Monday, September 01, 2014

Quatre âges


Poursuivons l’exploration des 4 âges traditionnels. Certains de mes amis guénoniens hurleront peut-être en me voyant confronter les enseignements du maître et ceux de la science, trouvant ma démarche vaine ou, pire, sacrilège mais je n’ai jamais pu me satisfaire de l’argument d’autorité et je ne vois pas ce qui en donnerait plus à Guénon qu’à saint Grégoire de Nysse par exemple. Et je sais par ailleurs des orthodoxes rigoureux qui tordront le nez à me voir citer Hésiode, les Upanishad ou maître René, encore que les 4 âges soient bibliques et figurent au Livre de Daniel. Quant à mes amis scientifiques, ils vont considérer comme incompréhensible lubie l’importance que j’accorde à la tradition, primordiale ou seulement védantiste. Au risque d’avoir tout le monde à dos, il me semble important de continuer pourtant la confrontation des deux ordres de données. L’exercice cette fois sera plus périlleux puisque le point de départ viendra des chronologies scientifiques, difficiles à établir et parfois remises en question selon les nouvelles découvertes.
Si nous lisons correctement la théorie des 4 âges, la phase de transition qui marque le passage d’un Kali yuga à un nouveau Krita yuga se fait par la dissolution des formes manifestées auparavant. On pourrait donc la situer au niveau des grandes ou petites extinctions repérables. D’autre part, si l’on en croit Guénon, chaque manvantara doit permettre le déploiement de toute la diversité de la manifestation possible ; personne n’a noté, semble-t-il, que ce déploiement est parfaitement compatible avec une forme d’évolution des espèces. On peut la considérer comme un éloignement des principes spirituels en œuvre, comme une descente de plus en plus accentuée dans la matière, mais il serait stupide de nier que cette matérialisation puisse être buissonnante et se traduire par la complexification de l’écosystème telle que nous l’observons entre deux extinctions.

La Terre s’est solidifiée vers 4,6 GA1 (1 GA = 1 giga année, soit 1 milliard d’années) ; la Lune est éjectée vers 4,5 GA ; vers 4,1 GA a lieu le grand bombardement tardif qui clôt la genèse planétaire. La vie, selon les découvertes actuelles, commence vers 3,9 GA et la première crise qui se traduit par une extinction massive a lieu vers 3,5 GA, lorsque l’oxygène rejetée par le vivant remplace le CO2 dans l’atmosphère terrestre. Cette crise débouche sur une glaciation et une lente maturation de la planète elle-même, l’apparition d’un premier continent vers 2,5 GA. Dès lors, la vie ne cessera pas de se complexifier, jusqu’à ce que nous rencontrions une nouvelle crise d’extinction vers 630 MA (MA = million d’années) lors de la fin du Précambrien et un réveil vers 580 MA, au début de l’ère primaire. Deux nouvelles extinctions massives vers 440 MA à 435 MA (Ordovicien/Silurien), puis une autre vers 365 MA (fin du Dévonien) s’opère en 7MA ; enfin, vers 250 MA, mais qui dure environ 20 MA, une des plus fortes puisque 95 % des espèces existantes disparaissent lors de la transition Permien/Trias. Puis nous rencontrons encore une extinction vers 203 MA, sur 17 MA. Les dinosaures, eux, s’éteignent vers 65 MA lors du passage Jurassique/Crétacé. Enfin, la quasi disparition de l’humanité lors de l’explosion du supervolcan Toba vers 73'000 ans BP. On a aussi quelques extinctions partielles, l’une vers 225 MA qui voit disparaître les reptiles mammaliens au profit des dinosaures et vers 195 MA, l'extinction du Trias-Jurassique qui tua 20 % des espèces marines, la plupart des diapsides et les derniers des grands amphibiens.

Outre ces crises dont nous essaierons de préciser la périodicité, nous connaissons un certain nombre de cycles d’une assez forte régularité, dont la variation de la trajectoire de la Terre autour du Soleil : cycles de Milankovitch de 125'000 ans qui semble régir les glaciations, précession des équinoxes (21 000 ans ou plutôt 19 000 et 23 0002), obliquité de l'axe de rotation de la Terre (41 000 ans), variation de l'excentricité de l'orbite elliptique terrestre (90 000 ans et 413 000 ans). A cela s'ajoutent les cycles solaires à court ou long terme : cycle de Schwabe de 11 ans, cycles de Gleissberg (90 ans) et de Suess (200 ans), ainsi que celui de 1500 ans. Rien n’interdit que des cycles plus longs agissent sur notre planète.

Les extinctions n’ont sans doute pas une cause unique mais on repère quasiment à chaque fois la chute d’un corps cosmique de bonne taille, petit astéroïde ou débris de comète, accompagné ou suivi d’événements volcaniques de grande ampleur et, parfois, d’épidémie ou de radiations ionisantes. Après la série cataclysmique et la disparition des espèces antérieures, la vie repart dans une nouvelle direction. Ces faits que l’on peut lire dans les traces fossiles et les strates géologiques s’accordent parfaitement avec la théorie des mahâyugas successifs, même s’il semble difficile de repérer à l’intérieur une division en 4 âges. 

