Les lumières scintillent à l’horizon comme une mer de lucioles sous le ciel nocturne et brusquement, cadeau inattendu, un feu d’artifice superbe s’élève d’un des parcs, moutonnement d’arbres sombres, assez proche pour entendre crépiter les fusées et recevoir au moins une fois l’onde de choc, assez lointain pour ne pas en respirer la poudre ; un second lui fait écho, lointain, comme une réjouissance pour lilliputiens. Boude qui voudra ce plaisir que nos rois ne jugeaient pas si vil puisqu’on en tira pour le mariage du Dauphin Louis et de Marie Antoinette. Les Chinois ont découvert avec ces ballets de lumière un usage de la poudre plus intéressant que propulser des boulets de canon. Tout de même, ces deux festivités le même soir m’étonnent et je me demande ce que l’on célèbre. Puis cela me revient, on avait annoncé ce matin sur France-infos « la première fête de la Pleine Lune », dernière trouvaille du maire de Paris. D’autres villes ont fort bien pu lui emboîter le pas. Elle est là, plein est, blanche lueur dans les nuages, tache arrondie entre des traînées d’ombre. Silence et beauté, soirée parfaite ou presque.
De retour à ma fenêtre, un troisième feu d’artifice m’accueille, lointain lui aussi. Il suffit sans doute que ce soit un samedi soir pour que la fête éclate en fleurs de lumière éphémères mais cette histoire de Pleine Lune me trotte en tête. J’en avais écouté l’annonce avec un brin d’incrédulité. J’ai complété par réflexe : Pleine Lune de Wesak, mais la fête majeure du new age, instituée par Alice Bailey à partir de je ne sais plus quelle tradition exhumée et réinterprétée, se situe au printemps puisque c’est la Pleine Lune du Taureau. J’ai oublié si la Bonne Volonté Mondiale saluait ou non toutes les lunaisons en insistant sur Wesak. L’autre écho qui me vient en mémoire, c’est un passage d’Isaïe dans lequel Dieu tonne contre les fêtes lunaires, mais vérification faite, il s’agit des Nouvelles Lunes et d’opposer la sincérité du cœur aux préceptes rituels d’Israël. Une troisième pensée me traverse. D’après tous les travaux sur les rythmes biologiques, la Pleine Lune correspond à un temps de moindre activité biochimique. En Slovaquie, une équipe médicale a découvert ce pot aux roses en s’étonnant d’avoir moins d’entrées que d’ordinaire, ces jours là, pour coma éthylique ; comme les Slovaques boivent de la bière, les médecins ont soupçonné que l’explication résidait dans la moindre activité de la levure et la surveillance au laboratoire l’a confirmé. Plus tard, d’autres chercheurs ont corroboré et généralisé cet effet qui n’a rien de mystérieux. Les champignons microscopiques qui forment la levure de bière n’ont pas vraiment d’opinion ésotérique sur le monde mais ils ressentent comme tout le vivant les effets de marée et ceux de la lumière. Instaurer une fête à la Pleine Lune n’est pas si bête si l’on tient à minimiser les ivresses. Mais pourquoi une fête de la Pleine lune ?
Si le modèle vient de l’hindouisme, on trouve effectivement une fête lunaire dans la fourchette septembre/octobre mais, si j’en crois Vladimir Grigorieff, cette fête des Lumières où l’on orne temples et demeures de guirlandes de lampes « prend aussi des allures de carnaval car elle rappelle qu’Indra, après l’avoir vaincu, autorisa le démon Bali à revenir, une fois l’an, sur terre[1] ». La PL de début septembre semble un peu tôt pour cette fête tout comme pour celle qui marque la sortie de la retraite d’été des moines bouddhistes. Quant aux célébrations de chaque PL dans le monde bouddhique, elles s’accompagnent, toujours selon Grigorieff, de confessions publiques[2]. Voilà qui pourrait devenir fort drôle dans le contexte de la mairie de Paris !
