Wednesday, October 05, 2005

Baptême des nations

Voici un article déjà ancien, paru dans Présence Orthodoxe, mais que je crois important de ne pas laisser se perdre dans les limbes.


Le quinzième centenaire du baptême de Clovis, fêté quelque peu arbitrairement en cette année 1996, s’accompagne souvent dans le monde médiatique de ce commentaire : 496 fut l’année du baptême de la France. Nos doctes télévisarques oublient qu’en 496 la France n’existait pas encore, pas même en tant que Francia, puisque le terme n’apparaît qu’après les querelles des petits fils de Charlemagne, soit 400 ans plus tard. Mais passons sur ces inconséquences. Admettons volontiers que, Clovis étant suivi dans la piscine baptismale par 3000 de ses guerriers[1], il s’agisse en tout cas du baptême des Francs. L’événement nous incite à quelques réflexions sur l’un des mystères de la foi chrétienne, le baptême des nations.
Le commandement du Christ envoyant, lors de l’Ascension, les disciples prêcher aux nations se trouve en Luc 24,47, Marc 16,15 et Matthieu 28,19 en des termes assez différents pour qu’il ne soit pas inutile de revenir au texte grec. Celui de Matthieu est intraduisible littéralement, sauf à dire : “conduisant tous les peuples à être disciples, baptisez les au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit”. Mais l’emploi d’un temps intemporel, si j’ose l’expression, l’aoriste gnomique, pour les verbes signifiant “conduire” et “être disciple” suggère qu’il s’agit d’un processus non datable, qui couvre à la limite l’ensemble des temps. Le terme ethné désigne les peuples dans ce qu’ils ont de spécifique, qui les distingue tant d’un point de vue physique que d’un point de vue culturel. Marc va plus loin encore. Littéralement : “conduisant jusqu’en toutes les extrémités du cosmos, proclamez la bonne nouvelle à la création toute entière.” La traduction habituelle, “allez dans le monde entier”, ne rend pas la puissance de la phrase grecque. L’expression eis ton cosmon apanta signifie la pénétration jusqu’aux limites ultimes de l’espace, du temps et de la complexité[2]. Jusqu’au moindre atome, jusqu’aux quasars qui bornent l’expansion de l’univers. Là encore, Marc emploie l’aoriste intemporel, ce qui pouvait se comprendre jusqu’à nos jours comme une injonction perpétuelle, mais pose désormais, pour nous qui découvrons que le temps est complexe, fractal, de vertigineuses perspectives. Luc enfin constate que sera proclamée à tous les peuples sans exception la métanoia jusqu’à la libération des “fautes commises”. Je mets ce dernier terme entre guillemets car amartion contient l’idée de s’écarter et de manquer son but. Il s’agit donc d’abord de redresser des processus tordus afin d’en être quitte avec les conséquences des erreurs de trajectoire. Ces textes ont en grec une force et une précision que les traductions françaises, par souci d’élégance ou préjugé théologique, édulcorent le plus souvent. Ils se complètent plus qu’ils ne se recoupent, comme si chaque évangéliste avait compris et répercuté une partie du message.
Ainsi le “baptême des nations” s’inscrit dans une perspective eschatologique et sotériologique, dont l’enjeu n’est autre que la transfiguration de la création entière, au travers du redressement et de la déification des composantes de l’humanité. En d’autres termes, entre les personnes et la nature humaine prise dans sa globalité, le Christ nomme la diversité raciale et culturelle des peuples comme une réalité qu’il faut respecter dans son individualité, libérer de ses errements et baptiser. Toute édulcoration de ces textes rétrécit la vocation chrétienne. Ajoutons que la tâche ainsi proposée aux disciples ne saurait trouver son achèvement qu’à la fin des temps, qu’elle participe de ce mystère. De ce fait, il est difficile d’admettre que l’on puisse fixer une date et proclamer, par exemple, la Russie baptisée en 989 ou l’ethnie franque en 496.
