Mozart, ma lampe et la nuit : enfin vient un peu de fraîcheur qui me redonne des neurones, mais si j’ai démarré sur la théologie raisonnée, c’est aussi que plusieurs chercheurs anglo-saxons affirment que notre cerveau est câblé pour l’expérience de Dieu. Comme pour toute autre activité cérébrale, les circuits neuronaux nécessaires se renforcent à l’usage. Andrew Newberg, de l’université de Philadelphie a mis en évidence chez des bouddhistes en méditation et des sœurs franciscaines en prière une baisse d’irrigation sanguine du lobe préfrontal gauche, d’où dissolution des frontières du moi, et de son homologue droit, d’où perte des repères spatio-temporels et sentiment d’éternité. Effets qui pourraient aussi venir, dans la même zone, d’une surabondance en sérotonine. A San Diego, c’est Vilayanur Ramachandran qui a cartographié une aire du lobe temporal responsable des expériences mystiques associées à l’épilepsie – ou à la « pseudo-épilepsie », bouffée de suractivité à laquelle il fallait bien donner un nom… Comme l’océan le plus agité fut nommé Pacifique, les chercheurs agnostiques par principe tentent par une « pseudo-maladie » de conjurer Dieu. Les deux rituels sont à peu près aussi efficaces l’un que l’autre ; le Pacifique développe encore ouragans et tempêtes ; quant à Dieu, on a du mal à le remettre dans sa boîte ! D’autant que ce fichu lobe temporal obéit aussi bien à de faibles champs magnétiques, surtout s’ils pulsent ; à des stimulations électriques et les travaux se succèdent depuis 40 ans avec des résultats toujours confirmés. Et les savants de chercher toutes les explications possibles de ce phénomène, toutes, depuis la consolation du seul animal conscient de la mort[1] jusqu’à la stabilité sociale de la tribu, sauf la plus simple, celle qui consiste à penser que s’il y a bien un arbre quand je perçois un arbre au delà de ma fenêtre, il y a peut-être bien aussi un Dieu quand j’en perçois un.
Ou comme l’avoue l’auteur anonyme d’un récent article dans Webzine[2], « l’interprétation de tous ces résultats est délicate ». Dilemme que résume Craig Kinsley, de l’université de Virginie à Richmond, de manière très voltairienne : « Le problème est que nous ne savons pas si c’est le cerveau qui a créé Dieu ou si c’est Dieu qui a créé le cerveau. »
En l’an 2000, un autre chercheur anglais, Johnjoe McFadden, professeur de génétique moléculaire à l’université du Surrey, publia un ouvrage dont le retentissement en France fut quasiment nul, Quantum Evolution : the new science of life[3]. Même si Jean Paul Baquiast s’est donné pour tâche depuis 2002 de le commenter en français, ce livre ne semble pas encore traduit aujourd’hui[4] alors qu’il s’agit sans doute de la percée la plus intéressante pour relier la théorie quantique (en particulier la théorie des champs) à l’univers macroscopique. Appliquée au vivant, elle justifie la complexification et pose la possibilité d’une capacité à « auto-diriger » son évolution dans certaines limites. Nous ne sommes plus dans le désespérant mariage du hasard et de la nécessité, il s’y mêle de la liberté et peut-être du désir. Appliquée au cerveau, c’est encore le libre-arbitre et la conscience qui émergent[5]. McFadden pense être le premier à avoir tiré les conclusions du fait que les échanges biochimiques sont des échanges quantiques[6].
Dans le même esprit, le psychiatre Jean Bruno Meric élabore une théorie électromagnétique de la conscience à partir de la physiopathologie de la maladie d’Alzheimer[7] et de la localisation du principe anthropique.
Rien de tout cela n’est totalement nouveau. Les premières stimulations électriques d’aires cérébrales avoisinent la guerre de 1914 ; la mise au point de l’EEG et la découverte de la prédominance des ondes alpha dans la méditation yogique datent des années 1950. Ce qui change, c’est que des travaux sur l’expérience religieuse percutent dans les médias. Mais c’est aussi une question de mode dans les neurosciences ; le tout moléculaire, tout neurotransmetteur de mise encore à la fin des années 90 et qui comblait les vœux de feu Berthelot si ce n’est de Claude Bernard[8] commence à céder devant l’intérêt des champs électromagnétiques – ou faut-il penser que, les armes « non létales » ayant cessé d’être un secret militaire, les services états-uniens ne découragent plus la recherche civile en ces domaines[9] ?
