Le plus intéressant de Lyall
Watson, c’est l’hypothèse d’une mémoire partagée qui transcende les espèces et
pourrait remonter aux origines de la vie si ce n’est de l’univers. C’est une
notion très proche de celle des annales
akashiques dont parlent les Théosophes mais au lieu d’en tirer une sagesse
abstraite, il y voit plutôt la source d’une libération possible par rapport à
la tyrannie des gènes. J’avais remarqué dans un article paru l’an dernier dans Liber Mirabilis[1]
l’étrangeté des mythes mayas et de ceux d’autres peuples amérindiens pour qui
la pérennité des astres et la régularité de leur course ne sont pas
assurées : Ce sont les hommes qui,
par leurs rites et sacrifices, par le don de leur sang, leur permettent de
maintenir leur énergie et assurent la tranquillité de l'univers. En dehors de
cette aire culturelle, tant en Eurasie qu'en Afrique, si la Terre peut connaître des
phases de chaos et de destruction, le ciel offre la certitude de la perfection
et l'image même de l'ordre. Quel traumatisme avait-il pu inscrire ainsi dans
l'inconscient collectif des Mayas, Olmèques, Toltèques et autres la notion
d'une fragilité cosmique ? Si nous regardons une carte, nous voyons que les
Mayas occupent une partie de l'isthme reliant l'Amérique du Sud à celle du Nord
: la presqu'île du Yucatan et les Chiapas au Mexique, le Guatemala, Belize et
les zones frontalières du Salvador et du Honduras. Que l'on accepte la datation
basse qui fait peupler le continent américain vers 20000 BP, pendant la dernière
glaciation permettant de passer à pied sec le détroit de Behring ou les
hypothèses plus récentes qui remontent cette arrivée à 40 voire 60 000 ans BP,
on ne voit pas très bien ce qui aurait pu causer un tel trauma.
Du moins ne voit-on pas la source de ce traumatisme dans la fourchette
de dates correspondant à la civilisation maya (de -1600 à environ 700) ni même
si l’on considère le peuplement par des tribus plus ou moins nomades
contemporaines de notre magdalénien. Il faudrait remonter à plus de 65 millions
d'années, lorsqu'une météorite pour ne pas dire un petit astéroïde a percuté la Terre sur l'actuelle
presqu'île du Yucatan, très précisément sur le site de Chicxulub près du
village de ce nom. Un caillou de 10
km de diamètre, lancé à près de 20 km/s, cela fait du
dégât et si l'angle d'impact n'avait pas été aussi rasant (entre 20 et 30°),
nul ne sait si la Terre
aurait gardé sa cohésion. Un cratère de 180 km de diamètre, c'est déjà une belle
cicatrice ! Un tel cataclysme, s'il s'était produit aux temps historiques, en
présence des hommes, expliquerait largement que, pour la culture concernée, le
ciel soit le lieu de tous les périls et que le soleil risque de s'éteindre,
voilé par une nuit sans fin prévisible. Mais comment expliquer qu'un traumatisme
n'ayant touché que des espèces animales dont aucune, semble-t-il, ne fait
partie des ancêtres de l'homme influe sur l'inconscient collectif de ces
tard-venus dans la région ? Y a-t-il une mémoire des pierres capable d'inscrire
en l'homme des peurs et des obsessions ?
A cette question que je posais
dans l’article sans apporter de réponse, l’hypothèse d’une mémoire transpersonnelle
et universellement partagée donne une solution élégante.
Il faudrait alors s’interroger sur le rapport qu’elle entretient avec le
temps. J’ai rendu compte ici, il y a quelques mois, du dernier livre de
Bertrand Meheust[2], Les miracles de l’esprit : Qu’est-ce que les voyants peuvent nous
apprendre ? dans lequel il définissait la voyance comme « un état
limite de la mémoire ». S’il s’agit de cette mémoire transpersonnelle dont
Watson pose l’hypothèse, et l’on ne voit pas bien de quelle autre il serait
question, il faut alors admettre qu’elle échappe à l’espace-temps, qu’elle
surplombe la succession des trois déesses indoeuropéennes du déroulement de la
vie, Parques ou Moires. D’un point de vue physique, on aurait alors la
tentation de l’inscrire dans le vide quantique, cet état où nos repères et nos
équations s’effondrent et que nos mathématiques ne savent pas décrire. J’avais
alors rappelé que Mnémosyne, dans le panthéon grec et particulièrement
chez Homère connaît tout ce qui est, qui
fut et qui sera, dépassant largement le simple enregistrement de souvenirs
individuels. Je notais au passage que cette formule homérique qui unit passé,
présent et futur en une seule conscience surplombante sera exactement reprise
comme attribut divin dans la liturgie chrétienne. En d’autres termes, pour un
Grec de l’empire, nourri de culture hellénistique, ayant forcément lu Homère et
les grands tragiques, l’omniscience de Dieu est mémoire. Par ce rappel
d’Homère, Meheust ouvre des horizons que je qualifiais de vertigineux.
Parmi ceux-ci, on ne peut éluder le rapport de cette mémoire totale et
de la liberté, donc de l’imprévisibilité qui s’exprime dans et par le temps en
s’accommodant des divers déterminismes. Impossible de s’en sortir sans insister
sur les incertitudes d’Heisenberg et la signification de la fonction d’onde des
particules fondamentales. Vues de notre univers, ces incertitudes soulignent
les limites de notre science. Vue à travers cette mémoire, la fonction d’onde
décrit le passage de l’état indescriptible que nous appelons assez
maladroitement un vide à l’état
localisé, descriptible. Les physiciens qui l’ont découverte à leur cœur défendant
et comme à reculons étaient pour la plupart horrifiés de son caractère
statistique et du manquement au déterminisme que cela représentait. Que l’univers
ait du jeu dès l’origine les accablait. Jusqu’à ce que l’intrication quantique
qu’on appelait alors le paradoxe d’Einstein-Podolsky-Rosen soit démontrée
expérimentalement par l’expérience d’Alain Aspect à Orsay en 1982[3], certains
espéraient encore que des variables cachées resserreraient les boulons du
cosmos. Mais si nous renversons la perspective, la liberté permise à la
particule émergente par le processus qui la localise partiellement n’est pas
absolue. La fonction d’onde peut aussi se lire comme la naissance ou le germe d’un
déterminisme qui croît avec les grands nombres.
(à suivre)
No comments:
Post a Comment