Pourtant, ces repères correspondent à une étape clef du processus pour une “nation” précise. Il ne s’agit pas du premier baptême personnel d’un membre de cette “nation”. Si nous scrutons l’histoire des Francs, nous voyons que plusieurs familles, et non des moindres, étaient déjà chargées de responsabilités dans l’empire romain avant le règne de Clovis. C’est son père Childéric qui avait reçu, avec le statut de peuple fédéré, le soin d’assurer la défense de la Germanie seconde et de la Belgique seconde. Le responsable militaire de cette dernière province était alors un Franc, que nous savons déjà orthodoxe, puisqu’il s’agit de l’oncle ou du père de sainte Geneviève[3]. On comprend d’ailleurs son intimité avec le couple royal lorsque Clovis s’installe à Paris : c’est un jeune cousin éloigné qu’elle retrouve. On peut d’ailleurs penser qu’elle joint ses prières et ses efforts à ceux de Clotilde et de Rémi de Reims pour amener au Christ le fils de Childéric. Nous trouverions la même problématique en Irlande. Lorsque saint Patrick aborde l’île, il existe déjà une petite communauté chrétienne et au moins un évêque. Mais lorsque Vladimir de Kiev, Clovis roi des Francs ou les enfants de Loeghaire de Tara demandent le baptême, l’événement dépasse leur conversion personnelle. Le processus du baptême de leur ethnie s’enclenche.
Il est difficile pour nous de comprendre ce mystère, alors que tous les témoignages montrent que les contemporains l’ont ressenti et nommé. Notre siècle est désarmé face aux questions d’identité collective. La boucherie de 14-18 a décimé l’Europe au nom des “mères patries”, aussi saugrenue que paraisse cette expression : Gott mit uns et le charnier pour tous. Après ce massacre immonde, les clivages sont devenus idéologiques. En 39-45 et au delà, on s’est affronté pour des modèles de civilisation qui tous, du marxisme au fascisme en passant par le libéralisme, se voulaient universels. Même le pangermanisme nazi prétendait guider le monde entier en le hiérarchisant. A l’heure où j’écris ces lignes, nous ne sommes pas sortis de cette fascination de l’universel, et la meilleure preuve, outre l’expansion de l’islamisme qu’il ne faut pas confondre avec l’islam, en serait l’incompréhension totale des instances internationales devant les conflits en ex-Yougoslavie ou en Afrique. Les plus fines analyses se brisent devant cette incongruité : des peuples clament leur besoin de vivre en tant que peuple unifié, et ne se contentent pas de divisions administratives arbitraires dans un “ensemble régional” d’une économie mondiale. Ils ne leur suffit pas d’être hommes ! Ils se veulent tutsis, hutus, croates ou serbes ! Le mouvement islamiste semble redoutable à cause de son contenu idéologique, mais on le comprend parce qu’il tend à l’universalité. Les luttes “ethniques” apparaissent comme de vieilles lunes, des dinosaures psychiques, et plongent nos élites intellectuelles dans le désarroi. Il y a quelques années, lors d’un colloque de Politica Hermetica, Léon Poliakov lui-même tirait la sonnette d’alarme : au nom de l’anti-racisme, disait-il en substance, nous sommes en train de perdre le sens des identités légitimes et nous courons vers un terrorisme intellectuel et la pire des dictatures. Il appelait de manière pressante les participants à penser à la fois l’universel et l’identitaire, sous peine de catastrophe. Quelques mois plus tard, les premiers coups de feu éclataient en Bosnie.
Il faut rendre hommage à la lucidité de Poliakov. Nous ne pouvons espérer scruter la difficile question du baptême des ethné si notre pensée n’accepte pas l’antinomie qui la sous-tend. Mais nous nous heurtons aussi aux limites de la langue française, qui exprime plus aisément les essences que les dynamiques. L’antinomie qu’il s’agit de saisir ne concerne pas des réalités constituées qu’il suffirait de contempler comme les Idées platoniciennes. Elle oppose et unit deux tendances vers, deux processus pour lesquels je ne trouve aucun nom satisfaisant dans notre langue. Aussi je proposerai des néologismes tirés du grec, ousiation et enhypostasiation. Ousia, fort mal traduit par “substance”, représente en fait l’essence, la nature créée ou incréée dans ce qu’elle a de fondamentalement unifiant. L’ousia divine, c’est ce qui est commun aux trois personnes de la Trinité. L’ousia humaine n’a de sens que par rapport à l’humanité totale, par delà son déploiement dans l’espace, le temps et les individualités. Pour notre conscience incarnée, locale, elle n’est pas plus pénétrable et transparente que l’ousia divine. Personne ne saurait en donner une définition complète et précise, même si nous en participons tous, même si, comme dit l’apôtre Paul, “nous sommes tous morts en Adam et ressuscités en Christ”. Le fait d’être incarnés nous contraint à tenir compte de l’espace et du temps, où nous avons d’abord l’expérience immédiate de l’ousiation, elle-même antinomique, déploiement et récapitulation. De même que l’humanité, ou tout autre créature cosmique,au travers du temps, exprime et complète le déploiement de son ousia, une tendance antinomique conduit vers la différenciation absolue, l’enhypostasiation. Là encore, nous trouverions une antinomie interne puisque ce mouvement est à la fois identitaire et relationnel, et qu’il débouche, si l’on en croit l’enseignement du Christ à la Cène (Jean 16 et 17), sur l’intériorité réciproque des hypostases. Vertige. Mais ce qu’il faut saisir, c’est qu’ousiation et enhypostasiation traversent toute la création, au moins comme potentialités, et particulièrement l’homme créé “à l’image et à la ressemblance” de la sainte Trinité. L’ousia humanité récapitulée et régénérée en Christ, et les milliards d’hypostases humaines qui se révéleront en plénitude à la fin des temps forment les pôles extrêmes de ces dynamismes, mais on les retrouve quoi que l’on scrute, dans la formation d’un village ou d’un club sportif, comme dans les grandes civilisations. Or, si nous savons que chaque être humain est appelé à la révélation hypostatique, le dernier commandement du Christ semble bien signifier qu’il en va de même pour les ethné. Reste à comprendre ce que recouvre ce concept.
