J’ai parlé dans un précédent article du « retour d’un Dieu de la loi, de justice rétributive et de volonté aussi arbitraire qu’infrangible mais révélée, un Dieu qui comble le besoin de repères plus que le besoin d’amour ». Si ce retour brandi sur un mode affirmatif et qui ne tolère aucun démenti, aucun doute, bat en brèche toute la démarche interrogative de la philosophie et de la science, je trouve aussi remarquable son opposition à l’Etat de droit, à la loi telle que la disent les autorités légales du pays. On ne peut pas parler de coutume qui s’opposerait au droit écrit : la charia tout comme la loi juive ou le droit canonique chrétien s’appuient sur un corpus de textes. Ce qui se voit remis en cause, c’est la légitimité du législateur laïc, purement humain, issu des urnes de la démocratie représentative. Cela ne signifie pas non plus, sauf dans quelques cercles très minoritaires, la promotion d’un absolutisme royal, califal ou papal. Il s’agirait plutôt de confier aux représentants du peuple l’exécutif flanqué du judiciaire, les modalités d’application de la loi dans le concret, y compris la part purement réglementaire.
Ce sont deux visions antagonistes du droit écrit qui commencent à s’opposer frontalement, l’une issue d’une tradition qui s’enracine loin dans les cultures du Croissant fertile et qui remonte peut-être à la stèle d’Hammourabi, l’autre née dans les cités grecques, étrusques et finalement à Rome.
Qui doit dire le droit ? Où se place la légitimité ? Dès que l’esprit critique, interrogatif, se pose cette question, elle devient inextricable. Contrairement aux espèces animales qui portent en elles leur loi comme le révèle l’éthologie, l’humanité ne possède que très peu de comportements « précodés » et chaque enfant doit faire l’apprentissage des règles de la société dans laquelle il naît. Tout un jeu d’interdits, de transgressions et de repères orienté vers la maîtrise de soi et la liberté paradoxale qu’elle offre se met en place – idéalement pendant l’enfance et l’adolescence, parfois tout au long de la vie. Si la rigidité puritaine fait des ravages psychologiques, la règle négociable par les enfants rois, la soumission à son propre caprice éphémère est peut-être encore plus redoutable dans ses conséquences. Le dire est désormais banal. En tenir compte, un autre problème, car cela demande de la force d’âme au quotidien, sans égard aux fatigues d’adultes sollicités jusqu’au bout de leurs forces, surtout dans les familles monoparentales ou reconstituées. Mais le plus dévastateur, ce dont on constate partout les effets en période de migration des peuples, que ce soit au travers des documents du passé ou des faits divers du présent, c’est sans doute le conflit de règles qu’entraîne le choc culturel.
Toute société s’appuie sur un droit explicite – dit ou écrit – qui se transmet par la parole et le comportement des adultes, mais aussi sur un droit implicite, une coutume tellement coutumière qu’elle va de soi et que, au sein d’un groupe, ce sera la dernière que l’on transgressera. Cette coutume joue dans les gestes quotidien, concrets, identitaires sans qu’on y pense : le samovar russe ou la théière anglaise ! Comment se placer dans le métro tant que restent des places assises, qui salue qui le premier, qui cède la place à qui, qui tient la porte à qui, qui marche à l’ombre et qui au soleil… La chanson de Renaud a fait se tordre de rire tous les habitants du sud pour qui le côté ombreux de la rue est le côté enviable. Mais cette coutume confondue souvent avec le droit naturel entraîne toute une cascade de conséquences dans l’art de distribuer l’espace, donc de bâtir ; dans l’art de distribuer le temps, horaires de travail et de repos ; sans parler des objets mais eux peuvent tenir dans des bagages ou faire l’objet d’un commerce d’importation. Des paysans pour qui la maison de plain pied ouvre sur les cours et places communes transplantés dans des tours perdent tous leurs repères implicites. Le phénomène s’observe à toutes les périodes d’urbanisation. Et l’on n’est pas encore sortis de la rencontre entre les cultures où l’on porte la robe (toge, tunique, etc.) et celles où l’on porte le pantalon (braies, saroual, etc.). La sexualisation de ces façons de se vêtir entre le haut moyen âge et nos jours, dans une aire culturelle très localisée d’abord au nord de l’Europe puis généralisée tardivement à l’ensemble Europe (Russie comprise) et Amérique, témoigne d’un de ces chocs ravivé par la conquête romaine et qui se rejoue aujourd’hui avec les migrations arabes, levantines et africaines. Derrière ce qui peut sembler une futile question de mode vestimentaire se profile tout le rapport à l’autorité parentale, à l’autorité culturelle du pays d’accueil et à la difficulté d’en apprendre les codes implicites, tout le rapport au corps de soi-même et de l’autre. Ce n’est pas si négligeable quand on voit se multiplier les viols d’adolescentes, quand des filles sont brûlées vives comme autrefois les sorcières ou les hérétiques, quand c’est tout l’éros des garçons qui ne trouve plus ni limites ni repères.
