De la transe dans tous ses états
L’exemple dionysiaque nous a permis de comprendre pourquoi toute société se doit de rechercher un équilibre entre contrainte et plaisir, travail et échappées paroxystiques, pourquoi le dieu de la transe se présente comme l’Étranger à la cité par excellence. Toutefois, il n’explique pas la diversité de hiérarchisation des états de conscience, des systèmes de valeurs qui amènent à les classer sur une échelle qui irait de l’infra au supra. Il tendrait à avaliser l’opposition souvent rencontrée chez les auteurs contemporains, ethnologues ou psychologues, entre l’état vigile ordinaire et « la transe[1] » ou les états qualifiés de « non ordinaires[2] », « différents », « modifiés » voire, avec une certaine malveillance, « altérés[3] » pris comme un tout. Or cette opposition s’appuie sur deux présupposés, tout d’abord l’évidence naïve selon laquelle l’état vigile ordinaire serait partout et toujours le même et ne dépendrait pas au moins partiellement de l’environnement culturel. Outre que cette évidence n’a jamais été testée par des méthodes expérimentales, de nombreuses observations ethnologiques tendraient à la mettre en doute, si du moins elles étaient confrontées aux travaux des psychologues anglo-saxons sur la conscience[4]. Le second préjugé tend à confondre toute variation ou toute rupture par rapport à cet état vigile avec un état paroxystique non socialisable. Mais ces deux assimilations nécessiteraient, pour être admissibles, que l’on connaisse parfaitement la nature humaine, que ce soit sous l’angle du système corps-cerveau ou par une cartographie du psychisme et la réduction étayée du spirituel à ce dernier. Nous en sommes très loin ! Il conviendrait donc, avant de revenir à la diversité des hiérarchisations sociales des états de conscience, de débroussailler la question de leur nature, de leur diversité et de ce qu’elle signifie du double point de vue biologique et psychologique. Nous ne pourrons d’ailleurs opérer qu’un débroussaillage, le terrain étant encore largement en friche.
Les travaux sur les EMC (états modifiés de conscience) se heurtent d’emblée à une difficulté. La conscience d’autrui ne nous est pas d’ordinaire accessible de manière immédiate[5]. Nous devons donc nous en remettre au témoignage de ceux qui éprouvent de tels états « modifiés » ou, si nous les éprouvons nous-mêmes, témoigner à notre tour pour les partager avec autrui. La traduction par le langage n’est pas toujours des plus aisées. La littérature mystique, les récits gnostiques, les enquêtes d’ethnologues sur les vécus mythiques présentent une surenchère de métaphores beaucoup plus qu’un descriptif, métaphores qui font sens pour qui a connu des états semblables et peuvent sembler aux autres de simples poncifs littéraires[6]. L’art zen du koan, phrase choc d’apparence absurde, et les contes soufis instrumentent d’ailleurs cette difficulté dans le but de déclencher les états recherchés. Devant ce « mur de l’altérité », la plupart des chercheurs anglo-saxons se sont tournés vers les neurosciences et se sont demandés si quelque chose changeait dans le cerveau et le système nerveux en même temps que les hommes faisaient varier leur relation au monde. C’était aussi porter les coups chez l’adversaire puisque les plus acharnés à rejeter les variations de conscience du côté de la maladie mentale s’appuyaient sur les états du cerveau — et la chose allait très loin, jusqu’à considérer le rêve nocturne comme une folie temporaire, résidu de la mauvaise digestion des employés de bureau (au début du XIXe siècle) ou sale tour joué à l’humanité par la mère Nature, ce qui prouvait bien que ce n’était qu’une marâtre indifférente (à la fin du même)[7].
Depuis les années 50 et jusqu’à ces toutes dernières années, il n’existait que deux moyens de savoir quelque chose sur le fonctionnement du cerveau : mesurer les micro-courants électriques témoins de son activité, en collant des électrodes sur le crâne des sujets, électrodes reliées à une série de détecteurs (électroencéphalogramme ou EEG) ; mesurer indirectement l’activité chimique en cherchant les résidus des neurotransmetteurs dans les urines. Ce n’était ni très fiable ni très pratique, mais enfin cela fonctionnait assez bien pour que l’on puisse commencer de cartographier le cerveau, de comprendre comment se répartissait son activité (électrochimique) en fonction de tel ou tel type de perception, de pensée, d’émotion. Nous avons pour les pionniers des neurosciences un respect total. Leurs conditions de travail s’apparentaient à mesurer le périmètre d’un département français, sur le terrain, avec un double-décimètre d’écolier ! et obtenir des résultats corrects. Les préjugés sur la hiérarchie des états de conscience sont une chose ; mais l’observation minutieuse de kilomètres de bandes de papier sur lesquels courent six à huit lignes d’ondes complexes — l’enregistrement EEG ressemble à celui d’un sismographe — et finir par en tirer un peu d’information, c’est un artisanat aussi respectable que le travail d’un charpentier sur le toit d’une cathédrale.
Si nous voulons, à notre tour, comprendre quelque peu ce que les états modifiés de conscience mobilisent dans le corps, le système nerveux et le cerveau de l’homme, en quoi ils se différencient, comment on peut les classer en genres ou en espèces, il nous faut faire l’effort de suivre ces explorateurs sur leur terrain, d’apprendre le langage de la tribu. Il nous faut connaître la carte du cerveau, avec ses gouffres comme la « scissure de Rolando », ses arches comme le « corps calleux » qui relie les deux hémisphères, ses soubassements archaïques (le « cerveau reptilien » que possédaient déjà les dinosaures) où l’on trouvera, entre autres, le thalamus et l’hypothalamus où se manifestent les émotions et les réactions les plus élémentaires du vivant, ses sédiments plus récents, cortex et néo-cortex qui enveloppent les parties plus anciennes. Il faut savoir que, si l’homme possède un néo-cortex plus développé que tous les animaux, ces zones « récentes » ne recouvrent pas simplement celles qui existaient déjà chez les dinosaures ou les musaraignes, elles tissent tout un réseau de communication avec elles et les intègrent dans un système d’une complexité étonnante. Et le cerveau n’est pas une boîte à penser isolée de l’organisme. Il se relie à un double système nerveux, dit sympathique et parasympathique, grâce auquel il reçoit les informations venues de tout le corps ainsi que du monde extérieur (les afférences sensorielles), renvoie des informations qui nous permettent de bouger, de parler, d’agir (les efférences motrices). Tout ce réseau est parcouru de courants électriques et des champs magnétiques associés, chaque cellule nerveuse ou neurone échangeant avec ses voisines des molécules chimiques complexes, les neurotransmetteurs — nous en connaissons désormais une bonne centaine. Même de ce seul point de vue neurologique, l’homme est un univers prodigieux.
Il nous faut de suite dissiper un malentendu. Étudier le cerveau ne rend pas obligatoirement pédant, ennuyeux, pessimiste, désenchanté, sec de coeur, hargneusement réductionniste, matérialiste et briseur de liberté. Il faut envisager le problème à l’inverse : un certain nombre de médecins neurologistes répondant à ce portrait, depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à nos jours, ont surtout en France réussi à crier plus fort que les autres et prétendu que leur vision réductrice de l’homme et du monde était « prouvée » par l’existence d’une aire visuelle dans le cerveau, par exemple, ou parce qu’ils avaient isolé la noradrénaline chez les chiens agressifs et les hommes en colère. Ils n’ont rien prouvé d’autre que l’activité d’une zone cérébrale ou l’existence de la molécule dans certaines conditions. Le reste n’est que de l’interprétation, laquelle se discute, un brin de terrorisme intellectuel sur des collègues plus pusillanimes, de théâtralité vis à vis des politiques et une bonne stratégie pour recueillir les crédits de recherche et les postes dans les grands hôpitaux universitaires ou au CNRS. Un Stephen LaBerge, à Stanford, étudie le rêve lucide avec les mêmes outils, les mêmes électrodes sur la tête de ses sujets, les mêmes kilomètres de tracés d’ondes à déchiffrer, et penche vers une vision spiritualiste de l’homme proche à la fois du bouddhisme tibétain et du soufisme. Quant au langage de la tribu, en quoi « hypothalamus » serait-il forcément moins poétique que « cirque Clavius » dans la cartographie de la Lune ou « mont Gargano » dans celle de la Terre ?
Quels processus sont-ils en jeu dans le cerveau ?
Revenons au problème des états de conscience. Yujiro Ikemi, de l'université de Kyushu, au Japon[8], a tenté de classer certains d’entre eux par rapport aux deux modes d’activité du système nerveux central, qu’il nomme, d’après Gellhorn[9], ergotrope (du grec ergon, travail, et tropos, conduite) lorsqu’il s’agit de la réaction « combattre ou fuir » et, pour les états de méditation ou d’extase exigeant l’immobilité et la décontraction du corps, la « réponse de relaxation », trophotropes (de trophè, nourriture, entretien). La première réaction serait générée par l’activation du système nerveux sympathique, la seconde par le parasympathique, qui fonctionnent toujours en alternance. Pour dire vite, nous mobilisons le premier pour agir et le second pour nous reposer. Cependant, Ikemi n’envisage que le training autogène, le yoga et le zen, c’est à dire des exercices tendant vers l’activité trophotrope, l’art de la décontraction immobile, auxquels il reconnaît une valeur positive d’équilibration, tout en signalant les risques liés à une libération incontrôlée de contenus inconscients générateurs d’angoisse, voire carrément traumatiques : celui qui se rend vraiment disponible risque de voir toute sa faune intérieure sortir des fourrés de la mémoire. Il ignore totalement la transe de possession, l’envol chamanique, la furor heroica ou la déferlante dionysiaque qui utilisent comme inducteurs la musique fortement rythmée et la danse, ou des événements collectifs comme la transe de guérison des convulsionnaires de Saint-Médard au XVIIIe siècle[10], tous les états qui instrumentent donc la réaction ergotrope. Sans doute pourrait-on, sur ces données neurologiques, établir une opposition entre deux types de modification de conscience, mais les choses ne sont pas si simples.
Si l’on envisage la question en termes de neurotransmetteurs sollicités, on trouverait un spectre plus large : les états dépendant de la libération d’endorphines, analgésiques produits spontanément dans le cerveau et dont la formule chimique s’apparente à celle de la morphine, libération qui suivrait un effort physique intense ou une douleur ; les états liés à la rupture de l’équilibre entre les amines d’éveil, adrénaline ou noradrénaline en particulier, les accélérateurs du cerveau, et la sérotonine qui en est le frein ; un peu plus de l’une ou un peu plus de l’autre et l’on ne voit plus le monde de la même façon ; la méthylation de la sérotonine, qui la transforme en bufoténine, molécule présente dans la peau de certains crapauds et dont les propriétés hallucinogènes ont été invoquées pour expliquer les effets de l’onguent des sorcières ; enfin les états basés sur la phényléthylamine, molécule qui semble intervenir dans la psychologie de la rupture, de la nouveauté existentielle, de l’aventure[11]. Une partie des recherches sur le rôle des neurotransmetteurs s’est faite en étudiant l’effet de molécules de synthèse, en général repérées dans les plantes utilisées par les chamanes, dont on espérait tirer des médicaments. Nous devons donc commencer par un avertissement. Un certain nombre d’entre elles ont été détournées de cet usage dans les années 60, au plus fort du mouvement hippie, pour une expérimentation sauvage ; les formules des plus dangereuses ont fini dans les laboratoires des trafiquants de drogue. Il est impossible de rendre compte des travaux sur la chimie du cerveau sans parler de ces molécules, comme par exemple le LSD. Mais il y a un monde entre cette recherche menée au laboratoire dans des conditions contrôlées et sur des dosages limités, avec un suivi médical pour obvier à la moindre anicroche, et la vente sauvage à des adolescents laissés ensuite dans la nature, trafic que nous condamnons avec énergie.
Le rôle de la sérotonine.
La sérotonine jouant le rôle de frein du cerveau, si elle vient à manquer, l'excès consécutif d'amines d'éveil entraîne une transmission anormalement rapide de l'influx nerveux. C’est, du point de vue médical, le mécanisme de l’épilepsie. Mais lorsque il ne s’agit pas d’une maladie, la « pseudo-épilepsie » comme l’ont nommée les psychiatres positivistes, l’accélération temporaire de l’activité d’un cerveau sain accompagne des états « mystiques ». Le Dr. Arnold Mandell[12], de l'université de San Diego, a traqué au laboratoire le chemin de Damas et , plus généralement, ce que William James nommait transcendental experience[13]. Pour Mandell, les déséquilibres spontanés ou provoqués du cycle sérotonine/amines d'éveil portent l'entière responsabilité des états mystiques, voire de toute expérience visionnaire ou hallucinatoire. La frontière s'estompe entre les genres. La pseudo-épilepsie provoque des expériences de conversion et de béatitude intérieure. Il en va de même d'hallucinogènes tels que le LSD, qui réduit le taux de sérotonine en occupant ses récepteurs. On retrouverait les mêmes effets inhibiteurs avec les techniques de méditation. Judith Hooper résume ainsi la synthèse de Mandell : « Peut-être les grands mystiques, partout dans le monde, ont-ils sans le savoir bloqué ces molécules chimiques — par la méditation, la prière constante, le jeûne, la privation sensorielle de la vie monastique, ou par quelques moyens entièrement inconnus. Les effets du manque de sérotonine dans l’hippocampe[14] pourraient bien produire une version mystique de la réalité, déclare Mandell. L’hippocampe est un lieu de rencontre entre deux circuits différents — l’un, sensoriel, à partir du monde extérieur ; l’autre intérieur — et, normalement, il ajuste l’humeur et les émotions aux données de l’environnement. Quand l’hippocampe souffre d’une réduction du taux de sérotonine, toutefois, il ne peut plus ajuster de la même manière l’intérieur à l’extérieur. L’expérience intérieure devient prédominante[15]. » Les conclusions de Mandell ont été rejointes ou reprises par la plupart des chercheurs qui ont travaillé sur la psychophysiologie des hallucinogènes ou sur les états obtenus par les techniques yogiques de méditation. Il reste que l'amalgame qu'il opère entre toutes les formes d'expérience « intérieure », à trop vouloir unifier, ne rend plus compte de rien. Dans la Californie de 1981, la méditation tibétaine a remplacé sur les campus les vecteurs chimiques du voyage oniroïde[16]. On trouve, enseignant à Berkeley, un Thartang Tulku où les années 60 virent un Timothy Leary devenir le guru des amateurs de LSD. Mais dans les deux cas, comme dans le magnétisme animal du XIXe siècle, on valorise et on recherche des états de type extatique, avec inhibition des afférences sensorielles et des efférences motrices au profit d'endoperceptions. Or l'assimilation de ces états à l'épilepsie pose question, car la crise du haut mal offre, elle, une symptomatique de type agité, convulsionnaire, ergotrope. Il y aurait donc pour Mandell et ses émules un pôle négatif, remuant et involontaire, dû à la maladie — et un pôle positif, apprivoisé, dû aux drogues psychédéliques prises au repos et aux techniques yogiques. Peut-on concevoir que des manifestations aussi diverses s'originent dans le même jeu des neurotransmetteurs ?
La phényléthylamine, dite « molécule d’amour ».
Les travaux effectués aux États-Unis depuis 1963 sur la phényléthylamine ou PEA montrent une augmentation sensible de la production de ce neurotransmetteur dans des situations aussi différentes en apparence que le déclic amoureux, le procès de divorce ou le saut en parachute. Hector C. Sabelli, de Chicago, qui a effectué ces mesures, suggère qu'il s'agit là d'une des bases chimiques de la libido. Liebowitz en fait la drogue activatrice des centres de plaisir, avec effet progressif d'accoutumance qui ramène l'insensibilité[17]. La PEA se présente rarement seule, mais le plus souvent en association avec la noradrénaline ; toujours selon Liebowitz, il s'agirait d'une molécule activatrice de la vigilance, d’un accélérateur du métabolisme qui rend l'organisme disponible pour une activité émotionnelle, mais ne spécifie pas cette dernière.
Les recherches de Stanislav Grof.
Les études menées par Stanislav Grof sur une utilisation thérapeutique du LSD dans le traitement des psychoses schizophrénique[18], montrent encore une variabilité inter et intra-individuelle de l’expérience telle que la classification par les neurotransmetteurs, si elle reste intéressante[19], n’est certainement pas suffisante et ne saurait épuiser la question. Les récits de séances que donne Grof dans Royaumes de l'inconscient humain recouvrent un champ très vaste qui va du revécu, guidé par le thérapeute, des sensations et des émotions associées à la naissance, à des phénomènes d'identification avec l'univers, des éprouvés de dédoublement, des visions religieuses, etc. Il semble n'y avoir pas de limite à la variété de contenu des expériences LSD. Or, Grof nous donne s'il se trouve la clef de cette largeur de champ lorsqu'il évoque les caractéristiques neurochimiques de la molécule diéthylamine d'acide d-lysergique : « Il stimule le système nerveux autonome. Les manifestations neurovégétatives peuvent être de nature sympathique et/ou parasympathique[20]. » Suit l'énumération des symptômes liés à l'activité propre de chacun des systèmes, ainsi que des troubles qualifiés de « moins spécifiques ». Grof discute lui-même des variantes de l'expérience chez des sujets sains, volontaires, en conditions contrôlées : même dose, environnement le plus constant possible. Après avoir noté « l'énorme variabilité individuelle » dont il donne une série d'exemples, il ajoute : « Qui plus est, quand on administrait plusieurs fois du LSD à un même sujet, on vérifiait l'existence d'une variabilité intra-individuelle unique aussi frappante que les expériences interindividuelles[21]. » Grof y voit l'indice d'une activité psychodynamique, interprétable en termes de psychologie.
Les potentiels évoqués et l’extase.
A ce stade, nous rebouclons sur les travaux de Yujiro Ikemi, qui commente, en particulier, une étude menée sur des patients atteints de la maladie de Parkinson et soignés à la fois par le training autogène et l'hypnose. L'enregistrement des ondes cérébrales dénote un ralentissement assez classique. Mais un détail surtout de l'expérimentation retiendra notre attention. Ikemi et son équipe ont mesuré aussi, chez leurs malades hypnotisés, le « potentiel photique évoqué » (PPE), « stimulé par la projection d'un flash (tube xénon) dans les yeux, à trente centimètres de distance, cent fois à une seconde d'intervalle[22]. » Le PPE, comme tous les « potentiels évoqués », est la réponse électrique du cerveau à un stimulus bref et intense, ici visuel. Ikemi et son équipe cherchaient donc à mesurer la réaction à un signal venu du monde extérieur. D’ordinaire, le cerveau ne s’habitue pas à ce type de signaux et, même si on ne leur accorde pas beaucoup d’attention, le tracé sur l’EEG montre un pic très net au moment où le signal est reçu. C’est pour cette raison qu’une lumière pulsante est souvent utilisée comme avertissement, par exemple le clignotant des automobiles. En transe légère et moyenne, le tracé s'aplatit au niveau du cortex, mais demeure décelable, quoique de plus faible amplitude, dans les niveaux subcorticaux et thalamiques, donc dans le cerveau « archaïque ». La transe profonde fait disparaître totalement le potentiel, d'où l'on peut supposer une mise entre parenthèse des sens, un arrêt de la perception du monde extérieur. « Nos découvertes à propos du PPE nous ont appris particulièrement qu'il disparaissait graduellement de la surface du cortex en direction du thalamus au fur et à mesure que progressait la transe hypnotique[23]. »
Ce dernier résultat est essentiel. Dans des états où prédomine la réaction trophotrope, un stimulus lumineux ne sera plus « traité » par le cortex, donc mis à sa place comme un élément de l'environnement, mais va encore déclencher une réponse thalamique. Or dans les états de sommeil, apparentés à la transe par l'augmentation des ondes lentes sur les tracés de l’EEG, les décharges thalamiques spontanées semblent bien à la source de l'imagerie onirique[24] et l’on sait que les dormeurs sont presque entièrement déconnectés du monde extérieur. En serait-il de même lors des épisodes extatiques ? Pensons à Bernadette Soubirous, tellement absorbée dans sa vision de la « Dame » à la grotte de Massabielle qu’elle ne sent pas le cierge allumé qui glisse de ses doigts et qui brûle sur sa main. Revenue à un état plus ordinaire, quand un médecin veut réitérer l’expérience, elle retire vivement la main et lui dit : « Vous me brûlez ! ».
Le choual et le derviche.
Qu’en est-il alors des états déclenchés par une réaction ergotrope ? Ils sont beaucoup plus mal connus, parce qu’il est difficile de faire un enregistrement EEG. Si l'on devait rechercher des modèles, plusieurs exemples viennent à l'esprit : danses rituelles et transe de possession du Vodou, tant africain qu'haïtien, danses des derviches tourneurs et cultes processionnels accompagnés de transes comme les activités des confréries de flagellants en Espagne[25] ou les fêtes de Kali dans le sud de l'Inde. Même si les participants à ces cultes acceptaient qu’un neurologue les étudie, on voit mal comment équiper un danseur avec des électrodes reliées par des fils même très longs à l’enregistreur ; il risquerait à tout instant de se prendre les pieds dedans ou de les arracher. Les très rares études faites utilisent, comme avec les sportifs, l’analyse d’urine. On sait désormais que toute activité physique intense provoque dans le cerveau des décharges de molécules antalgiques, les endorphines, molécules dont la structure s'apparente à celles des morphines. Lors de certains paroxysmes, la production d'endorphines peut atteindre un seuil dit d'auto-intoxication[26]. D’autre part, l’effort mobilise aussi des amines d’éveil qui permettent d’augmenter les performances. Un homme en colère, par exemple, qui s’offre une bonne décharge d’adrénaline, lancera des poids qu’il soulèverait avec peine quand il est calme.
Il y aurait donc bien deux types d’états modifiés de conscience distincts ou, plus exactement, deux directions de rupture de l'équilibre sympathique/parasympathique. Une induction « calme », comme la méditation, modifierait l’équilibre amines d’éveil/sérotonine tandis que la transe « agitée » ajouterait forcément un effet du aux endorphines. La PEA pourrait s’associer à l’une comme à l’autre. La réponse valorisatrice, culturelle, s'appuierait sur une observation clinique ou empirique des caractéristiques propres de ces deux états. Certes, à ce stade, de nombreux problèmes restent à résoudre ; en particulier, nous ignorons pourquoi, dans un syndrome extatique à dominante trophotrope, « calme », apparaissent des pointes de suractivité ordonnée comme les déplacements très rapides des voyants lors des apparitions mariales, notés à Lourdes mais aussi à Garabandal ou à Medjugorje. L'aspect oraculaire des transes ergotropes n'a pas fait l'objet jusqu'alors d'études systématiques. Enfin, le comportement des êtres qui recherchent les transes paroxystique de type dionysiaque, aussi aberrant qu'il paraisse à un observateur extérieur, reste ordonné par la thématique interne de l'expérience et ne donne pas lieu à des épisodes convulsionnaires durables ni à des crises épileptiques. On pense à la description de la transe de possession vodoue donnée par Alfred Métraux[27]. Après une phase convulsionnaire plus ou moins rapide — et qui peut même être totalement absente — l'agitation s'apaise, le choual (cheval — le « possédé » se compare à une monture) se voit remettre les attributs du Loa (dieu ou esprit) qui le monte et se comporte désormais selon la logique propre de la déité présente ; à la fin de la transe, une intense fatigue s'accompagne d'une hébétude analogue à celle d’un réveil un peu cotonneux[28]. Métraux note que la crise hystéroïde ou pseudo-épileptique sera d'autant plus aiguë et durable que le possédé est novice en son art. Plus il devient chevronné, plus la cérémonie s'apparente à la théâtralisation, avec toute l'ambiguïté de contrôle et d'abandon que sous-entend ce dernier terme.
Les contenus de conscience.
Il reste cependant le problème des contenus de l’expérience et de leur lien avec le mode de basculement neurophysiologique. Un classement des états de conscience sur un spectre continu selon l’hyper ou l’hypovigilance, disons, pour faire vite, un suréveil ou une hypnose, comme nous l’avions tenté il y a quelques années en le combinant aux catégories d’Ikemi[29], s’avère décevant à l’usage. On peut certes tenter une catégorisation basée sur des types de contenu : acuité décuplée de l’attention, phénomènes parapsychologiques (télépathie, voyance, PK, prémonitions, endoscopie, etc., toute la « lucidité » revendiquée par les théoriciens du magnétisme animal), états visionnaires, endoperceptions lumineuses, extase « sans forme », liste non exhaustive. Toutefois les mêmes contenus semblent apparaître plus ou moins aléatoirement au travers de toutes les méthodes d’induction, surplomber l’opposition ergotrope/trophotrope et même les variations de la chimie du cerveau. Par exemple, pour nous en tenir à l’une des expériences les plus fréquemment valorisées, l’endoperception lumineuse, i. e. perception de taches lumineuses ou même envahissement de la conscience par une sensation de lumière, sans source lumineuse externe ni lésion de l’oeil ou de l’aire cérébrale visuelle, est attestée en coma dépassé[30], à l’état de rêve[31], lors de transes vigiles et, dans ces dernières, aussi bien par les yogis, par les disciples de Martinez de Pascually qui, au XVIIIe siècle, les recherchaient au travers d’un rituel de magie cérémonielle[32], par les « somnambules » du magnétisme animal, c’est à dire par des états « calmes », mais aussi par les derviches danseurs, par certains chamanes, par certains tarentulés, donc par des états « agités », et même par des gens qui ne ressentent subjectivement aucune variation dans leur état de conscience et les projettent sur l’environnement extérieur[33]. En d’autres termes, une cartographie exhaustive des états de conscience, croisant les données neurologiques et psychiques, s’avère à peu près impossible. Selon la forte expression de Francis Lesourd à propos des somatisations, la recherche en ce domaine s’apparente à l’exploration du Passage du Nord-Ouest et doit se faire à la fois avec cartes et sans cartes[34].
Éveil ou Éveils ?
Malgré l’extrême plasticité de la conscience que révèlent toutes ces tentatives de cartographie, il reste peut-être une opposition pertinente entre les états qui ne peuvent être vécus que de manière temporaire et ceux que certains témoignages présentent comme définitifs ou, du moins, durables. Une rumeur persistante traverse toutes les civilisations : il serait possible d’atteindre un état d’éveil infrangible, une surconscience permettant les activités ordinaires de survie. Transes, extases, états paroxystiques n’en seraient qu’une approche ou, parfois, une parodie. Reste posée la question de savoir si Platon, lamas mongolo-tibétains, yogis, gnostiques, soufis et chrétiens parlent bien du même éveil. Gurdjieff le pensait[35]. L’ethnologue Jean Servier tendrait aussi à l’affirmer[36]. Pour avoir pratiqué différentes voies et rencontré, pour les besoins de notre recherche, les adeptes de plusieurs autres, nous avons quelques doutes sur l’identité ultime de ces états surplombants.
En particulier, les techniques d’éveil de la branche lamaïque mongolo-tibétaine nous semblent mener à un tout autre continent que l’ensemble que nous avons nommé gnostique-unitif. Ossendowski fait état d’une maîtrise de l’hypnose et d’une recherche d’états visionnaires, d’oracles, dans une ambiance marquée par la crainte des pratiquants plus puissants[37]. Alexandra David-Neel parle d’une augmentation de la température corporelle telle qu’un lama, nu dans la neige, séchera une couverture préalablement plongée dans l’eau glacée d’un torrent[38]. Face à ces récits dans lesquels la recherche des « pouvoirs » semble prédominer, les écrits de Tibétains en exil comme Lama Anagärika Govinda[39] ou Thartang Tulku[40] semblent très bénins, plus proches du yoga hindou, voire des techniques californiennes de psychothérapie « douce ». Toutefois, malgré le concert des âmes généreuses en faveur des « bons » Tibétains, artisans de paix persécutés par les « méchants » Chinois envahisseurs, nous aimerions faire aussi sur ce point quelques remarques impertinentes. Lors d’un des colloques internationaux sur le rêve qui se sont tenus à l’université de Mons, nous avons participé à l’atelier animé par un lama tout droit venu des USA. L’exercice proposé s’apparentait à un rêve éveillé dirigé, à deux détails près : le lama était extrêmement directif, il imposait le scénario dans le moindre détail ; les participants n’avaient aucune possibilité de dire ce qu’ils éprouvaient et donc de se réapproprier l’expérience. Le système du maître qui sait et parle, et du disciple qui ignore et se tait était appliqué avec une implacable rigidité. C’est exactement ce que déconseillent tous les thérapeutes. Le scénario induisait une attitude de réceptivité, de souplesse, de détachement, mais sans aucune chaleur humaine. D’autre part, lorsque Florence Ghibellini[41], elle-même chercheur, voulut en 1997 comparer les techniques américaines d’induction du rêve lucide aux techniques tibétaines, elle se heurta à une fin de non-recevoir. Le discours, fort diplomatique au demeurant, se résumait à « faites vous notre disciple et vous saurez, mais il vous faudra promettre le secret », alors que ce secret semble éventé depuis des années aux États-Unis (Stephen LaBerge en discute dans son ouvrage et Raymond de Becker y faisait déjà allusion, en France, en 1965[42]). On peut alors se demander s’il n’y a pas un bouddhisme tibétain édulcoré à l’intention des Occidentaux, et par ailleurs des techniques réservées aux disciples ayant fait preuve de leur loyale obéissance. Lorsque l’on relit, après de telles expériences, David-Neel et Ossendowski et que l’on se souvient qu’un certain nombre des hauts dignitaires du nazisme ont pratiqué le bouddhisme lamaïque, il y a de quoi se poser des questions sur l’intense activité « missionnaire » déployée en direction des Américains et des Français — et cela d’autant plus que le Dalaï Lama, s’il est un bon symbole médiatique et, nous voulons bien le croire, un homme pacifique et ouvert, ne possède absolument pas l’autorité sur l’ensemble de la communauté mongolo-tibétaine qu’a, par exemple, le pape sur les catholiques. Il ne dirige que l’une des écoles, celle des Bonnets Jaunes. Le Diamant, les Bonnets Rouges, les Bonnets Noirs et d’autres écoles encore plus minoritaires ne relèvent pas de lui.
L’éveil spirituel chrétien, tel qu’on le trouve par exemple dans l’hésychasme, diverge également du courant gnostique-unitif même s’il semble y avoir une large zone d’intersection. Ces différences sont d’ailleurs reconnues par les « éveillés » eux-mêmes, si du moins ils connaissent les autres voies autrement que par ouï-dire ; on note souvent des efforts pour valoriser le mode d’éveil auquel on aspire ou que l’on pense avoir atteint et assimiler ceux des autres à une étape légèrement inférieure. La discussion entre chrétiens et hindouistes à propos de la relation personnelle à Dieu versus identification impersonnelle à l’Atman serait ici particulièrement instructive. Pour les hindous, la voie chrétienne serait une forme de bakhti yoga, ou yoga de dévotion, arrêtée à un éveil partiel. Pour les chrétiens, ce sont les yogis qui, bernés par leur philosophie moniste, ne parviendraient pas à dépasser le premier seuil, celui des énergies divines. Dans leur vécu, et nous insistons sur cette notion de vécu, ils auraient tous deux raison, en ce sens que le yogi engagé dans la bakhti passe d’abord par une relation personnelle qu’il déconstruit ensuite pour atteindre l’impersonnel et que les mystiques chrétiens éprouvent souvent une phase de fusion avec le divin avant d’entrer dans une relation interpersonnelle. Mais l’affirmation de supériorité ontologique du dernier état atteint rend les expériences des uns et des autres contradictoires entre elles.
En d’autres termes, la hiérarchisation des états de conscience semble indissociable d’un ensemble plus vaste, de positions métaphysiques divergentes d’une religion à l’autre, voire de valorisations sociales en apparence beaucoup plus triviales, des contraintes du langage... tandis que l’expérience des modes d’éveil ou même des transes paroxystiques intervient dans la construction de ces autres choix. Il semble même que cette hiérarchisation soit d’autant plus contraignante que les doctrines métaphysiques deviennent plus exclusives. Si, comme Parménide, on ne s’intéresse qu’à l’Être idéal, débarrassé de toutes les « contingences » de l’expérience concrète, immuable, continu, isotrope, incolore, intemporel surtout, seule l’endoperception lumineuse hors de toute pensée verbale et de tout affect a quelque chance d’échapper à la censure du mépris. Si, comme Héraclite ou les taoïstes, on contemple les flux et les jeux de mouvements antagonistes en l’univers et en soi-même, le champ ouvert est beaucoup plus vaste. Un Dioclétien rêvant de susciter dans l’empire romain l’homme « solaire » promeut en fait l’acuité de conscience du général en chef sur le champ de bataille. De même, une branche dérivée et très minoritaire de l’ésotérisme occidental, représentée au XXe siècle par Julius Evola, valorise plutôt la furor heroica du guerrier. Leur revendication d’« impersonnalité active » admet encore comme substrat la résorption de la diversité du réel dans l’Un, sauf pour le roi-guerrier qui se détache de ce fond commun, conquiert la permanence de son autonomie conscientielle et, par là, une forme d’éternité par delà la mort physique. Il est frappant que, dans les quelques témoignages de l’antiquité gréco-romaine, les NDE soient toujours le fait de soldats laissés pour morts sur le terrain[43]. Dans un contexte religieux plus « démocratique » comme le christianisme, les NDE surviennent à n’importe quel comateux profond.
Même s’il ne s’agissait entre ces tendances que d’une querelle de famille, la notion de tradition primordiale ou de philosophia perennis en serait affaiblie car comment comprendre qu’elle aboutisse à des systèmes de valeurs aussi divergents, l’un orienté vers la contemplation et le détachement, l’autre vers l’action violente[44], ou les uns vers l’élitisme de sociétés d’initiés au recrutement restreint et les autres ouvrant l’initiation à tous et chacun[45] ? Comment admettre que la transe ergotrope soit valorisée par la plupart des chamanismes et rejetée presque systématiquement dans les sociétés urbaines, comme en témoigneraient la distinction médiévale entre energumeni (agités, donc démoniaques) et « bons » visionnaires (moines, évêques, malades venant prier au tombeau des saints), la fermeture du cimetière de Saint-Médard par édit royal lors des manifestations convulsionnaires du XVIIIe siècle, le choix de Bernadette Soubirous, la plus calme, comme voyante ecclésialement et socialement reconnue lors de l’épidémie visionnaire qui touche en 1858 une bonne part des enfants de Lourdes, les autres courant à travers prés derrière une « Dame » qui semble papillonner dans l’espace[46] ? Comment comprendre enfin que cette même transe ergotrope qui suscite la méfiance des yogis, des moines bouddhistes et de leurs homologues chrétiens soit revalorisée dans certaines écoles de l’Islam comme celle des derviches ou celle des danseurs guérisseurs du sud marocain qui tous deux déclarent qu’elle débouche sur un éveil permanent ? Comment expliquer de telles divergences si toutes les expériences initiatiques et religieuses s’originaient en une souche traditionnelle unique ?
Il semble très difficile de relier tous ces modes d’éveil à une tradition unique qui traverserait les diverses « religions extérieures », puisque nous nous plaçons ici à l’extrême pointe de chacune d’elles, à la plus haute qualité de conscience qu’elles proposent d’atteindre et de ne plus abandonner. Ou alors il faudrait admettre que cette tradition se donne comme but, comme projet sur l’homme, un massif à plusieurs sommets plutôt qu’un unique « mont Analogue »[47]. Mais s’agit-il d’une tradition, ou simplement des potentialités déployées de la nature humaine ?
A rebours, l’exploration des états de conscience ne justifie pas davantage les prétentions « modernes » des neurosciences françaises à rejeter dans l’enfer des superstitions ou celui de la maladie mentale tout ce qui diverge peu ou prou d’un état vigile « ordinaire ». Que ce dernier ait plus d’efficace s’il s’agit de rédiger un rapport de laboratoire est une évidence que nous ne discuterons pas. Que tout le reste soit déviance ne tient pas une seconde face aux travaux de leurs collègues américains : les flux de neurotransmetteurs ou les alternances entre les deux versants du système nerveux accompagnent des modifications de conscience chez des sujets sains et, nous l’avons vu par les travaux d’Ikemi, une assertion au moins des yogis ou des chamanes est vérifiée au laboratoire, puisque la modification du fonctionnement cérébral permet rééquilibration et guérison au moins partielle même dans le cas de la maladie de Parkinson.
[1]Terme surtout employé par Georges Lapassade. Voir son Essai sur la transe, le matérialisme hystérique I, éd. J.P. Delarge, Paris, 1976.
[2]Employé surtout par Roger Ripert et Guy Beney. Voir la revue Oniros et la traduction par Beney de l’ouvrage de Roger N. Walsh et Frances Vaughan, Au delà de l’ego, le tout premier bilan en psychologie transpersonnelle, La Table ronde, Paris, 1984.
[3]Surtout utilisé par ceux qui cherchent à psychiatriser la question, au prix d’une erreur volontaire de traduction. « Altérés » décalque l’anglais altered states of consciousness, sauf que altered signifie simplement autre, différent, et non pas altéré au sens français de perte d’intégrité.
[4]Mais les deux disciplines s’ignorent allègrement. Alors que les travaux sur le rêve nocturne ont commencé de manière systématique dans les années 50 avec des chercheurs comme William C. Dement, Manfred F. DeMartino ou Leonard Gilman, il faut attendre 1991 pour voir paraître dans Dreaming, revue spécialisée des onirologues américains, un article de Barbara Tedlock sur « The new anthropology of dreaming » qui conclut à la nécessité d’inclure une perspective psychologique dans la formation des ethnologues. Mais ces derniers lisent-ils Dreaming ?
[5]Du moins dans l’état de conscience vigile ordinaire valorisé par notre société.
[6]Voir à ce propos Ioan Couliano, Expériences de l’extase, Payot, Paris, 1985.
[7]Yannick Ripa, Histoire du rêve au XIXe siècle, Olivier Orban, Paris, 1988.
[8]Yujiro Ikemi, « Les états modifiés de conscience », Science et conscience, les deux lectures de l’univers, actes du colloque de Cordoue, Stock, Paris, 1980, pp. 129-145.
[9]E. Gellhorn, « Neurophysiologic basis of homeostasis », Cofin. Neurol. 30, pp. 217-238.
[10]Catherine L. Maire, Les convulsionnaires de Saint-Médard, Archives, Paris, 1985.
[11]On la trouve, en dehors du cerveau humain, surtout dans le chocolat ; comme elle permet de combattre l’ennui, l’angoisse et donc certaines déprimes, cela explique peut-être le succès de cette fève exotique dès que les Espagnols l’eurent ramenée des Amériques. Ceux qui n’ont jamais terminé une tablette dans la soirée ont sans doute une vie passionnante, ou un foie extrêmement fragile, ou un parti-pris puritain qui leur interdit tout plaisir simple.
[12]N'ayant pu obtenir les publications originales de Mandell, nous nous appuierons sur l'intelligente vulgarisation de Judith Hooper, « Releasing the mystic in your brain », Science Digest, may 1981.
[13]William James, The varieties of religious experiences, en français. Les variétés de l'expérience religieuse, Felix Alcan, Paris.
[14]L’une des zones parmi les plus centrales du « cerveau archaïque ».
[15] « Perhaps the world's great mystics have unknowingly by-passed this chemical — by meditation, constant prayer, fasting, the sensory deprivation of monastic life or by some completely unknown means. The effects of scant serotonin on the hippocampus could well produce a mystical version of reality, Mandell claims. The hippocampus is a meeting place between two different circuits — one from the external world, the senses ; the other from inside — and normally it adjusts moods and emotions to input from the environment. When the hippocampus suffers from a serotonin shortage, however, inside and outside may no longer be adjusted in the same way. Internal experience may predominate » Judith Hooper, op. cit.
[16]La recherche d'hallucinations ou de visualisations n'implique pas l'entrée dans le rêve stricto sensu, c'est à dire le sommeil paradoxal. J'appelle donc oniroïdes ces états dont le contenu évoque ceux du rêve mais s'appuient sur d'autres corrélats neurophysiologiques.
[17] Liebowitz, The chemistry of love.
[18]Stanislav Grof, Royaumes de l’inconscient humain, la psychologie des profondeurs dévoilée par l’expérience LSD, trad. Paul Couturiau et Christel Rollinat, éd. Du Rocher, Monaco, 1983 (éd. américaine 1975). En particulier p. 247 et sq.
[19]Voir cependant, pour une approche neurologique, Claude Rifat, « Du rêve conscient à la conscience », Rêver n°2, 1997, pp. 10-19.
[20]Stanislav Grof, op. cit., p. 25.
[21]Ibid., p. 34.
[22]Ibid., p.134.
[23]Ibid., p.135.
[24]Voir à ce propos les travaux de J. Allan Hobson, The dreaming brain, Basic Books, N.Y., 1988, en français Le cerveau rêvant, Paris, 1992.
[25]Lorsqu'elles ne sont pas un défilé folklorique à l'usage des touristes…
[26]Il y a même eu des esprits chagrins pour lui attribuer le bien-être psychique des athlètes après une compétition sportive et, au début des années 80, quand le positivisme reprenait du poil de la bête, s’inquiéter de cette transgression à la norme. L’avertissement a sombré dans le ridicule. Il faut quand même préciser que cette « auto-intoxication », même après plusieurs heures de danse ou un marathon, n’atteint jamais fût-ce la plus petite des doses ingérées par les héroïnomanes ; et que les endorphines sont très rapidement éliminées par l’organisme, sans séquelles et sans accoutumance.
[27]Alfred Métraux, Le vaudou haïtien, NRF, Paris, 1958, pp.107-112.
[28]Le choual danse et mime un ou plusieurs loas pendant des heures, sa fatigue n’a donc rien d’anormal.
[29]Sous le pseudonyme d’Anne Vève, « L’imaginaire masqué et les états non ordinaires de conscience », conférence donnée à l’ESIEA et reprise in Annuaire du CIGU n°3, 1986.
[30]Voir les travaux de Moody, Kenneth Ring, Michael Sabom, Karlis Osis, sur les NDE, et signalons qu’il existe des récits très semblables aux NDE contemporaines chez Jonas de Bobbio, auteur monastique du VIIe siècle, dans sa Vie de saint Colomban et de ses disciples. Nous avons consacré un chapitre de notre thèse de doctorat à l’étude comparative de ces récits d’agonie.
[31]C’est le cas dans un bon tiers des rêves signifiants rapportés par la littérature hagiographique mérovingienne, mais on en trouve mention aussi dans un article de Sirley Marques Bonham, Ph. D., « Manifestations de kundalini, rêve lucide et expériences hors du corps », Rêver n°3, 1997, pp.66-75.
[32]Nous les connaissons par le témoignage de Willermoz qui avoue ne jamais y être lui-même parvenu.
[33]Là encore, on en trouverait des récits très semblables dans l’hagiographie mérovingienne et parmi les abductees du phénomène OVNI. Chez ces derniers, la perception d’une lumière intense superposée à l’environnement se trouve souvent seule mémorisée au début de l’expérience et ce n’est qu’ensuite que se déroule le vécu mythique de l’enlèvement. Voir Bertrand Meheust, En soucoupes volantes, vers une ethnologie des récits d’enlèvement, Imago, Paris, 1992 (Mercure de France, 1985).
[34]Francis Lesourd, « Préalable épistémologique — dossier Rêve et corps », Oniros n°39, 1993, p. 4 et « Le reste », même dossier, Oniros n°40, 1993, pp.4-9.
[35]Voir Gurdjieff, Rencontres avec des hommes remarquables, trad. J. de Salzmann, Le Rocher, Monaco, 1994 (avant 1949) et Ouspensky, Fragments d’un enseignement inconnu, trad. Philippe Lavastine, Stock, Paris, 1974 (1949).
[36]Jean Servier, L’homme et l’invisible, Laffont, Paris, 1964.
[37]Ferdinand Ossendowski, Bêtes, hommes et dieux : l’énigme du Roi du Monde, trad. Robert Renard, Plon, Paris, 1924 (réed. J’ai Lu 1969).
[38]Alexandra David-Neel, Voyage d’une parisienne à Lhassa.
[39]Lama Anagärika Govinda, Le chemin des nuages blancs, Albin-Michel, Paris, 1979.
[40]Thartang Tulku, L’ouverture de l’esprit : les clés de l’énergie et de l’épanouissement, trad. Sylvie Carteron, Dervy, Paris, 1988 (USA 1978).
[41]Qui dirigeait alors feu la revue Rêver, seule revue ouverte aux onirologues français.
[42]Raymond de Becker, Les machinations de la nuit : les rêves dans l’histoire et l’histoire du rêve, Retz, Paris, 1965.
[43]Par exemple Er le Pamphylien chez Platon.
[44]Les deux orientations existent aux Indes depuis l’antiquité, la première largement décrite dans les Upanishad et la seconde dans la Bhagavad Gîta.
[45]Pour l’antiquité tardive, le culte de Mithra et certaines écoles gnostiques représentent la première tendance ; le culte d’Isis, celui de Dionysos et le christianisme, la seconde.
[46]Voir l’enquête du père Cros, Lourdes 1858, témoins de l’événement, Lethielleux, Paris, 1957 ; et notre article « L’onirique et le visionnaire » in Forum transdisciplinaire n°1, 1995.
[47]Merci, Daumal.
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