Le langage mythique agit à des niveaux de profondeur en l’homme que nous n’avons pas encore vraiment cernés. Edgar Morin semble l’avoir pressenti. Lors d’un colloque où il m’arriva de parler du mythe comme d’un imaginaire in se, il me reprit vigoureusement : « Ce n’est pas parce que quelque chose a la structure d’un mythe que ce n’est qu’un mythe ! » Cette admonestation fut le déclencheur d’une longue et exigeante recherche dont cet article résume quelques fruits. Par ailleurs, l’ethnologue Michel Boccara, confronté à des évènements fort inattendus alors qu’il étudiait les Mayas du Yucatan, en vint à formuler le concept de vécu mythique pour les décrire, faute de pouvoir les expliquer pleinement, concept qu’il définit comme « une rencontre d’un membre vivant du groupe avec un être mythologique, rencontre dont il existe par ailleurs des récits indépendants d’une expérience personnelle[1] ». Mais parler de vécu mythique signifie redonner au mythe un ancrage fort dans le réel.
Les vécus mythiques du Yucatan
Lorsque Boccara dut forger ce concept, de quoi s’agissait-il sur le terrain ? A des intervalles irréguliers et imprévisibles, un ou des enfants disparaissent de leur village. Les adultes organisent une battue, la forêt tropicale recelant des dangers qui n’ont rien d’imaginaire. Si les gosses ne sont pas retrouvés, les parents s’adressent au chaman local. Certaines fois, celui-ci déclare qu’il ne faut pas s’inquiéter, qu’ils ont été enlevés par des entités que Boccara nomme les vancêtres car il s’agirait à la fois de vents et d’esprits ancestraux[2]. Une cérémonie rituelle est organisée pour favoriser le retour des disparus, retour faisant l’objet d’une annonce divinatoire. De fait, après quelques jours (parfois une semaine, exceptionnellement 18 jours), les enfants réapparaissent ou sont retrouvés. Les récits se ressemblent tous : l’enfant est parti dans la forêt où il a rencontré un ou des personnages non humains qui l’ont enseigné. Dans de très rares occasions, le ravi est un adolescent ou un jeune adulte. Lors du retour, une nouvelle cérémonie est organisée, avec sacrifice d’un poulet, afin que l’âme de l’enfant enlevé ne continue pas d’errer au loin avec son double animal. Il existe, de plus, un interdit de la parole : pendant un temps donné, environ 18 jours, celui qui est revenu ne doit pas parler de son apprentissage dans l’ailleurs magique et nul n’a le droit de le questionner.
Comment a-t-il échappé aux serpents, insectes ou arachnides venimeux, qu’a-t-il mangé, qu’a-t-il bu, où a-t-il dormi, l’énigme demeure. L’expérience semble se dérouler en état de conscience modifié, analogue au rêve, et peut-être dans un espace-temps modifié. Lorsque l’enfant parle, il raconte avoir été nourri et instruit par un oncle ou un grand-père, termes de respect qui désignent en général un vieil homme très grand à barbe blanche, ou par les Aluches qui, à rebours, sont des nains. Les formes de l’expérience ou du moins de son récit ultérieur, fait remarquer Boccara, semblent être « connues d’avance par la communauté qui possède le langage mythique nécessaire ». Bien souvent, le gosse ainsi marqué par l’expérience de l’enlèvement entreprend un apprentissage de chaman. Toutefois, la motivation de l’enlèvement par les vancêtres est ambiguë : si une faute a été commise, abandon des rites, abandon des obligations claniques par la famille, l’aventure a valeur d’avertissement, à moins que les entités invisibles qui veillent sur la communauté ne désirent transmettre un savoir. Ces deux causes ne s’excluent pas, les vancêtres accompagnant l’avertissement de la transmission réparatrice.
On pourrait suspecter une mise en scène, un rite d’initiation bien agencé, et Boccara n’a pas manqué de se poser la question mais, après une enquête serrée et connaissant bien les protagonistes, il a du convenir que cette explication commode ne pouvait s’appliquer. Quelle que soit la nature de l’expérience vécue par les jeunes disparus, elle est réellement spontanée[3] et, s’il s’agit d’une initiation, les adultes n’y sont pour rien. A l’inverse, certains seraient tentés de prendre le récit au premier degré, de penser que les entités enseignantes existent dans quelque plan « astral » et se manifestent télépathiquement comme dans le channeling. Si c’est le cas, il faudrait tout de même comprendre comment de telles entités ont pu préserver la vie des gamins dans une jungle particulièrement riche en espèces dangereuses. Rien pour l’instant ne permet de penser que les vancêtres ou les Pères Pluie du panthéon maya aient plus de consistance que Zeus, Amon-Râ ou Baal. Michel Boccara préfère donc parler de vécu mythique qu’il définit par le contenu du témoignage comme une rencontre spontanée avec des entités connues par ailleurs dans les récits mythologiques d’un peuple. En d’autres termes, la sincérité des expérienceurs n’est pas mise en doute, mais le statut ultime des interlocuteurs mythiques reste en suspens.
Le Grand Lézard des Causses
Les vécus mythiques tels que les définit Boccara restent des expériences individuelles bien que fortement culturalisées. Outre les enlèvements d’enfants mayas par les vancêtres, on pourrait faire entrer dans cette catégorie nombre d’éprouvés religieux spontanés comme certaines apparitions ou les phénomènes encore mal étudiés liés aux mythologies modernes. Selon Boccara, le contenu de l’expérience serait marqué par les mythes actifs de telle ou telle culture encore qu’une structure commune transcenderait ces différences. Cette approche suppose la préexistence d’une mythologie constituée. Elle apparaît déjà comme fort audacieuse dans le contexte universitaire, les agnostiques qui le dominent répugnant depuis un demi-siècle au moins à prendre au sérieux l’irruption du vécu en ces domaines[4]. Claire Kappler, iranologue, médiéviste et spécialiste des phénomènes de transe, s’est fait ostraciser dans un colloque international pour avoir osé parler de l’actuel retour du chamanisme dans nos sociétés urbaines comme d’un phénomène authentique et digne d’intérêt[5]. Toutefois le postulat d’une préexistence du récit mythique par rapport au vécu élimine du champ de recherches toute mythologie à l’état natif, toute chance de saisir sur le vif comment s’élabore la mythopoièse. Il serait plus fécond de pousser plus loin l’interrogation. L’apparition du Grand Lézard que nous allons décrire répond à un culte enfantin spontané, sauvage, que ne sous-tend aucun conte, aucun folklore local connu. Dans ce cas précis, le vécu précède le récit. De telles manifestations nous semblent essentielles à la compréhension de la genèse du mythe.