Mais s’il ne s’agit pas d’honorer une des communautés religieuses présentes dans la Ville Lumière, quel sens donner à cette initiative ? Avec la plus grande indulgence, on ne peut s’empêcher d’y voir une sorte de paganisme artificiel puisque les organisateurs ne peuvent ignorer l’importance du calendrier lunaire dans l’histoire religieuse de l’humanité ; s’ils l’oubliaient, les séries fantastiques américaines où l’on mélange allégrement tous les symboles en les détournant de leur sens initial viendraient leur rappeler le mythe du loup garou, ne serait-ce que celui là, ainsi que quelques éléments du folklore amérindien. Seulement, dans les villes, on la voit où, on la voit quand, la Lune ? Si l’on marche sur le trottoir, c’est lui qu’on regarde pour ne pas trébucher. A la rigueur, en passant, une vitrine… Au volant, on n’a pas le loisir de lever la tête et de contempler le ciel. Les squares ferment au coucher du soleil dans le meilleur des cas. Et chez soi, à part le voisin d’en face, le paysage est quelque peu restreint. Mimi Pinson peut-être depuis un vasistas sur le toit ou quelques fous poètes qui marchent sur le zinc parisien avec les chats pour compagnons… On ne la voit pas mais chacun sait que c’est un caillou mort grêlé d’impacts de météorites sur quoi l’on a marché et l’on marchera encore. Piètre perspective pour une fête !
A quoi rêve le maire de Paris ?
Cette fête lunaire dont les médias n’ont plus reparlé, étant revenus aux choses sérieuses que sont le foot et le rugby, me rappelle irrésistiblement Halloween et la transformation du Carnaval de ma ville natale en Fête de printemps. Sans parler de la transformation de Noël en Fêtes de fin d’année dans le langage politiquement correct. Paganisme artificiel, encore et toujours. Il s’agit bien entendu de remplacer les fêtes chrétiennes par des célébrations que je n’ose qualifier de laïques, tant est sensible la tentative de créer une religion supranationale, sans dogmes mais rythmée de festivités communes. Comme, en occident, la plupart des fêtes chrétiennes s’étaient substituées à leurs équivalents païens celtiques, il pourrait sembler qu’on tente de boucler le fil de la mémoire. Ce n’est pas si simple. Lorsque les évêques s’étaient finalement décidés à christianiser Samain en Toussaint suivie du jour de prière pour les défunts, à placer les Transfiguration dans les jours de Lugnasad et la Présentation du Christ au Temple (la Chandeleur populaire) à l’ancienne date d’Imbolc, les quatre fêtes celtiques[3] avaient été interdites en Gaules une première fois sous Claude, dans les années 40 du premier siècle de notre ère, avec le druidisme. Elles avaient été remises à l’honneur au IIIe siècle, lors du mouvement de retour au celtisme qui avait traversé l’occident de l’empire et débouché sur la sécession de Postumus. Deux mémoires se superposaient dans leur célébration, une mémoire paysanne très enracinée, relevant de ce que Braudel nommait le temps immobile, et une mémoire urbaine plus identitaire. Comme, dès le IVe siècle, les habitants des villes et les maîtres des grands domaines ruraux étaient chrétiens, ils avaient spontanément donné à ces célébrations une coloration chrétienne que les conciles locaux ne firent qu’entériner de guerre lasse après avoir vainement tenté de les extirper.
Aujourd’hui, même dans les pays les plus déchristianisés, il n’existe pas de mouvement spontané de retour au paganisme et les transformations « laïques » sont imposées d’en haut dans l’indifférence générale. Or toute une propagande tente de faire croire que la christianisation des fêtes et des lieux de culte avait été de même imposée par une autorité centralisée dont on chercherait vainement trace dans l’Eglise d’occident, pourtant, avant le XIe siècle. Le procédé allégué et l’indignation sous-jacente justifient par la bande les tentatives actuelles.
Il ne faut pas être grand clerc pour remarquer que ce que j’appelle un paganisme artificiel s’inscrit dans un projet plus grandiose, celui de l’unification de l’humanité : un gouvernement mondial surplombant des entités administratives régionales, une religion minimale commune et la liberté totale des échanges commerciaux. Née des horreurs de la guerre de Trente ans puis des longs conflits du XVIIIe siècle, cette utopie qui s’est assez vite imposée comme idéal explicite de la franc-maçonnerie régulière[4] n’est jamais qu’une variante de plus de la cité platonicienne. Les esprits caustiques relèveront que la franc-maçonnerie elle-même n’a pas su garder son unité, qu’elle s’est dispersée en obédiences aussi querelleuses entre elles que les Eglises et que cela augure mal de l’empire unique. Mais admettons. Admettons qu’une telle réalisation soit possible (première question non résolue) et souhaitable (deuxième question non résolue), il resterait encore la troisième question, celle des moyens à mettre en œuvre pour y parvenir.
