Note de lecture
Massimo Introvigne, Les Illuminés et le Prieuré de Sion, traduction Antoine Ofenbauer, Editions Xénia, Vevey, CH.
On ne présente plus Massimo Introvigne. Encore que… Tous les lecteurs de ce blog ne rôdent peut-être pas dans les cours de sociologie religieuse des universités. En deux mots, Introvigne est « le » sociologue italien spécialiste des religions émergentes et des croyances contemporaines, fondateur et dirigeant du CESNUR (Centro Studi sulle Nuove Religioni), groupe d’étude international qui compte les meilleurs spécialistes européens.
On ne compte plus les réfutations du Da Vinci Code. On en trouve par centaines, peut-être par milliers sur la Toile mais la plupart d’entre elles s’attachent à rectifier les erreurs historiques du romancier. L’ouvrage d’Introvigne a l’intérêt d’aborder la question par un autre angle, celui de sa préhistoire, des élaborations ésotéristes dans lesquelles Dan Brown a puisé sa thématique.
C’est une œuvre d’historien, documentée, solide, et qui se lit comme un polar. Je veux dire par là qu’avant de ranger ce livre sur les rayons de sa bibliothèque, du côté des ouvrages de référence, on risque de ne pas pouvoir le refermer avant la dernière ligne et de passer une nuit blanche comme avec le meilleur Maigret. On pénètre dans les coulisses de l’ésotérisme du XXe siècle. Si l’on n’y trouve ni secret dynastique sulfureux ni trésor caché, on y rencontre une galerie de personnages hors du commun qui vaut à elle seule le détour. Les mauvais romans de Brown s’oublient très vite devant la réalité.
Et comme pour un bon polar, je n’en dévoilerai pas les révélations.
J’ai particulièrement apprécié la distinction qu’opère Introvigne entre microcomplot, terme qui peut recouvrir tous les complots historiques réels, qu’ils aient eu ou non un impact sur leur temps, complot métaphysique dont le principal acteur sera Dieu, diable ou autres entités du monde invisible et qui échappe forcément à l’analyse scientifique[1], et enfin macrocomplot, complot mythique censé expliquer tous les aléas de l’histoire.
J’aurais cependant trois légères critiques.
La première vise le traducteur et porte sur un point de détail. Lorsque Introvigne précise que Henry Lincoln, l’auteur de L’Enigme sacrée, avait joué dans la série télévisée anglaise The Avengers, Ofenbauer traduit par Agent spécial, ce qui donne au lecteur français l’impression qu’il s’agit d’une série de seconde zone jamais diffusée hors du Royaume Uni. En fait, c’est la série culte Chapeau melon et bottes de cuir ! Une correction s’impose si l’ouvrage est réédité.
La seconde concerne l’explication de l’aisance de l’abbé Saunière par des trafics de messe. C’est l’hypothèse chérie du chercheur de trésor qui signe Pierre Jarnac après avoir été celle de Descadeillas. Je ne suis pas entièrement d’accord. L’un comme l’autre ont cherché à dégonfler le trafic de mythes et le montage à plusieurs voix qui s’est opéré autour de Rennes le Château. Ma propre contre-enquête, qui prenait encore les choses sous un autre angle et s’attachait surtout à démonter le montage lui-même, me laisse penser que la réalité est plus complexe. En particulier, Saunière n’a pas laissé dans le pays le souvenir d’un escroc mais celui d’un homme généreux qui offrait un louis d’or aux couples qu’il mariait pour qu’ils puissent au moins s’acheter deux écuelles et deux cuillers pour leur premier repas ensemble. Ce témoignage, je le tiens des enfants ou petits-enfants de ces couples, des ouvriers, des secrétaires, des paysans de la région qui n’ont rien à faire de l’ésotérisme. Vu le nombre de pièces distribuées et ses autres générosités, le trafic de messe ne peut pas tout expliquer. Cela ne signifie pas l’existence d’un trésor mirifique dans le sous-sol de la commune.
La troisième est encore un point de détail. Introvigne parle d’un manuscrit vendu aux Anglais prétendument par un neveu de l’abbé Saunière et, comme Saunière n’avait pas de neveu, il met en doute très logiquement toute l’affaire. Or il se trouve que j’ai rencontré le vendeur du dit manuscrit, un papier de famille sans intérêt dynastique quelconque mais, comme m’a dit en rigolant ce protagoniste : « Moi aussi, j’ai profité du trésor de l’abbé Saunière ! » J’appris ainsi que c’est le surnom donné dans toute la haute vallée de l’Aude à la manne touristique que représentent les gogos attirés par le montage de Plantard et qui sont prêts à payer cent fois son prix le moindre souvenir de famille… Bref, neveu de curé il y a bien. L’erreur ne porte que sur le nom. C’est un neveu de l’abbé… Boudet.
J’espère que ceux à qui ces noms ne disent rien seront assez alléchés, auront assez envie de comprendre de quoi l’on parle pour se précipiter sur l’ouvrage d’Introvigne.