Le premier cycle concerne la naissance de la Terre ou, plus exactement, du système Terre-Lune. Selon qu’on l’arrête à l’éjection de la matière lunaire ou lorsque commence le grand bombardement tardif, on obtient une durée de 0,1 ou 0,5 GA, soit 1 ou 5 MA. Ce bombardement lui-même, durant lequel notre planète s’enrichit de métaux lourds et solidifie sa croûte malgré les volcans omniprésents qui ne cessent de recycler sa matière, m’évoque à tort ou à raison le temps de latence entre deux manvantaras, le Sandhi Kala d'une durée de 1'728'000 années solaires durant lequel la terre entière serait submergée par l'eau. En effet, entre le début du bombardement vers 4,1 GA et l’apparition de la vie vers 3,9 GA, il se passe environ 2MA, ce qui serait du même ordre de grandeur que les 1,7 MA de la tradition védique. Ce fait indéniable pose quelques questions. Comment les rédacteurs des hymnes védiques et des Upanishad ont-ils pu tomber aussi juste ? Comme les auteurs du Poème biblique de la création ont eu l’intuition fulgurante d’un monde de lumière bien antérieur à l’apparition des astres, comme les Mayas du Yucatan redoutant ce qui peut tomber du ciel alors que le cratère de Chicxulub, un monstre de 180 km de diamètre témoignant d’un impact avec un caillou de 10 km de diamètre, lancé à près de 20 km/s – si l'angle d'impact n'avait pas été aussi rasant (entre 20 et 30°), nul ne sait si la Terre aurait gardé sa cohésion – est daté de 65 MA, les brahmanes gardiens de la tradition de l’Inde semblent puiser à une mémoire qui dépasse l’homme.

La première phase de la vie, formée seulement d’unicellulaires semble-t-il, s’étend de 3,9 à 2,4 GA, soit sur 1,5 GA ; il s’agit d’une vie qui baigne à l’aise dans des océans presque bouillants, dont on évalue la température à 70°C. Nous connaissons au moins une étape interne de ce cycle, celle qui va préparer à la fois l’extinction de cette première vie et l’apparition des formes ultérieures. Vers 3,4 GA apparaissent les cyanobactéries qui « inventent » la photosynthèse et rejettent de l’oxygène dans l’océan. Il faudra qu’elle s’accumule durant un GA pour empoisonner les archéobactéries et finalement amener la première extinction. Vers 2,4 GA, avec l'épuisement du fer ferreux marin qui jusqu’ici absorbait ce déchet, selon Wikipedia, « le dioxygène O2 s'est alors répandu dans la mer et l'atmosphère, déclenchant une crise écologique en raison de sa toxicité pour les organismes anaérobies de l'époque qui le produisent. De plus, l'oxygène libre réagit avec le méthane atmosphérique, déclenchant ainsi la glaciation huronienne entre 2,4 milliards et 2,1 milliards d'années, probablement le plus long épisode boule de neige de la Terre. » Nous avons donc là encore un temps de latence de 2 à 3 MA. L’apparition des cyanobactéries se place environ au tiers de la période globale. Or si nous reprenons les proportions que donnait Hadès, où les âges se distribuent comme 40, 30, 20, 10 par rapport à un total de 100, les 40 pour 100 que représentent l’âge d’or dépassent de peu le tiers de l’ensemble (100/3 = 33,3333….) Encore une coïncidence étonnante.

A la fin de la glaciation, il reste des cyanobactéries et la concentration en oxygène de l’air augmente rapidement pour atteindre vers 2,1 GA un seuil de 4 % qui voit l'émergence de la vie multicellulaire aérobie. De plus, selon Wikipedia, « cet oxygène libre est à l'origine de la formation de la couche d'ozone qui a pour effet d'absorber la plus grande partie du rayonnement solaire ultraviolet, autorisant l'accroissement de la biodiversité. » Nous entrons donc dans un nouveau cycle de la vie, qui va durer jusque vers 500 MA et qui va voir la naissance des organismes pluricellulaires. Nous avons donc une durée comparable à celle du cycle précédent, environ 1,55 GA. Elle commence par les eucaryotes ou cellules possédant un noyau, puis viennent vers 1,2 GA les algues pluricellulaires, vers 750 MA les premiers animaux puis vers 550 MA une phase de diversification rapide, appelée l’explosion du Cambrien. Quatre périodes donc, la première de 900 MA, la deuxième de 450 MA, la troisième de 200 MA et la dernière de 50 MA. Les proportions ne sont pas celles des 4 âges mais on remarque l’accélération et l’explosion finale de la diversité des formes. Tout à la fin surgissent les premiers vertébrés, poissons et proto-amphibiens. 