Sommer, dans son lexique, en donne pour traduction : “peuple, nation, race, espèce”. L’adjectif ethnikos décrit “ce qui est particulier à un peuple”. Mais un mot, sans doute parce qu’il exprime aussi l’enhypostasiation d’un langage, ne se comprend vraiment que confronté aux autres termes qui décrivent la même réalité. Ethnos s’opposerait ainsi à laos, le peuple en tant que multitude, et à genos, le peuple clanique, issu par engendrement et ramification familiale. Donc ni le rassemblement quantitatif d’individus recensables, auquel s’identifient les modernes états qui se qualifient fort justement de “laïcs”, ni la transmission génétique, réelle ou symbolique, ne suffisent à constituer un ethnos. Le sanglant étripage de 1914 au nom des “mères patries” n’aurait, de ce point de vue, concerné que des genoi. Il en va de même du racisme “zoologique” nazi, pour reprendre la critique acerbe de Julius Evola. Or genos et laos représentent deux visions contradictoires du peuple, les deux brisures de l’antinomie. Par le genos, on ne considère que l’ousiation, que l’on confond avec une simple hérédité. Le laos, à l’inverse, ne verrait que l’enhypostasiation et la confondrait avec la multiplication d’individus interchangeables. Si l’ethnos semble échapper à toute définition simple, c’est peut-être qu’il évoque le dynamisme antinomique d’ousiation et d’enhypostasiation à l’échelle d’une communauté culturelle. L’ousiation rassemble les membres de l’ethnos dans une réalité commune, tandis que l’enhypostasiation joue entre ethné, les distinguant radicalement au travers de leurs relations mêmes. En ce sens, chaque ethnos n’est vraiment saisissable que dans ses échanges avec les autres, qu’il s’agisse, selon la percutante analyse de Lévi-Strauss, de biens, de femmes, de paroles ou de horions[4].
Un autre concept familier aux cultures anciennes échappe à la nôtre, la perception juste de la fonction royale par rapport à l’ethnos. Pourtant, sans cette scrutation, nous ne pouvons pas saisir pourquoi la sainte Russie s’origine en Vladimir, pourquoi saint Patrick est l’apôtre de l’Irlande et non des Irlandais, ni l’importance du baptême de Clovis. La royauté sacrale des cultures traditionnelles est une fonction complexe, mais elle ne saurait se réduire à celle d’un actuel chef d’état, c’est à dire à l’administration et à la gestion des intérêts communs d’un laos. Ou de sa caste dirigeante. Il s’agit d’abord d’une fonction spirituelle récapitulative et redistributive. On pourrait oser l’image du jet d’eau au centre d’une fontaine : toute l’eau s’y engouffre pour rejaillir et retomber en gouttelettes. En ce sens, le Christ seul apparaît comme roi parfait, et même roi des rois, mais chaque peuple s’est, d’une manière ou d’une autre, donné dans ses rois l’icône opérative de la royauté du Christ. Lorsqu’un roi, ainsi perçu, demande le baptême et demeure roi reconnu par son peuple, cela signifie que l’ethnos s’est mystérieusement ouvert à son propre baptême. Si la démarche est purement personnelle, la déposition ou la guerre civile ne tardent pas à le manifester. C’est ainsi que la conversion de saint Olaf de Suède, alors que la majorité des rois vikings et du peuple scandinave restait attachée à l’odinisme, s’est achevée dans un bain de sang[5]. Si Eusèbe de Césarée a raison lorsqu’il parle de la conversion personnelle d’Agbar V d’Edesse dès les temps apostoliques, ses successeurs sont connus comme persécuteurs de l’Eglise et il faut attendre Agbar IX, au IIIe siècle, pour que l’ethnos d’Edesse accepte le baptême.