(à suivre…)
De retour à ma fenêtre, un troisième feu d’artifice m’accueille, lointain lui aussi. Il suffit sans doute que ce soit un samedi soir pour que la fête éclate en fleurs de lumière éphémères mais cette histoire de Pleine Lune me trotte en tête. J’en avais écouté l’annonce avec un brin d’incrédulité. J’ai complété par réflexe : Pleine Lune de Wesak, mais la fête majeure du new age, instituée par Alice Bailey à partir de je ne sais plus quelle tradition exhumée et réinterprétée, se situe au printemps puisque c’est la Pleine Lune du Taureau. J’ai oublié si la Bonne Volonté Mondiale saluait ou non toutes les lunaisons en insistant sur Wesak. L’autre écho qui me vient en mémoire, c’est un passage d’Isaïe dans lequel Dieu tonne contre les fêtes lunaires, mais vérification faite, il s’agit des Nouvelles Lunes et d’opposer la sincérité du cœur aux préceptes rituels d’Israël. Une troisième pensée me traverse. D’après tous les travaux sur les rythmes biologiques, la Pleine Lune correspond à un temps de moindre activité biochimique. En Slovaquie, une équipe médicale a découvert ce pot aux roses en s’étonnant d’avoir moins d’entrées que d’ordinaire, ces jours là, pour coma éthylique ; comme les Slovaques boivent de la bière, les médecins ont soupçonné que l’explication résidait dans la moindre activité de la levure et la surveillance au laboratoire l’a confirmé. Plus tard, d’autres chercheurs ont corroboré et généralisé cet effet qui n’a rien de mystérieux. Les champignons microscopiques qui forment la levure de bière n’ont pas vraiment d’opinion ésotérique sur le monde mais ils ressentent comme tout le vivant les effets de marée et ceux de la lumière. Instaurer une fête à la Pleine Lune n’est pas si bête si l’on tient à minimiser les ivresses. Mais pourquoi une fête de la Pleine lune ?
Si le modèle vient de l’hindouisme, on trouve effectivement une fête lunaire dans la fourchette septembre/octobre mais, si j’en crois Vladimir Grigorieff, cette fête des Lumières où l’on orne temples et demeures de guirlandes de lampes « prend aussi des allures de carnaval car elle rappelle qu’Indra, après l’avoir vaincu, autorisa le démon Bali à revenir, une fois l’an, sur terre[1] ». La PL de début septembre semble un peu tôt pour cette fête tout comme pour celle qui marque la sortie de la retraite d’été des moines bouddhistes. Quant aux célébrations de chaque PL dans le monde bouddhique, elles s’accompagnent, toujours selon Grigorieff, de confessions publiques[2]. Voilà qui pourrait devenir fort drôle dans le contexte de la mairie de Paris !
Mais s’il ne s’agit pas d’honorer une des communautés religieuses présentes dans la Ville Lumière, quel sens donner à cette initiative ? Avec la plus grande indulgence, on ne peut s’empêcher d’y voir une sorte de paganisme artificiel puisque les organisateurs ne peuvent ignorer l’importance du calendrier lunaire dans l’histoire religieuse de l’humanité ; s’ils l’oubliaient, les séries fantastiques américaines où l’on mélange allégrement tous les symboles en les détournant de leur sens initial viendraient leur rappeler le mythe du loup garou, ne serait-ce que celui là, ainsi que quelques éléments du folklore amérindien. Seulement, dans les villes, on la voit où, on la voit quand, la Lune ? Si l’on marche sur le trottoir, c’est lui qu’on regarde pour ne pas trébucher. A la rigueur, en passant, une vitrine… Au volant, on n’a pas le loisir de lever la tête et de contempler le ciel. Les squares ferment au coucher du soleil dans le meilleur des cas. Et chez soi, à part le voisin d’en face, le paysage est quelque peu restreint. Mimi Pinson peut-être depuis un vasistas sur le toit ou quelques fous poètes qui marchent sur le zinc parisien avec les chats pour compagnons… On ne la voit pas mais chacun sait que c’est un caillou mort grêlé d’impacts de météorites sur quoi l’on a marché et l’on marchera encore. Piètre perspective pour une fête !
