Je me trouvais hier dans l'église Saint-Sulpice à Paris. La façade de Servandoni – partie la plus laide à mon sens – est en réfection. Tant mieux. Il faut dire qu'elle menaçait depuis 1999 de tomber par morceaux sur la tête des passants et que ça fait désordre. Mais une fois à l'intérieur, on ne peut qu'osciller entre tristesse et colère. En dehors des peintures de Delacroix et de celles d'Abel de Pujols consacrées à la vie de saint Roch qui ont été nettoyées et sont à peu près correctement éclairées, les autres chapelles restent plongées dans l'obscurité, de larges pans des fresques s'écaillent et l'enduit même qui les soutient disparaît. Le site officiel de la paroisse reflète cet abandon.
http://www.paroisse-saint-sulpice-paris.org/visite.aspx
Il mentionne comme « intéressants » la nef, « avec la chaire et l'autel », le gnomon dit aussi méridienne et que les ignares prennent pour un méridien matérialisé, la chapelle de la Vierge tout au fond, « avec une statue de Jean-Baptiste Pigalle, la sacristie et ses boiseries Louis XV, les peintures de Delacroix et le grand orgue de Cavaillé-Coll. Foin du reste ! Un Signol, un Emile Bin, c'est de la « peinture académique », n'est-ce pas, avec tout le mépris dont les cuistres de notre temps sont capables dès qu'il est question du XIXe siècle, surtout du second empire.
Wikipedia, plus ouverte, signale au moins les fresques de Victor Mottez, un élève d'Ingres, consacrées à saint Martin, les quatre Signol du transept et le décor de la chapelle de Saint-François-Xavier, peint en 1859 par Jacques-Emile Lafon. Il cite aussi Pigalle pour les bénitiers qui nous feraient croire Paris en bord de mer. Faut-il ajouter que Maurice Denis considérait « inoubliables » les fresques de Mottez à Saint-Sulpice ? Seule la couche de crasse qui les recouvre aujourd'hui reste dans la mémoire du visiteur, si même il les a remarquées.
Toutes ces fresques, et j'en oublie, furent des commandes d'Etat dans le cadre du concordat. Elles devinrent plus encore ses « pupilles » lors de la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Qui donc a sculpté la pietà ? Dans celle des sacristies qui ne se visite pas, il y aurait des tableaux du XVIIe et du XVIIIe siècle. Au moins ne risquent-ils pas trop de s'abîmer dans une pièce sèche et close. Mais le baiser de Judas de Signol que je retrouve à chaque fois plus écaillé dans les hauteurs ? Mais les vitraux dont les verres peints se brisent et qu'on remplace par de la vitre de bazar ?
Cette église a vu passer sous ses voûtes saint François de Sales, saint Vincent de Paul et sa disciple Louise de Marillac, Louis-Marie Grignon de Montfort, Jean Eudes et tant d'autres. Le séminaire créé par Olier a connu un rayonnement mondial. Dans son Journal de guerre, Ernst Jünger en parle à plusieurs reprises pour dire son étonnement devant la qualité du lieu, sa capacité à porter la prière et le mystère profond de l'être.
Qu'on ne me dise pas qu'elle n'est pas classée ! Alors que font les Monuments Historiques ? Pourquoi exposer de temps à autre des œuvres contemporaines discutables, ce qui coûte cher en général, si c'est pour laisser se détruire le patrimoine existant ? A quoi utilise-t-on nos impôts si l'on n'est pas fichu de faire au moins les interventions d'urgence ?
Vous avez dit coup de colère ?
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