Ce soir, des
larmes intérieures coulent ; elles ne sont pas miennes mais celles de mon
peuple. Et je ne m’en tirerai pas par le cynisme de façade de l’analyste
géopolitique ; il y a des moments où l’émotion a sa propre force, sa
propre nécessité dans le Grand Jeu. Les jihadistes auront au moins obtenu cela,
qu’ils ne cherchaient ni ne voulaient : qu’un peuple aussi divisé, aussi
fragmenté que le nôtre se ressoude immédiatement devant l’attaque. La mort
d’Hervé Gourdel fait lever des essaims de colère du plus lourd de la tristesse
et nous veillons tous un frère. Presque un frère d’armes.
Il y a quand
même des choses qui ne collent pas dans toute cette histoire. Le message
adressé par le Daech appelant à tuer les « sales et méchants Français » :
un vocabulaire enfantin que n’emploierait même pas un logiciel de traduction
automatique. Je ne suis même pas sûre qu’on l’entende encore dans les cours de
récréation passée l’école maternelle. Un effet voulu de la part de celui qui
leur a livré la version francophone de leur appel ? Puis cet ultimatum du
Jund al-Khilafah, qui n’avait aucune chance d’aboutir, surtout en 24 heures. Le
vrai destinataire n’était donc pas le gouvernement français mais plus
probablement les chefs du Daech dont ce groupe africain imite les actions
récentes.
Une interview
d’un « expert en questions sécuritaires et lutte antiterroriste »
algérien, comme le présente le chapeau de l’article, commence de circuler sur
Internet. Le texte est publié sur le site Agence
Info libre, titre qui suggère une rupture obligée avec l’orchestration des médias
de la « grande » presse mais qui se prête évidemment à toutes les
infiltrations ; en l’occurrence, il est repris d’un autre site tout aussi
peu officiel, celui d’Algérie 360. Pour résumer, cet Ali Zaoui accuse
les services français d’avoir « monté de toute pièce » cet
enlèvement, d’avoir donc délibérément sacrifié un agent pour « resserrer
l’étau sur l’Algérie et lui forcer la main pour entrer dans ces conflits,
surtout après la création de la coalition pour lutter contre l’Etat islamique ».
Il ajoute : « La France ainsi que d’autres pays ont besoin de cette
force pour les aider à combattre le terrorisme qu’ils ont même soutenu et
financé. Alors que l’un des principes indéfectibles du pays est celui de ne jamais
s’ingérer dans les affaires internes des pays et encore loin de sortir son
armée hors de ses frontières. » Pour lui, Hervé Gourdel était un agent en
mission. Nos services sont aussi capables que d’autres de monter des opérations
en fausse bannière mais sacrifier délibérément un homme dans de telles
conditions est contraire à toutes nos traditions de combat. On demande certes
de prendre des risques, mais avec au moins une chance d’en revenir. La
conclusion, ici, est facile. Soit Ali Zaoui fantasme à partir d’indices qu’on
pourrait interpréter autrement, sans exclure que ce soit une intox délibérée, soit les nullités qui nous « gouvernent[1] »
ont même réussi à pourrir à cœur nos armes. A ce point, j’ai de gros doutes.
Il reste que les
événements de ces dernières semaines, la montée en puissance du Daech ou Etat
Islamique en Irak et au Levant, les retournements d’alliance qui s’en suivent,
le retour des bombardiers américains en Mésopotamie laissent un sentiment
d’absurdité totale. La politique américaine menée depuis la première guerre
d’Afghanistan, celle qui opposait aux Russes des guerriers de l’islam venus
d’Arabie et encore plus étrangers aux montagnes de ce pays, se répète
inlassablement : armer et instrumenter des fondamentalistes qui haïssent
le mode de vie et de pensée des Etats-Unis, qui à la première occasion se
retournent contre leurs commanditaires et servent alors de casus belli pour une stratégie du chaos destinée à faire d’une
pierre deux coups, contrôler le marché du pétrole afin d’en priver la Chine et
empêcher la zone culturelle dominée par l’islam de parvenir au développement
économique et scientifique dont les pays du BRIC donnent l’exemple.
Des larmes
intérieures coulent, qui ne sont pas miennes mais celles de mon peuple. Elles
coulent aussi pour les peuples dont une poignée de stratèges cyniques[2] a
décidé que leur destin serait de sang, de sable et de feu. L’Orient était
compliqué, comme disait quelqu’un. Il est devenu chaotique. Ce n’est pas la
même chose.
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