Tuesday, June 09, 2009

Impressions de Razès

Ce qui m'a le plus frappée lors de ce voyage de quelques jours en Razès, c'est la verdeur. L'herbe de ce pays sec n'a pas commencé de jaunir et les fleurs poussent à profusion tout comme les fougères sur les pentes qui mènent au pech de Bugarach. J'ai connu des mois de juin plus râpés dans ma Bourgogne natale.

Rennes-les-Bains : un village qui meurt. Toutes les maisons offrent des chambres d'hôtes – mais l'on trouve à loger à l'Hôtel de France sans avoir retenu. L'épicerie fait dépôt de presse mais on n'y trouve ni piles ni bloc pour écrire. S'il n'y avait les passionnés de l'abbé Boudet et quelques randonneurs, de quoi vivraient les gens ? L'agriculture se réduit à presque rien, un peu d'élevage pour la gastronomie. On a du mal à imaginer que ce fut une ville d'eaux courue avec des messieurs en frac et des dames en robe à tournure, des calèches et des mondanités. L'église est fermée, le cimetière terriblement banal. La tombe de l'abbé Jean Vié se délite doucement, celle du vicomte de Fleury, reconstituée à partir de ses deux monuments, fait piètre figure et bientôt l'on ne lira plus les inscriptions qui s'écaillent. Il en est quelques autres des débuts du XXe siècle que Gérard de Sède n'a pas utilisées dans son jeu de piste – sans doute lui semblaient-elles trop tardives malgré leurs décors floraux.
Les eaux n'ont pas du perdre leurs qualités médicinales ; d'où vient que l'activité de cure ait cessé ? Diktat de la Sécu qui répugne de plus en plus à les rembourser, pressions des grandes firmes pharmaceutiques auprès des médecins en faveur des molécules de synthèse, des gélules et des pilules ? Concurrence de la thalasso ? Allez savoir !
L'église est fermée et c'est exceptionnel, semble-t-il, qu'on y dise encore la messe. Les horaires affichés sur la porte renvoient les paroissiens le plus souvent vers Couiza si ce n'est Quillan. Les prêtres romains d'aujourd'hui ressemblent à ceux du IVe siècle qui vivaient en communauté autour de leur évêque et couvraient ou non de vastes terroirs ruraux en plus des villes. Mais quand chaque village avait son curé, au fond, quel était leur travail ? La messe du dimanche avec confessions et vêpres le samedi, une douzaine de mariages à l'an et autant d'enterrements ou de baptêmes. Et le reste du temps ? Rien d'étonnant, avec tant de loisirs, que beaucoup d'entre eux se soient piqués d'érudition, de recherches historiques ou se soient entichés du magnétisme animal et surtout du somnambulisme lucide, de botanique, d'entomologie, d'archéologie. Dans ce contexte, la Vraie Langue Celtique de Boudet ne fait pas tache. Quelles furent les marottes de Jean Vié ? Celles de Saunière au delà de la rumeur de trésor ? A quoi rêvait un curé de campagne ?

Bugarach. Il pleut, il fait froid comme en montagne « du nord », les nuages viennent voiler le roc. Il aurait fallu m'habiller en randonneuse, pas en conférencière, mais baste ! Le colloque de l'ARTBS ne manque pas d'intérêt, simplement de « couloirs » où échanger plus librement, merci la pluie. Je me sens très « pièce rapportée » dans ce milieu castelrennais où tous se connaissent. Et, comme toujours, pas assez de temps pour développer une thématique complexe. Mais il y a la montagne, le pech, présence incontournable comme un appel. Montagne à légendes, habitée de puissances plus archaïques que la tragédie grecque ou l'humour celte. Le rencontrer par un ciel d'orage avant de le voir illuminé, transfiguré par le soleil couchant fut sans doute un privilège : la montagne par beau temps trompe son monde, par mauvais temps raconte ses légendes, ses maléfices et ses élémentaux.

Rennes-le-Château, juste une halte pour un repas en commun, le dernier de ce week-end. Le paysage toujours à couper le souffle. L'église se dégrade de jour en jour, les lieux sauniéresques sont presque inaccessibles mais le village s'enrichit de boutiques « d'art » façon Couvertoirade ou Cité de Carcassonne. On distille aux touristes du Saunière et du trésor au compte-gouttes, à peine de quoi faire rêver, et l'on titille leurs envies de consommateurs. La belle histoire se transforme doucettement en mémoire hameçon – mais où sont les conteurs d'antan ?

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