L'autre jour, j'ai visité le cimetière du Père Lachaise avec un spécialiste des vampires. Je ne suis pas une mordue de cette thématique où je vois surtout une formule littéraire, un romantisme d'auteurs assez éloigné des mythes funéraires spontanés tels qu'on les rencontre dans l'étude du folklore ou des rites mais il est toujours intéressant d'écouter un érudit passionné, surtout lorsqu'il retrouve l'influence de la littérature vampirique dans certaines tombes d'un lieu aussi chargé d'histoire que le Père Lachaise et je me promettais de faire ici quelques réflexions inspirées par cette promenade parisienne. Il faisait beau, sans doute l'un des derniers jours d'été, ce qui ne gâte rien : le romantisme a moins de goût sous la pluie.
Pourtant le plaisir escompté s'est mêlé de colère et c'est dans la série des coups de gueule que ce message prendra place. Si la tombe d'Allan Kardec est toujours fleurie et entretenue par les disciples de ses disciples, la conservation de nombre de monuments ou de chapelles funéraires d'avant 1914 laisse plus qu'à désirer. Le calcaire blanc dans lequel la plupart furent réalisés noircit de pollution, les sculptures sont rongées, les vitraux cassés, les portes rouillées et jamais repeintes et si l'on ne voit pas courir de rats entre les concessions, c'est que ces bêtes ont des mœurs nocturnes et que les visiteurs sont obligés aux activités diurnes. Tombes ordinaires que les familles n'entretiennent plus ? C'est parfois vrai, encore qu'elles pourraient fournir à des spécialistes du XIXe siècle la matière d'une bonne centaine de thèses, qu'il s'agisse d'histoire de l'art ou de démographie, de mentalités, si ce n'est d'humour macabre car on en trouve aussi. Mais que la tombe de Balzac, inscrite à l'inventaire, soit depuis des mois entourée d'une barrière de plastique orange comme un chantier sans qu'aucun vrai travail de réfection n'ait eu lieu, ce n'est pas acceptable. Juste en face, la statue de femme enveloppée de voiles qui orne celle de Casimir Delavigne a perdu la main qui tenait la couronne de lauriers. Quant à l'urne qui surmonte la colonne de Gérard de Nerval, sa noirceur galopante en fait plutôt un vase aux poisons !
A côté de Leymarie, disciple de Kardec au dolmen aussi faux que celui du maître mais tout aussi entretenu, on trouve un témoin rare de l'égyptomanie de la Belle Epoque, la tombe Caron, mausolée surmonté d'une tête de pharaon portant l'uræus et qui met un doigt sur ses lèvres comme pour exiger le secret de l'arcane. Mais le premier mort de la famille tomba en 1914, deux autres en 1917, le dernier en 1934 : trop récents pour les mesures de conservation théoriquement prises pour les tombeaux d'avant 1900. Ailleurs, on trouvera une croix retirée d'une tombe et posée à l'envers sur une autre couverte de mousse mais de 1916, des blocs de pierre jetés en vrac sur une troisième de date forcément illisible. Quant à la stèle envahie de végétation derrière sa grille rouillée, elle ne montre plus ni nom ni portrait, on en devine seulement la trace.
Mais la mairie de Paris entretient le cimetière, me dira-t-on : elle rénove... le pavage des allées !
Avant de pousser ce cri, j'ai regardé comment le Père Lachaise apparaît sur la Toile. On trouve de tout, beaucoup d'amoureux du lieu, de résumés historiques, de discussions érudites mais tous les sites ont un point commun : ils présentent des photos bien léchées, des chapelles en bon état au toit juste assez moussu pour induire une nostalgie de bon aloi. Seul le site « Amis et passionnés du Père Lachaise » ose poser (le 17 janvier 2006) un questionnaire sur la protection du lieu. On y apprend nombre de choses intéressantes mais le venin coule aussi entre les lignes... je me permets de le citer ici et de le commenter.
« Le cimetière du Père-Lachaise est soumis à plusieurs mesures légales et réglementaires de protection, tant au titre de l’environnement que de la culture.
La partie la plus ancienne du cimetière, soit environ la moitié de la superficie totale (43,2 ha), est classée comme site remarquable au titre de la loi du 2 mai 1930 sur les Monuments naturels et les sites (arrêté ministériel du 17 décembre 1962)
Ce même périmètre, avec quelques adjonctions et quelques restrictions, est inscrit à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques, pour tous les tombeaux antérieurs à 1900, au titre de la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques (arrêté ministériel du 21 mars 1983).
Douze monuments compris ou non dans ce périmètre, ont été classés « Monuments Historiques » au titre de la loi du 31 décembre 1913 précitée (arrêtés ministériels 1983-1995).