(à suivre)
Ce sont deux visions antagonistes du droit écrit qui commencent à s’opposer frontalement, l’une issue d’une tradition qui s’enracine loin dans les cultures du Croissant fertile et qui remonte peut-être à la stèle d’Hammourabi, l’autre née dans les cités grecques, étrusques et finalement à Rome.
Qui doit dire le droit ? Où se place la légitimité ? Dès que l’esprit critique, interrogatif, se pose cette question, elle devient inextricable. Contrairement aux espèces animales qui portent en elles leur loi comme le révèle l’éthologie, l’humanité ne possède que très peu de comportements « précodés » et chaque enfant doit faire l’apprentissage des règles de la société dans laquelle il naît. Tout un jeu d’interdits, de transgressions et de repères orienté vers la maîtrise de soi et la liberté paradoxale qu’elle offre se met en place – idéalement pendant l’enfance et l’adolescence, parfois tout au long de la vie. Si la rigidité puritaine fait des ravages psychologiques, la règle négociable par les enfants rois, la soumission à son propre caprice éphémère est peut-être encore plus redoutable dans ses conséquences. Le dire est désormais banal. En tenir compte, un autre problème, car cela demande de la force d’âme au quotidien, sans égard aux fatigues d’adultes sollicités jusqu’au bout de leurs forces, surtout dans les familles monoparentales ou reconstituées. Mais le plus dévastateur, ce dont on constate partout les effets en période de migration des peuples, que ce soit au travers des documents du passé ou des faits divers du présent, c’est sans doute le conflit de règles qu’entraîne le choc culturel.
Toute société s’appuie sur un droit explicite – dit ou écrit – qui se transmet par la parole et le comportement des adultes, mais aussi sur un droit implicite, une coutume tellement coutumière qu’elle va de soi et que, au sein d’un groupe, ce sera la dernière que l’on transgressera. Cette coutume joue dans les gestes quotidien, concrets, identitaires sans qu’on y pense : le samovar russe ou la théière anglaise ! Comment se placer dans le métro tant que restent des places assises, qui salue qui le premier, qui cède la place à qui, qui tient la porte à qui, qui marche à l’ombre et qui au soleil… La chanson de Renaud a fait se tordre de rire tous les habitants du sud pour qui le côté ombreux de la rue est le côté enviable. Mais cette coutume confondue souvent avec le droit naturel entraîne toute une cascade de conséquences dans l’art de distribuer l’espace, donc de bâtir ; dans l’art de distribuer le temps, horaires de travail et de repos ; sans parler des objets mais eux peuvent tenir dans des bagages ou faire l’objet d’un commerce d’importation. Des paysans pour qui la maison de plain pied ouvre sur les cours et places communes transplantés dans des tours perdent tous leurs repères implicites. Le phénomène s’observe à toutes les périodes d’urbanisation. Et l’on n’est pas encore sortis de la rencontre entre les cultures où l’on porte la robe (toge, tunique, etc.) et celles où l’on porte le pantalon (braies, saroual, etc.). La sexualisation de ces façons de se vêtir entre le haut moyen âge et nos jours, dans une aire culturelle très localisée d’abord au nord de l’Europe puis généralisée tardivement à l’ensemble Europe (Russie comprise) et Amérique, témoigne d’un de ces chocs ravivé par la conquête romaine et qui se rejoue aujourd’hui avec les migrations arabes, levantines et africaines. Derrière ce qui peut sembler une futile question de mode vestimentaire se profile tout le rapport à l’autorité parentale, à l’autorité culturelle du pays d’accueil et à la difficulté d’en apprendre les codes implicites, tout le rapport au corps de soi-même et de l’autre. Ce n’est pas si négligeable quand on voit se multiplier les viols d’adolescentes, quand des filles sont brûlées vives comme autrefois les sorcières ou les hérétiques, quand c’est tout l’éros des garçons qui ne trouve plus ni limites ni repères.
(à suivre)
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