Wednesday, July 21, 2010

Le Big Bang et ce qui s’en suivit

Je lis le dernier bouquin des frères Bogdanov, Le visage de Dieu, sympathique rappel d’histoire des sciences, de la découverte du Big Bang. Ils notent en particulier les réticences des cosmologistes à accepter que l’univers, comme tout ce qui est en son sein, ait une histoire : un début, une croissance et probablement une fin. Une série d’articles parus sur la Toile, pour la plupart en anglais, font état du dernier avatar de ces réticences. PhysOrg.com publie le 12 juillet 2010 un article intitulé Revised theory of gravity doesn't predict a Big Bang faisant écho à Physical Review Letters où l’on apprend que deux astrophysiciens, Maximo Banados et Pedro Ferreira, ont réussi à remettre le diable dans sa boîte en s’appuyant sur les travaux d’Eddington qui trouvait « répugnante » l’idée d’un univers né d’un point initial ou d’une singularité. Eddington avait proposé une théorie de la gravitation différente de celle d’Einstein et Hilbert mais incomplète puisqu’elle ne rendait pas compte de l’action gravitationnelle due à la masse (matière). Banados et Ferreira, à la suite de beaucoup d’autres, ont tenté d’inclure la matière dans cette théorie, sauvant ainsi la notion d’un univers parménidien. « Dans leur analyse, écrit PhysOrg.com (l’auteur réel restant anonyme), ces chercheurs ont trouvé qu’une clé caractéristique de la théorie d’Eddington révisée de la gravitation est qu’elle reproduit exactement celle d’Einstein dans le vide (sans nulle matière) mais donne d’autres résultats si l’on ajoute la matière. A cause de cette caractéristique, la théorie révisée a des implications surtout pour les régions à haute densité comme l’univers à son tout début ou l’intérieur d’un trou noir. La théorie prédit ainsi une densité maximum d’espace-temps homogène et isotrope qui pourrait avoir des conséquences pour la formation d’un trou noir. » Homogène et isotrope ! C’est exactement ainsi que l’on peut traduire en langage moderne le Sphairos de Parménide.

A l’origine, il n’y aurait donc plus de singularité quasi ponctuelle[1] car la théorie d’Eddington implique une certaine étendue de départ pour éliminer la singularité, à partir de quoi la croissance et l’histoire de l’univers peuvent se dérouler dans les mêmes termes qu’avec le Big Bang. Tout dépendrait de la densité de ce monde encore au berceau. On peut aussi penser notre actuel univers comme le résultat de l’effondrement d’un autre plus ancien. Pourquoi éliminer la singularité ? Tout simplement parce qu’un tel objet n’est pas mathématiquement défini, n’est donc pas descriptible par le langage de la physique. Or la Relativité Générale en présente au moins deux : l’état de l’univers à l’origine et la vitesse de la lumière dans le vide. On sait d’ailleurs qu’Einstein avait inclus dans ses équations une constante ad hoc afin d’éliminer la singularité originelle et l’obscénité que représentait pour lui un univers en expansion, ayant un début et une histoire. Pour la vitesse de la lumière, il faut atteindre les études supérieures pour apprendre qu’il ne s’agit pas d’une limite absolue, que les équations fonctionnent au delà mais qu’elle agit comme un séparateur entre l’ici et l’ailleurs. Ferreira, professeur d’astrophysique à la prestigieuse université d’Oxford, envisage d’ailleurs de reprendre la question de la constante cosmologique.

Nihil novum sub sole, pourrait-on simplement penser ; il y a toujours eu des réfractaires comme il y en avait à l’héliocentrisme de Copernic. Et cela vient encore d’Oxford où travailla sir Eddington, où l’on rencontre un outsider comme Hoyle qui s’oppose depuis toujours à l’idée même d’une origine de l’univers. Mais cette nouvelle tentative pour éliminer le Big Bang vient alors que les données d’observation des satellites COBE et WMAP suivis aujourd’hui de PLANCK semblaient le confirmer sans défaillir depuis vingt ans. Certes, je peux comprendre qu’une singularité agace : tous les calculs s’affolent, on obtient des résultats infinis donc aberrants, on ne peut en tirer ni élégante architecture du monde ni technologie mais derrière cet agacement, on peut lire en filigrane un soubassement de la pensée occidentale depuis au moins Parménide. Le chantre du changement qu’était Héraclite, assez proche des notions taoïstes, n’a guère inspiré ni les philosophes ni les hommes de science alors qu’un Zénon d’Elée ratant à un poil philosophique près le calcul différentiel et intégral parce qu’il ne cherchait à démontrer que l’impossibilité du mouvement est encore enseigné dans nos écoles sans que son paradoxe émeuve plus que ça. Notons au passage que la Relativité Générale avec ses lignes d’univers déterministes comble ses vœux !