Il est plus drôle d’observer les efforts considérables déployés par les explorateurs de l’aire temporale ou du système limbique associé pour sauver l’anthropologie des Lumières, l’homme insulaire qui ne communique avec autrui que du geste et de la voix. Car on n’enferme pas un champ électromagnétique comme on canalise un flux de molécules dans l’espace synaptique ! Meric en est à supposer que l’ossature crânienne se comporte comme une cage de Faraday pour isoler la conscience des champs extérieurs. Pathétique. Et vain puisque il semble surtout ignorer les travaux de Persinger[10] sans même parler de tout ce qu’on a produit d’alarmiste sur les téléphones portables.
Je n’ai jamais très bien compris en quoi l’insularité de l’homme (chacun seul dans sa boîte crânienne et pas touche !) serait plus rationnelle, plus économique et rasée par Occam que l’hypothèse d’un système ouvert. C’était peut-être évident pour les Encyclopédistes mais enfin, la science a fait quelques petits progrès depuis. Et même : notre corps est un système ouvert, comme tout le vivant. Il puise des éléments dans l’environnement, il respire, il s’ensoleille, il mange et rejette des éléments transformés. Si l’on envisage corps et cerveau comme une dynamique de champs électromagnétiques, l’insularité devient encore plus absurde. Et si l’on prend en compte le niveau quantique, étant donné que chaque particule n’a qu’une probabilité de présence un peu plus forte ici qu’ailleurs, d’où l’effet tunnel et l’évaporation des trous noirs, aucune cage ne retient le moindre oiseau.
Contre quoi, contre qui les rationalistes des Lumières tentaient-ils de verrouiller la maison ? Peut-être faut-il revenir au cauchemar collectif qui accompagna le refroidissement climatique, la petite ère glaciaire des XVIe et XVIIe siècles, et qui témoigne d’un choc culturel majeur entre un monde paysan dont le folklore restait largement chamanique et une frange urbaine de théologiens et de juristes nourris d’Aristote, d’Augustin et de Justinien. L’anthropologie des brûleurs de sorcières, c’est à dire, rappelons le, des juges civils et non de l’Inquisition qui ne s’intéressait qu’aux hérésies, est une anthropologie de l’impuissance. Elle annonce l’insularité des Lumières : l’homme débilité par le péché originel et réduit à sa seule nature est une âme solitaire qui ne dispose que des faibles signaux du geste et du langage pour entrer en relation avec d’autres hommes ; mais c’est un être poreux que peuvent pénétrer ceux qui disposent de la surnature, pour autant qu’il se soumette ; Dieu parfois, mais le péché est rebelle ; le démon plus souvent, par l’habitude qu’en a pris l’homme pécheur. Les philosophes des Lumières n’eurent plus qu’à transformer cette porosité théologique en blindage. Mais la grande peur de l’osmose demeure au moins inconsciemment. Rouvrir la maison, c’est encore faire entrer Dieu ou diable et se retrouver esclave de puissances à la bienveillance douteuse puisque l’augustinisme tardif a fait de Dieu un juge sourcilleux, juge et partie d’ailleurs d’une affaire d’honneur qui le concerne au premier chef.
Comment Anselme a-t-il pu concevoir un Dieu offensé et même infiniment offensé à la manière d’un roi qui se serait fait marcher publiquement sur les pieds ? Comment, surtout, ces philosophes qui se piquaient de théologie ont-ils pu confondre transcendance divine et extériorité alors que toute la révélation trinitaire du Christ telle que la rapporte l’évangéliste Jean[11] parle d’intériorité réciproque des personnes, périchorèse à laquelle l’homme, chaque homme est convié ?
Mais si l’on ne partage pas, même comme cauchemar historique, la vision augustiniste anselmienne de Dieu et du diable, l’insularité de l’homme n’a plus de raison d’être. On la voit clairement comme ce qu’elle est, une sorte de repli schizophrénique du monde intellectuel en réponse à un traumatisme collectif. On se coupe pour ne plus être atteint : gare à la catatonie !
Hubert Reeves, qui n’est certes qu’un vulgarisateur de talent mais c’est une espèce à protéger vu le nombre de plumitifs qui prétendent expliquer au public tout et n’importe quoi[12] avant de le comprendre eux-mêmes, a des mots de poète dont le célèbre « nous sommes de la poussière d’étoiles » tellement cité que je le pille avec le sentiment de reprendre un proverbe. Il faudrait ajouter « de la poussière d’étoiles structurée par la vie » en un système ouvert très précis et hiérarchisé mais ouvert comme l’a déjà montré Prigogine dans les années 1970.
