Friday, March 02, 2012

Quelques réflexions



Mon travail m’oblige à entendre de très nombreux répondeurs téléphoniques. Depuis deux ou trois ans, je constate une mode de plus en plus prégnante : faire enregistrer le message, en tout ou en partie, par ses enfants. Tout se passe comme si la famille, valeur décriée par tous nos médias, se réaffirmait avec toute la force de l’inconscient à travers ce message d’absence.


En continuant la lecture de Lyall Watson, je suis frappée de la manière dont la biologie, poussée dans ses derniers retranchements pour devenir explicative des phénomènes de la vie, ouvre sur un dualisme à tous les niveaux. Polarisation/dépolarisation des neurones, dualité des hémisphères cérébraux, mais déjà dualité symbiotique des composants de la cellule, l’ensemble de toutes ces divisions débouche sur le vieux dualisme corps/esprit mais revisité à l’échelle de la planète si ce n’est de l’univers. Ce qu’il nomme le contingent, jouant sur l’étymologie latine cum-tingens (ce qui touche ou tient à tout) avec l’ambiguïté du sens philosophique qui l’oppose à l’absolu, a tous les attributs du monde des Idées platoniciennes, un monde où se créent les modèles et les formes par lesquels s’enracinent la vie, l’intelligence, la culture, monde sans lequel l’homme ne pourrait émerger. Mais ce dualisme le plus profond, celui qui oppose l’égoïsme du gène au contingent platonicien et s’exprime au travers des archétypes et des mythes, crée aussi en l’homme un conflit schizophrénique fondamental. Nous sommes là quelque part entre la gnose et la définition augustinienne du péché originel, concupiscence comprise puisque le gène n’a d’autre visée que sa reproduction. On peut alors s’interroger sur les entrelacs intellectuels, les embrassements inconscients de la théorisation scientifique et de l’éducation religieuse des pays anglo-saxons, visibles même chez un homme dont la curiosité philosophique s’est ouverte beaucoup plus largement. La synthèse qu’il opère entre Darwin, Jung et Platon exige Augustin comme catalyseur. 

Ce constat m’effraie. Il suggère que l’avance prise au XIXe siècle par le monde « occidental » et particulièrement les pays à forte présence calviniste dans les domaines scientifiques et technologiques, l’orientation idéologique donnée à la recherche, ne sont pas une simple fluctuation dans l’histoire des civilisations comme je le pensais jusqu’ici mais la résultante d’un choix inconscient dans l’arborescence des possibles. 

Nous avons l’habitude de considérer la science, notre science mathématisée qui ramène tous les phénomènes à des équations dans un espace abstrait, comme l’unique voie heuristique de connaissance de l’univers. En fait, il s’agit surtout d’un buisson de savoirs dont chaque embranchement anéantit d’autres possibles, d’autres découpages du réel. En étudiant le I Jing, j’avais déjà remarqué que la divergence de la science chinoise et de la nôtre se situait à un niveau extrêmement fondamental, celui où l’espace et le temps se différencient. Nous traitons le temps comme une dimension spatialisée. Le I Jing ramène l’espace à un mode du temps – un temps discontinu, en quelque sorte quantique. Nous pouvons dater ce choix dans notre propre parcours : c’est celui des Eléates qui ont donné primauté à Parménide contre Héraclite. J’ignore si la Chine a connu et rejeté une vision parménidienne.

On ne peut nier la fantastique fécondité de cet élagage des possibles. Pourtant me trotte en arrière-fond la phrase de l’Evangile : « A quoi sert à l’homme de gagner le monde s’il vient à perdre son âme ? »


Le monde est plein d’énigmes comme le notait Charles Fort, de coquecigrues en maraude auxquelles on trouve à grand effort des explications triviales mais capillotractées. Des sons rugissent au fond des océans et dans les villes, comme une respiration de géants ; des trous circulaires s’ouvrent dans le sol sans prévenir, sans le moindre séisme précurseur ; on voit passer dans le ciel des structures grandes comme un terrain de football et que nul n’a fabriquées ; des entités s’invitaient autrefois sur les photos argentiques mais semblent fuir les numériques, laissant place à des effets lumineux qui permettent tous les scepticismes, à commencer par le mien. Mais ces émergences du merveilleux se font dans les interstices, entre les branches solidifiées de la science, ce qui fait que nul ne les étudie sinon quelques poignées d’amateurs qui oscillent entre mythe et raison. Mais imaginons que la science ait poussé autrement, qu’elle n’ait pas tout calé sur les ressorts et les boules de billard, le mouvement des mobiles et la trajectoire des boulets. Il y suffirait de peu : des fenêtres sensorielles légèrement décalées par rapport aux nôtres comme il en existe déjà dans le monde animal. D’où vient que les chiens réagissent à la présence d’entités invisibles pour nous, comme certains fantômes ou certains OVNI ? Comment les perçoivent-ils ? Une forme, un mouvement, une odeur, un vide ? Un spécialiste de chimie physique s’est-il déjà demandé pourquoi tous les contes celtiques prétendent que les êtres de Faërie ne supportent pas le contact de l’argent ? Résoudre cette question permettrait peut-être de statuer sur la nature des êtres du folklore au lieu de se baser sur des présupposés philosophiques pour en accepter ou nier l’existence indépendante de notre propre esprit.
(à suivre)

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