelles on trouvera également un lien dans ce blog publient un document de première importance, l'œuvre complète de Théodore J. Kaczynski surnommé Unabomber par le FBI avant son arrestation. Il ne s'agit évidemment pas pour Slobodan Despot qui dirige ces éditions ni pour Patrick Barriot qui a réuni, traduit et préfacé ces textes de cautionner les actions terroristes de cet adversaire radical de la technologie moderne1 mais d'offrir au lecteur un document susceptible d'éclairer les fondements de certains courants de pensée très actuels.
Sans doute s'étonnera-t-on de me voir défendre et promouvoir cet ouvrage après mes critiques sans équivoque contre l'écologisme radical. Il est vrai que je ne partage pratiquement aucune des idées défendues par Unabomber. Toutefois, les questions éminemment dérangeantes qu'il soulève me semblent essentielles. Ne pas les entendre, ne pas leur apporter de réponse serait sans doute un remède pire que le mal car il est vrai que la société technologique actuelle est une culture massifiante et chosifiante dans laquelle les libertés individuelles ou locales sont réduites à la portion congrue. Kaczynski propose comme unique solution la régression technique – sans dire jusqu'où – avec destruction des supports écrits du savoir. Je crois pour ma part que le caractère latifundiaire2 et impérial de l'organisation sociale actuelle n'est qu'une étape et que l'on peut en sortir par le haut plutôt que par la régression même rebaptisée décroissance. Je pense aussi que la destruction des données scientifiques actuelles ne servirait à rien car ce qu'un homme a un jour découvert, un autre peut le redécouvrir. Y compris l'écriture et les mathématiques.
Rien ne nous assure que les techniques du futur favoriseront la production de masse comme le croit Kaczynski. L'alternance cyclique, dans l'histoire de l'agriculture, de domaines étendus de type latifundia et de la petite propriété paysanne suggère que les multinationales et les systèmes étatiques contraignants ne sont pas forcément le dernier mot de la technologie. En contrepoint, le roman de Neal Stephenson, L'âge de diamant3, ouvre quelques perspectives intéressantes. Mais au delà de mes réserves sur sa pensée, j'insiste : il faut lire les textes de Kaczynski, ne serait-ce que pour que nos choix de société se fassent en toute conscience.
J'ajouterai que, contrairement aux chantres de la décroissance qui nous la présentent comme une vieillesse heureuse et conviviale, Kaczynski ne donne pas dans l'angélisme des bisounours. Il choisit la vie « primitive » en pleine connaissance de ses défauts : plus d'heures de travail et plus pénible pour acquérir une subsistance parfois aléatoire, le sort des femmes loin de l'égalité ni de la parité et plus proche de l'esclavage ou du punching-ball. Je le remercie d'oser dire tout haut ce que chacun redoute tout bas en croisant les doigts.
Theodore J. Kaczynski, L'effondrement du système technologique, textes traduits et présentés par le Dr. Patrick Barriot, postface de David Skrbina, Xenia, Vevey, 2008.
Il est rare que l'on fasse une note sur un ouvrage acheté en rayon comme tout un chacun et j'avoue ne pas être une exception et préférer souvent parler de livres dont on m'a fait le service. Mais comme toutes les règles, celle-ci est faite pour être transgressée quand l'intérêt d'un ouvrage lu par hasard l'exige. Ainsi de celui que le journaliste Marc Mennessier consacre à l'instruction du procès AZF, très documenté, d'une rare honnêteté intellectuelle et particulièrement dérangeant, lui aussi. Si un journaliste s'est acquitté du devoir d'insolence dont parle Louis Dalmas, c'est bien lui, jusqu'à risquer un procès ainsi que quelques confrères dont la liberté de pensée agaçait le procureur toulousain bien résolu à faire payer Total, quitte à bâcler l'enquête. Je ne sais pas si l'hypothèse qu'il présente comme plausible est la bonne, il me semble qu'il faudrait interroger plus avant les anomalies électromagnétiques dont je sais de source sûre qu'elles ont affecté les ordinateurs jusqu'à Muret, à 20 km au sud de Toulouse. Mais ce livre est un des plus beaux exemples de journalisme d'investigation qu'il faut absolument lire avant que les « Etats Généraux » ne transforment les journalistes en simple communiquants.
Marc Mennessier, AZF, un silence d'Etat, Seuil, Paris, 2008.
1.Leur avertissement en début d'ouvrage est très clair : « En tant qu'éditeur de ce livre, nous condamnons sans ambiguïté les crimes de Theodore Kaczynski qui lui ont valu son emprisonnement à vie. Même si l'intérêt manifeste de ses écrits et de ses théories justifie la présente publication, rien ne peut justifier que l'on use du meurtre et de la violence pour répandre des idées. Nous tenons toutefois à appliquer, même dans ce cas précis, le droit imprescriptible à la liberté d'expression, ce qui est la mission d'un éditeur. »
2. J'étends le concept de latifundia aux domaines industriel et financier, le processus de fusion/acquisition étant du même ordre.
3. http://fr.wikipedia.org/wiki/L'%C3%82ge_de_diamant
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