Sunday, September 28, 2008

Z'êtes ét(h)iques ?

Tandis que je lis ou relis les textes d'Aimé Michel récemment publiés1 avec la ferveur de qui trouve à chaque page de quoi penser, méditer ou s'en prendre une dans les gencives mentales, une micro prise de bec avec un zététicien sur un forum m'a donné l'occasion d'aller sur leur site. J'y ai trouvé une perle d'une telle eau que je ne peux laisser passer. Voici l'histoire. Le sieur Broch, ci-devant spécialiste de biophysique et titulaire d'une chaire de zététique à l'université de Nice Sophia Antipolis, a repris la ruse déjà utilisée au XIXe siècle par l'Académie des sciences2 pour attirer les magnétiseurs et créé un prix rondelet pouvant être décerné à qui lui prouverait jouir de dons « paranormaux ». Bien évidemment, le malheureux candidat ne passera jamais la barre3 et, mieux encore, s'en retournera avec une explication « rationnelle » qui le détournera à tout jamais de ses prétentions censément illusoires. Le brave homme attiré par l'appât, cette fois-ci, pensait que, chaque fois qu'il se concentrait, il faisait claquer les portes – des portes fermées, précisons. Vrai, faux ? Comment le savoir ? En le testant ? La porte réagissait bel et bien mais rassurez vous ! L'équipe de Broch a trouvé une explication purement physique : le bonhomme en se concentrant fronçait les sourcils et crispait quelques muscles ; cela suffisait à induire une variation de pression dans la pièce, ce qui entraînait mécaniquement la réaction de la porte. Ouf ! Rien à payer, le sujet rassuré car, s'il peut être flatteur de se penser des « pouvoirs », c'est aussi la meilleure porte ouverte sur l'angoisse d'être4. Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Sauf que leur explication n'est que foutaise. Où donc est la contre-expérience ? Ont-ils fait défiler dans la pièce un nombre suffisant de sujets auxquels n'aurait été demander que de froncer les sourcils et de contracter les épaules et les fesses – et surtout pas de se concentrer ? Ont-ils mesuré la pression de l'air avant, pendant et après ? Quel type de porte peut réagir à une aussi faible différence de pression, à supposer qu'elle existe ? Où sont les données chiffrées ? Pas sur leur site, apparemment, où je les ai cherchées en vain.

Une porte fermée qui claque, j'ai connu. Une seule fois dans ma vie pour une cause physique, à vrai dire, le soir du tremblement de terre qui, dans les années 1970, a dévasté le Frioul. J'habitais alors en Bourgogne et l'onde sismique fut sensible jusque là. L'onde de choc, la différence de pression de l'air qu'elle entraîne, cela se perçoit sans ambiguïté possible dans la poitrine autant que dans le bruit de la porte. Cela va très vite mais les sensations s'inscrivent durablement dans la mémoire. Faut-il ajouter que cette porte n'a jamais bronché lorsque, grande épistolière, je me concentrais sur ma correspondance en crispant inconsciemment tout les muscles que l'on voudra ?

Si monsieur N. est capable de faire bouger les portes en contractant quelques muscles du visage – tout en restant assis, remarquez, l'air n'étant même pas brassé par le mouvement d'un marcheur – je prétends que l'effet physique est alors aussi inquiétant que l'effet PK que Broch se flatte d'avoir exorcisé et qu'il faudrait l'étudier dare-dare. Si cet effet ne se manifeste que chez lui, cela intéressera les assureurs de savoir que cet immeuble5 est tellement instable qu'il suffit de froncer les sourcils pour le faire vibrer avec la même intensité qu'un séisme. S'il se manifeste partout, alors notre homme semble le siège de processus biologiques assez insolites. Ne me demandez pas lesquels, ce n'est pas mon métier.

Mais n'y aurait-il pas quelque malhonnêteté intellectuelle à présenter comme explicative une hypothèse aussi capillotractée que rien, dans l'expérience courante de milliers de gens, ne vient corroborer – et cela sans étude sérieuse ? Je ne dis pas que cette hypothèse ne serait pas scientifique, elle l'est. Elle obéit au premier pont-aux-ânes qui permet de différencier la science de ce qui n'en est pas : en théorie, elle est falsifiable. Mais qui va monter la contre-expérience ? Les seuls qui auraient les crédits nécessaires, ce sont justement ceux qui n'ont aucun intérêt idéologique à le faire, à savoir les zététiciens. Z'êtes éthiques ? Assez pour relever ce défi là ?

Je dis très vite que l'hypothèse est falsifiable. Sur le papier sans doute et je n'aurais aucun mal à en bâtir les grandes lignes, test d'un nombre suffisant de sujets non prévenus, test de lieux et de types différents de porte, mesure de la pression d'air avec une batterie de baromètres ultrasensibles disposés le long d'un gradient supposé, mesure de la contraction musculaire, etc. Dans la réalité, c'est moins sûr. Qui m'assure qu'on peut maîtriser toutes les variables ?

Ce dont il s'agit, c'est de se rassurer, de claquer la porte mentale qui pourrait nous mettre devant l'inconnu, ouvrir une brèche dans les représentations du monde. Comme dans les romans de Jean Pierre Andrevon, il faut pouvoir penser que l'homme est petit, plutôt con, avec des passions mesquines, que ses émotions le trompent toujours et que seule la matière est solide – ce qui ferait bien rigoler un physicien, lequel tend à jeter la notion de matière aux poubelles de l'histoire des sciences et à lui préférer celle d'interaction ou d'événement. Si Blaise Pascal a raison, si « l'homme passe infiniment l'homme », le vertige devient pour eux insupportable. Zététiciens et rationalistes affirment souvent que l'on invente des croyances pour boucher les trous de la représentation du monde, trous dus uniquement à l'ignorance. Mais j'ai connu nombre de gens dont l'image du monde ressemblait à une dentelle, contradictoire de surcroît, et que cela ne gênait pas plus que cela du moment que cela permettait de se repérer dans leur vie quotidienne. Pourquoi cette obsession de clore les représentations, de les resserrer le plus possible ? Z'êtes étiques ? Ou ne serait-ce que de l'agoraphobie mentale ?

1La clarté au cœur du labyrinthe et L'apocalypse molle, éditions Aldane, voir mon message précédent

2Voir la thèse de Bertrand Meheust, Somnambulisme et médiumnité, t1 Le défi du magnétisme, t2 Le choc des sciences psychiques, Synthélabo, coll. Les empêcheurs de penser en rond, 1999.

3Bien fait ! L'avidité est un vilain défaut !

4Dont Aimé Michel parle si bellement...

5J'ignore où habite monsieur N. mais une maison particulière est un immeuble au même titre qu'un ensemble d'appartement, si l'on en croit l'Académie.

1 comment:

Le Paon said...

On peut décrire facilement le système physique qui régit une différence de pression de part et d'autre d'une porte, fusse-t-elle à clairevoie... et ajuster, de fait, la taille du sourcil à froncer. Cette expérience rappelle les innombrables tromperies liées aux pseudo pouvoirs. Pour ma part je préfère fermer les portes sans bruit.
J'aime assez vos billets.