L’ensemble crématorium-columbarium a été inscrit à l’inventaire supplémentaire par arrêté ministériel du 17 janvier 1995.
Par ailleurs, deux cahiers des charges applicables aux zones ci-dessus protégées ont été instituées par arrêté municipal du 13 février 1995. »
Notons qu'on ne nous dit rien de ces cahiers des charges : s'agit-il de l'entretien des allées, de la nourriture des chats ou de l'élagage des arbres ? Notons aussi que l'inventaire supplémentaire s'arrête en 1900 alors qu'une bonne part des tombes intéressantes du point de vue artistique ou historique date de la Belle Epoque si ce n'est des années 30. Il faudrait au moins pousser cette inscription jusqu'à la seconde guerre mondiale.
« Le cimetière possède-t-il un plan de gestion comprenant une politique de conservation ou un programme incluant le nettoyage, la restauration et la réparation des stèles et monuments abîmés ou usés par le temps ? Si oui, comment le processus est-il financé et qui fait/supervise le travail ?
Réponse : Les monuments funéraires étant, aux termes de la loi française, des propriétés privées, il appartient légalement aux propriétaires de ces monuments de les entretenir, réparer et restaurer. L’administration des cimetières ne peut intervenir que sur les monuments qui appartiennent à la Ville de Paris.
S’agissant de ces derniers monuments, ils peuvent bénéficier de travaux de restauration décidés et financés par une commission d’Architecture Funéraire créée en 1984 et dotée d’un budget approprié par la Ville de Paris. Les travaux sont ensuite suivis par l’administration des cimetières. »
Foutaise ! La dernière modification de la loi celle du 20 décembre 2008, comporte cet article :
« Art.L. 511-4-1.-Le maire peut prescrire la réparation ou la démolition des monuments funéraires lorsqu'ils menacent ruine et qu'ils pourraient, par leur effondrement, compromettre la sécurité ou lorsque, d'une façon générale, ils n'offrent pas les garanties de solidité nécessaires au maintien de la sécurité publique.
« Toute personne ayant connaissance de faits révélant l'insécurité d'un monument funéraire est tenue de signaler ces faits au maire, qui peut recourir à la procédure prévue aux alinéas suivants.
« Le maire, à l'issue d'une procédure contradictoire dont les modalités sont définies par décret, met les personnes titulaires de la concession en demeure de faire, dans un délai déterminé, les réparations nécessaires pour mettre fin durablement au danger ou les travaux de démolition, ainsi que, s'il y a lieu, de prendre les mesures indispensables pour préserver les monuments mitoyens.
« L'arrêté pris en application de l'alinéa précédent est notifié aux personnes titulaires de la concession. A défaut de connaître l'adresse actuelle de ces personnes ou de pouvoir les identifier, la notification les concernant est valablement effectuée par affichage à la mairie de la commune où est situé le cimetière ainsi que par affichage au cimetière.
« Sur le rapport d'un homme de l'art ou des services techniques compétents, le maire constate la réalisation des travaux prescrits ainsi que leur date d'achèvement et prononce la mainlevée de l'arrêté.
« Lorsque l'arrêté n'a pas été exécuté dans le délai fixé, le maire met en demeure les personnes titulaires de la concession d'y procéder dans le délai qu'il fixe et qui ne peut être inférieur à un mois.
« A défaut de réalisation des travaux dans le délai imparti, le maire, par décision motivée, fait procéder d'office à leur exécution. Il peut également faire procéder à la démolition prescrite, sur ordonnance du juge statuant en la forme des référés, rendue à sa demande.
« Lorsque la commune se substitue aux personnes titulaires de la concession défaillantes et fait usage des pouvoirs d'exécution d'office qui lui sont reconnus, elle agit en leur lieu et place, pour leur compte et à leurs frais.
« Les frais de toute nature, avancés par la commune lorsqu'elle s'est substituée aux personnes titulaires de la concession défaillantes, sont recouvrés comme en matière de contributions directes. »
Evidemment, quand rechercher les héritiers demanderait un effort et comme restaurer a un coût, il est plus facile de détruire, oubliant que des tombes anciennes sont un patrimoine irremplaçable. Il est tout de même rageant de voir avec quel zèle on chante la découverte archéologique de tombes anciennes, de l'homme de Tautavel aux Mérovingiens, et avec quelle légèreté on démolit ce qui ne vient que de 3 ou 4 voire 5 générations en arrière. Notons qu'il faut tout de même une ordonnance de référé. Je ne suis pas si sûre que l'on y ait eu recours si souvent pour les destructions du Père Lachaise. On semble préférer l'abandon.