Il y a une trentaine d’années, lorsque Pierre Bellemare animait une émission consacrée aux phénomènes paranormaux, il avait reçu le témoignage tout à fait insolite d’une femme originaire des Causses[6]. Dans son enfance, et pendant les vacances, elle gardait avec deux autres fillettes les troupeaux familiaux, activité qui les tenait toute la journée dans la montagne avec les moutons pour seule compagnie. Pour tout dire, elles s’ennuyaient quelque peu. Un jour, elles découvrirent parmi les touffes de thym un gros lézard vert mort et desséché, momifié par le soleil. Il leur vint l’idée pour s’amuser de le déposer sur un rocher affleurant comme sur un autel et de lui rendre une sorte de culte avec des offrandes de fleurs, des discours et des chants improvisés. Au bout de plusieurs jours de cette vénération, elles vécurent une apparition tout à fait classique sauf que, sur le rocher, c’était un lézard vert géant qui se manifestait. Terrorisées, elles s’enfuirent et se précipitèrent pour raconter la chose au curé du coin qui vit dans ce reptile immatériel une irruption démoniaque et monta détruire et exorciser l’autel imprudemment édifié. Ce n’est qu’en écoutant les émissions de Bellemare que le témoin avait réalisé qu’elle avait peut-être vu autre chose que le diable. Etrange affaire. Il est dommage que Pierre Bellemare ne l’ait pas reprise dans un de ses livres, dommage aussi qu’aucun mythologue ne se soit intéressé à son émission car cette expérience montre de manière éclatante le lien entre le rite, la ferveur et le vécu mythique. Si les enfants n’avaient pas mis tout leur cœur au jeu de l’adoration du lézard, jamais sans doute elles n’auraient expérimenté d’apparition. Mais elles avaient suscité un « dieu » ou tout au moins un esprit de la nature, et ce dernier avait répondu. Nous touchons là l’expérience religieuse à l’état brut, au-delà ou en-deçà de toute théologie et de tout récit mythique. L’apparition du Grand Lézard nous ramène peut-être aux origines de tous les cultes[7].
Même si le curé n’y avait pas mis un holà, l’aventure n’aurait sans doute pas pu se prolonger longtemps, sauf à engendrer quelque secte éphémère et marginale : elle s’éloignait trop du contexte culturel de la France rurale des années cinquante. Le vécu mythique des enfants mayas perdure dans la mesure où il suscite un accueil du groupe et répond au moins partiellement aux besoins d’une société encore chamanique, dans la mesure aussi où préexiste actuellement un cadre mythologique susceptible de donner un statut positif à l’expérience. Il se peut que de tels événements se raréfient dans les prochaines décennies, dans la mesure où d’une part l’activité missionnaire des églises protestantes tend à éradiquer les croyances et les rites ancestraux et d’autre part le mouvement de renouveau de l’indianité passe par un tri sévère entre les coutumes acceptables et inacceptables au regard d’un humanisme largement inspiré des modèles chrétiens. Toutefois, lorsque le vécu sauvage reçoit ne serait-ce qu’un début de validation dans une culture, même s’il déchaîne la controverse, il pourrait être la source d’une mythopoièse vivante et virulente.
Quand les soucoupes s’envolèrent
Ainsi avons nous pu observer durant plusieurs décennies l’irruption sauvage du vécu mythique dans notre monde aussi moderne qu’aseptisé par la raison raisonnante, à des niveaux tels qu’il est devenu un phénomène de société et que, conjointement, comme l’a montré Bertrand Meheust[8], tous les éléments d’un culte chamanoïde se sont mis progressivement en place. Ce qu’il est convenu d’appeler globalement le phénomène OVNI présente de nombreuses facettes, dont certaines qui relèvent de la manipulation politique banale et d’autres qui suggèrent des phénomènes physiques complexes dépassent largement le propos de cet article. Aussi nous bornerons-nous à commenter ce qui, dans cette problématique, met en lumière la naissance et la cristallisation du mythe dans une société a priori fort éloignée de le susciter ni de l’accueillir — et ne porterons-nous aucun jugement définitif ni ne prendrons parti dans les querelles de famille des ufologues. Toutefois, on connaît la boutade de Voltaire : « Dieu a créé l’homme à son image et ce dernier le lui a bien rendu. » Ceux de nos lecteurs convaincus de l’existence réelle à nos portes de visiteurs extra-planétaires conviendront, nous l’espérons, que cette boutade s’applique ici et que l’étiquette « extraterrestre » recouvre aussi beaucoup de rêve actif.