Il est des cas où le baptême de l’ethnos précède celui de son chef visible. L’empire romain en offre un bon exemple, encore que, comme tout empire, il ait regroupé de nombreux ethné différenciables. A l’intérieur de l’empire, les Gaules au sens large du terme ont suivi le même chemin du IIe au IIIe siècle. Mais on ne peut parler du baptême d’un ethnos gallo-romain : la réalité est plus complexe. La colonisation romaine avait unifié administrativement une sorte de millefeuille de peuples où coexistaient de multiples langues, coutumes, enracinements, et chacun a répondu à son rythme et à sa façon. Il en est d’autres où l’acquiescement profond s’exprime par le baptême du roi suivi d’une partie des élites. Dans tous les cas, le signe pourrait en être la fécondité de l’église locale, son aptitude à engendrer des saints qui se pressent “comme de jeunes plants d’olivier alentour de la table” (Ps.). Or, ce signe est patent, après le règne de Clovis, dans l’ethnos franc. Si de nombreux saints du VIe et du VIIe siècles portent des noms romains ou gallo-romains, il nous suffira d’évoquer les Gausbert, Aubert, Wandrille, Hildeman, Balda et autres Wulfran, Salaberga ou Goeric, aux consonances germaniques indéniables, pour nous convaincre que le rameau fut bien greffé au Cep. Mais le baptême des Francs pose un autre type de problèmes.
Lorsque les enfants de Loeghaire de Tara acceptent avec toute l’Irlande la prédication de saint Patrick, ils sont sur leur sol, libres et souverains. Il en va de même d’Edesse, de l’Ethiopie, de l’Arménie ou de la Russie. Les Francs de Clovis comme plus tard les Vikings de Rollon en Normandie sont des païens qui prennent le contrôle politique de peuples déjà fortement christianisés, chez qui le processus baptismal s’est enraciné. Cette situation, chaque fois qu’elle a lieu, apparaît comme un choc spirituel extrêmement puissant et transformateur. On pourrait évoquer aussi, à ce propos, les Serbes, les Bulgares, et même les Huns en Hongrie. L’inverse, la colonisation de peuples païens par un peuple chrétien, peut mener à des conversions personnelles, mais semble stérile sur le plan du baptême des nations. On y voit surtout pulluler des syncrétismes en lesquels se survivent les paganismes originels, surtout lorsque le conquérant a commis l’erreur de forcer les conversions massives. Ces constats empiriques valent pour les peuples païens transplantés de force. L’exemple du Brésil donne à penser. Il semble que la règle du jeu soit analogue avec les hérésies christologiques. Les peuples ariens entrés dans l’empire romain ont tous fini par accepter l’orthodoxie. Le processus qui s’engage en France depuis l’arrivée de la diaspora russe, bien que ralenti par les querelles de juridiction, évoque la conversion de l’Irlande et promet de porter fruit. Il reste cependant une énigme : le schéma se brise sur l’islam. Sous sa domination, les peuples baptisés demeurent, mais comme enkystés, incapables en apparence de jouer leur rôle de levain dans la pâte. Et parfois l’église locale meurt, comme en Afrique du nord, signe peut-être que le baptême de l’ethnos n’était qu’apparent. Quel sens spirituel donner à cette stérilité ?