Massimo Introvigne, Les Illuminés et le Prieuré de Sion, traduction Antoine Ofenbauer, Editions Xénia, Vevey, CH.
On ne présente plus Massimo Introvigne. Encore que… Tous les lecteurs de ce blog ne rôdent peut-être pas dans les cours de sociologie religieuse des universités. En deux mots, Introvigne est « le » sociologue italien spécialiste des religions émergentes et des croyances contemporaines, fondateur et dirigeant du CESNUR (Centro Studi sulle Nuove Religioni), groupe d’étude international qui compte les meilleurs spécialistes européens.
On ne compte plus les réfutations du Da Vinci Code. On en trouve par centaines, peut-être par milliers sur la Toile mais la plupart d’entre elles s’attachent à rectifier les erreurs historiques du romancier. L’ouvrage d’Introvigne a l’intérêt d’aborder la question par un autre angle, celui de sa préhistoire, des élaborations ésotéristes dans lesquelles Dan Brown a puisé sa thématique.
C’est une œuvre d’historien, documentée, solide, et qui se lit comme un polar. Je veux dire par là qu’avant de ranger ce livre sur les rayons de sa bibliothèque, du côté des ouvrages de référence, on risque de ne pas pouvoir le refermer avant la dernière ligne et de passer une nuit blanche comme avec le meilleur Maigret. On pénètre dans les coulisses de l’ésotérisme du XXe siècle. Si l’on n’y trouve ni secret dynastique sulfureux ni trésor caché, on y rencontre une galerie de personnages hors du commun qui vaut à elle seule le détour. Les mauvais romans de Brown s’oublient très vite devant la réalité.
Et comme pour un bon polar, je n’en dévoilerai pas les révélations.
J’ai particulièrement apprécié la distinction qu’opère Introvigne entre microcomplot, terme qui peut recouvrir tous les complots historiques réels, qu’ils aient eu ou non un impact sur leur temps, complot métaphysique dont le principal acteur sera Dieu, diable ou autres entités du monde invisible et qui échappe forcément à l’analyse scientifique[1], et enfin macrocomplot, complot mythique censé expliquer tous les aléas de l’histoire.
J’aurais cependant trois légères critiques.
La première vise le traducteur et porte sur un point de détail. Lorsque Introvigne précise que Henry Lincoln, l’auteur de L’Enigme sacrée, avait joué dans la série télévisée anglaise The Avengers, Ofenbauer traduit par Agent spécial, ce qui donne au lecteur français l’impression qu’il s’agit d’une série de seconde zone jamais diffusée hors du Royaume Uni. En fait, c’est la série culte Chapeau melon et bottes de cuir ! Une correction s’impose si l’ouvrage est réédité.
La seconde concerne l’explication de l’aisance de l’abbé Saunière par des trafics de messe. C’est l’hypothèse chérie du chercheur de trésor qui signe Pierre Jarnac après avoir été celle de Descadeillas. Je ne suis pas entièrement d’accord. L’un comme l’autre ont cherché à dégonfler le trafic de mythes et le montage à plusieurs voix qui s’est opéré autour de Rennes le Château. Ma propre contre-enquête, qui prenait encore les choses sous un autre angle et s’attachait surtout à démonter le montage lui-même, me laisse penser que la réalité est plus complexe. En particulier, Saunière n’a pas laissé dans le pays le souvenir d’un escroc mais celui d’un homme généreux qui offrait un louis d’or aux couples qu’il mariait pour qu’ils puissent au moins s’acheter deux écuelles et deux cuillers pour leur premier repas ensemble. Ce témoignage, je le tiens des enfants ou petits-enfants de ces couples, des ouvriers, des secrétaires, des paysans de la région qui n’ont rien à faire de l’ésotérisme. Vu le nombre de pièces distribuées et ses autres générosités, le trafic de messe ne peut pas tout expliquer. Cela ne signifie pas l’existence d’un trésor mirifique dans le sous-sol de la commune.
La troisième est encore un point de détail. Introvigne parle d’un manuscrit vendu aux Anglais prétendument par un neveu de l’abbé Saunière et, comme Saunière n’avait pas de neveu, il met en doute très logiquement toute l’affaire. Or il se trouve que j’ai rencontré le vendeur du dit manuscrit, un papier de famille sans intérêt dynastique quelconque mais, comme m’a dit en rigolant ce protagoniste : « Moi aussi, j’ai profité du trésor de l’abbé Saunière ! » J’appris ainsi que c’est le surnom donné dans toute la haute vallée de l’Aude à la manne touristique que représentent les gogos attirés par le montage de Plantard et qui sont prêts à payer cent fois son prix le moindre souvenir de famille… Bref, neveu de curé il y a bien. L’erreur ne porte que sur le nom. C’est un neveu de l’abbé… Boudet.
J’espère que ceux à qui ces noms ne disent rien seront assez alléchés, auront assez envie de comprendre de quoi l’on parle pour se précipiter sur l’ouvrage d’Introvigne.
[1] Ce qui n’est pas une preuve d’inexistence.
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