On ne sait pas très bien ce qui a causé l’extinction massive de la fin du Cambrien mais la période suivante qui commence vers 488 MA, soit une courte latence de 12MA, voit la colonisation de la terre ferme par la vie, d’abord par les plantes suivies d’une phase d’extinction vers 440 MA à 435 MA, due peut-être à un sursaut gamma cosmique entraînant l’amincissement de la couche d’ozone et une nouvelle glaciation. Il est toutefois difficile de séparer cette phase des suivantes, malgré cet accident de parcours, car les phases ultérieures s’inscrivent dans la même thématique de « conquête » de la terre ferme. Nous aurions alors un cycle compris entre 488 MA et 252 MA environ, lorsque commence la grande extinction Permien/Trias, cycle d’une durée de 236 MA, ponctué de plusieurs étapes qui voient apparaître tour à tour les insectes, les amphibiens, les reptiles et, dans le végétal, les plantes à graines et les conifères. De plus, durant le Permien, les 8 continents issus de la dislocation de la Rodinia s’étaient réunis de nouveau en une seule masse, la Pangée. 

L’extinction Permien/Trias est marquée par la disparition de 95% des espèces marines et 70% des espèces terrestres, ce qui en fait la plus grande extinction massive ayant affecté la biosphère. Durant 5 MA, la chaleur régnant à la surface de la terre avoisinait 60°C à l’équateur et près de 40°C en mer. On s’aperçoit aussi d’une coïncidence temporelle avec la chute d’une météorite de 11 km de long à Bedout en Australie, où l’on retrouve un cratère de 170 km de diamètre, sans oublier celle de 45 km qui a creusé dans l’Antarctique un cratère de 480 km de diamètre, ainsi qu’avec l’explosion de supervolcans en Chine puis en Sibérie, dont les laves – ce qu’on appelle les trapps – couvrent des milliers de km2. Enfin, une équipe de chercheurs du MIT vient de découvrit le rôle qu’a pu jouer un simple microbe, le Méthanosarcina, une sorte de bactérie qui convertit le carbone marin en méthane, lequel serait responsable de l’augmentation drastique de l’effet de serre et de la température.

Pourtant, la vie repart à partir des 5% d’espèces marines et des 30% d’espèces terrestres qui forment le petit reste. Elle repart pour un nouveau cycle dominé par les reptiles, les mammifères ovipares (ils allaitent mais pondent des œufs ; il n’en reste qu’un représentant, l’ornitorynx) et les oiseaux, cycle qui voit aussi l’apparition des plantes à fleurs et s’achève par une nouvelle extinction massive vers 65 MA. Ce cycle des dinosaures commence vers 245 MA, soit une période de latence de 7 MA par rapport au début de la grande extinction. Il dure donc en tout 180 MA.

Vient alors le dernier cycle, celui des mammifères et de l’homme, encore en cours. Si les écologistes qui crient à la sixième extinction massive ont raison, mais j’ai des doutes car les chiffres avancés ne sont pas tous fiables, il aura duré dans les 65 MA. On voit donc également s’opérer entre les cycles de la planète et de la vie une forme d’accélération. Lorsque l’on construit la courbe globale depuis l’apparition de la première cellule, on s’aperçoit étrangement qu’elle prend sans hiatus la suite de l’histoire du cosmos depuis le Big Bang et, plus étonnant encore, que l’histoire des connaissances scientifiques de l’humanité (nous ne parlons pas ici du sacré, de l’art ou des relations sociales mais du seul buissonnement interculturel cumulatif) garde la même forme, un faisceau d’ondes amorties que l’on peut lisser par une exponentielle très abrupte, presque une factorielle. Or la théorie des quatre âges peut aussi s’exprimer par une exponentielle. 

La tradition indienne parle de sept manvantaras, le dernier étant le nôtre, et les datent ainsi :
1. Svâyumbhuva Manvantara, 1973 à 1665 MA, soit une durée de 308 MA
2. Svârocisa M., 1665 à 1356 MA, soit 309 MA
3. Uttama M., 1356 à 1047 MA, soit 309 MA
4. Tâmasa M., 1047 à 738 MA, soit 309 MA
5. Raivata M., 738 à 429 MA, soit 309 MA
6. Câksusa M. 429 à 120 MA, soit 309 MA
7. Vaisvasvata M. 120 MA à nos jours.
Les dates ne correspondent pas à celles que nous avons dégagées des grandes extinctions mais le point de départ, vers 1,9 GA, est quasiment celui du début des eucaryotes après la crise de l’oxygène. De plus nous sommes loin des 309 MA dans l’actuel manvantara, donc loin de la fin de notre monde, même s’il faut envisager celle d’un mahâyuga.

1 Toutes les dates sont données BP, Before Present, le présent en question ayant été fixé arbitrairement en 1950. Quand on calcule en GA ou en MA, cela ne change pas grand chose.
2 C’est plus court que les 25920 ans de la Grande Année platonicienne, mais du même ordre de grandeur.

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