Mais revenons au questionnaire. Je passe sur l'affirmation selon quoi 80% des actes de vandalisme seraient dus aux admirateurs de Jim Morrison. Un point intéressant concerne les nouvelles attributions : « Il n’y a plus d’espace disponible au Père-Lachaise depuis 60 ans. En revanche, la loi permet depuis 1924, de reprendre des concessions anciennes abandonnées ainsi que de ré attribuer ces concessions reprises à de nouveaux bénéficiaires. Cette procédure permet de ré attribuer environ 300 concessions par an en moyenne.
Il n’y a pas de critère particulier pour être enterré au Père-Lachaise. En France, les privilèges funéraires ont été abolis en 1790 et les règles sont les mêmes pour tous. La loi place tous les défunts sur un pied d’égalité, sans considération de fortune, de titres ou de notoriété. Pour être enterré au Père-Lachaise, il faut, soit appartenir à une famille qui y possède déjà une concession, soit être décédé à Paris (sans considération de nationalité ou de domicile), soit domicilié à Paris au moment du décès : dans ces deux derniers cas, l’accueil au Père-Lachaise dépend des disponibilités du moment en fonction des reprises effectuées au cours de l’année. »
Eh oui, mais une concession est tout de même payante et coûte même une somme coquette. On voit ainsi pourquoi la conservation du passé ne vient pas au premier rang des préoccupations.
A la question d'un registre de visiteurs, l'agacement devient sensible : « Réponse : Le cimetière du Père-Lachaise n’est pas un lieu touristique. Sa vocation est d’accueillir des défunts dans un espace funéraire, bien que celui-ci soit ouvert à la promenade publique. Le rôle du personnel du cimetière n’est pas de tenir des statistiques touristiques (il y a des organismes qualifiés pour cela) mais d’enterrer les morts ou de les incinérer au crématorium, de gérer des concessions et des exhumations, d’assurer le bon entretien du site : voirie, espaces communs, propreté, plantations. Pour un cimetière, les visiteurs autres que les familles des défunts et les promeneurs discrets, c’est-à-dire les touristes voyants, sont une gêne car ils dérangent fréquemment tous ceux qui travaillent dans le cimetière à un titre ou à un autre. En outre, ils sont une source de dépense importante alors qu’ils n’apportent aucune recette, contrairement à ce qui se passe dans les musées et les véritables sites touristiques.
Il n’y a donc aucun registre dénombrant les visiteurs car le personnel a d’autres tâches, à commencer par l’accomplissement de ses obligations légales prioritaires.
Les raisons de la visite des touristes sont variables et multiples, depuis la recherche de l’esthétique, de la beauté des lieux et de leur charme romantique et historique, jusqu’à ceux qui s’imaginent se trouver dans un parc de loisirs et pouvoir y commettre des actes délictueux comme si le cimetière était une zone de non-droit. »
C'est moi qui souligne. Cela se passe de commentaire. Depuis 60 ans, on démolit 300 caveaux par an pour revendre l'emplacement et comme on ne peut pas faire payer les visiteurs attirés là par l'art ou l'histoire, on les tolère avec hargne. Mais il y a mieux. Questionnés sur l'existence de plans et sur l'indication possible des tombes de personnalités : « Les défunts étant en vertu de la loi française, tous égaux devant la mort, il n’existe pas de « personnalités » proprement dites dans les cimetières même si la coutume et l’usage ont consacré cette présence et cette catégorie de défunts.
L’administration des cimetières n’ayant pas qualité pour déterminer qui est ou qui n’est pas une « personnalité », elle se contente d’éditer un plan général signalant une centaine de « sépultures parmi les plus demandées » par le public. Deux autres plans, thématiques, sont consacrés aux Monuments de la Déportation ainsi qu’au circuit de la Commune de Paris qui rassemblent des monuments emblématiques. »
Gare aux morts qui n'ont pas la bonne couleur politique ? Quand je parlais de venin... In cauda venenum, comme de juste !
Une rumeur court selon laquelle l'actuel maire de Paris, emporté par son zèle écologiste, aimerait transformer le Père-Lachaise en jardin, utilisant l'espace des 300 démolitions annuelles pour y planter des arbres, ne gardant à terme que les monuments classés. Je n'ai pas pu trouver de confirmation sur Internet. Mais si c'est en projet, j'espère que mon coup de gueule lui donnera un coup de frein.
Un bon petit site pour visiter sans se déplacer, d'autant que les photos sont belles :
http://membres.lycos.fr/blg/index.html
Les miennes seront sans doute moins touristiques.
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