Avec l’entrée des Américains dans la seconde guerre mondiale, les combats aériens redoublèrent d’intensité et, très vite, des observations insolites vinrent troubler les états-majors : des boules de lumière, qu’on surnomma foo fighters, accompagnaient les escadrilles et des « disques volants » narguaient les habitants de la côte ouest. On craignait que ce ne fussent des armes secrètes allemandes ou japonaises puis, vu l’innocuité de ces phénomènes, on se concentra vite sur des problèmes plus sérieux, ce qui n’empêcha pas les étranges lumières de continuer à se manifester par vagues sporadiques. Les choses en restèrent là jusqu’au 24 juin 1947 où se place l’observation fondatrice de l’OVNI mythique[9]. Ce jour là, un homme d’affaires nommé Kenneth Arnold pilote son avion personnel dans la région des monts Rainier lorsqu’il voit une formation d’objets brillants se déplaçant « comme des soucoupes qui feraient des ricochets sur l’eau ». Un journaliste va s’emparer de l’expression pour créer le terme de soucoupes volantes. Magie du langage ? Les « disques » qui n’avaient cessé de se manifester en Californie n’avaient eu qu’un succès de curiosité et suscité surtout de nombreux canulars[10] ; les « soucoupes » prirent en quelques semaines la virulence d’un mythe actif. Comme l’a remarqué Bertrand Meheust, durant les tout premiers mois, tous les éléments qui vont ensuite émerger au fil des ans par vagues dans les témoignages se trouvent rassemblés : vaisseaux discoïdaux aperçus dans le ciel diurne, lumières nocturnes, rencontres rapprochées dont atterrissages avec humanoïdes tenant aux terriens des discours surréalistes si ce n’est politiquement incorrects, contacts avec messages à la fois angoissants et lénifiants, enlèvements, et même une rumeur de crash avec récupération de petits êtres gris (Roswell). Le phénomène semble, comme un bon représentant de commerce, déployer dès l’origine un échantillonnage de toute sa panoplie ultérieure.
Dès 1952 aux Etats Unis le major Donald Keyhoe[11] puis en 1954 en France l’écrivain de SF Jimmy Guieu[12] lancent l’idée que ces étranges apparitions ne sont autres que des vaisseaux spatiaux issus d’une civilisation extraterrestre venant étudier la Terre à la manière dont les explorateurs du siècle précédent découvraient l’Afrique profonde ou les rios de l’Amazonie. Lorsque ensuite, durant l’automne 1954, une vague d’observations, principalement des atterrissages avec humanoïdes, balaye la France et le nord de l’Italie, la cristallisation du mythe s’opère. Il restera virulent jusqu’en 1980 en Europe tandis qu’il s’inversera aux USA à la même époque, les grands frères de l’espace bienveillants et sapientiaux devenant les horribles petits gris cherchant à prolonger leur monstrueuse existence aux dépens des innocents terriens. Ce renversement des valeurs, à lui seul, démontre de manière éclatante le caractère mythique de cet extraterrestre allégué. Il suit exactement le schéma temporel dégagé par Claude Lévi-Strauss dans son analyse structurale de la matière mythique : un mythe qui épuise son potentiel dans une culture ne disparaît jamais ; après un temps d’affaiblissement, il s’inverse (les bons deviennent les méchants et vice-versa) et retrouve ainsi une nouvelle phase active.
Une exégèse de certains cas de rencontres rapprochées montre d’ailleurs la profondeur de l’arrière-plan mythique et à quel point la mythopoièse s’adosse aux anciennes symboliques tout en les renouvelant. Lors de la vague de 1954, un paysan de la France profonde rencontre une de ces machines fées et son occupant, lequel lui demande, entre autres questions en apparence loufoques : « Suis-je en Allemagne ou en Italie ? » Plusieurs chercheurs ont remarqué l’absurdité géographique du dialogue, ces deux pays n’ayant pas de frontière commune. Toutefois aucun, à ma connaissance, n’a relevé l’incongruité de nommer comme les deux seuls termes possibles d’une alternative, à peine dix ans après la guerre, les deux nations européennes de l’Axe, les deux anciennes puissances occupantes de la France vaincue. La question aurait eu du sens en 1943, quitte à faire surgir une réplique patriotique : « Non, vous êtes en France ! » ; elle n’en a plus en 1954, onze ans plus tard, juste un cycle d’activité solaire. Mais par delà les évènements récents, nommer ensemble Allemagne et Italie ne pouvait qu’opérer dans l’inconscient collectif le réveil de la mémoire du Saint Empire Romain-Germanique et de la mystique des Gibelins médiévaux voire, en remontant plus loin, les turbulences du partage de l’empire carolingien. Ce rappel à la fois historique et mythique intervient peu de temps après la proposition par le Benelux de créer un marché commun européen, proposition qui aboutira en 1957 au traité de Rome après toute une préparation consciente et volontaire des mentalités. Il est piquant que l’humanoïde présenté dans les médias d’époque comme un extraterrestre pointe exactement le conflit latent dans l’inconscient collectif entre mythème d’empire et mythème du royaume (ou de la nation), tendance unifiante et tendance identitaire, tendance à l’homogène et tendance à l’hétérogène aurait dit Lupasco.
Une mythologie à l’état natif
Il reste que la plupart des comparatistes et des ethnologues ont boudé l’OVNI lors de ses phases de mythopoièse les plus intenses[13], le jugeant vulgaire et donc dénué d’intérêt. Cette parenthèse sémantique, pour reprendre le terme de Meheust, tient à plusieurs causes dont sans doute le fait que le mythe ne s’offrait pas sous la forme habituelle de récits structurés accompagnés de rites mais en quelque sorte à l’état natif et fortement adossé au vécu. Tout reposait sur des témoignages. Pour étudier le phénomène, il fallait arpenter la campagne ou les aérodromes pour écouter les récits de gens ordinaires, du paysan au pilote de ligne, tenter d’identifier l’origine de l’observation, collaborer avec des physiciens, des biologistes, des neurologistes, tous gens des sciences dures qui tendaient à solidifier les données recueillies. Eléments mythiques signifiait pour eux superstition, hallucination ou, au mieux, brouillage de l’information pertinente ; pour les rares spécimens des sciences humaines qui se risquaient dans cette niche écologique périlleuse, la composante physique indéniable de certains cas, dont de grands classiques, les faisait douter du sens de leur démarche. Pourtant, la première question qu’entendaient les enquêteurs montrait bien que l’on quittait le terrain des seules sciences de la matière : « Vous y croyez, vous ? »
Jacques Vallée[14] puis Bertrand Meheust[15] ont eu le grand mérite de soulever le lièvre dans les années 70 ; le premier établit la parenté des histoires de soucoupes volantes avec le folklore médiéval des vaisseaux célestes venus de la terre féerique de Magonia déclencher les orages et la grêle ; le second analysa les rapports étroits entre le roman scientifique des années 30, ancêtre de la SF, et les témoignages de rencontres rapprochées. Dans un deuxième ouvrage[16], il approfondit le travail de Vallée, montrant que l’on est en face d’un psycho-folklore analogue aux rencontres de nos ancêtres avec les fées, les lutins ou le diable.
Aucun des éléments constitutifs des grandes mythologies antiques ne manque au bout du compte mais ils sont apparus progressivement en une cinquantaine d’années. Le plus remarquable est sans doute que le récit mythique soit resté une rumeur fluide jusqu’à la fin des années 80 (encore qu’une bibliographie exhaustive se compte en milliers de volumes) et que le rituel ne se fige pas davantage. Par contre, le vécu mythique prolifère tout au long de ce demi-siècle et prend des formes de plus en plus complexes, bien qu’un folkloriste américain, Eddie Bullard, puisse repérer une soixantaine de motifs récurrents et dégager un schéma type des rencontres rapprochées et des enlèvements[17]. Chaque émergence thématique se reconnaît un cas fondateur comme l’observation de Kenneth Arnold, les marques cutanées du Dr X, l’enlèvement de Betty et Barney Hill ou la disparition du sergent Valdez. Certains thèmes apparus ne seront repris que localement, comme le transfert spatial des Vidal, lequel ne fera école qu’en Amérique latine. D’autres, comme le missing time ou les grossesses étrangement interrompues dues à un besoin de métissage de la part des ET, connaîtront une inflation qui les haussera au niveau de motifs types. Certaines de ces histoires complexes posent de réelles questions lorsque l’enquêteur ne se contente pas d’archiver le récit de l’expérienceur mais se livre à une contre-enquête rigoureuse.
Nous sommes dans le jardin d’une maison américaine comme il en est des milliers. La nuit est tombée, une nuit froide de janvier 1976, il fait beau et la propriétaire des lieux regarde dehors. A l’horizon sud-ouest, elle remarque une étoile qui brille intensément et qui mettra une heure à descendre et disparaître. Notre témoin décrira un mouvement saccadé. Au bout d’un certain temps, l’étoile devient un hublot de la classique soucoupe discoïdale, hublot derrière lequel s’abritent deux ou trois petits êtres, des silhouettes indiscutablement humanoïdes aux têtes rondes et aux visages d’argent. L’apparition revient nuit après nuit. Mais l’enquête fut faite avec rigueur et ses conclusions laissent rêveur. L’étoile lumineuse qui ouvre l’observation ne peut être que Vénus : même azimut, même hauteur dans le ciel, même magnitude, même temps de coucher[18]. Pourtant, à partir de ce seul point lumineux, la réalité ordinaire se déchire et laisse surgir l’Ailleurs magique, d’abord pour le témoin qui se trouve projetée involontairement dans le monde des fées puis, par ricochet, pour tous ceux que l’OVNI enthousiasme ou effraie. Tout comme la rencontre d’un paysan breton du XIXe siècle avec les korrigans ou la charrette d’Ankou alimentait les récits de veillée pour deux ou trois générations, l’aventure de Mrs XX a donné matière à l’imaginaire de milliers de gens à travers le monde.
Mais peut-être en allait-il déjà de même pour Kenneth Arnold. Le sociologue Pierre Lagrange qui s’est penché sur les tous débuts de la soucoupe volante suggère fortement, à partir d’une contre-enquête américaine, que l’aviateur a pu ne pas reconnaître un simple vol d’oies sauvages[19]. Si c’est exact, nous devons noter que, dans ces deux cas exemplaires, le déclencheur physique n’est pas neutre. Vénus, c’est la Dame Etoile des anciennes mythologies du croissant fertile, la troisième Puissance de la triade suméro-babylonienne, Ishtar. C’est là comme un retour aux origines de la civilisation de l’écriture et des premiers empires, peut-être aux origines de la civilisation tout court. L’oie sauvage remonte aussi loin dans l’imaginaire collectif et nous avons vu son importance dans les cultures maritimes de la très haute antiquité[20]. Dans d’autres cas, le vécu mythique s’ingénie à renverser les rapports au monde : les pêcheurs à la ligne de Pascagoula sont pêchés par l’OVNI, le chasseur qui s’aventure dans une ancienne forêt sacrée des Amérindiens voit ses balles s’écraser contre un obstacle invisible et rencontre un extraterrestre comme autrefois saint Hubert vit la croix briller dans la ramure du cerf blanc[21], les chasseurs de daims du Nordeste brésilien qui guettent leur gibier depuis un hamac tendu entre les branches d’arbres surplombant les sentes animales sont eux-mêmes survolés et blessés par des « caissons volants »[22]. Or le pêcheur pêché et le chasseur chassé appartiennent aussi de fort longue date à la matière des contes. Moins dramatiquement, un paysan breton verra pendre de la porte de l’engin fée, en guise d’élévateur futuriste, une… échelle de corde, modèle marine en bois[23]. Le détail est assez incongru mais aussi chargé de sens pour signer le caractère transtemporel de l’aventure.
Nous pourrions multiplier de tels exemples. Une exégèse cas par cas reste à faire et, si elle dépasse le cadre d’un article, elle pourrait se révéler aussi dense et inépuisable que les commentaires des romans arthuriens. Notons d’ailleurs la parenté des irruptions soucoupiques avec les aventures des chevaliers de la Table Ronde : la machine fée fréquente les mêmes forêts, routes écartées, landes et bords d’étangs, rivières et rochers, les mêmes solitudes que les demoiselles au lévrier, les ermites et les chevaliers provocateurs qui initient Arthur, Gauvain ou Lancelot aux mystères de l’Autre monde magique. On rencontre avec elle les mêmes aberrations temporelles, les sommeils enchantés, les voyages en terres énigmatiques disparues au réveil.
Très vite, le phénomène engendre ses lieux de pèlerinage, une sorte de géographie sacrée qui, et c’est encore un travail qui attend les comparatistes, n’a jamais été étudiée dans ses rapports avec les anciennes sacralisations, malgré quelques timides avancées de l’enquêteur Fernand Lagarde dans les années 70 dans les colonnes de la revue spécialisée Lumières dans la nuit. Le mont Shasta en Californie, le Spitzberg, Hessdalen, les champs de lavande de Valensole, le triangle des Bermudes, les alentours de Nellis AFB où sont censé être entreposées les soucoupes récupérées par l’armée américaine ont vu des afflux de visiteurs en quête de quelque rémanence magique.
Quant aux récits mythiques, on le comprendra sans peine, ils sont formés en un premier temps de la masse des témoignages ; au fur et à mesure que le mythe reçoit un écho dans la société et que les vécus mythiques se multiplient, ils s’enrichissent des grandes synthèses opérées par les ufologues. Enfin les contactés, dont nous parlerons plus loin, élaborent de véritables cosmogonies.
Si l’émergence du mythe telle que nous venons de la décrire n’épuise pas le problème OVNI, loin de là, il faut toutefois remarquer qu’elle a interféré très largement et très concrètement avec le fonctionnement ordinaire de nos sociétés. Les études menées par l’armée de l’air américaine puis par l’université de Colorado, la création du GEPAN[24] en France, toutes ces enquêtes officielles pour traquer l’extraterrestre ont nécessité des budgets et rappelons que l’inquiétude est montée jusqu’à l’ONU avec un projet de commission de recherche internationale. La soucoupe volante et les extraterrestres en maraude ont inspiré des romans, des films, des tableaux, des œuvres musicales. Le phénomène a sans doute cristallisé l’intérêt pour l’astronomie et la recherche de vie dans l’univers. C’est toute une mentalité collective qui s’est trouvée pétrie en profondeur, et le désir de franchir les espaces intersidéraux semble avoir remplacé l’ancien désir de voler dans les airs largement comblé depuis les frères Montgolfier. Ne serait-ce que sous cet angle sociologique, on ne peut plus confiner le mythe dans la seule sphère de l’imaginaire. Sans doute les extraterrestres tels qu’on les rêvait dans les années 1960-70 n’auront-ils bientôt plus que le statut ambigu des divinités abolies[25] mais l’ouverture du désir et du rêve des hommes semble irréversible, comme en témoignent les premiers touristes de l’espace.
Les jeux du mythe et du social
Qu’il s’agisse du Grand Lézard ou de l’impertinente soucoupe venue déployer ses pyrotechnies dans un monde agnostique, le vécu mythique se présente à prime abord comme une aventure individuelle dont l’impact sur le groupe serait second. C’est bien Kenneth Arnold et non la foule de Manhattan qui voit ricocher les étranges aéronefs comme sur un lac d’air. C’est bien Louis Masse, cultivateur de lavandes à Valensole, qui se fait paralyser par un rayon lumineux manié par les petits botanistes pépiants, et non la horde vomie chaque soir par les bouches du métro parisien. Il reste toutefois à comprendre pourquoi le village des Causses refuse le Grand Lézard et pourquoi l’OVNI parvient si vite à percer la carapace de rire ou d’indifférence dont l’entoure presque immédiatement aussi bien le populaire que l’intelligentsia. Le refus du Lézard s’explique assez aisément en contexte chrétien, dans une région marquée par le protestantisme et son iconoclasme foncier : il renvoie au serpent qui, dans la Genèse, assure avec malice la chute d’Adam et d’Eve ; si même l’inconscient collectif n’opérait pas cette assimilation, il resterait la peur de l’idolâtrie, d’un retour au paganisme. Ce mythe totémique ne pouvait pas « prendre » dans la France rurale d’époque, son contenu était proprement inacceptable par la conscience collective, sauf comme entité dangereuse sinon démoniaque, mettant en péril la cohérence des croyances du village. En ce sens, le curé était dans son rôle.
Le mythe extraterrestre, outre qu’il fit ultérieurement l’objet de trafics en tout genre, répondait peut-être aux espoirs et aux craintes de la société technologique d’après guerre. De nombreuses hypothèses ont d’ores et déjà été avancées, comme l’angoisse de la bombe atomique, la crainte d’une nouvelle guerre entre puissances, la foi évolutionniste dans le progrès, etc. A cet égard, notons l’étude de Jean Bruno Renard établissant une symétrie en miroir entre l’homme sauvage du folklore médiéval et l’extraterrestre de nos modernes soucoupes[26], le premier relevant d’un imaginaire passéiste et le second d’un fantasme futuriste, l’un intermédiaire entre l’animal et l’homme, l’autre entre l’homme et quelque descendant surhumain, tous deux experts en langue des oiseaux si ce n’est de ma mère l’Oie, ce qui laisse à penser que l’ET n’a pas perdu tout lien avec l’animalité. Toutefois, ces explications par le contexte social le plus apparent restent très superficielles. Plus intéressant serait l’ouvrage de Stoczkowski[27] à propos de Däniken[28] et de ses Grands Anciens, extraterrestres de la préhistoire venus civiliser l’humanité encore sauvage, par le parallèle qu’il opère avec les Eons des gnostiques de l’antiquité tardive revisités en Seigneurs de la Flamme par Helena Blavatsky[29]. Cela signifierait que, si les personnages mythiques adaptent leur apparence au contexte culturel de leur réapparition, leur identité profonde pourrait ne pas varier, du moins sur de très longues périodes. On pourrait d’ailleurs, à propos du mythème des ET fondateurs de la civilisation, remarquer que l’aspect futuriste de l’OVNI relevé par Meheust ou Renard s’accompagne très tôt d’un besoin de projection aux origines, confirmant l’analyse faite par Mircea Eliade du mythe en général[30]. Ce retour in illo tempore s’opère d’abord dans le récit mythique, adossé aux nouvelles fantastiques de Lovecraft. Avant même Däniken, l’hypothèse des Grands Anciens sera soutenue par Jacques Bergier dès Le matin des magiciens (1961) et, de manière idéologiquement plus douteuse, par Robert Charroux. Mais cette plongée aux origines ne s’accroche que tardivement au vécu avec le discours du contacté Claude Vorilhon mieux connu par son pseudonyme de Raël, pour qui les ET ont purement et simplement créé l’homme actuel par manipulation génétique. Si du moins Vorilhon n’a pas purement et simplement inventé son expérience pour les besoins de la cause après avoir calculé le bon rapport du métier de guru, comme l’en accusent ses détracteurs. Dieu seul sondant les reins et les cœurs, il nous est difficile d’avoir une certitude absolue sur ce point mais il faut noter qu’aucun autre contacté, même si son expérience initiale fut suivie de discours impossibles à prendre au premier degré, n’a nourri la thématique des Grands Anciens.
L’extraterrestre supputé par les ufologues à partir des témoignages OVNI s’éloigne par nombre de traits de ceux que vont présenter les contactés comme peut-être les faunes, nymphes et daïmones du vécu mythique de la Grèce antique[31] différaient des déités du panthéon d’Hésiode. Nous pouvons mieux, étant contemporains de l’émergence d’une mythologie active, approcher ainsi la relation ou l’une des relations possibles entre vécu et récits mythiques. Dans le témoignage, l’ET reste distant, élément d’une sorte de spectacle dont l’expérienceur n’est pas obligatoirement acteur (il ne le devient que dans les cas d’enlèvements ou lors de dialogues brefs et toujours quelque peu surréalistes, proches dans leur structure des dialogues oniriques) ; au contraire, avec les contactés, l’ET se fait gracieusement enseignant, développe une cosmogonie, une morale et une hygiène de vie, parfois une spiritualité. Dans la littérature du contact, nous apprenons les noms des « dieux » et de leurs planètes, leur histoire, leurs mœurs. Leurs aventures, avec un peu de recul, apparaissent terriblement banales mais n’en fut-il pas de même des adultères, des vols de troupeaux et autres galipettes de l’Olympe ? Nous sommes confrontés à ce paradoxe en lequel réside peut-être l’essence du récit mythique : une apparente banalité, simple miroir et miroir simplifié de la civilisation en cours, mais structurée de telle sorte que les niveaux de sens en deviennent inépuisables de ricochet en ricochet du symbole. L’étude de Stoczkowski retrouvant les Eons de la Gnose derrière les Haurrio et autres Ummites suggère que cette surrection mythique contemporaine ne serait ni dégradée ni plus artificielle que les autres, mais simplement à l’état natif.
La thématique du contact a d’ailleurs évolué. Dans les années 50, après Adamski qui apparaît comme le cas fondateur du contact[32], les messages des entités tournaient tous autour du risque atomique et le contacté devenait un nouveau Moïse chargé de réunir les élus que les soucoupes volantes emporteraient lors du cataclysme, traversant les espaces interstellaires comme les Hébreux la mer Rouge vers des cieux nouveaux et une nouvelle terre. Le stéréotype s’est nourri durant deux décennies de réminiscences bibliques apparemment evhémérisées mais cette trame comporte deux omissions notoires : la symbolique de Jérusalem et la résurrection universelle. C’est dire que, par delà le biblisme très anglo-saxon mais superficiel, la thématique évoque davantage l’eschatologie zoroastrienne ou le ragnarök nordique que les motifs eschatologiques judéo-chrétiens. Le retour au paganisme devient plus sensible encore dans les années 70. Les contactés apparaissent alors non plus comme les passeurs vers l’Autre Monde mais comme les mages ou les prêtres capables d’établir un pont permanent entre l’ici et l’Ailleurs magique, de revivifier les anciens lieux sacrés, d’unir ainsi la terre au ciel des étoiles. Ils inventent des rites le plus souvent dansés, méditent sur les dolmens ou prônent la médecine végétale. Si ensuite l’ensemble s’épuise sur le vieux continent, il reprend vigueur dans les pays anglo-saxons après la parution des témoignages ou des romans de Whitley Strieber[33], et vire de plus en plus vers les formes chamanoïdes étudiées par Bertrand Meheust. Cette évolution ressemble à une récapitulation à rebrousse-mémoire des formes religieuses ayant dans l’histoire de l’humanité donné un contenant ou permis l’apparition des vécus mythiques, partant des plus proches de nous (les religions eschatologiques nées durant les âges de l’écriture et du métal) pour se réapproprier progressivement les plus lointaines, celles des agriculteurs du néolithique et, in fine, des chasseurs-cueilleurs du paléolithique. Cet aspect de remontée vers l’archaïque, qui n’a été jusqu’ici effleuré que par Meheust, lequel n’en a cependant pas dégagé les paliers, montre que nous avons affaire avec les contactés à tout autre chose qu’à une poignée de mythomanes ou de charlatans intéressés, qu’il s’agit encore là d’une mythopoièse vivante et virulente dont les acteurs semblent à leur insu même les porte-parole.
De nombreuses questions restent pendantes. Si Steven Spielberg avec Rencontres du troisième type fait figure d’un Homère ou d’un Hésiode de notre temps, la sortie de son film, soit du premier récit mythique en forme d’épopée, précède de quelques mois l’affaiblissement du mythe en Europe et sa transformation dans le monde anglo-saxon, inversion chamanisante aux Etats-Unis, glissement vers la thématique des crop circles ou dessins apparus spontanément dans les champs de céréales en Angleterre. Pourquoi le premier récit mythique digne de ce nom semble-t-il clore la série et non susciter une nouvelle flambée d’expériences vécues ? En sera-t-il de même avec sa série Disparitions qui récapitule l’évolution du mythe depuis les années 1980 ?
Une autre énigme tient au rythme de ces expériences, par vagues localisées dans l’espace et dans le temps. Le seul chercheur qui ait étudié cette rythmique, à savoir Jacques Vallée, a pu la comparer aux étapes d’un apprentissage irréversible et supposer l’existence d’un système de contrôle interne ou externe à l’humanité, système qui régulerait les civilisations et les cultures par le biais d’un phénomène apparemment absurde[34]. Mais de quel apprentissage s’agit-il ?
Enfin le clivage entre une subculture accueillant l’OVNI et l’indifférence, le mépris ou le rire des élites universitaires, mais aussi de la majorité des populations concernées pose également problème, d’autant plus que les esprits traditionnels, les défenseurs habituels de la pensée mythique, n’ont pas su davantage reconnaître ce qui éclosait sous leurs yeux[35]. Même devenue un phénomène de société, la soucoupe volante n’a concerné vraiment que des minorités : une pincée de contactés, une poignée d’enquêteurs et de chercheurs, quelques milliers d’expérienceurs sur qui le vécu mythique déboulait sans crier gare et peut-être quelques dizaines de milliers de pré-croyants fortement intéressés. Pourtant, dès 1976, certains enquêteurs pouvaient affirmer qu’il « n’y avait plus de vierges ufologiques », que tout le monde était imprégné de la thématique OVNI jusque dans ses détails. C’était tellement vrai que les agences de publicité commençaient de s’emparer du mythème pour vanter riz, pâtes, camemberts ou piles électriques. Toute la société occidentale, pour le moins, a donc été soumise au mythe des soucoupes volantes et s’en nourrit encore au travers de séries télévisées comme X Files, sans que nous puissions vraiment cerner par quoi ni vers quoi nous sommes collectivement conduits.
Conclusions provisoires
Nous avons ainsi décrit une large boucle, partant du vécu mythique reconnaissable comme tel par la référence constante à des entités connues et des stéréotypes culturels — les enfants ravis du Yucatan maya — puis passant par l’ambiguïté d’un vécu sauvage isolé contre lequel réagit violemment le groupe — le Grand Lézard des Causses — pour aboutir au vécu fondateur d’un renouveau mythologique — l’extraterrestre du phénomène OVNI. Notons d’ailleurs que le rejet par une partie significative du corps social est aussi violent dans le cas d’une mythologie à l’état natif que dans celui d’une mythologie impensable. On pourrait dire que le Grand Lézard est venu trop tard ou trop tôt, trop tard pour un totémisme dont les derniers feux vécus dans notre occident remontent aux visions de reines mérovingiennes[36], trop tôt pour être réinterprété comme messager de Gaïa. La soucoupe, semble-t-il est venue à son heure. On trouverait toutefois en étudiant son histoire d’une façon fine de nombreuses émergences d’abord refusées par l’inconscient collectif et admises seulement lors de leur réapparition des années plus tard.
Cette résistance de l’inconscient collectif, pour aussi inattendue qu’elle soit, a des précédents historiques. S’agit-il d’un processus normal, d’une sorte d’épreuve du feu par laquelle devrait impérativement passer toute mythopoièse avant de devenir nourriture spirituelle du corps social ou d’un phénomène que l’on ne rencontrerait qu’au moment où les civilisations basculent de l’agnosticisme vers une nouvelle sacralité ? Sans doute est-il trop tôt pour répondre. Ce qui, par contre, semble d’ores et déjà acquis, c’est la fonction du vécu mythique, source vive d’où jaillit la mythopoièse ou au travers de laquelle se régénère une mythologie déjà constituée.
Geneviève Béduneau.
[1] Michel Boccara, « La chasse, vécu mythique », Rapport de recherche de l’atelier MIRE-CNRS Mythologie, psychanalyse et construction du social, Paris, 1990, p.164.
[2] Ces entités portent en langue maya les noms de yumsilob, pères méritants ; moson, tourbillons ; yum ik’ob, pères vents. Michel Boccara, « Les enfants ravis : mythes et pratiques mythiques chez les Mayas », ibid. p.183 et sq. et Synapse, juin 1999.
[3] Il n’exclut pas entièrement la possibilité de fugues mais très différentes de celles des enfants de notre culture.
[4] Ce refus n’existait pas avant la seconde guerre mondiale. Au contraire, élucider les fondements de l’expérience religieuse paraissait un thème de recherches des plus passionnants. Des philosophes comme Bergson ou William James, des psychologues comme Janet et même les fondateurs de la sociologie que furent Durkheim et Mauss s’intéressèrent à la question.
[5] Claire Kappler, « Peut-on parler d’un chamanisme médiéval ? » Cahiers Villard de Honnecourt, 2000.
[6] J’ai essayé d’obtenir de Bellemare la référence de cette émission précise mais son secrétariat doit avoir des ordres draconiens de filtrage car je n’ai pas eu de réponse. Sans référence, il m’était impossible de vérifier dans les archives de l’INA. Je cite donc de mémoire, exercice toujours périlleux, en espérant ne pas trop faire d’erreurs.
[7] Les dialogues télépathiques qu’ont entretenus les fondateurs des jardins de Findhorn avec les « devas » des légumes et des fleurs semblent une version affaiblie et « apprivoisée » de l’irruption sauvage du Grand Lézard. Notons qu’il ne s’agit pas de mystique éthérée puisque dans ces contacts, quel que soit leur statut ultime, les « devas » leur ont donné des conseils de jardinage assez heuristiques pour qu’une terre sablonneuse presque stérile porte les plus belles productions maraîchères d’Angleterre.
[8] Bertrand Meheust, En soucoupes volantes, Imago, Paris, 1992.
[9] Il y a donc une préhistoire de l’OVNI, dont Vallée, Bougard, Meheust et d’autres montreront qu’elle s’étire fort loin dans le temps, un fond permanent d’observations de phénomènes encore mal étudiés sur lequel se greffe par périodes l’émergence forte du mythe et des vécus mythiques ; l’extraterrestre des années 1950-80 n’en étant que l’une des variantes.
[10] Un mémo du FBI à ce propos ne manque pas de saveur. Le Bureau se plaint que les observations sérieuses soient réservées aux militaires et qu’on ne fasse appel à ses services que pour retrouver « des montages en carton, des enjoliveurs de roue et des couvercles de WC ». Sic.
[11] Donald Keyhoe, Les soucoupes volantes existent, Correa, Paris.
[12] Jimmy Guieu, Les soucoupes volantes viennent d’un autre monde, Omnium Littéraire, Paris, 1954 ; Black out sur les soucoupes volantes, préf. Jean Cocteau, Omnium Littéraire, Paris, 1956.
[13] Phases qui ne coïncident pas forcément avec les vagues d’observation. La vague de 1994 en France, par exemple, bien que comparable en intensité à celles de la fin des années 70, n’a pas déclenché d’élaboration mythique.
[14] Jacques Vallée, Chronique des apparitions extraterrestres : du folklore aux soucoupes volantes, E.P/Denoël, Paris, 1972.
[15] Bertrand Meheust, Science fiction et soucoupes volantes :une réalité mythico-physique, Mercure de France, Paris, 1978.
[16] En soucoupes volantes, op. cit.
[17] Eddie T. Bullard, UFO abduction : the measure of a mystery, The Fund of UFO Research, Mount Rainier, USA, 1987.
[18] Allan Hendry, The UFO handbook, Doubleday, New York, 1979, p.85.
[19] Communication personnelle de l’auteur.
[20] Pascal Pastor, « Le projet alchimique des maîtres nautes d’occident », Geneviève Béduneau et Pascal Pastor, « Pourquoi la Grande Mère est-elle devenue veuve ? » et « Le genou gauche de l’initié », Liber Mirabilis
[21] Bertrand Meheust, En soucoupes volantes, op. cit., pp. 34-36.
[22] Jacques Vallée, Confrontations : un scientifique à la recherche du contact avec un autre monde, Laffont, Paris, 1991, pp.167-178.
[23] Jean Pierre et Lilyane Troadec, in OVNI Présence n°14, été 1980, pp. 5-8. D’autres cas font état d’échelles assez archaïques permettant de grimper dans la soucoupe à l’arrêt. Citons, pour rester en Bretagne, le cas L.B. décrit par Jean-François Boedec, Les OVNI en Bretagne : anatomie d’un phénomène, Fernand Lanore, Paris, 1978, pp.146-147 et le cas espagnol de « Julio », résumé par Bertrand Meheust, En soucoupes volantes, op. cit., p.39.
[24] Groupe d’Etude des Phénomènes Aériens Non-identifiés, devenu aujourd’hui le SEPRA, Service d’Etudes des Phénomènes de Rentrée Atmosphérique, ce qui limite théoriquement son objet.
[25] A moins que… On trouve actuellement sur Internet des catalogues d’entités amicales ou hostiles et des récits de combats cosmiques qui s’apparentent aux gigantomachies antiques — ou les plagient. Ces sites regroupent dans leurs forums des croyants qui semblent n’avoir aucun recul par rapport à ces récits et catalogues, pas même le fait de parler d’« hypothèse extra-terrestre ». S’agit-il d’une frange de très jeunes gens naïfs ou des premiers adeptes d’une religion en gésine renouvelant les anciens paganismes ?
[26] Jean Bruno Renard, « L’homme sauvage et l’extraterrestre : deux figures de l’imaginaire évolutionniste », Diogène n°127, juillet-septembre 1984, pp. 70-88.
[27] Wiktor Stoczkowski, Des hommes, des dieux et des extraterrestres : ethnologie d’une croyance moderne, Flammarion, Paris, 1999.
[28] Erich von Däniken, Présence des Extraterrestres et L’or des dieux, Laffont, Paris, 1969 et 1972.
[29] Helena Blavatsky, La doctrine secrète, 1888.
[30] Mircea Eliade, Aspects du mythe, Gallimard, Paris, 1963.
[31] E.R. Dodds, Les Grecs et l’irrationnel, trad. Michael Gibson, Flammarion, Paris, 1977 (Berkeley 1959).
[32] Desmond Leslie et George Adamski, Les soucoupes volantes ont atterri, J’ai Lu, Paris, 1971.
[33] Whitley Strieber, Communion, J’ai Lu, Paris, 1988 ; Transformation, J’ai Lu, Paris, 1989 ; Majestic : the government lied, Putnam, New York, 1989.
[34] Jacques Vallée, Le collège invisible, Albin Michel, Paris, 1975, réed. J’ai Lu, pp.236-249.
[35] Seuls deux ouvrages émanent de cette mouvance : 1. C. G. Jung, Un mythe moderne, Gallimard, Paris, 1961, mais le psychologue étudie les rêves d’Ovni et non les témoignages d’irruption de l’Ailleurs dans le vécu vigile ; 2. Jean Robin, OVNI, la grande parodie, Trédaniel, Paris, mais son pessimisme guénonien sur le présent l’amène à démoniser systématiquement le phénomène, à ne le lire que comme signe de la dissolution du Kali Yuga finissant ou comme pyrotechnie de l’Antéchrist. Question connexe : Robin se veut explicitement guénonien mais, s’il vivait encore, Guénon serait-il robinien ?
[36] Liber Historiae Francorum du Pseudo-Frédégaire.
1 comment:
Bonjour Geneviève!
Je suis tombé sur votre article par pur hazard, si le hazard existe bien!On le fabrique peut-être quelque part...
Physique quantique?
Je cherchais des informations sur les "aluches" et suis tombé sur vous!C´est fou qu´il n´y ai pas de bouquins là dessus...J´aimerais bien comprendre leur differences avec les Korigans ou lutins d´occident; j´aimerais bien illustrer un bouquin sur ces créatures pré-hispaniques...Mais cherche l´"inspiration" et l´information pour moderniser cette idée des "élementaires"...Brain storming needed...
Je partage tout à fait vos centre d´intèret...et me pose les mêmes questions, pourtant je n´ai pas votre formation; je suis artiste plastique à San Miguel de Allende, état de Guanajuato au Mexique.
Pays où du reste, les OVNIs font casisement de l´emboutellage!
Peut-être on les y voit plus souvent car les esprits sont plus ouverts à les voir? Que sais-je?
Ce que vous appelez le "vécu mythique" est relativement chose commune par ici et chacun à ses "petites histoires" peu-importe de leur niveau socio-culturel-économique. Curieux tout de même!
Je suis d´accord avec vous; les chamans reviennent en force et utilise aussi bien leur "bâton de pouvoir" que leur PC!
Je n´ai pas eu accès à votre mail; mais voici le mien:
cyrcyrcyr@yahoo.com
J´espère avoir le grand plaisir de pouvoir un jour recevoir de vos nouvelles et ainsi converser par mails interposés.
Bien à vous!
Cyr Casas
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