L’« invention »
de la famille par les oiseaux eut une autre conséquence que d’ouvrir la
possibilité de l’apprentissage, elle a libéré la vie du gaspillage naturel. Un arbre
jette au vent des centaines de milliers de graines dont seules quelques unes
vont pousser ; le frai du poisson, ce sont des centaines d’œufs lâchés par
la femelle qui dérivent au gré du courant, dont peut-être la moitié sera
fécondée ; le banc d’alevins qui en résulte a toutes chances d’être décimée
par les prédateurs et, bon an mal an, les populations restent à peu près
stables ; les pontes de tortues abandonnées dans le sable ne réunissent
plus qu’une ou deux centaines d’œufs mais, là encore, seuls deux ou trois
survivront jusqu’à l’âge adulte. La couvaison réduit largement le nombre
acceptable dans un nid, on aura par année quatre, cinq, au plus six ou sept oisillons
à nourrir et éduquer s’il est tressé dans les branches d’un arbre, un peu plus
dans les nids au sol. Chez les mammifères, les portées sont du même ordre chez
les animaux de petite taille et se réduisent à un ou deux lorsqu’elle augmente.
En d’autres termes, l’histoire de la vie n’est pas seulement celle d’une montée
vers la liberté mais aussi celle d’un respect de plus en plus marqué de
l’individu. Même chez les mammifères sociaux comme les loups, chaque membre de
la meute a sa personnalité propre et les relations ne se résument pas à
l’établissement des hiérarchies. Résumons en chiffres pour fixer les ordres de
grandeur. Il faut dans les 100 000 graines pour faire 1 arbre, environ
1000 œufs pour un poisson, 100 pour une tortue marine, tandis qu’à partir de
l’oiseau chaque individu conçu a une réelle espérance de vie. Le gaspillage
existe encore mais en interne : le nombre de spermatozoïdes qui perdent la
course à l’ovule dépasse celui des étoiles dans l’univers. On peut y voir à
quelle mesure chaque être vivant est précieux dans sa singularité.
Or que signifie
la procréation médicalement assistée qui suivrait évidemment l’ouverture du
mariage aux personnes de même sexe et que réclament à cor et à cris les
militantes de LGBT ? Soit une simple insémination que j’oserais appeler
vétérinaire puisque la technique est la même pour les vaches ou les juments
mais qui reste aléatoire car il faut viser le bref laps de temps pendant lequel
la femme est fécondable, soit plus souvent une fécondation in vitro avec implantation de l’ovule fécondé. La technique exige
que plusieurs ovules soient soumis à ce processus et qu’un tri soit effectué
parmi ceux qui ont réussi cette première étape. En d’autres termes, nous
retrouvons le gaspillage du vivant tel qu’il existe chez les tortues ou les
reptiles à sang froid. Progrès ou régression ?
Quant à la
gestation pour autrui, si le corps humain redevient une marchandise, cela
signifie simplement que nous revenons au temps de l’esclavage, un esclavage
d’autant plus odieux qu’il n’implique plus aucun devoir du maître puisque il
n’achète pas la reproductrice, il la loue comme une voiture ou un appartement.
Mais cela ne ferait que pousser un peu plus loin une tendance mercantile bien
lancée avec la recherche sur l’embryon, le trafic d’organes et les brevets pris
sur des morceaux du génome humain. Là encore, où est le progrès ? Vers
-1800, Hammourabi interdisait de séparer les familles d’esclaves et obligeait à
respecter les liens qui unissaient les parents et les enfants. Nous serions en
train de dégringoler en deçà du premier droit écrit connu, quelle
avancée !
Nous sommes à la
croisée des chemins. Science et technologie nous donnent un pouvoir sur la vie
dont n’auraient pas rêvé nos ancêtres mais en ce domaine comme en d’autres,
nous ne pouvons plus forger indépendamment la charrue et l’épée. Les
revendications sentimentales du mariage homosexuel et du droit à l’enfant
s’inscrivent dans la même démarche que le transhumanisme que j’ai déjà
largement commenté sur ce blog, une démarche facilitée par la désagrégation des
familles élargies. L’anomie sociale qui accompagne toujours l’urbanisation
comme on l’avait déjà observé à l’époque hellénistique à Alexandrie brise les
liens structurés de sang et d’alliance et les remplace par une sorte de
mouvement brownien des individus, des interactions provisoires ou
contractuelles. En d’autres termes, la société passe d’une structuration
organique, analogue à celle du vivant, à celle d’un gaz ou d’un liquide, d’une
collection de molécules. On ne peut s’empêcher de penser à la décomposition des
cellules vivantes mais s’agit-il de la mort ou de l’histolyse qui permet la
transformation de la chenille en papillon ? S’il est difficile de trancher
a priori, quelques constats doivent nous inciter à la plus grande prudence, ne
serait-ce que la prolifération des structures mafieuses dans ce monde de plus
en plus urbanisé. Là où les liens familiaux se diluent, où l’Etat s’affaisse,
les bandes fortement hiérarchisées et indifférentes à tout ce qui n’est pas
leur intérêt immédiat prennent le pouvoir, un pouvoir brutal que ne tempère
même plus l’idéologie.
(à suivre)
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