D’autres articles aux titres provocateurs (« A scientist takes on gravity » pour le New York Times ; « Newton s’est trompé, la gravitation n’existe pas et c’est une immense révolution ! » sur Agora Vox) font état des travaux d’Eric Verlinde de l’université d’Amsterdam. Ils reprennent l’essentiel de son article paru sur arXiv, le site le plus professionnel de la physique sur la Toile sous le titre On the origin of gravity and the laws of Newton[2] . Verlinde revisite toute l’histoire de la gravitation de Newton à Einstein et les conséquences de ces lois du point de vue d’une collection de particules quelconques. Cette relecture l’amène à remettre en cause la gravitation en tant que force fondamentale, ce qui n’est pas rien. Sa conclusion laisse rêveur : « Les résultats de cet article suggèrent que la gravitation surgit comme une force entropique, une fois que l’espace et le temps eux-mêmes aient émergé. Si la gravitation et l’espace temps peuvent être expliqués comme un phénomène émergent, cela entraîne d’importantes implications dans plusieurs domaines où la gravitation joue un rôle central. Il serait spécialement intéressant d’examiner les conséquences en cosmologie. » Il souligne que d’autres auteurs ont proposé une origine entropique et thermodynamique de la gravitation mais que son apport propre consiste à poser ce problème dans les conditions d’émergence de l’espace. Nous voici encore aux origines de l’univers. « Nous avons identifié, écrit Verlinde, une cause, un mécanisme pour la gravitation. Elle découle de différences dans l’entropie, quelle que soit la façon de la définir, et est une conséquence de la dynamique moyenne statistique aléatoire au niveau microscopique. La raison pour laquelle la gravitation doit suivre la trace des énergies ainsi que les différences d’entropie est désormais clair. Elle le doit car c’est ce qui cause le mouvement ! »

Si l’origine de l’univers est encore au delà de nos possibilités de vérification expérimentale – encore que l’on puisse se demander jusqu’à quand, entre les données des satellites dédiés à l’observation des premières traces du Big Bang et le nouvel accélérateur de particules du CERN – il n’en va pas de même des trous noirs. Verlinde reprend ainsi les travaux de Hawking et Bekenstein et sans doute mes lecteurs ne hurleront pas d’enthousiasme en lisant que l’entropie d’un trou noir peut dépasser la limite de Bekenstein. Peut-être, avec de vagues réminiscences des travaux de Karl Pribram et de David Bohm, seront-ils plus sensibles à cette dernière assertion : « Ce que Newton ne savait pas, et sans doute Hooke non plus, c’est que l’univers est holographique. L’holographie est aussi une hypothèse, certes, et peut sembler aussi absurde que l’action à distance. Un des points essentiels de cet article, c’est que l’hypothèse holographique offre un mécanisme naturel pour l’émergence de la gravitation. »

L’article de Bernard Dugué sur Agora Vox, « Newton s’est trompé, la gravitation n’existe pas et c’est une immense révolution ! » donne des travaux de Verlinde un résumé qui se veut compréhensible par un élève de terminale, simplicité trompeuse. Après avoir rappelé que « la fameuse formule de l’entropie du trou noir, désignée comme formule de Bekenstein-Hawking, présente l’incroyable particularité d’inclure G, c et h, c’est-à-dire trois des constances les plus fondamentales de la physique, la première étant celle de Newton, auquel on ajoute la vitesse de la lumière et le quantum d’énergie », il reprend pas à pas les publications qui ont mené Verlinde à l’hypothèse holographique. L’étape décisive est celle de Ted Jacobson en 1995, le premier[3] à proposer le principe holographique comme explication des trous noirs, principe tel que « l’information « engloutie » par le trou noir serait restituée sur ses bords ». Verlinde pousse à l’extrême les conséquences de ces travaux mais, selon Dugué, « il reconnaît néanmoins que son analyse est vague, péchant par déficiences théoriques et qu’il faut persévérer dans l’aventure dont le terme final sera d’établir que la gravitation n’est pas une force particulière mais une force entropique découlant des variations d’informations liées aux déplacements des objets et à leur localisation ». Dans cette dernière phrase, il faut remplacer particulière par fondamentale et je crains que le vulgarisateur ne se soit laissé abuser par l’humour d’Eric Verlinde qui pratique une forme d’autodérision pour désarmer les contradicteurs. Il n’y a rien de vague dans les équations que l’on peut lire dans on article !

Apparemment, le pont-aux-ânes de la physique qu’est l’existence de quatre forces ou interactions fondamentales que l’on cherche à unifier depuis des décennies n’a pas frappé Bernard Dugué. Rappelons qu’il s’agit de la force forte qui soude les noyaux des atomes, de la force faible, de la force électromagnétique et de la gravitation. Déjà, les trois premières ont été unifiées et l’histoire de leur émergence bien décrite. Reste la gravitation qui nargue son monde depuis plus de trente ans. En faire une conséquence de variations locales de l’entropie rejoint la conclusion à laquelle parviennent les frères Bogdanov par un autre biais : notre univers n’est pas né de rien comme le voulait la première approche du Big Bang, il jaillit d’un ailleurs que l’on peut concevoir comme un océan d’information. Or rappelons que l’entropie ne mesure pas, comme on le lit encore un peu partout, le désordre d’un système, c’est plus mystérieux que cela car le désordre dépend du point de vue et de l’échelle de l’observation, mais aussi que l’information est l’autre nom de la néguentropie.

(à suivre)



[1] Quasi ponctuelle car rien n’est descriptible en deçà du temps de Planck, pas plus l’étendue de l’univers que toute autre caractéristique.

[3] Si l’on oublie Pribram et Bohm dans les années 70, mais ces derniers n’ont pas travaillé sur les trous noirs.

1 comment:

LVMHa said...

Geneviève,
J'ai découvert la "Cinquième Force" :l'Ennui. Elle est peut-être même la première.Comme le disait Einstein, l'éternité c'est long..surtout vers la fin.
Cordialement
Philippe