C’est étonnant. En dehors du new age qui n’y a vu qu’un prétexte pour justifier sa propre bouillie conceptuelle, personne n’a percuté jusqu’aux interrogations médiatiques récentes sur la neurothéologie, ni les « grandes religions » ni les théologiens orthodoxes qui nous ont habitués pourtant à plus d’ouverture vis à vis de la science, ni les ésotéristes gnostiques. Ce sont les scientifiques le plus souvent américains impliqués dans cette recherche qui ont trouvé quelques ressemblances entre leurs découvertes et des écoles de conscience telles que le bouddhisme ou le taoïsme et en ont fait la base de leur propre quête intérieure. Mais à l’exception d’un tulkou tibétain également professeur à l’université de Stanford, les lamas n’ont pas commenté. Les taoïstes nombreux à Taiwan ou en Californie pas plus. Comme si la science n’était qu’un épiphénomène sans intérêt.
Il serait pourtant intéressant de répondre aux questions posées par la recherche de pointe, même s’il faut toujours garder à l’esprit le caractère transitoire de ses conclusions, de voir comment cette recherche fondamentale éclaire et est elle-même éclairée par la théologie patristique, de pousser le dialogue plus loin que les cris d’alarme éthiques. C’est l’une des raisons d’être de ce blog.
J’ai conscience de l’ampleur de la tâche puisqu’il faut à la fois gommer la caricature de Dieu qui pollue l’occident depuis un millénaire – et c’est long, un millénaire ! – et tenter d’embrasser l’essentiel des sciences contemporaines, de creuser la représentation de l’univers et de l’homme qu’elles induisent. A ce niveau de réflexion plus philosophique, il est évident qu’on ne pinaille pas la virgule et qu’on laisse aux spécialistes le travail de fond, le séquençage de l’ADN ou les coups de sonde dans le temps de Planck.
Et la première question qui m’importe, surtout après avoir exploré les revendications d’immortalité du transhumanisme, est celle de la nature humaine.
(à suivre…)
[1] Mais la nature est une marâtre, comme le montre assez l’entre-dévoration universelle, et ne fait pas ce genre de cadeau sans une raison moins sentimentale.
[2] « La neurothéologie », 6 juin 2006, www.webzinemaker.com/
[3] Johnjoe McFadden, Quantum Evolution : the new science of life, WW.Norton and Cie, 2000.
[4] Je serais ravie de me tromper…
[5] Johnjoe McFadden, « Le Je n’est pas un robot », traduction Jean Paul Baquiast, Journal of Consciousness Studies, 2002, www.imprint.co.uk/jcs/
[6] Sans pousser aussi loin, j’avais signalé le fait dans mes articles, en particulier de Rêver, dès 1995, pour critiquer les limites de la représentation insulaire du cerveau défendue par les agnostiques des neurosciences. McFadden comble donc un de mes vœux. Espérons qu’on ne mettra pas 15 ans à traduire son œuvre.
[7] Jean Bruno Meric, « Théorie électromagnétique de la conscience », sd, www.antropic.com/mericjb
[8] J’ai oublié quel est celui des deux qui espérait qu’un jour la médecine ne serait qu’une branche de la chimie.
[9] Rien d’aussi romantique qu’un complot de petits gris : ils recrutaient les chercheurs intéressants et très légalement pouvaient censurer leurs publications. Le MI5 emboîtait le pas au Royaume-Uni ; et il suffisait de pousser les référés Européens vers leur position d’équilibre rationaliste la plus probable par l’usage bien orchestré du mépris.
[10] Michael A. Persinger, Perceptual and motor skills, 1976. Titre de la traduction canadienne en français : « Les phénomènes qu’on associe aux OVNI et les comportements associés ont-ils un rapport avec des processus géophysiques ? »
[11] chapitres 14 à 17.
[12] Et à peu près n’importe comment.
1 comment:
effectivement, les sciences neuronales ont quelque chose à dire, mais on ignore encore quel est leur statut exact.
Peut-on rapprocher leurs observations de celle qui consisterait, par analogie, à rechercher dans l'activité d'un poste de télévision, l'origine des émissions ?
D'autant que les sociologies (au sens large) ont leur mot à dire là dessus, car pour qu'une société tienne debout elle doit élaborer des mythes fondateurs.
Biologie, sociologie(s) et anthropologie, expérience d'un possible au delà, vérité des choses...
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