Reprenons nos constats. Trois voies fécondes sont apparues, que nous pourrions nommer voie paulinienne, voie irlandaise, voie franque. La première est la mission d’un apôtre que Dieu envoie prophétiquement en terre étrangère et qui épouse l’ethnos qu’il aborde, qui “se fait juif avec les juifs, grec avec les grecs”. On pourrait rattacher à ce modèle saint Germain de l’Alaska. La seconde suppose un appel par l’ethnos lui-même. Le rêve que raconte saint Patrick dans sa Confession, dans lequel il voit un homme chargé de lettres de l’Irlande où il peut lire : “saint enfant, reviens vers nous et instruis nous du Christ”, serait révélateur à cet égard. Dans cette lignée, nous trouverions Frumentios en Ethiopie ou Grégoire l’Illuminateur en Arménie, ainsi que la mission de Cyrille et Méthode. Dans la troisième voie, un ethnos est poussé à conquérir un ou des peuples déjà baptisés et vient en somme à la rencontre de son apôtre. Mais dans ces trois schémas, la rencontre est libre, elle suppose l’abnégation de l’apôtre et l’acquiescement profond de l’ethnos. Alors la fécondité devient possible. Que manque l’abnégation ou l’acquiescement et rien ne se passe. Or, l’abnégation manquait aux conquérants chrétiens, que ce soit en Amérique du sud, en Inde, en Chine ou dans une partie de l’Afrique noire. Quant aux conquêtes de l’islam, elles s’originent dans un refus conscient du Christ par Mohammed, qui lui préféra une régression à la foi abrahamique et, in fine, une forme de mélange entre cette dernière, l’arianisme et le nestorianisme. Cette fois, c’est l’acquiescement qui manque.
Allons encore un peu plus loin. Abnégation du messager et acquiescement de qui reçoit le message : nous voici devant la dynamique de l’Annonciation. L’ange se courbe vers la terre et l’humanité, en Marie, répond l’Amen qui ouvre la porte scellée et permet l’incarnation du Verbe divin. Le baptême des nations commence par une Annonciation. Ou, si l’on préfère, l’Incarnation apparaît comme le baptême de l’humanité. Immense mystère où se devine la signification des temps, la récursivité du processus d’humanisation de Dieu et de déification de l’homme, à la fois récapitulé en Christ et déployé jusqu’aux plus extrêmes limites du cosmos. Devant cette sublime oeuvre divino-humaine, à la fois unique et fractale, l’accident de parcours que représente la chute et sa nécessaire guérison reprend sa place exacte, “un enfantillage” disaient les Pères, certes traumatique et générateur de souffrances terribles, mais sans portée ontologique réelle. Le baptême des nations, lui, s’inscrit d’abord dans le processus ontologique souligné par Matthieu et Marc et, par ricochet, à cause des contraintes locales dirions nous, dans celui de la guérison que décrit Luc.

Geneviève Béduneau.
[1]Hincmar, Vita Remigii, ed. crit. Monumenta Germaniae Historica, Scriptores Rerum Merovingicarum. Ce texte est tardif, puisqu’il date du VIIIe siècle, mais Hincmar déclare écrire “dans la tradition des évêques de Reims.”
[2]Cosmos, en grec, s’oppose sémantiquement à chaos : il s’agit de l’univers en tant que réalité structurée. Rien ne nous interdit de saisir le message évangélique avec la science de notre temps. Sinon, s’il n’avait de sens que dans le cadre culturel d’un monde judéo-hellénistique du premier siècle, où serait son universalité ? Encore faut-il disposer du message intégral, d’où l’importance de dépasser les traductions et de revenir au texte d’origine. Pour les cosmologistes de notre époque, l’univers est cosmos de par la structuration fractale de l’espace-temps, qui entraîne la complexité des émergences : particules, atomes, molécules, etc. Ou plutôt il se fonde sur une triade : dimensions, fractalité, résonance.
[3]Dom Dubois et M. Heinzelmann, Une vie latine de sainte Geneviève de Paris,
[4]Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques,
[5]Régis Boyer, La saga de saint Olaf, Payot, Paris, 1983, réed. 1992.
[6]Il n’y a pas de contradiction avec ce qui précède. Lorsque Eugraph Kovalevsky commence sa mission, la petite communauté de Mgr. Winnaert ne représente qu’elle-même, ou un germe fragile. La plupart des Français ou n’a jamais entendu parler de l’orthodoxie, ou s’en contrefiche. De nos jours, que ce soit parmi les fidèles de l’église romaine, dans les franges actives de la Réforme, ou dans la mouvance New Age, une demande forte s’exprime. Et je n’ai jamais autant rencontré de questionnement théologique de haut niveau chez ceux qui se disent “athées, Dieu merci”. C’est désormais l’Irlande avant Patrick. Or ceux que travaille cette soif se retrouvent devant de multiples juridictions qui leur jettent à la tête des problèmes ecclésiologiques auxquels ils ne comprennent rien. Les uns se disent de Paul et les autres d’Apollos ! Une telle situation est intenable à terme. Tout laisse à penser que, si cette demande des ethné locaux est assez puissante, Dieu répondra à sa manière, que je n’essaierai même pas d’anticiper.

No comments: