Le rapport au temps
Parler de tradition, c’est à dire de transmission, et la qualifier de primordiale signifie privilégier un rapport particulier au temps qui l’épouse et le nie d’un même mouvement. La transmission suppose une successivité de « maître » à « disciple », de génération en génération, un déploiement sur le long terme par delà les aléas d’une histoire événementielle. Ce long terme évoque irrésistiblement l’« histoire immobile » que Braudel pointait comme l’une des dimensions de l’histoire des peuples et des cultures[1], il l’évoque d’autant plus aisément qu’idéalement, dans cette notion de tradition, rien ne bouge vraiment sinon de manière cyclique. La doctrine des quatre âges (âge d’or ou de la perfection heureuse, âge d’argent où déjà se dessine une fêlure, âge de bronze ou des héros, âge de fer enfin, caractérisé par le désordre et la décadence) présente pourtant une involution, une usure par paliers, une forme d’entropie de l’univers et de l’homme ; mais elle se résoud par le retour à la plénitude ontologique de l’origine, retour répété au moins annuellement au travers des rites de régénération, parfois plus fréquemment encore, retour annoncé et imparable à la fin de l’âge de fer au travers d’une dissolution qui serait aussi retour au chaos créateur, c’est-à-dire à l’indifférencié porteur de l’ensemble des potentialités cosmiques.
Toutefois, les grands mythes cosmogoniques qui décrivent l’origine la dédoublent le plus souvent ; naissance du cosmos et aurore de l’homme ne se confondent pas, même si la seconde, toujours seconde dans la temporalité du récit, réactualise les qualités ontologiques de la première. Seule la régénération à l’issue des quatre âges atteint simultanément l’univers et l’homme, tout au moins pour un ensemble culturel que l’on pourrait qualifier d’eurasiatique. Certains comparatistes comme Mircea Eliade, certains ethnologues comme Jean Servier n’hésitent pas à généraliser ce mode d’appréhension du temps à toutes les cultures non industrialisées et sans doute n’ont-ils pas tort s’il s’agit d’une conception cyclique adossée aux observations astronomiques et, sauf en zone équatoriale pour des raisons climatiques évidentes, aux transformations saisonnières de la flore et de la faune (arbres à feuilles caduques, fructification, migrations des oiseaux et de certains animaux marins). Mais force est alors de reconnaître que la doctrine des quatre âges, que l’on trouve explicitée dans la mythologie indienne, chez Hésiode et dans le livre biblique de Daniel, loin d’être un pilier de « la » tradition, en représenterait une simple variante locale. Le système aztèque, par exemple, envisage un cycle cosmique subdivisé en au moins cinq « âges » et non quatre, séparés par des cataclysmes[2].
Notons aussi que la conception cyclique, qui serait d’ailleurs toujours polycyclique (lunaisons, année, saros et cycle de Meton luni-solaires, cycles planétaires, grands cycles précessionnels, cycle de renouvellement eschatologique), complexifie le temps et le qualifie beaucoup plus qu’elle ne le nie. La négation réelle du temps réside dans l’affirmation implicite de l’omniprésence latente de l’origine, qu’elle soit réactivée par les rites ou qu’un ensemble d’exercices ascétiques, sinon de sacralisations de l’espace et de l’objet, permette à l’homme de l’intégrer dans sa propre conscience. Mircea Eliade suggère que la récitation des mythes cosmogoniques replace les auditeurs in illo tempore, les rend contemporains de l’origine[3] ; il cite à ce propos l’expression des aborigènes australiens, le « temps du rêve ». C’est peut-être oublier que l’homme rêve spontanément chaque nuit. Il y aurait donc plutôt, dans cette perspective, coexistence de plusieurs temps, de plusieurs durées accessibles à l’homme, mais qui ne s’offrent pas toutes de manière immédiate à sa conscience vigile ordinaire.
Un stéréotype de notre propre culture savante veut que le phylum judéochrétien, ouvrant ainsi la porte à la rationalité moderne, ait rompu avec le temps cyclique au profit d’un temps linéaire que nul auparavant n’aurait jamais pensé ou, du moins, valorisé. Cette invention de l’historicité marquerait la différence entre raison et superstition pour les uns et représenterait pour les autres la catastrophe désacralisante engendrant, selon Max Weber et Marcel Gauchet, le « désenchantement du monde », la perte de sens et la superficialité de l’homme que Marcuse qualifie d’« unidimensionnel ». Qu’on la proclame ou qu’on la fustige, la révolution paradigmatique de l’histoire, irréversible par définition[4] (sauf irruption subite du ragnarök ou d’Armaggedon, cela va de soi), est reconnue par tous comme un fait massif et incontournable. L’évidence est trop forte, trop ostensiblement cohérente dans l’un et l’autre champ de pensée, trop clairement revendiquée par les deux antagonistes pour ne pas nous induire en tentation d’impertinence.
Tout d’abord, les cultures dites traditionnelles se sont-elles jamais limitées au temps cyclique et au « temps intemporel » de l’origine ? On nous permettra quelques doutes. Dès l’invention de l’écriture vers -3500 en Mésopotamie, invention qui représente tout de même un saut qualitatif, on voit apparaître des stèles commémoratives et des chroniques, c’est-à-dire une saisie de l’événementiel, une pérennisation du fugitif dans laquelle il est difficile de ne pas reconnaître une certaine conscience de l’historicité. Pis encore, dans la plupart des cultures orales, certains chants mnémotechniques remémorent les généalogies de la tribu ou du clan, des généalogies ornées de véritables notules biographiques. Admettons que l’exigence de réalisme y soit moins forte que la louange des ancêtres ; il arrivait aussi aux stèles et chroniques royales de l’antiquité profonde de transformer les défaites en victoires pour l’édification des générations futures[5] et il ne faudrait pas trop solliciter les discours commémoratifs de notre époque pour y retrouver... disons un point de vue « globalement positif » pour soutenir le moral du peuple. Arrangés ou non pour les besoins de la cause, les chants généalogiques, eux aussi, témoignent d’une certaine conscience du temps linéaire, d’une mémoire qui enregistre le contingent, l’aléa, le non reproductible et, par là même, lui donne place dans les représentations collectives.
D’autre part, la naissance de la conscience historique comme reconstitution du passé selon un temps linéaire pur, dégagé des exigences de la sacralité cyclique, s’est-elle opérée, comme le voudraient à la fois Alain de Benoist (qui le déplore) et Levinas (qui le revendique comme supériorité)[6], dans la seule sphère juive ? Alain de Benoist, notons le, vise un judaïsme achevé, celui des Prophètes annonçant le Messie et le Jour du Seigneur : « Dans une telle perspective messianique, il ne saurait y avoir de ce temps cyclique, mythique, que les Anciens considéraient comme le temps sacré par excellence ; l’ordre ancien ne saurait être appelé à faire retour, puisqu’il doit au contraire être aboli[7]. » Ce judaïsme eschatologique date de la seconde déportation à Babylone, entre -593 pour Ezechiel et -350 pour Joël, le plus « messianique » de tous, ce qui signifie qu’il est contemporain des philosophes grecs, de Thalès de Milet à Platon et Aristote. Bien avant cette époque, la création du premier empire historique par Sargon d’Akkad donne lieu à la cristallisation d’un archétype encore actif de nos jours et qui mêle dans sa structure même conscience linéaire et conscience cyclique du temps. Le légendaire de Sargon se retrouve, avec les variantes locales prévisibles[8], sur toute l’aire eurasiatique, de la Chine à l’Irlande, comme modèle politique idéalisé ; dans tous les cas, la rupture représentée par l’impérialisme sargonide par rapport au passé « chaotique » est soulignée. Or ce légendaire suméro-babylonien, qui tient à la fois du mythe de fondation par la valorisation de l’origine, et de la conscience historique par le constat de rupture irréversible entre un « avant » et un « après », se développe près d’un millénaire avant la compilation historicisante des premiers livres bibliques et quinze siècles avant Ezechiel. Le messianisme juif de l’antiquité emprunte d’ailleurs nombre de traits à la légende de Sargon, en particulier la figure du roi béni de(s) Dieu(x) qui doit refaire l’unité du royaume de David et provoquer l’admiration des Nations.
D’autre part, l’évhémérisation romaine des mythes de fondation, jointe au refus du récit mythique dans la pratique cultuelle dès les débuts de la république, évhémérisation remarquée comme une exception culturelle par tous les historiens des religions, de Pierre Lavedan à Dumézil en passant par Kérényi, nous semble aussi à cet égard plus révélatrice que les premiers chapitres de la Genèse ou les prescriptions du Pentateuque. La spécificité romaine trouve peut-être ses racines dans la rumeur sargonide, encore qu’une telle filiation soit improuvable ; il serait ridicule de la rattacher à l’élaboration de la pensée juive, sauf à supposer que cette dernière ait influencé en profondeur la civilisation hellénistique et, de là, rayonné sur toute la Méditerranée. Il serait plus facile d’y voir une cristallisation de la pensée étrusque et de créditer cette dernière d’échanges avec la philosophie grecque par le biais des colonies d’Italie du sud. Les fragments d’Héraclite (« on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve ») témoignent d’une réflexion poussée sur le temps linéaire qui semble autonome par rapport au courant hébraïque même si, nous l’avons vu, les écoles de Milet et d’Ephèse sont contemporaines des Prophètes, en particulier de l’école d’Isaïe. Or, comme l’a fort bien montré Dodds, à partir de ces écoles philosophiques, approches « rationnelles » et approches « mythiques », donc temps linéaire et temps cyclique, interagissent en permanence dans la Grèce classique[9].
Il se passe quelque chose vers le VIe siècle dans les élites urbaines tout autour de la Méditerranée et jusque chez les Mèdes et les Perses, quelque chose que Mircea Eliade définit comme une première démythisation[10], et la saisie linéaire du temps s’exprime un peu partout. Le phénomène messianique des Juifs exilés ne s’oppose pas tant qu’on aimerait le croire dans certains milieux à la pratique des autres peuples, en particulier la consultation des grands oracles, Delphes ou Dodone, avant une décision politique. Dans les deux cas, comme le dit de Benoist pour la seule conscience juive, « Dieu se révèle historiquement : l’événement qui porte la trace de son intervention signe son avènement dans le coeur des hommes[11]. » Pour Parménide ou Zénon d’Elée comme plus tard pour Platon, Dieu — ou l’Être — est déjà unique, les dieux du panthéon représentant ses « aspects » ou des esprits intermédiaires et, dans cette perspective, Apollon delphique n’est pas si éloigné de Marduk en qui se résorbe à la même époque le panthéon babylonien, ou de... Yahvé ! Qu’un peuple vaincu et déporté espère alors de Dieu sa libération et sa restauration n’est pas vraiment en rupture avec la mentalité commune. Le messianisme même, le « serviteur souffrant », doit beaucoup à l’évolution de la figure de Marduk en dieu compatissant qui se soucie des hommes[12]. Mais comparons ce qui est comparable : les prophètes messianiques avec les mages et les philosophes et non avec le paysan grec qui s’enivre aux Dionysies rurales et qui, le folklore ultérieur en témoigne, tend comme tout rural à perpétuer des comportements archaïsants. S’il y a rupture, elle serait entre le monde judéo-babylonien reconnaissant au Dieu, Yahvé ou Marduk, ce que l’on pourrait appeler une présence personnelle transcendante-immanente et le monisme parménidien, chez qui l’Être immuable impersonnel apparaît comme le substrat des êtres. Mais c’est là une autre question que celle du temps et que nous approfondirons plus loin.
La différence serait pourtant immense, nous assure-t-on chez les positivistes, entre la coexistence, dans la civilisation antique, du temps mythique-cyclique et d’une première rationalisation du temps linéaire, et la conscience des dissimultanéités socioculturelles qui fondent la distinction braudélienne entre temps événementiel, temps de l’histoire économico-culturelle et « temps immobile », puisque ces durées toutes trois linéaires ne se différencieraient que par la vitesse d’apparition et de désagrégation des phénomènes concernés[13]. De plus, cette linéarité serait seule cohérente avec le temps mesurable des physiciens, fondement irréversible de la causalité et dimension géométrique de l’univers. Nous aurions renvoyé l’origine intemporelle et le temps cyclique aux poubelles de l’histoire où pourrissent les superstitions périmées, nous les aurions bannis à tout jamais de nos représentations rationnelles du monde... Comment se fait-il, alors, qu’une classe de problèmes en biologie, et parmi les plus en pointe, consiste à déterminer les rythmes biologiques, c’est à dire la périodicité des productions de notre usine chimique interne[14] ? Qu’est-ce qui différencie une telle activité périodique d’un cycle temporel[15] ? Comment se fait-il que l’on ait pu repérer des cycles économiques d’une durée moyenne déterminée et même les retrouver dans l’analyse historique[16] ? Comment se fait-il que l’étude des variations climatiques mette en évidence des régularités temporelles, ne serait-ce, dans le court terme, que le phénomène el niño ? Quant à l’origine intemporelle, jetons un voile pudique sur ce qui se passe au voisinage du vide quantique et admettons, pour l’instant, que les êtres paradoxaux maniés par les physiciens ne concernent pas les sciences humaines et ne polluent pas leurs représentations.
Poussons plus loin l’impertinence. Force nous est d’admettre que les trois consciences du temps, linéaire, cyclique et « immobile fondamental » coexistent à des degrés divers dans toutes les cultures, y compris la nôtre dans ce qu’elle a de plus résolument « moderne ». On trouverait même une cyclicité plus banale que les rythmes biologiques ou climatiques dans la répartition saisonnière du travail et des vacances. Alors d’où nous vient cette permanence transculturelle des cadres conceptuels de la temporalité ?
La divergence entre les sociétés traditionnelles et notre modernité, pour autant qu’elle ne relève pas en partie des présupposés des comparatistes, ne tiendrait alors qu’à la sacralisation de l’origine, à sa survalorisation dans la mythopoièse. Dans la science moderne, le temps cyclique relèverait d’un constat de périodicité de phénomènes concrets et ne donnerait pas lieu, pour une raison saine, à de tels systèmes de valeurs ; tandis que la cyclicité de ceux que l’on n’ose plus nommer les « Primitifs », même basée sur l’observation de retours astronomiques ou saisonniers, ne témoignerait que d’une cristallisation irrationnelle, d’un « système de croyances », et ferait barrage à tout progrès réel. Admettons. Admettons que la communauté scientifique soit vierge de tout processus de sacralisation subreptice, en tout cas dans sa pratique au laboratoire, encore qu’il ne soit pas sûr qu’un sociologue des sciences souscrive entièrement à cette auto-représentation. Commentant la dispute, ô combien moderne, entre Hobbes et Boyle au XVIIe siècle, le premier s’appuyant sur les mathématiques et le second sur l’expérimentation, Bruno Latour remarque en un saisissant raccourci : « La pompe à air de Boyle, par exemple, pourrait sembler une chimère assez effrayante puisqu’elle produit artificiellement un vide de laboratoire, lequel permet de définir à la fois les lois de la nature, l’action de Dieu et le règlement des disputes dans l’Angleterre de la Glorieuse Révolution. D’après Horton, la pensée sauvage en aurait aussitôt conjuré le danger. Or le XVIIe siècle anglais va dorénavant construire la royauté, la nature et la théologie avec la communauté scientifique et le laboratoire. L’élasticité de l’air va s’ajouter aux acteurs qui peuplaient l’Angleterre[17]. » Résidus de naïveté d’un siècle mal dégagé encore des anciennes sacralisations ? Voire. Latour pose aussi bien la question pour notre temps : « Le plus petit virus du sida vous fait passer du sexe à l’inconscient, à l’Afrique, aux cultures des cellules, à l’ADN, à San Francisco, mais les analystes, les penseurs, les journalistes et les décideurs vous découperont le fin réseau que le virus dessine en petits compartiments propres où l’on ne trouvera que de la science, que de l’économie, que des représentations sociales, que des faits divers, que de la pitié, que du sexe[18]. » Mais, nous l’avons promis, admettons tout de même d’en croire les analystes. Il resterait encore un problème de fond. Toute interprétation du réel, qu’il s’agisse du donné « brut » de la perception immédiate, de l’élaboration expérientielle collective d’une culture ou du « fait scientifique » interrogé et traqué par l’expérimentation, se présente, selon la superbe expression de Bertrand Meheust, comme un décrire-construire. Comment se fait-il que, dans le rapport au temps, les décrire-construire des sociétés traditionnelles et ceux de la modernité aboutissent aux mêmes structures de base si ce n’est aux mêmes métaphores, linéarité du fleuve, circularité ou éternel retour du cycle rythmique, immobilité spatialisante du substrat ? Ne toucherait-on pas là du doigt un triple mode irréductible et constitutif de l’homme sinon de l’univers[19], ce que Kant désignait comme « forme a priori de l’entendement » et que Jung aurait pointé comme dynamique archétypale ?
La qualité de conscience
Avec la question de la conscience et de ses différents états, nous abordons une partie ardue. Dans les sciences humaines françaises, le terme n’apparaît pratiquement plus — on lui préfère les notions de vécu subjectif ou même d’éprouvé, notions loin d’être neutres puisqu’elles réussissent d’un mot à insulariser et dévaloriser à la fois ce qui pourrait se passer « dans la tête » de chacun d’entre nous. C’est à dessein que nous employons ici l’expression populaire apparue au cours des années 80, tant elle est révélatrice d’une victoire sociale des neurosciences. Les anglo-saxons, par contre, utilisent assez volontiers le terme consciousness et parfois, plus technique, self reflectiveness lorsqu’il s’agit de la conscience de soi. Cela peut sembler une simple querelle de vocabulaire, mais devient essentiel dans le débat lorsque l’on constate que toute la recherche, neuropsychologique ou expérimentale, sur les différents states of consciousness, états de conscience, s’est faite outre-Atlantique et que les neuf dixièmes des termes techniques générés par cette recherche n’ont aucun équivalent en français[20]. Or s’il est une revendication commune à la fois aux ésotéristes et aux sociétés traditionnelles, c’est sans doute l’affirmation que la conscience vigile ordinaire peut être dépassée, que l’homme peut atteindre une qualité de conscience telle que, outre l’apparition de « pouvoirs » qui transcendent l’espace, le temps et l’extériorité du monde, sa psyché unifiée s’identifie à une surconscience originaire qui caractériserait la sphère du « divin ». Une telle revendication est pensable, si ce n’est vérifiable, à l’université de Stanford ; à la Sorbonne, elle n’a pas de sens. Les rares ethnologues qui se laissent confronter au problème — citons Métraux, Eliade, Lapassade, Boccara ou Meheust — n’ont à leur disposition que deux termes pour décrire un champ à peu près inexploré de phénomènes à la fois psychiques et culturels, le mot transe pour indiquer la rupture avec l’état vigile de l’intellectuel européen et le concept de vécu mythique inventé récemment par Boccara pour souligner le lien avec le récit mythique.
En acceptant même que ces questions intéressent d’abord les ethnologues, qu’elles ne se rencontrent que chez l’autre culturel et ne puissent trouver de place pertinente dans notre propre société, la pauvreté du langage interdit de saisir des différences qui sont peut-être plus que des nuances. Les états de conscience recherchés et valorisés par les chamanes des sociétés de chasseurs-cueilleurs ou de protoagriculteurs ne recoupent pas entièrement, semble-t-il, ceux que cultivent les yogis de l’Inde ou le zen. L’expérience mystique unitive, pensons à maître Eckardt et surtout aux quiétistes du XVIIe siècle, et l’extase gnostique, sans parler de celle que préconisent les Upanishad sont-elles identiques ? Où placer dans ce spectre la (les ?) transe(s) de possession, par exemple celles du Vodou, africain aussi bien qu’haïtien ? La transe de guérison des tarentulés étudiée par l’ethnologue italien Ernesto de Martino ? L’inspiration démonique de Socrate ? Les vaticinations dansées et chantées des « fils de prophètes » dont parle la Bible[21] ? La furor heroica des guerriers antiques ? L’extase active des derviches danseurs ? Un premier constat s’impose devant la variété des descriptions, qu’elles viennent d’observateurs extérieurs ou de témoignages de première main : cette variabilité du vécu témoigne d’une étonnante plasticité du psychisme mais aussi de choix culturels divergents si ce n’est contradictoires. En général, mais comme toute généralisation celle-ci appellerait des réserves et des nuances, les sociétés de chasseurs-cueilleurs et de protoagriculteurs semblent privilégier des transes « utilitaires », orientées vers la guérison et la fertilité de la terre et des hommes, comme le note déjà Mircea Eliade[22] sans d’ailleurs pousser l’analyse dans cette direction. Cependant Walter Buckert retrouve cet utilitarisme, plus individualisé et orienté vers la guérison des maladies physiques comme du mal-être psychologique, dans les cultes à mystère de l’antiquité, donc en milieu fortement urbain[23]. Nous ne discuterons pas pour l’instant de la validité de cette assertion d’opérativité. Il nous semble plus important de nous attacher d’abord à baliser le champ de recherches, de nous intéresser à la différenciation et à la hiérarchisation sociale des états de conscience, aux buts poursuivis explicitement par ceux qui les recherchent et les provoquent. Transes « utilitaires » renvoie, dans le langage ethnologique, à la notion étendue de chamanisme. L’extase unitive au sens le plus large de ce terme, la recherche explicite d’une Unité transcendante, semble plutôt valorisée dans des sociétés urbaines à forte structuration politique (royaumes, empires, républiques oligarchiques antiques), qui connaissent l’écriture et développent une réflexion métaphysique impliquant, nous l’avons vu, selon Mircea Eliade, une première forme de « démythisation ». Des Upanishad à Parménide, du taoïsme à Plotin, de Zoroastre à la gnose de Nag Hammadi, du soufisme à la kabbale judéo-espagnole, nous sommes dans l’univers des grandes civilisations.
L’ésotérisme occidental, dont toutes les écoles sont plus ou moins frottées de néoplatonisme, de Marcile Ficin à Louis-Claude de Saint-Martin et jusqu’à Guénon, se rattache explicitement à ce courant que l’on pourrait nommer en première approximation « gnostique-unitif ». Ce qui introduit une contradiction dans la notion même de primordialité dès que l’on admet comme fondatrice une vision du monde historiquement datable qui remonterait tout au plus aux environs de l’an 1000 avant notre ère, plus probablement aux VIIIe-VIe siècles, laissant de côté si ce n’est dévalorisant l’expérience chamanique, la transe « utilitaire » dont, par contre, on retrouve trace dès les peintures rupestres des grottes paléolithiques. Guénon voit, par exemple, dans la magie une forme inférieure de l’initiation. Il rejoint en cela les conseils de tous les yogis indiens depuis Patanjali qui, unanimement, décrivent la phase des « pouvoirs » comme un stade temporaire et périlleux auquel ils recommandent de ne pas se laisser piéger. Le même mépris, la même méfiance se retrouve chez les Pères du désert, dans la mouvance du moins qui recherche l’apatheia ou délivrance des passions de l’âme. Le caractère transitoire et inférieur des états chamanoïdes existerait aussi dans la kabbale judéo-espagnole.
On peut certes considérer que primordial signifie originaire en un sens ontologique et non pas temporel. C’est la solution de Platon pour qui les Idées inscrites dans l’Être sont copiées par le Démiurge, mais de plus en plus altérées au fur et à mesure qu’il s’approche de la matière-espace-temps, des conditions de la nature concrète. La tradition-transmission des moyens d’atteindre la conscience de ce substrat ontologique du réel s’inscrit alors dans le temps comme une rupture qualitative, un éveil non seulement de l’individu « initié » mais également de la société qui permet et favorise cette initiation[24]. Une telle conception donnerait sens à la vénération des grands éveilleurs, de Bouddha à Zalmoxis en passant par Zoroastre ou, plus récemment, Ibn Arabi. Mais cette vision plus métaphysique de la primordialité entre en contradiction avec la composante mythique-cyclique du rapport au temps que nous venons d’analyser, composante que nous avons vue revendiquée par les traditionalistes comme antidote à l’historicité linéaire désacralisante. Comment en effet articuler la rupture de l’Éveil révélé par tel ou tel sage, rupture par rapport à un relatif sommeil collectif antérieur ou un état de rêve, avec l’entropie par paliers ou l’usure périodique du monde ? Comment continuer de refuser avec force la possibilité d’une évolution culturelle positive ? Car il ne s’agit pas de la régénération cyclique. L’apparition d’un Bouddha, d’un Zalmoxis, d’un Zoroastre est explicitement revendiquée par leurs disciples comme une rupture, un saut qualitatif irréversible. Dans le bouddhisme, avant Gautama, les hommes ignorent la cause de leurs souffrances ; après son enseignement, ils savent, même s’ils choisissent de ne pas en tenir compte. Pour les Thraces, avant Zalmoxis, on ignore l’immortalité de l’âme ; après, il est possible à tout homme d’obtenir l’initiation à ce mystère[25]. Avant Zoroastre, on se contente d’un culte tout extérieur et l’on ignore l’importance de la « bonne pensée ». Bouddha critique les yogis à cause de l’élitisme de leur système ; Zalmoxis et Zoroastre réforment en profondeur les religions qui les précèdent, y compris une redéfinition du panthéon, et cela dans le sens d’une intériorité et d’un appel au travail personnel sur la conscience.
Devant de tels faits, la position doctrinale de la mouvance ésotérique influencée peu ou prou par Guénon s’avère d’emblée grevée d’une insoluble contradiction, et il nous faut admettre que cette contradiction lui préexiste dans le Vedanta, d’où sont tirées les deux affirmations. L’Inde est en effet la seule civilisation à réussir l’intégration de ses éveilleurs dans une notion cyclique du temps, par la doctrine des avatâras. Un maître de sagesse, incarnation de l’un des dieux, apparaît ainsi à chaque grand renouvellement cyclique. L’identification de personnages mythiques animalisés et d’êtres semi-légendaires comme le législateur Manu, le guerrier Rama ou le danseur divin Krishna aux grandes entités du panthéon, Indra ou Vishnu le plus souvent, permet l’articulation. Les réformateurs historiques s’effacent dans le mythe, lui même nié par la résorption des dieux dans le Brahman ou l’Atman. Ce tour de main théologique, qui implique à chaque étape la réinterprétation de tout l’ensemble mythique, n’empêche pas que soient datables les Upanishad révélant l’unité de l’Atman, ou le culte de Krishna et la rédaction du Mahabharata, mais elle gomme d’avance toutes les contradictions potentielles. Si une culture a nié l’histoire, c’est sans doute celle des Indes.
Un examen ethnohistorique des sociétés où prend naissance la tendance gnostique-unitive montre aussi qu’il s’agit, partout, d’une école particulière, assez élitiste, avec laquelle coexistent d’autres mouvements, d’autres échelles de valeurs. En Grèce, l’orphisme voisine avec les thiases dionysiaques qui semblent prolonger et réinterpréter une forme de chamanisme ; même aux Indes, le shivaïsme perdure à côté des yogas patanjaliens et ce pluriel même serait signifiant ; le soufisme n’est que l’une des nombreuses écoles de spiritualité islamique ; et ce ne sont là que des exemples. De plus, ces mouvances n’ont rien d’étanche et interagissent assez fréquemment. Ce n’est guère que dans les écrits fondateurs ou les traités philosophiques que se discerne la doctrine « pure », le système de valeurs absolutisé.
Pour le positivisme — à condition de ne pas examiner de trop près la biographie d’Auguste Comte et de ne pas s’interroger sur son projet de « religion positive » articulé autour de sa passion amoureuse déconfite pour Clotilde de Vaux[26] —, une nouvelle rupture « illuminatrice » intervient au XVIIIe siècle et se solidifie au XIXe avec l’avènement de l’âge de raison, opposant de fait la modernité occidentale scientifique et progressiste à l’ensemble des autres cultures, qu’elles s’attardent à la pure superstition des « sauvages » (le chamanisme) ou aux illusions de « l’âge métaphysique » (l’extase gnostique-unitive). A son tour, la mouvance positiviste va hiérarchiser les états de conscience, plaçant au sommet la conscience vigile insulaire, tributaire de la seule sensorialité, soumise étroitement à l’espace tridimensionnel et au temps linéaire, de l’intellectuel athée ou agnostique rompu à la méthode expérimentale et rejetant violemment tout autre vécu dans la géhenne. Il faut dire que le péril était aux portes, sous les espèces des théoriciens du magnétisme animal et du somnambulisme lucide, lesquels revendiquaient, et sous l’égide de la raison et de la science, la possibilité de faire émerger une nouvelle forme de surconscience. La bataille va durer près d’un siècle et demi avant que ne s’impose dans les structures de pouvoir universitaires des sciences humaines le paradigme rationaliste. Nous ne reprendrons pas l’analyse de ce véritable combat de titans, nous nous contenterons de renvoyer le lecteur à l’ouvrage fondamental de Bertrand Meheust qui, à notre sens, épuise pratiquement le sujet[27], et nous bornerons encore à quelques remarques impertinentes.
Un siècle et demi de combat pour asseoir la domination des neurosciences et exclure du débat savant tout examen d’éventuels états de conscience supérieurs à l’état vigile ordinaire, ce n’est pas rien, mais il faudrait ajouter que la clôture est surtout sensible en France. Aux États-Unis, nous l’avons vu, bien que controversée, la recherche en matière de potentialités surplombantes du psychisme humain se poursuit dans des cadres universitaires parfois aussi prestigieux que l’université de Stanford et les publications, outre une presse spécialisée assez conséquente, trouvent place dans les revues de neuropsychiatrie ou de médecine, parfois même de physique fondamentale. Plus près de nous, des colloques et séminaires internationaux sur l’étude non psychanalytique du rêve se sont tenus en Belgique sous l’égide de l’université de Mons dans les années 90. La révolution paradigmatique pour laquelle ont lutté les positivistes avec l’énergie du désespoir, et qui tend à réduire tout le psychisme à la chimie des neurones, n’est donc pas si générale. Placer des neurologues comme referees dans La Recherche, s’assurer la part du lion dans la répartition des crédits du CNRS et tenter de verrouiller les attributions de postes dans les universités françaises peut en donner l’illusion, à condition de ne jamais sortir de l’hexagone ou de feindre que se poursuive ailleurs, dans ces terres arriérées que seraient les États-Unis, l’Allemagne, les Pays-Bas ou le Danemark, le combat enfin gagné dans la patrie de Descartes[28]. D’autre part, le système de valeurs prôné par ces mêmes neurosciences positivistes ne reflète en rien la réalité sociologique occidentale : le succès du bouddhisme tibétain passé en vingt ans d’une poignée d’exilés recréant leurs monastères pour eux-mêmes à plusieurs milliers de pratiquants réguliers d’origine européenne ou américaine en témoigne.
Plus généralement, le décrire-construire qui amène à hiérarchiser les états de conscience, quelle que soit la hiérarchie retenue, équivaut à un projet sur l’homme. Que s’y mêlent des considérations de pouvoir social et ce projet devient aisément normatif, après quoi les émergences « sauvages » qui ne suivent pas le modèle dominant seront niées et considérées comme illusoires, si ce n’est démonisées ou médicalisées et réprimées. Pour le Vedanta, la recherche des « pouvoirs » chamanoïdes est une dangereuse perte de temps qui éloigne de la véritable délivrance spirituelle, même et surtout si l’on obtient ce que l’on cherche. Le bouddhisme fut à certaines époques aussi durement persécuté en Chine que le christianisme naissant dans l’empire romain. Le judaïsme interdit certaines pratiques divinatoires ou magiques — quitte à se les réapproprier en les réinterprétant, depuis la transe des « fils de prophètes » jusqu’à la « kabbale pratique » de l’école de Prague. Dans la chrétienté occidentale divisée des XVe-XVIIe siècles, tant le chamanisme que la mystique unitive pouvaient conduire sur le bûcher puis, lorsque l’on se lassa de l’odeur de chair grillée, à l’emprisonnement à vie. Durant tout le XIXe siècle et la première moitié du XXe, l’interprétation positiviste en termes de maladie mentale a permis l’internement psychiatrique forcé, temporaire ou définitif, de bon nombre de visionnaires, de mystiques ou de chamanes spontanés, pour peu qu’éclatât un conflit avec le milieu familial ou que leurs expériences aient eu quelque intempestive publicité[29]. Nous pourrions multiplier de tels exemples et il n’est pas sûr que l’on ne puisse pas en trouver parmi les sociétés chamaniques elles-mêmes, la question restant ouverte faute d’avoir été posée lorsque de telles sociétés existaient encore au moins comme isolats. La fréquence de telles pratiques répressives ne laisse pas d’étonner. En quoi la recherche ou l’apparition spontanée d’états de conscience différents de la norme communément admise représente-t-elle un danger si pressant pour l’ordre social ? Pourquoi, dès la fondation des cités et des empires, a-t-on dépensé tant d’efforts soit à les canaliser, soit à les réprimer ? D’où nous vient cette peur ? Passe encore pour la crise d’amok[30], lorsqu’une perception différente du monde déclenche une violence aveugle et irrépressible, mais les quiétistes du XVIIe siècle ?
La question se pose d’une manière particulièrement aiguë lorsque la hiérarchisation des états de conscience s’adosse à une vision du monde qui prétend à l’universalité. On a souvent souligné à ce propos l’intransigeance des religions monothéistes ; mais l’exemple de la Chine confucéenne contre le bouddhisme et, dans une moindre mesure, le taoïsme, ou de l’empire sassanide tentant d’imposer le zoroastrisme à l’Arménie laisse à penser que le phénomène est plus constant et profond qu’on ne le pense. La violence positiviste envers les magnétistes et la métapsychique, telle que l’analyse Bertrand Meheust, pourrait apparaître comme une variante locale, occidentale et universitaire, de cette tendance au « nettoyage » social des consciences. Elle fut d’ailleurs pire dans le monde marxiste en Russie ou en Chine contre toute religion active. Et, puisque notre propos tourne autour de la notion de tradition primordiale, on sait où le succès d’une tentative de réactualisation de ce que l’on considérait comme tel a mené l’Allemagne et l’Italie entre 1920 et 1945.
Force nous est de constater que le principe de tolérance ne s’est guère exercé, au cours de l’histoire humaine, qu’en direction des croyances purement intellectuelles et inopérantes, et qu’en ce domaine notre époque vaut les autres. La campagne médiatique et juridique lancée contre « les sectes » après le suicide collectif du Temple Solaire en serait un nouvel exemple. Il va de soi que nous n’avons aucune sympathie pour un mouvement « initiatique » qui conduit ses adeptes à la mort, pas plus que nous n’apprécions les gurus violeurs ni les escrocs esclavagistes. Mais que signifie la suspicion généralisée qui accuse a priori toute tentative de vivre en groupe sur un autre mode que l’agnosticisme consommateur de conduire à escroquer, violer, maltraiter les enfants ou se suicider en choeur ? Le fantasme n’est d’ailleurs pas neuf. Il a surgi dans l’empire romain à l’encontre aussi bien des chrétiens que des communautés gnostiques, s’est ravivé au moyen âge pour rejeter cathares, vaudois ou juifs, a permis la grande chasse aux sorciers de l’âge baroque et n’a pas manqué, lors de l’expansion coloniale, de resurgir sporadiquement contre les religions locales des peuples colonisés. Il est même étonnant que les accusations actuelles ne comportent pas les classiques rumeurs de meurtres rituels d’enfants, d’orgies sexuelles et de cannibalisme.
Revenons à la question de fond puisqu’une fois encore l’interrogation sur l’antagonisme affiché de « la tradition » et de la « modernité » nous amène à débusquer une constante transculturelle du comportement humain. En quoi l’apparition d’états de conscience en rupture avec la hiérarchisation socialement admise représente-t-elle un péril social majeur ? En quoi est-ce le renard dans le poulailler ou le loup dans la bergerie ?
Le mythe de Dionysos
Lorsque un phénomène social aussi profondément enraciné ne se dit pas comme tel dans le discours conscient, sauf exceptionnellement sous forme passionnelle (songeons aux invectives des médecins de l’Académie contre les magnétistes, dont la moindre serait « jongleurs »), il est rare qu’il ne surgisse pas dans le mythe. Et s’il comporte une donnée tragique, dans le mythe grec... Celui de Dionysos, dont nous emprunterons en partie l’analyse au Dictionnaire des mythologies paru sous la direction d’Yves Bonnefoy[31], illustre à merveille l’irruption d’une forme de transe et les raisons de la méfiance son égard. Les auteurs grecs classiques prêtent à Dionysos une origine étrangère, thrace ou lydienne, et de nombreux historiens des religions ont repris cette assertion sans la critiquer. Or il semble bien que Dionysos soit présent dès l’époque mycénienne, aux racines mêmes de la culture grecque : un fragment de peinture représente la procession de personnages à têtes d’ânes que l’on peut interpréter comme des masques. Âne et masque non seulement font partie des attributs du culte dionysiaque mais on ne les retrouve associés à aucune autre divinité. L’origine « étrangère », loin d’avoir valeur historique, typifierait un « dieu-qui-vient », « l’Étranger » : « C’est un dieu de l’intérieur, mais dont l’empire est l’espace sans limites, traversé et comme investi dans la multiplicité des formes que se donne sa puissance. » Tous les éléments du mythe, y compris les résistances des rois à l’introduction de son culte, s’opposent point par point aux pratiques de la cité, à ses normes, à l’ensemble des structures qui forment la civilisation.
Ce culte a lieu hors des temples, « là où le thiase, le groupe de ses fidèles, s’arrête », dans une grotte couverte de lierre ou même en pleine nature, un simple masque fiché sur un pieu suffisant à présentifier le dieu. Il n’a pas de clergé mais des prophètes errants et accepte parmi ses compagnons-disciples aussi bien le citoyen que le métèque, les femmes, les esclaves : « Une des vertus majeures du dionysisme est de brouiller les figures de l’ordre social, de mettre en question les valeurs politiques et masculines de la cité. » La pratique sacrificielle qui honore les autres dieux est fortement culturalisée : on abat un animal domestique, on le cuit, on le partage lors d’un festin communiel ordonné. Le mythe dionysiaque raconte des chasses où les femmes en transe poursuivent, démembrent et dévorent crus des animaux sauvages[32], voire des hommes de leur parentèle pris pour des animaux. Ce ménadisme transgresse à peu près toutes les normes, y compris la répartition de l’espace : la chasse est d’ordinaire une affaire d’hommes, les femmes sont confinées à l’intérieur de la cité et, dans les classes supérieures qui servent de modèle de comportement, à l’intérieur d’une zone réservée de la maison, le gynécée. Dans l’univers homérique comme dans les mythes archaïques qui serviront de trame aux tragédiens de l’époque classique, tout le ressort dramatique tourne autour des figures de femmes à l’intérieur de la cité ou du palais, Hélène à Troie, Clytemnestre à Mycènes, Pénélope à Ithaque, Jocaste à Thèbes[33]. Seule Médée la magicienne, en qui se résument les forces dangereuses de l’ailleurs, est décrite cueillant les herbes dans la montagne sauvage. Médée — et les Ménades qui, à l’appel de Dionysos, abandonnent maris et fils pour courir forêts et landes. Les rites dionysiaques réels sont le plus souvent euphémisés : sacrifice d’un veau nouveau-né que l’on chausse de cothurnes pour l’identifier à un être humain, dépôt d’une bouchée de viande crue dans une corbeille d’offrande. Il n’empêche que l’ivresse provoquée par le vin, la danse, la musique répétitive des sistres et l’errance sur les terres incultes sont au coeur du rite comme du mythe — et que les membres du thiase expérimentent un mode de conscience à l’opposé de la « mesure » exigée par la civilisation. A l’analyse des transgressions, il faudrait donc ajouter la remise en question de l’état de conscience vigile du citoyen grec au profit d’une transe « sauvage » dans tous les sens du terme. L’enthousiasme dionysien se distingue en outre de l’expérience « démonique » ou de la transe oraculaire par la démesure qu’il implique, par le choix d’une hubris temporairement déculturante et, en apparence, gratuite ; l’inspiration démonique concerne toujours un homme seul et l’oracle s’inscrit dans le réseau des temples et des accords entre cités, servi par un clergé interprète ; ces irruptions de l’irrationnel s’inscrivent à l’intérieur de la trame socio-religieuse et jouent un rôle de révélation. A rebours, les fêtes dionysiaques entraînent la communauté entière ou un groupe d’initiés, le thiase, dans l’inversion des valeurs et des pratiques.
De nombreux indices tendent à montrer dans le thiase, ses masques et ses « folies », l’ancêtre direct du carnaval médiéval. Il en serait de même des saturnales romaines. Quelques remarques s’imposent alors. Le Saturnus romain, avant son identification tardive au Kronos grec, possède des caractères qui le rapprochent de Dionysos : c’est un protecteur de la vigne ; proscrit, il s’enfuit dans le Latium où il devient le roi de l’âge d’or, ses fêtes impliquent une inversion des hiérarchies sociales, l’échange des rôles entre maîtres et esclaves. Virgile en fait l’un des ancêtres de ce Latinus qui accueille Enée, le réfugié de Troie ; mais Latinus lui-même serait fils de Faunus Lupercus, dont la parèdre, Dea Luperca, s’identifie avec la Louve nourricière de Romulus et Remus ; et l’on sait que Romulus fait appel aux proscrits de toute l’Italie pour peupler la ville dont il a tracé les limites d’un sillon à la charrue. En d’autres termes, il l’a créée sur le mode des semailles dont Saturnus, selon certains auteurs, tirerait son nom. En latin, satus signifie semailles, naissance, génération, origine, et la saturitas est le rassasiement, la surabondance qui peut aller jusqu’au dégoût si ce n’est aux excréments. Nous retrouvons l’idée d’excès, l’hubris, corrélée au thème de l’étranger qui vient. La Grèce lui garde dans ses mythes son caractère périlleux, subversif, tandis que Rome l’intègre à son origine ou, ce qui revient au même, se prévaut d’une origine transgressive ; dans la pratique, les fêtes orgiastiques, saturnales ou, à un moindre degré, lupercales, seront limitées dans le temps, un temps que l’on pourrait qualifier d’intercyclique, les saturnales au solstice d’hiver, lors du renouvellement de la lumière, les lupercales le 15 février, pour le renouvellement végétal printanier.
La plupart des historiens des religions admettent que les fêtes d’inversion, des débordements du thiase dionysiaque au carnaval en passant par les saturnales, ont une fonction de préservation de l’ordre social, ce dernier n’étant dissout temporairement que pour mieux se régénérer. On l’intègre en somme à la perspective cyclique comme une théâtralisation de la dissolution finale et du retour à l’âge d’or. Mais cette analyse, sans doute valable pour Rome, ne tient pas compte de plusieurs faits. En Grèce, outre des fêtes annuelles ou trisannuelles, il semble que perdure dans l’initiation au thiase une fonction cathartique individuelle[34]indépendante des rythmes saisonniers ; cependant Dionysos ne figure pas dans les listes des dieux guérisseurs de folie, ce qui suggère que l’extase recherchée n’a pas un but de purgation mais une valeur en soi. Les autorités soucieuses d’ordre ont toujours cherché à limiter dans le temps, dans l’espace et dans le mode de manifestation les fêtes orgiastiques. Platon les rejette de sa République idéale ; Auguste interdit aux garçons impubères de participer aux lupercales et encadre solidement la procession de chevaliers en grande tenue[35] ; le Doge de Venise transforme la cavalcade populaire en défilé luxueux soigneusement mis en scène par des professionnels — en 1339 il interdit le port nocturne du masque et son successeur, en 1443, l’inversion vestimentaire qui déguise les hommes en femmes ; en 1465, le concile de Bâle interdit la fête des Fous[36]. La plupart du temps, on encadre ce que l’on ne peut totalement juguler, mais les témoignages historiques montrent que, en opposition aux garants de l’ordre, les participants d’origine populaire cherchent à prolonger le temps festif comme à en transgresser toute réglementation. Une lutte sourde, un rapport de forces antagonistes finit par amener un relatif équilibre ; dans cette opposition bien réelle, les puissants ne sont pas forcément les gagnants. La subversion carnavalesque n’est pas uniquement théâtrale et le risque de la voir l’emporter sur l’ordre hiérarchique urbain, en d’autres termes ouvrir un temps de révolte si ce n’est de révolution n’est pas à exclure[37]. Nicole Gontier remarque avec justesse que, si les fêtes médiévales sont le plus souvent organisées et mises en scène pour affirmer « une domination sociale ou un triomphe politique », tout change lorsque la figuration populaire se transforme en participation. « Lorsque les fêtes cessent d’être un spectacle pour devenir un jeu auquel chacun participe, les passions reprennent leur emprise sur les individus. Laïques ou religieuses, elles s’accompagnent alors de libations, de banquets, de cavalcades qui dégénèrent en affrontements[38] » entre clans familiaux, paroisses, confréries, etc.
Les ritualisations officielles, d’Auguste au Doge de Venise, tendent à limiter les débordements d’un peuple d’ordinaire méprisé, à maintenir un ordre social hiérarchisé, mais aussi à contenir l’apparition de la transe. A l’opposé, les classes ou les castes tenues dans la dépendance et une relative pauvreté se jettent dans la fête où leurs frustrations s’abolissent. Mais laissons de côté, pour l’instant, les questions de justice ou d’injustice sociale ; elles exacerbent une opposition plus fondamentale que les historiens des mentalités tendent à lire comme ordre/désordre. Peut-être faudrait-il remplacer ces catégories abstraites, philosophiques, par un système d’opposition enraciné dans le concret et parler de construire/détruire ou de travail/jeu. La fête carnavalesque, lorsqu’elle mobilise des énergies constructives, par exemple la fabrication des géants d’osier ou des costumes, aboutit à leur destruction : Carnaval est brûlé, emportant avec lui l’entropie de la vieille année. Lors des fêtes dionysiaques ou des saturnales, on consomme une grande part de la réserve de vin accumulée à l’automne. Nous sommes, dans cette opposition travail/jeu, au niveau le plus élémentaire, celui des activités de survie et des nécessités biologiques, (se nourrir, se vêtir, éviter les accidents ou les prédateurs, soigner, éduquer et protéger les enfants) ; même au paléolithique le plus profond, le temps du travail impose des contraintes et demande un état de conscience vigile dominé par l’attention, la mémoire et le raisonnement. Tailler le silex sans se mutiler, suivre les traces des animaux dans la forêt ou la steppe, fabriquer les vêtements ou ramasser les baies et les racines, tout cela est déjà de l’ordre du construire et ne diffère pas fondamentalement de l’agriculture et de l’artisanat des époques ultérieures. Les états paroxystiques — et cela sur un large spectre, qui va de l’orgasme sexuel au rêve nocturne, de la transe ou de l’ivresse libératrice à l’extase contemplative en passant par le chamanisme ou la catharsis de guérison — ne peuvent durer sans compromettre la survie de l’individu ou du groupe. Pourtant, ces états sont inscrits en l’homme et, plus étrange encore, ce sont les seuls dont on peut tirer un plaisir véritable, là encore selon un large spectre qui s’étendrait de la jouissance à la joie la plus profonde. Une alternance est donc toujours nécessaire. Plus les travaux se complexifient, plus ils exigent de main d’oeuvre et de temps, et plus se réduit celui du jeu, du plaisir et de la transe. Les hiérarchies sociales et les exigences de « bonnes moeurs » qui accompagnent cette complexification tendent à exacerber l’opposition entre temps « utiles » et temps festifs mais elles ne l’inventent pas.
[1]Fernand Braudel, Ecrits sur l’histoire, Champs Flammarion, Paris, 1969, p. 11.
[2]Henri Lehmann, Les civilisations précolombiennes, PUF, Paris, 1961, p.47.
[3]Mircea Eliade, Aspects du mythe, Gallimard, Paris, 1963. Cette question sous-tend l’ensemble de l’ouvrage.
[4]Si du moins l’on accepte l’idée de Kuhn selon laquelle la première constitution d’un paradigme soit l’acte fondateur par excellence d’une science, acte irréversible qui, d’un même mouvement, en constitue et en limite le champ de questionnement. Voir Thomas S. Kuhn, La structure des révolutions scientifiques, trad. Laure Meyer, Champs Flammarion, Paris, 1983.
[5]Les versions égyptienne et hittite de la bataille de Qadesh, par exemple, proclament toutes deux la victoire de leur camp. Voir à ce propos Christiane Desroche Noblecourt, Ramsès II, la véritable histoire, Pygmalion, Paris, 1996.
[6]Voir à ce propos les interventions d’Alain de Benoist (« Sacré païen et désacralisation judéo-chrétienne du monde ») et de Franz von Hammerstein (« Messie juif et Messie chrétien chez Martin Buber ») au colloque Quelle religion pour l’Europe ?, un débat sur l’identité religieuse des peuples européens, Georg, Genève, 1990, pp. 29-76 et 139-165.
[7]Ibid., p. 33-34.
[8]Y compris sur le nom du héros et sur la localisation de l’empire.
[9]E. R. Dodds, Les Grecs et l’irrationnel, trad. Michael Gibson, Champs Flammarion, Paris, 1977 (Berkeley 1959).
[10]Mircea Eliade, op. cit., pp.138-141.
[11]Alain de Benoist, op. cit., p.34.
[12]Le poème du Juste souffrant commence ainsi : « Je chanterai le Seigneur de la sagesse » et s’achève, le Juste éprouvé ayant recouvré ses biens et l’estime de ses compagnons, « parce que Marduk a eu pitié de lui », par cette affirmation : « Marduk est capable de donner la vie dans la tombe et Zarpanit, son épouse, peut sauver de l’abîme de la mort. » Cité par Georges Contenau, La vie quotidienne à Babylone et en Assyrie, Hachette, Paris, 1950, pp. 215-16. On reconnaît la structure du livre de Job et les expressions mêmes des livres prophétiques et des livres sapientiaux. Alain de Benoist peut-il, trente ans après la parution de cet ouvrage, tout ignorer de cette parenté ou ne se réfère-t-il qu’au paganisme grec en oubliant le reste du monde ?
[13]Si du moins Braudel ne définissait pas le dernier comme « une histoire lente à couler et à se transformer, faite bien souvent de retours insistants, de cycles sans fin recommencés. », op. cit. p.11. C’est nous qui soulignons.
[14]Voir par exemple l’article de Diane B. Boivin, « Avez-vous la bonne heure interne ? », La Recherche, Hors-série Le sommeil et le rêve, avril 2000, pp. 41-43.
[15]Diane Boivin emploie indifféremment les expressions « cycle lumière/obscurité » et « rythme circadien ». Mathématiquement, « oscillations périodiques », « cycles » et « rythmes » s’équivalent quant au mode de calcul, que la métaphore géométrique soit celle d’une onde ou d’un mouvement circulaire. D’autre part, si l’on admet le parallélisme corps-esprit paradigmatique pour toutes les neurosciences, ces cycles, circadien ou saisonnier, agissent forcément sur le psychisme individuel et collectif. Alors posons une question vacharde : vaut-il mieux soigner la dépression hivernale due à la baisse d’activité de la glande pinéale dans la période de faible luminosité, donc autour du solstice d’hiver dans l’hémisphère nord, avec des lampes halogènes pour simuler l’éclairement estival, ou plus souvent des euphorisants chimiques — ou ritualiser le phénomène et permettre sa maîtrise psychique, quitte à aider les dieux avec quelques outres de vin épicé, euphorisant végétal, comme lors des fêtes dionysiaques de décembre ?
[16]Voir l’analyse critique que fait Braudel du concept d’histoire sérielle chez Pierre Chaunu, op. cit., p. 146 et suivantes, où l’on trouve des remarques comme : « des périodes de vingt à cinquante ans au maximum (...) qu’il appelle de façon abusive, ou du moins ambiguë, des intercycles, alors que ce sont surtout des demi-Kondratieff », ou « se dessine une histoire aux cycles divers imbriqués dans une dialectique neuve », « il y aurait intérêt à ne pas limiter l’oscillation cyclique aux seuls mouvements des prix, tellement prioritaires dans la pensée des historiens économistes français ».
[17]Bruno Latour, Nous n’avons jamais été modernes, essai d’anthropologie symétrique, La découverte, Paris, 1991, p.63.
[18]Ibid., p. 9.
[19]Au minimum, du vivant.
[20]Lorsque nous traduisions l’ouvrage de Stephen Laberge sur Le rêve lucide (éd. Oniros, Paris, 1991), Roger Ripert et nous-même avons du inventer une bonne trentaine d’expressions pour rendre des notions techniques banales en américain. Bien souvent, un mot condensé devenait une périphrase qui le déployait afin de rendre la problématique compréhensible aux psychologues français. Malgré cet effort de plusieurs mois et un soutien de presse, nous avons retrouvé régulièrement dans les librairies cet ouvrage de psychologie expérimentale au rayon ésotérisme.
[21]1 Samuel 10, 5-13.
[22]Mircea Eliade, op. cit., pp. 59, 63, 176-177.
[23]Walter Burkert, Les cultes à mystère de l’antiquité, trad. Deforge, Bardollet et Karsai, Belles Lettres Paris, 1992, pp.23-38.
[24]Platon, La République, 476 et sq.
[25]Dimitre Popov, « La Thrace aux rois-prêtres, rois-dieux », in Légendes thraces, Sofia Presse, Sofia 1977, p.85.
[26]A condition d’oublier que Fontenelle, pourfendeur des dragons de la superstition, rêvait d’extraterrestres ; que Diderot s’intéressait au chamanisme ; que...
[27]Bertrand Meheust, Somnambulisme et médiumnité, Synthélabo - Les empêcheurs de penser en rond, Le Plessis-Robinson, 1999, deux tomes.
[28]Il faut aussi, bien sûr, ignorer les dissidents locaux qui tendent à créer, à l’intérieur comme à l’extérieur du CNRS et de l’Alma Mater, leurs propres réseaux d’édition, de revues et de colloques internationaux. Le trinôme Changeux-Bourdieu-Derrida que désigne Bruno Latour comme un résumé de la modernité, op. cit., p. 13, a sans doute le vent en poupe, mais jusqu’à quand, à l’époque d’Internet où les contacts interdisciplinaires et internationaux peuvent s’opérer en quelques minutes ?
[29]Le cas de Martin de Gallardon est exemplaire. Ce paysan honnête et, au dire de ses voisins, plutôt équilibré, vécut une série d’apparitions de « l’archange Gabriel », un archange curieusement vêtu d’une longue soutane à boutons et coiffé d’un chapeau haut-de-forme, qui le pressa de se rendre auprès du roi Louis XVIII auquel il devait révéler des « choses graves » et secrètes. Martin, d’abord réticent, parvint à force de sincérité opiniâtre à obtenir une entrevue avec le roi. Mais à l’occasion de cet entretien dont le contenu n’a pas filtré, les services de police le dirigèrent sur l’aliéniste Cabanel, ce qui valut au paysan visionnaire de faire plusieurs séjours au... cabanon. Finalement, et bien qu’il bénéficiât toujours des visites de l’archange, on le renvoya cultiver son blé.
[30]Terme indonésien qui désigne une crise de fureur destructrice incontrôlable. Un amok attaque et tue tout ce et ceux qui se trouvent sur son chemin, ne reconnaissant pas même ses proches.
[31]Yves Bonnefoy et al., Dictionnaire des mythologies et des religions des sociétés traditionnelles et du monde antique, Flammarion, Paris, tome 1, pp.300-302.
[32]On sait depuis les travaux de Lévi-Strauss l’importance dans la plupart des sociétés de l’opposition entre le cru et le cuit.
[33]Circé ne contrevient pas à la règle puisqu’elle ne quitte pas son île. Sa transgression serait de renverser la hiérarchie du masculin et du féminin, règnant seule et rabaissant les hommes à l’état animal, infra-humain.
[34]E. R. Dodds, Les Grecs et l’irrationnel, trad. Michael Gibson, Champs-Flammarion, Paris, 1977 (Berkeley 1959), pp. 83-84.
[35]Pierre Lavedan, Dictionnaire illustré de la mythologie et des antiquités grecques et romaines, Hachette, Paris, 1938, p. 602.
[36]Karine Trotel Costedoal et Aymone Vigière d’Anval, « Le carnaval au moyen-âge, le masque de la contestation », Moyen Age n°15, mars-avril 2000, pp.6-11.
[37]Voir en particulier Emmanuel Le Roy Ladurie, Le carnaval de Romans, de la Chandeleur au mercredi des Cendres, 1579-1580, Gallimard, Paris, 1979. La reprise en main par les notables n’a lieu que par traîtrise et assassinat. Il faudrait étudier, ce qui n’a pas encore été fait, les périodes révolutionnaires comme la révolte d’Etienne Marcel ou la révolution française sous l’angle de leurs rapports avec le carnaval, plus étroits qu’on ne le pense. Songeons à l’importance du costume, aux défilés et fêtes transgressives, aux apparitions publiques forcées, au rôle du vin et du cabaret, aux outrances sexuelles, aux actes de sauvagerie qui confinent parfois au cannibalisme. La révolution euphémisée de 1968 mêlait aussi, inextricablement, révolte et fête.
[38]Nicole Gontier, Cris de haine et rites d’unité, la violence dans les villes XIIIe-XVIe siècles, Brepols, Paris, 1992, p.103.
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