A quoi rêve le maire de Paris ?
Cette fête lunaire dont les médias n’ont plus reparlé, étant revenus aux choses sérieuses que sont le foot et le rugby, me rappelle irrésistiblement Halloween et la transformation du Carnaval de ma ville natale en Fête de printemps. Sans parler de la transformation de Noël en Fêtes de fin d’année dans le langage politiquement correct. Paganisme artificiel, encore et toujours. Il s’agit bien entendu de remplacer les fêtes chrétiennes par des célébrations que je n’ose qualifier de laïques, tant est sensible la tentative de créer une religion supranationale, sans dogmes mais rythmée de festivités communes. Comme, en occident, la plupart des fêtes chrétiennes s’étaient substituées à leurs équivalents païens celtiques, il pourrait sembler qu’on tente de boucler le fil de la mémoire. Ce n’est pas si simple. Lorsque les évêques s’étaient finalement décidés à christianiser Samain en Toussaint suivie du jour de prière pour les défunts, à placer les Transfiguration dans les jours de Lugnasad et la Présentation du Christ au Temple (la Chandeleur populaire) à l’ancienne date d’Imbolc, les quatre fêtes celtiques[3] avaient été interdites en Gaules une première fois sous Claude, dans les années 40 du premier siècle de notre ère, avec le druidisme. Elles avaient été remises à l’honneur au IIIe siècle, lors du mouvement de retour au celtisme qui avait traversé l’occident de l’empire et débouché sur la sécession de Postumus. Deux mémoires se superposaient dans leur célébration, une mémoire paysanne très enracinée, relevant de ce que Braudel nommait le temps immobile, et une mémoire urbaine plus identitaire. Comme, dès le IVe siècle, les habitants des villes et les maîtres des grands domaines ruraux étaient chrétiens, ils avaient spontanément donné à ces célébrations une coloration chrétienne que les conciles locaux ne firent qu’entériner de guerre lasse après avoir vainement tenté de les extirper.
Aujourd’hui, même dans les pays les plus déchristianisés, il n’existe pas de mouvement spontané de retour au paganisme et les transformations « laïques » sont imposées d’en haut dans l’indifférence générale. Or toute une propagande tente de faire croire que la christianisation des fêtes et des lieux de culte avait été de même imposée par une autorité centralisée dont on chercherait vainement trace dans l’Eglise d’occident, pourtant, avant le XIe siècle. Le procédé allégué et l’indignation sous-jacente justifient par la bande les tentatives actuelles.
Il ne faut pas être grand clerc pour remarquer que ce que j’appelle un paganisme artificiel s’inscrit dans un projet plus grandiose, celui de l’unification de l’humanité : un gouvernement mondial surplombant des entités administratives régionales, une religion minimale commune et la liberté totale des échanges commerciaux. Née des horreurs de la guerre de Trente ans puis des longs conflits du XVIIIe siècle, cette utopie qui s’est assez vite imposée comme idéal explicite de la franc-maçonnerie régulière[4] n’est jamais qu’une variante de plus de la cité platonicienne. Les esprits caustiques relèveront que la franc-maçonnerie elle-même n’a pas su garder son unité, qu’elle s’est dispersée en obédiences aussi querelleuses entre elles que les Eglises et que cela augure mal de l’empire unique. Mais admettons. Admettons qu’une telle réalisation soit possible (première question non résolue) et souhaitable (deuxième question non résolue), il resterait encore la troisième question, celle des moyens à mettre en œuvre pour y parvenir.
(à suivre…)
[1] Vladimir Grigorieff, Religions du monde entier, Marabout Université, Verviers, 1990, p. 267.
[2] Ibid., p.304.
[3] La quatrième est Beltaine, au 1er mai. Restée fête folklorique durant tout le moyen-âge, récupérée de manière dramatique lors des grandes grèves du mouvement ouvrier naissant, elle est devenue chez nous fête du Travail mais, étrangement, n’a jamais fait l’objet d’une christianisation. D’où le folklore de la nuit de Walpurgis en Allemagne. Cette omission corrobore mon hypothèse d’une christianisation par le peuple que les évêques ont fini par suivre.
[4] En particulier anglo-saxonne.
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